La complexité des délais de prescription en matière de relations de travail et leurs implications sur les droits des salariés.

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La complexité des délais de prescription en matière de relations de travail et leurs implications sur les droits des salariés.

L’Essentiel : La société L.M Services, spécialisée dans le nettoyage industriel et l’entretien des espaces verts, a vu Mme [R] engagée en 2011. Suite à une réduction de son temps de travail en 2016, elle a cessé de se présenter, entraînant des avertissements de l’employeur. En 2019, Mme [R] a demandé la résiliation judiciaire de son contrat, mais son action a été déclarée prescrite. Après appel, le tribunal a reconnu des manquements de l’employeur, annulant le jugement initial et accordant à Mme [R] des rappels de salaire, des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle.

Présentation de la société L.M Services

La société L.M Services est une SASU immatriculée au RCS de Melun, sous le numéro 804 883 668. Elle se spécialise dans le nettoyage industriel, l’entretien des espaces verts et divers petits travaux d’entretien, tout en employant moins de 11 salariés.

Engagement de Mme [R]

Mme [K] [G] épouse [R] a été engagée par L.M Services par un contrat à durée indéterminée le 7 novembre 2011, en tant qu’agent de service à temps partiel, avec une charge de 25 heures hebdomadaires. Elle était affectée au nettoyage du centre d’appel Stream [Localité 7].

Changement de contrat et absence de Mme [R]

À partir du 18 avril 2016, L.M Services a partiellement repris le marché du centre d’appel, réduisant le temps de travail de Mme [R] à 15 heures hebdomadaires. À compter du 28 juin 2016, Mme [R] ne s’est plus présentée à son poste. La société a alors émis deux avertissements et a demandé des justifications pour son absence.

Demande de résiliation judiciaire

Le 3 octobre 2019, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, invoquant des torts de l’employeur. Le jugement du 10 février 2022 a déclaré l’action prescrite et a débouté Mme [R] de ses demandes.

Appel de Mme [R]

Mme [R] a interjeté appel le 16 mars 2022, demandant l’infirmation du jugement et la reconnaissance de ses demandes comme non prescrites. Elle a également sollicité des rappels de salaires et la résiliation judiciaire de son contrat.

Arguments de L.M Services

La société L.M Services a demandé la confirmation du jugement initial, arguant que les actions de Mme [R] étaient prescrites et que ses demandes de résiliation et de rappel de salaire étaient irrecevables. Elle a également demandé des condamnations à son encontre au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Prescription des actions

Le tribunal a examiné la question de la prescription, concluant que le délai de prescription pour les rappels de salaires avait été interrompu par la demande d’aide juridictionnelle de Mme [R]. Ainsi, l’action relative au rappel de salaire n’était pas prescrite.

Manquements de l’employeur

Le tribunal a constaté que les manquements de l’employeur, notamment la réduction du salaire de Mme [R] suite au transfert de son contrat, justifiaient la résiliation judiciaire. Le refus de l’employeur de mettre fin à la relation de travail après le refus de Mme [R] d’accepter les nouvelles conditions a été jugé comme un manquement grave.

Rappel de salaire et indemnités

Mme [R] a été reconnue comme ayant droit à un rappel de salaire pour la période d’octobre 2016 à septembre 2019, ainsi qu’à des indemnités de rupture, y compris une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement. Le tribunal a également accordé des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Décision finale

Le jugement a été infirmé, déclarant non prescrite l’action de Mme [R] et prononçant la résiliation judiciaire de son contrat de travail. L.M Services a été condamné à verser plusieurs sommes à Mme [R], incluant des rappels de salaire, des indemnités et des intérêts, tout en ordonnant la remise de documents sociaux conformes.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de la prescription applicable à l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail ?

La prescription applicable à l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail est régie par l’article L 1471-1 du Code du travail, qui stipule que :

« Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits permettant d’exercer son droit. »

Dans le cas de Mme [R], la cour a considéré que la demande en résiliation judiciaire ne pouvait pas être soumise à ce délai biennal, car elle était fondée sur plusieurs manquements de l’employeur.

En effet, la jurisprudence a établi que lorsque plusieurs faits constitutifs sont invoqués, le délai de prescription doit être apprécié pour chaque manquement. Ainsi, la prescription de l’action en résiliation judiciaire est liée à la date à laquelle chaque manquement a été connu par la salariée.

Il est donc essentiel de déterminer si les manquements allégués par Mme [R] sont suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire, ce qui pourrait prolonger le délai de prescription au-delà de deux ans.

Quels sont les délais de prescription applicables aux actions en rappel de salaire ?

Les délais de prescription pour les actions en rappel de salaire sont régis par l’article L 3245-1 du Code du travail, qui précise que :

« L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Dans le cas de Mme [R], la cour a déterminé que le délai de prescription a commencé à courir à partir du 18 avril 2016, date à laquelle elle a pris connaissance de la réduction de son salaire suite au transfert de son contrat de travail.

Ce délai a été interrompu par le dépôt de sa demande d’aide juridictionnelle le 18 janvier 2019, ce qui a permis de prolonger le délai de prescription. Ainsi, l’action en rappel de salaire n’était pas prescrite au moment de la saisine du conseil de prud’hommes le 3 octobre 2019.

Quels sont les manquements de l’employeur susceptibles de justifier une résiliation judiciaire ?

Les manquements de l’employeur qui peuvent justifier une résiliation judiciaire doivent être d’une gravité suffisante, comme le stipule l’article L 1224-1 du Code du travail :

« Lorsqu’il y a changement d’employeur, les contrats de travail se poursuivent avec le nouvel employeur dans les conditions antérieures. »

Dans le cas de Mme [R], la cour a constaté que la réduction de son salaire de 40 % suite au transfert de son contrat de travail constituait un manquement grave de l’employeur.

Le refus de Mme [R] d’accepter les nouvelles conditions de travail était légitime, et l’employeur, ayant connaissance de ce refus, aurait dû mettre en place les conditions de rupture de la relation de travail.

Ainsi, la résistance de l’employeur face à ce refus a été jugée comme un manquement grave, justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Quelles sont les conséquences d’une résiliation judiciaire sur les indemnités dues au salarié ?

La résiliation judiciaire du contrat de travail a des conséquences importantes sur les indemnités dues au salarié, notamment en matière d’indemnité de licenciement et de rappel de salaire.

L’article L 1235-3 du Code du travail précise que :

« En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire. »

Dans le cas de Mme [R], la cour a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail, considérant que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle a donc droit à des indemnités, y compris une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de licenciement, ainsi qu’un rappel de salaire pour la période non prescrite.

Les montants dus à Mme [R] ont été fixés en fonction de son ancienneté et de son salaire moyen, conformément aux dispositions légales et conventionnelles applicables.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

Chambre sociale 4-3

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 NOVEMBRE 2024

N° RG 22/00866 –

N° Portalis DBV3-V-B7G-VCHD

AFFAIRE :

[K] [G] épouse [R]

C/

S.A.S.U. L.M SERVICES

Décision déférée à la cour : Jugement rendue le 10 Février 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES

N° Section : C

N° RG : F19/00574

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Alexandra FERREIRA

Me Annie GULMEZ

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [K] [G] épouse [R]

née le 06 Mars 1964 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Alexandra FERREIRA, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 190

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/003429 du 25/05/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANTE

****************

S.A.S.U. L.M SERVICES

N° SIRET : 804 883 668

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Annie GULMEZ de la SELARL AAZ, avocat au barreau de MEAUX, vestiaire : 31

Substitué : Me Sophie VAN DAMME, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 01 Octobre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Laurence SINQUIN, Présidente chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laurence SINQUIN, Présidente,

Mme Florence SCHARRE, Conseillère,

Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,

Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,

FAITS ET PROCÉDURE

La société L.M Services est une société par actions simplifiée à associé unique (SASU) immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Melun, sous le n° 804 883 668.

La société L.M Services exploite une activité de nettoyage industriel, d’entretien des espaces verts et de petits travaux d’entretien.

Elle emploie moins de 11 salariés.

Par contrat à durée indéterminée en date du 7 novembre 2011, Mme [K] [G] épouse [R] a été engagée par la société L.M Services, venant aux droits de la société Tfn Propreté, en qualité d’agent de service, à temps partiel à hauteur de 25 heures hebdomadaires.

Mme [R] était affectée au nettoyage du centre d’appel Stream [Localité 7] situé à [Localité 7].

A compter du 18 avril 2016, le marché du centre d’appel Stream [Localité 7] a été partiellement repris par la société L.M Services, à hauteur de 15 heures de nettoyage hebdomadaire.

Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [R] exerçait ses fonctions sur le site Stream [Localité 7], à hauteur de 15 heures hebdomadaires, et percevait un salaire moyen brut de 1 098,34 euros par mois.

A compter du 28 juin 2016, Mme [R] ne s’est plus présentée à son poste de travail.

Par courriers simples datés du 4 et du 12 juillet 2016, la société L.M Services a notifié à Mme [R] deux avertissements successifs et a enjoint la salariée de justifier de son absence.

Par requête introductive reçue au greffe le 3 octobre 2019, Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles d’une demande tendant à prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur.

Par jugement en date du 10 février 2022, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Versailles a :

– dit que l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] est prescrite ;

– débouté Mme [R] de sa demande au titre de résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

– dit que l’action en rappel de salaire est prescrite ;

– débouté Mme [R] au titre de sa demande de rappel de salaire ;

– laissé les entiers dépens à la charge de Mme [R] ;

– dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le reste des demandes ;

– rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties.

Par déclaration remise au greffe de la cour d’appel de Versailles, le 16 mars 2022, Mme [R] a interjeté appel de ce jugement.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 4 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [R], appelante et intimée à titre incident, demande à la cour de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Versailles en date du 10 février 2022 ;

Et, statuant à nouveau :

– dire les actions et demandes de Mme [R] non prescrites ;

– dire Mme [R] recevable et bien fondée en ses demandes ;

Y faisant droit :

– fixer la rémunération moyenne mensuelle moyenne à 1 098,34 euros ;

– condamner la société L.M Services au paiement à Mme [R], à titre de rappel de salaires :

A titre principal :

* pour la période d’octobre 2016 à septembre 2019, d’un montant de 39 540,00 euros bruts, outre 3 954,00 euros bruts de congés payés afférents ;

* pour la période d’octobre 2019 à la date de la résiliation judiciaire du contrat de travail, d’un montant mensuel de 1 098,34 euros bruts, outre 109,83 euros bruts de congés payés afférents.

Subsidiairement :

* d’un montant de 39 540,00 euros bruts, outre les congés payés afférents de 3 954,00 euros bruts.

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Mme [R] à la société L.M Services ;

– dire que cette rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence :

– condamner la société L.M Services à payer à Mme [R] les sommes de :

* 2 196,68 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 219,67 euros bruts à titre de congés payés sur préavis ;

* 2 537,16 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement ;

* 8 787,00 euros nets à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– ordonner la remise de fiches de paye conformes, du certificat de travail, de l’attestation destinée au Pôle Emploi, le tout sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard courant le 7ème jour après le prononcé de la décision ;

– condamner la société L.M Services à payer à Mme [R] une somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société L.M Services aux entiers dépens ;

– dire que l’ensemble des condamnations à intervenir portera intérêt à compter de l’introduction de la demande, avec capitalisation annuelle des intérêts par l’application de l’article 1343-2 du code civil.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 16 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société L.M Services, intimée et appelante à titre incident, demande à la cour de :

1. confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [R] de ses demandes ;

2. infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société L.M Services de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

3. En conséquence :

– juger que l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail est prescrite ;

– juger que l’action en rappel de salaire est prescrite ;

– juger, par conséquent, irrecevables les demandes de Mme [R] ;

– débouter, par conséquent, Mme [R] de l’intégralité de ses demandes ;

– débouter Mme [R] de ses demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail et de paiement des indemnités subséquentes ;

– débouter Mme [R] de ses demandes de rappel de salaire ;

– débouter Mme [R] de sa demande de communication de documents de fin de contrat et de bulletins de paie sous astreinte ;

– condamner Mme [R] à lui régler la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [R] aux entiers dépens, y compris les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir par voie d’huissier de justice.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 3 juillet 2024.

MOTIFS

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Sur la prescription de l’action

Le contrat de travail de Madame [R] a été transféré le 18 avril 2016 et la salariée a refusé de signer le nouveau contrat de travail qui comportait une modification de son temps de travail de 25 heures à 15 heures et de sa rémunération.

La société LM services soutient qu’à compter de cette date, la salariée avait connaissance des faits lui permettant d’exercer son action en résiliation judiciaire et le délai de deux ans qui a commencé à courir expirait au 18 avril 2018. Avec une saisine prud’homale 3 octobre 2019, l’employeur considère que l’action est prescrite.

Mme [R] considère que son contrat n’a jamais été rompu et qu’en conséquence le délai d’un an de prescription pour engager son action fondée sur la rupture de la relation de travail n’a jamais commencé à courir. Elle sollicite, en conséquence, l’infirmation de la décision prud’homale qui a reconnu la prescription de sa demande de résiliation judiciaire.

Si en application de l’article L 1471 ‘ 11 du code du travail, dans sa rédaction applicable aux faits d’espèce, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits permettant de d’exercer son droit, ce délai n’est pas applicable à des actions procédant de multiples faits constitutifs.

En effet dès lors qu’une action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits susceptibles de l’exercer, qu’une action au titre d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de sa révélation ou qu’une action fondée sur un harcèlement se prescrit par cinq ans à compter de la date du dernier fait incriminé, il n’est pas possible de soumettre à un délai de prescription prédéterminé une action intégrant ces divers manquements.

Dans ces conditions, la demande en résiliation judiciaire ne peut être soumise au délai biennal de l’article L 1471 ‘ 1 du code du travail. La prescription de cette action est nécessairement liée au délai de chacun des manquements attribués à l’employeur qui la soutiennent sans quoi une demande de résiliation judiciaire pourrait être déclarée prescrite par application de la prescription biennale alors même que l’action au fond sur un ou plusieurs manquements invoqués au soutien serait jugée recevable.

Il appartient en conséquence au juge d’apprécier pour chacun des manquements allégués à l’appui de la résiliation judiciaire si l’action qui lui est attachée est prescrite.

Mme [R], au soutien de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, invoque l’atteinte au montant de son salaire conventionnel qui, par l’effet du transfert et de la réduction de son temps de travail, s’est trouvée réduit de 40 %.

Elle soutient que la prescription en matière de rappel de salaire est une prescription « glissante » qui court à compter de l’exigibilité de chaque créance salariale et indique en tout état de cause qu’elle a déposée dans le délai de trois ans précédant la saisine prud’homale, une demande d’aide juridictionnelle dont la décision d’admission et la décision complétive sont intervenues le 29 mars 2019. Elle considère que le délai de trois ans a commencé à courir à compter de cette date et ce même s’il y a eu un problème de territorialité dans la saisine des conseils de prud’hommes de [Localité 6] et [Localité 8].

La durée de la prescription dépend de la nature de la créance. La prescription en matière de rappel de salaire sous l’égide de l’article 2277 du code civil était avant la réforme de 2008 de 5 ans. La loi numéro 2008 ‘ 561 du 17 juin 2008 a réduit à trois ans le délai de prescription inscrit à l’article 2224 du Code civil. Par l’effet de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a définitivement fixé à trois ans la prescription en matière de salaire.

Cette même loi a également modifié les conditions relatives au point de départ du délai de prescription puisque désormais le délai court à compter du moment où le créancier aurait dû connaître l’existence de sa créance. Les dispositions relatives à cette prescription sont inscrites à l’article L3245 ‘ 1 du code du travail qui prévoit : « l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou lorsque le contrat est rompu sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »

En outre, en application des dispositions de l’article 2241 du Code civil « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ».

Enfin, en application des dispositions de l’article 38 du décret du 19 décembre 1991,dans sa version modifiée par le décret 2016 ‘ 1876 du 27 décembre 2016 « lorsqu’une action en justice ou un recours doit être intenté avant l’expiration d’un délai devant les juridictions de première instance d’appel, l’action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

a- de la notification de la décision d’admission provisoire ;

b- de la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;

c- de la date à laquelle le demandeur à l’aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d’admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l’article 56 et de l’article 160 ou en cas de recours de ce demandeur de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ;

d- ou en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné … »

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que le délai de prescription concernant les rappels de salaires sollicités par Mme [R] a commencé à courir à compter du 18 avril 2016, date du transfert de son contrat de travail et date à laquelle elle a connu la diminution du montant de son salaire mensuel. Le délai de prescription devait expirer le 18 avril 2019. Ce délai a été interrompu par le dépôt de la demande d’aide juridictionnelle, en date du 18 janvier 2019, ayant conduit à la notification de la décision d’admission du 29 mars 2019. L’action prud’homale a été engagée le 3 octobre 2019. En conséquence, l’action relative au rappel de salaire n’est pas prescrite.

Sur les manquements de l’employeur

Concernant la résiliation judiciaire, il y a lieu de rappeler que les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d’une gravité suffisante. La résiliation judiciaire aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l’article L 1224 ‘ 1 du code du travail, lorsqu’il y a changement d’employeur, les contrats de travail se poursuivent avec le nouvel employeur dans les conditions antérieures et le salarié doit conserver son ancienneté, sa qualification, son salaire et sa durée du travail. Lorsque le salarié exécute son contrat de travail pour l’essentiel sur l’activité faisant l’objet du transfert, ce contrat doit être intégralement repris par le cessionnaire. À défaut, le salarié peut refuser son transfert dans des conditions non conformes à l’article L 1224 ‘ un du code du travail.

Il convient, en outre, de préciser que le salaire constitue un élément essentiel de la relation de travail.

Dès lors qu’il n’est pas contesté que l’activité exercée par Mme [R] avant et après le transfert était identique, que la salariée établit qu’à la suite de ce transfert son salaire mensuel de base est passé de 1076 € à 646,10 €, c’est à juste titre qu’elle estime que son refus du transfert était légitime. Elle justifie avoir manifesté ce refus auprès de son employeur au travers du courrier du 18 avril 2016 et indique que les démarches engagées pour la rupture de son contrat de travail n’ont pas abouti. Dans ce contexte, la salariée apparaît bien fondée à soutenir que la résistance de l’employeur face à son refus constitue un manquement grave rendant impossible la poursuite de la relation de travail et qu’elle justifie la résiliation de son contrat de travail.

L’employeur démontre par la production d’un extrait du marché du 4 avril 2016 que la reprise du personnel et l’étendue du marché concernait un seul salarié pour une prestation de 18 heures à 21 heures du lundi au vendredi. Toutefois, dès lors qu’il avait connaissance le 18 avril 2016, du refus de Mme [R] d’accepter les conditions imposées par ce transfert, l’employeur se devait de mettre en place les conditions de la rupture de la relation de travail ce qu’il n’a pas fait.

En conséquence de ces motifs, la résiliation judiciaire du contrat de travail sera prononcée à la date de l’arrêt.

Sur la demande de rappel de salaire

Mme [R] sollicite le maintien de son salaire jusqu’à la rupture, en raison du fait que la relation de travail s’est poursuivie et sollicite, en conséquence, à compter du mois d’octobre 2016 jusqu’au mois de septembre 2019, l’intégralité de son salaire estimé à un salaire mensuel moyen de 1098,34 €, soit un total de 39 540 € bruts outre les congés payés afférents. Elle réclame aussi les salaires d’octobre 2019 jusqu’à la date de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail.

La société fait valoir que, du 18 avril jusqu’au 27 juin 2016, elle a maintenu la rémunération de Madame [R] à hauteur de 15 heures par semaine et qu’au-delà Mme [R] a cessé de travailler. Elle conteste avoir refusé de lui fournir du travail puisqu’elle l’a affectée sur un autre site. Elle soutient que c’est la salariée qui a refusé de travailler et produit un avertissement du 4 juillet 2016 et du 12 juillet 2016 fondé sur les absences répétées de la salariée.

La cour souligne que dans la mesure où le refus du transfert par la salariée en raison de la réduction de son salaire tenant à la réduction de son temps de travail était légitime, l’employeur ne peut arguer de l’absence de la salariée et des sanctions prononcées en ce sens pour s’opposer au versement du salaire. Contrairement à ce qu’affirme l’employeur, aucune somme au titre des salaires n’a été versé durant la période triennale non couverte par la prescription, soit d’octobre 2016 à septembre 2019.

L’employeur fait valoir en outre que la salariée a travaillé pour une autre société. La salariée produit son avis d’imposition sur le revenu de 2018 duquel il ressort que le net imposable figurant sur la fiche de paye de décembre 2016 est conforme à la déclaration de revenus pour 2016 et que la salariée n’a perçu aucun revenu déclaré sur l’année 2017. L’employeur qui prétend que la salariée a travaillé ultérieurement ne transmet aucun élément qui constituer un commencement de preuve à l’appui de ses allégations.

En conséquence, dans les limites de la prescription triennale, il sera fait droit à la demande de rappel de salaire de la salariée et la société sera condamnée à payer la somme de 39 540 € outre les congés payés afférents.

Sur les indemnités de rupture

Sur l’ancienneté, la cour rappelle qu’en cas de changement d’employeur en application de l’article L 1224 ‘ 1 du code du travail, les contrats de travail se poursuivent avec le nouvel employeur dans les conditions antérieures et le salarié conserve son ancienneté.

Mme [R] procède à un calcul de son ancienneté à compter du 7 novembre 2011, tel que cela figure sur ses bulletins de salaire. Ce calcul n’est pas contesté par l’employeur.

Sur le préavis

En application des dispositions de l’article 4. 11 de la Convention collective de la propreté applicable et au vu d’une ancienneté de 7,9 ans, Mme [R] est bien fondée à réclamer la somme de

2196,68 € outre les congés payés afférents.

Sur l’indemnité légale de licenciement

En application des dispositions de l’article R 1234 ‘ 2 du code du travail, la demande de Mme [R] à hauteur de 2537,16 € est fondée.

Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, la rupture ayant été opéré dans une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés, Mme [R] au vu de son ancienneté, des éléments transmis relativement au préjudice lié à la rupture et compte tenu du fait que les conséquences financières ont été partiellement réparées par l’allocation de rappels de salaire, il convient de lui allouer la somme de 3000 euros.

Sur les intérêts les documents sociaux et l’astreinte

Les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt. Il convient d’autoriser la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l’article 1343 ‘ 2 du code civil.

Il y a lieu d’ordonner la remise par la société à Mme [R] de documents sociaux rectifiés conformes au présent arrêt, de bulletins de paye, d’une attestation France Travail et d’un certificat de travail rectifiés conformes au présent arrêt.

Le prononcé d’une astreinte ne s’avère pas en l’état nécessaire, à défaut de la justification d’une résistance abusive de l’employeur.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,

DÉCLARE non prescrite l’action engagée par Mme [R] ;

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] à compter de la présente décision ;

DIT que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société LM Services à payer à Mme [R] les sommes suivantes :

*3000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 2196,68 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 2 19,67 € au titre des congés payés y afférents ;

* 2537,16 € à titre d’indemnité de licenciement ;

* 39 540 € à titre de rappel de salaire et 3954 € au titre des congés payés y afférents ;

– Y AJOUTANT ;

DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;

AUTORISE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343 ‘ 2 du code civil ;

ORDONNE la remise par la société LM Services à Mme [R] de documents sociaux rectifiés conformes au présent arrêt, de bulletins de paye, d’une attestation France Travail et d’un certificat de travail rectifiés conformes au présent arrêt ;

DIT n’y avoir lieu à astreinte ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile :

CONDAMNE la société LM Services à payer à Mme [R] en cause d’appel la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus des demandes ;

CONDAMNE la société LM Services aux dépens de première instance et d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Laurence SINQUIN, Présidente et par Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


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