Compétence territoriale et clauses contractuelles en matière de bail commercial

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Compétence territoriale et clauses contractuelles en matière de bail commercial

L’Essentiel : Le 09 mai 2023, la société EURL BETHUNE BORGHESE a signé un bail commercial de dix ans avec la société SAS VILLAGE pour des locaux destinés à une salle des fêtes. Le 28 mars 2024, un commandement de payer a été délivré pour un arriéré locatif de 54.597,60 euros. En réponse, le 26 avril 2024, SAS VILLAGE a assigné EURL BETHUNE BORGHESE pour annuler ce commandement. Lors de l’audience du 03 décembre 2024, la question de l’incompétence territoriale a été soulevée, le tribunal de Nanterre se déclarant finalement incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris.

Constitution du bail commercial

Le 09 mai 2023, la société EURL BETHUNE BORGHESE a signé un bail commercial avec la société SAS VILLAGE pour des locaux situés à [Adresse 3], destinés à être utilisés comme salle des fêtes. Ce bail a une durée de dix ans, prenant effet le 1er juin 2023.

Commandement de payer

Le 28 mars 2024, la société EURL BETHUNE BORGHESE a délivré un commandement de payer à la société SAS VILLAGE, invoquant une clause de résiliation de plein droit pour un arriéré locatif s’élevant à 54.597,60 euros.

Assignation en justice

En réponse, le 26 avril 2024, la société SAS VILLAGE a assigné son bailleur devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant l’annulation du commandement de payer émis le 28 mars 2024.

Procédure de référé

Le 26 juin 2024, la société EURL BETHUNE BORGHESE a assigné la société SAS VILLAGE devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre en référé, sollicitant la résiliation du bail, l’expulsion de la société VILLAGE, et diverses indemnités et provisions.

Incompétence territoriale

Lors de l’audience du 03 décembre 2024, la société VILLAGE a soulevé l’incompétence territoriale du tribunal de Nanterre, arguant que le contrat de bail stipule que les litiges doivent être portés devant les tribunaux de Paris, conformément à l’article 48 du code de procédure civile.

Arguments des parties

La société EURL BETHUNE BORGHESE a contesté cette exception d’incompétence, affirmant que l’article R145-23 du code de commerce attribue la compétence au tribunal du lieu de situation des locaux, et que la clause de compétence au profit de Paris devait être considérée comme non écrite.

Décision du tribunal

Le tribunal a statué que, bien que les deux parties soient des commerçants, la clause d’attribution de compétence était suffisamment apparente et que l’article R145-23 ne revêtait pas un caractère d’ordre public. Par conséquent, le tribunal s’est déclaré territorialement incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris.

Transmission du dossier

La décision a été mise à disposition au greffe, stipulant que le dossier serait transmis au tribunal judiciaire de Paris après expiration du délai d’appel, tout en réservant les demandes en paiement au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence territoriale applicable en matière de baux commerciaux ?

La compétence territoriale en matière de baux commerciaux est régie par l’article R145-23 du Code de commerce, qui stipule que :

« La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble. »

Cet article précise que les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé doivent être portées devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace, quel que soit le montant du loyer.

Dans le cas présent, la société EURL BETHUNE BORGHESE a contesté l’incompétence territoriale soulevée par la société SAS VILLAGE, arguant que l’article R145-23 confère compétence au tribunal judiciaire du lieu de situation des locaux loués.

Il est important de noter que cette règle de compétence est d’ordre public, ce qui signifie qu’elle ne peut être écartée par des clauses contractuelles, sauf si les parties sont toutes deux commerçantes et que la clause est spécifiée de manière très apparente.

Quelles sont les implications de l’article 48 du Code de procédure civile sur les clauses attributives de compétence ?

L’article 48 du Code de procédure civile stipule que :

« Toute clause qui, directement ou indirectement déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée. »

Dans le litige en question, la société SAS VILLAGE a soulevé l’incompétence territoriale en raison d’une clause dans le contrat de bail qui attribue compétence aux tribunaux de Paris pour tous litiges relatifs à l’exécution du bail.

La société EURL BETHUNE BORGHESE a soutenu que cette clause devait être écartée, car l’article R145-23 du Code de commerce impose une compétence d’ordre public qui ne peut être dérogée par une clause contractuelle.

Il a été établi que les deux parties, en tant que sociétés commerciales, remplissaient les conditions pour que la clause soit considérée comme valable, car elle était suffisamment apparente, insérée dans les conditions générales sous un titre en gros caractères.

Quels sont les effets de la décision de compétence sur les demandes en paiement ?

La décision de compétence a des implications directes sur les demandes en paiement formulées par la société EURL BETHUNE BORGHESE. En effet, le tribunal a déclaré sa compétence territoriale incompétente au profit du tribunal judiciaire de Paris.

Les demandes en paiement, notamment celles fondées sur l’article 700 du Code de procédure civile, ont été réservées, ce qui signifie qu’elles ne seront pas examinées par le tribunal de Nanterre, mais devront être présentées devant le tribunal compétent.

L’article 700 du Code de procédure civile prévoit que :

« La partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

Ainsi, la société EURL BETHUNE BORGHESE devra soumettre ses demandes en paiement, y compris celles relatives aux frais de justice, devant le tribunal judiciaire de Paris, qui sera désormais compétent pour examiner l’ensemble des demandes liées au litige.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

RÉFÉRÉS

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RENDUE LE 14 JANVIER 2025

N° RG 24/01513 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZTT6

N° de minute :

E.U.R.L. BETHUNE BORGHESE

c/

S.A.S.U. VILLAGE

DEMANDERESSE

E.U.R.L. BETHUNE BORGHESE
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Maître Tristan DUPRE DE PUGET de la SCP FTMS Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0147

DEFENDERESSE

S.A.S.U. VILLAGE
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Romain PIERI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E2199

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président : François PRADIER, 1er Vice-président, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,

Greffière : Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière,

Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 03 décembre 2024, avons mis l’affaire en délibéré à ce jour.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 09 mai 2023, la société EURL BETHUNE BORGHESE a consenti un bail commercial à la société SAS VILLAGE sur des locaux situé [Adresse 3], à destination de « salle des fêtes » pour une durée de dix années entières et consécutives, à effet au 1er juin 2023.

Par acte du 28 mars 2024, la société EURL BETHUNE BORGHESE a fait délivrer au preneur un commandement, visant la clause de résiliation de plein droit insérée au contrat de bail, portant sur le paiement de la somme de 54.597,60 euros au titre de l’arriéré locatif.

Par exploit du 26 avril 2024, la société SAS VILLAGE a fait assigner son bailleur devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir notamment annuler le commandement de payer en date du 28 mars 2024.

De son côté, la société EURL BETHUNE BORGHESE a, par acte du 26 juin 2024, assigné la société SAS VILLAGE devant le président du tribunal judiciaire de Nanterre statuant en matière de référé, aux fins de voir :

Constater la résiliation de plein droit de la location consentie sur le local commercial situé [Adresse 3],
Ordonner l’expulsion de la société SAS VILLAGE des lieux loués, ainsi que celle de tous occupants de son chef, si besoin avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier,
Constater que le dépôt de garantie ainsi que les loyers payés d’avance par la société VILLAGE lui demeurera acquis, et ce à titre de premiers dommages et intérêts,
Ordonner le séquestre des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans tel garde-meuble de son choix, aux frais, risques et périls du preneur,
Condamner la société SAS VILLAGE au paiement de la somme provisionnelle de 54.597,60 euros TTC à titre de provision à valoir sur les loyers, charges, taxes et intérêts dus au jour de l’assignation, sauf à parfaire,
Condamner la société SAS VILLAGE au paiement d’une indemnité d’occupation pour chaque jour de retard, égale à 2 % du dernier loyer annuel en vigueur par jour (augmenté des charges, taxes et accessoires) jusqu’à la date de la restitution des lieux loués par la société BETHUNE BORGHESE,
Condamner la société SAS VILLAGE au paiement de la somme provisionnelle de 5459,76 euros correspondant à 5% de la somme totale due, au titre de la pénalité contractuelle de 5 %,
Condamner la société SAS VILLAGE à payer une somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société SAS VILLAGE aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer, dont distraction au profit du cabinet FTMS Avocats par application de l’article 699 du code de procédure civile.
L’affaire est venue à l’audience du 03 décembre 2024, à l’occasion de laquelle il a constaté que chacune des parties avait constitué avocat.

La société VILLAGE a soulevé in limine litis l’incompétence territoriale de la présente juridiction au profit du juge des référés auprès du tribunal judiciaire de Paris en application de l’article 48 du code de procédure civile, faisant observer que le contrat de bail comporte une clause attribuant la compétence aux tribunaux de paris pour tous litiges relatifs à l’exécution du présent bail ; que cette clause déroge ainsi à la règle de compétence territoriale posée par l’article R145-23 alinéa 3 du code de commerce énonçant que la juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble ; que les conditions édictées à l’article 48 du code de procédure civile sont bien remplies, car c’est en qualité de commerçantes que les deux parties ont conclu ce bail, lesquelles par ailleurs sont toutes les deux des sociétés commerciales

La société EURL BETHUNE BORGHESE conclut au rejet de l’exception d’incompétence, faisant valoir que l’article R145-23 du code de commerce donne compétence territoriale au tribunal judiciaire du lieu de situation des locaux loués ; que par une ordonnance du 21 juin 2024, ayant fait l’objet d’un communiqué de presse dédié, la formation des référés du tribunal judiciaire de Paris a indiqué que cette compétence territoriale est d’ordre public lorsque le litige porte sur l’application du statut des baux commerciaux, de sorte que les clauses attributives de compétence doivent être réputées non écrites, le juge étant tenu de relever d’office son incompétence ; que la clause donnant compétence territoriale au tribunal judiciaire de Paris doit être écarté en l’espèce, toute saisine du juge des référés parisiens risquant d’être sanctionnée par une incompétence soulevée d’office.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l’article R145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace.

Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent.

La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble.

Selon l’article 48 du code de procédure civile, toute clause qui, directement ou indirectement déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée.

En l’espèce, le contrat de bail liant les parties comporte en son article 31 une clause, ainsi libellée :

« De manière générale, les parties attribuent compétence aux tribunaux de Paris pour tous litiges relatifs à l’exécution du bail ».

En l’occurrence, au vu de leurs extraits Kbis respectifs, le bailleur et le preneur, se présentant sous la forme juridique de SARL et de SAS sont présumées avoir chacune la qualité de commerçant. D’autre part, la clause d’attribution de compétence est suffisamment apparente, étant insérée dans les conditions générales sous un titre en gros caractères, en gras et souligné, intitulé « ATTRIBUTION DE COMPÉTENCE ». Enfin, l’article R145-23 ne revêt aucun caractère d’ordre public.

Il convient par conséquent de se déclarer territorialement incompétent au profit du Président du Tribunal judiciaire de Paris statuant en référé.

Il convient de réserver les demandes en paiement au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.

PAR CES MOTIFS,

Statuant par décision mise à disposition au greffe sur l’exception d’incompétence, contradictoire et susceptible d’appel,

NOUS DÉCLARONS territorialement incompétent au profit du Président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en matière de référé ;

DISONS qu’après expiration du délai d’appel, le dossier de l’affaire sera transmis par les soins du greffe à celui du Tribunal judiciaire de Paris avec une copie de la présente décision,

RESERVONS les demandes en paiement au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens,

FAIT À NANTERRE, le 14 janvier 2025.

LA GREFFIÈRE

Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière

LE PRÉSIDENT

François PRADIER, 1er Vice-président


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