Communication en ligne des avocats : la suspicion de tromperie sanctionnée

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Communication en ligne des avocats : la suspicion de tromperie sanctionnée

L’Essentiel : Les règles de communication en ligne imposées aux avocats exerçant sur des sites communs ont été jugées illégales par la cour d’appel. Le Conseil de l’Ordre des avocats au barreau de Nantes avait restreint cette pratique, craignant qu’elle induise les consommateurs en erreur sur la structure des cabinets. Cependant, la cour a estimé que cette interdiction portait atteinte à la liberté d’expression des avocats. Les avocats peuvent, en toute transparence, présenter leur situation sur leurs sites, respectant ainsi les principes de la profession tout en informant correctement le public.

Les règles de communication en ligne trop restrictives imposées aux avocats sur le même site en cabinets dits «groupés», peuvent être jugées illégales si l’interdiction édictée par le Conseil de l’Ordre repose sur le postulat, que le site commun des avocats, adoptera obligatoirement une présentation trompeuse et de nature à induire en erreur le consommateur sur la structure face à laquelle il se trouve. Or, tel ne sera pas nécessairement le cas, pour peu que les avocats concernés exposent en toute clarté, dans leur site, leur situation.

Censure du Règlement du conseil de l’ordre des avocats au barreau de Nantes

Les nouvelles dispositions du règlement du conseil de l’ordre des avocats au barreau de Nantes concernant la communication des avocats exerçant sur le même site en cabinets dits «groupés») ont été censurées en appel.

Début 2019, le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Nantes a décidé de procéder à la rédaction d’un règlement intérieur. Un groupe de travail a été plus spécialement constitué pour élaborer des règles relatives aux sites Internet mis en ligne par les avocats afin que ceux-ci respectent les dispositions du code de la consommation et les principes tendant à la juste information des consommateurs.

Suivant délibération du 1er octobre 2019, le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Nantes a, dans ce cadre, adopté la résolution suivante :

«Les avocats qu’ils exercent seuls, en structure de moyens ou d’exercice, bénéficient de la liberté d’expression telle qu’elle est reconnue par les textes fondamentaux (déclaration universelle des droits de l’homme et pacte international relatif aux droits civiques, convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales).

Cette liberté inclut les communications professionnelles, notamment par le truchement de sites Internet, lesquelles doivent avoir lieu, s’agissant des professions réglementées, dans le respect des règles propres qui les régissent. Suivant les dispositions de l’article 24 de la directive services 2006/123/CE du 12 décembre 2006, celles-ci doivent être « non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnées ».

L’article 10.2 du règlement interne national de la profession d’avocat (ci-après RIN) dispose que :

« L’avocat doit, dans toute communication, veiller au respect des principes essentiels de la profession. La publicité personnelle, dont la sollicitation personnalisée, et l’information professionnelle de l’avocat doivent faire état de sa qualité et permettre, quel qu’en soit le support, de l’identifier, de le localiser, de le joindre, de connaître le barreau auquel il est inscrit, la structure d’exercice à laquelle il appartient et, le cas échéant, le réseau dont il est membre.

Sont prohibées :

– toute publicité mensongère ou trompeuse ;

– toute mention comparative ou dénigrante ;

– toute mention susceptible de créer dans l’esprit du public l’apparence d’une structure d’exercice inexistante et/ou d’une qualification professionnelle non reconnue ;

– toute référence à des fonctions ou activités sans lien avec l’exercice de la profession d’avocat ainsi que toute référence à des fonctions juridictionnelles ».

L’article 10.5 relatif à la publicité par Internet précise que :

« L’avocat qui ouvre ou modifie substantiellement un site Internet doit en informer le conseil de l’Ordre sans délai et lui communiquer les noms de domaine qui permettent d’y accéder.

Le nom de domaine doit comporter le nom de l’avocat ou la dénomination du cabinet en totalité ou en abrégé, qui peut être suivi ou précédé du mot « avocat ».

L’utilisation de noms de domaine évoquant de façon générique le titre d’avocat ou un titre pouvant prêter à confusion, un domaine du droit ou une activité relevant de celles de l’avocat, est interdite.

Le site de l’avocat ne peut comporter aucun encart ou bannière publicitaire, autres que ceux de la profession, pour quelque produit ou service que ce soit… ».

Apparence d’une structure d’exercice inexistante

La prohibition de toute mention susceptible de créer dans l’esprit du public l’apparence d’une structure d’exercice inexistante, prévue par l’article 10.2, est notamment justifiée par la réglementation protectrice des consommateurs à laquelle les avocats sont soumis et qui prohibe les pratiques déloyales ou trompeuses (articles L 121-1 et 2 du code de la consommation).

Pour ne pas autoriser ‘ et donc interdire ‘ aux avocats non associés au sein d’une structure de moyens ou d’exercice de maintenir ou d’ouvrir un site internet commun pour présenter leurs activités, le conseil de l’ordre considère, en premier lieu, qu’un tel site donnerait «immanquablement une information manifestement trompeuse aux consommateurs consultant leur site» puisque ceux-ci auraient nécessairement «le sentiment d’être en face d’un cabinet d’avocats structuré composé de plusieurs avocats».

En second lieu, la circonstance tirée du fait que l’article 10.5 du RIN énonce que le nom du domaine doit comporter le nom de l’avocat ou la dénomination du cabinet en totalité ou en abrégé ne peut fonder l’interdiction édictée, les termes d’avocat et de cabinet devant être compris comme des termes génériques susceptibles d’être employés au singulier comme au pluriel et n’excluant aucunement un site commun à plusieurs avocats mêmes non unis par des liens juridiques.

Enfin, les dispositions de l’article 10.6.3 du RIN, également invoquées par l’ordre, relatives à la dénomination du cabinet ou de la structure (« les dénominations s’entendent du nom commercial, de l’enseigne, de la marque, de la dénomination ou raison sociale ou de tout autre terme par lequel un avocat ou une structure d’exercice sont identifiés ou reconnus. La dénomination, quelle qu’en soit la forme, est un mode de communication. L’utilisation de dénominations évoquant de façon générique le titre d’avocat ou un titre pouvant prêter à confusion, un domaine du droit, une spécialisation ou une activité relevant de celle de l’avocat, est interdite ») ne peuvent justifier la restriction qui a été posée à la liberté d’expression.

Dès lors, l’interdiction a priori, qui ne résulte pas du RIN (lequel énonce seulement un certain nombre de principes essentiels que les avocats doivent respecter) porte atteinte à la liberté d’expression des avocats, est disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi, l’ordre (nécessairement informé de l’ouverture ou de la modification substantielle de tout site professionnel en application des dispositions de l’article 10.5 du RIN) ayant la possibilité, dans le cadre de son pouvoir de contrôle a posteriori des sites Internet professionnels de faire respecter par les avocats qui y contreviendraient, les dispositions de l’article 10.2 du RIN, le bâtonnier pouvant, le cas échéant, agir par la voie disciplinaire. Télécharger la décision

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les règles de communication en ligne pour les avocats au barreau de Nantes ?

Les règles de communication en ligne pour les avocats au barreau de Nantes sont régies par un règlement intérieur qui vise à garantir la transparence et la protection des consommateurs.

Ce règlement stipule que les avocats doivent respecter les principes essentiels de leur profession dans toute communication, y compris sur Internet. Cela inclut l’obligation d’identifier clairement leur qualité, leur barreau d’inscription, et la structure d’exercice à laquelle ils appartiennent.

De plus, toute forme de publicité mensongère ou trompeuse est prohibée, tout comme les mentions susceptibles de créer une confusion sur la structure d’exercice. Les avocats doivent également informer le conseil de l’Ordre de l’ouverture ou de la modification de leur site Internet, en précisant le nom de domaine utilisé.

Pourquoi certaines règles ont-elles été censurées en appel ?

Les nouvelles dispositions du règlement du conseil de l’ordre des avocats au barreau de Nantes ont été censurées en appel car elles étaient jugées trop restrictives et portaient atteinte à la liberté d’expression des avocats.

Le tribunal a estimé que l’interdiction d’ouvrir un site commun pour les avocats non associés était injustifiée. En effet, cette interdiction reposait sur l’idée que cela induirait en erreur les consommateurs, leur donnant l’impression d’être face à un cabinet structuré, ce qui n’est pas nécessairement vrai si les avocats exposent clairement leur situation.

Le tribunal a également souligné que les termes utilisés dans le règlement, tels que « avocat » et « cabinet », peuvent être compris de manière générique, permettant ainsi la création de sites communs sans tromper le public.

Quels principes fondamentaux sont évoqués dans le règlement ?

Le règlement intérieur fait référence à plusieurs principes fondamentaux, notamment la liberté d’expression des avocats, qui est protégée par des textes internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette liberté d’expression inclut les communications professionnelles, y compris celles effectuées via des sites Internet. Cependant, cette liberté doit être exercée dans le respect des règles spécifiques qui régissent la profession d’avocat, afin de garantir une information juste et non trompeuse aux consommateurs.

Les avocats doivent donc veiller à ce que leur communication respecte les principes de non-discrimination et de proportionnalité, conformément à la directive européenne sur les services.

Quelles sont les conséquences de l’interdiction de sites communs pour les avocats ?

L’interdiction de maintenir ou d’ouvrir un site Internet commun pour les avocats non associés a des conséquences significatives sur leur capacité à se présenter et à communiquer efficacement avec le public.

Cette restriction peut limiter la visibilité des avocats, en particulier ceux qui exercent seuls ou dans des structures de moyens. En effet, un site commun pourrait offrir une plateforme plus cohérente et professionnelle pour présenter leurs services, ce qui est essentiel dans un environnement de plus en plus numérique.

De plus, cette interdiction peut également nuire à la concurrence loyale entre avocats, car ceux qui sont en mesure de se regrouper sur un site commun pourraient bénéficier d’une meilleure exposition et d’une image plus professionnelle, ce qui n’est pas le cas pour ceux qui doivent se limiter à des sites individuels.

Comment le conseil de l’ordre peut-il contrôler les sites Internet des avocats ?

Le conseil de l’ordre a la possibilité de contrôler les sites Internet des avocats grâce à un mécanisme de contrôle a posteriori.

Selon l’article 10.5 du règlement intérieur, les avocats doivent informer le conseil de l’Ordre de l’ouverture ou de la modification substantielle de leur site Internet. Cela permet au conseil de vérifier que les avocats respectent les règles de communication établies.

En cas de non-respect des dispositions, le bâtonnier peut agir par voie disciplinaire, ce qui signifie que des sanctions peuvent être appliquées aux avocats qui ne respectent pas les règles de communication. Cela garantit que les avocats sont tenus responsables de leurs communications et que les consommateurs sont protégés contre les pratiques déloyales.


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