L’Essentiel : La société [5] a contesté une mise en demeure de l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais, qui lui réclamait 1 144 509 euros pour des cotisations impayées. Après l’annulation de cette mise en demeure par la commission de recours amiable, un nouveau litige a émergé. Le tribunal judiciaire de Lille a débouté la société de sa demande de communication du rapport de contrôle, décision qu’elle a ensuite contestée en appel. La cour a finalement ordonné à l’Urssaf de communiquer le rapport, reconnaissant l’intérêt légitime de la société à vérifier la régularité des opérations de contrôle.
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Exposé du litigeLa société [5] a été soumise à un contrôle de l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires pour les années 2018, 2019 et 2020. Suite à ce contrôle, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais a mis la société en demeure de verser 1 144 509 euros, comprenant des rappels de cotisations et des majorations de retard. La société a contesté cette mise en demeure auprès de la commission de recours amiable (CRA), qui a annulé la mise en demeure mais validé la procédure de contrôle. Cependant, une nouvelle mise en demeure a été émise, entraînant une nouvelle contestation de la part de la société. La décision dont appelLe 3 juillet 2023, le tribunal judiciaire de Lille a rendu un jugement en référé, déboutant la société [5] de sa demande de communication du rapport de contrôle de l’Urssaf et condamnant la société aux dépens. Cette décision a été notifiée à la société le 21 juillet 2023. La déclaration d’appelLa société [5] a formé appel de cette décision le 26 juillet 2023, dans les délais et formes requis. Les parties ont été convoquées à une audience prévue pour le 17 octobre 2024. Les prétentions et moyens des partiesLa société [5] demande à la cour d’infirmer la décision du tribunal et d’ordonner à l’Urssaf de communiquer le rapport de contrôle, arguant que ce document est essentiel pour prouver les manquements procéduraux qu’elle soulève. L’Urssaf, quant à elle, demande la confirmation de la décision initiale, soutenant que le rapport de contrôle est un document interne et non communicable, et que la société a déjà reçu une lettre d’observations. Motifs de la décisionLa cour a examiné la demande de communication de pièce, notant que la société [5] a un intérêt légitime à obtenir le rapport de contrôle pour vérifier la régularité des opérations de contrôle. Bien que l’Urssaf ne soit pas obligée de communiquer ce rapport, rien ne l’en empêche. La cour a également constaté que la demande de communication ne portait pas atteinte à la vie privée ou aux secrets d’affaires. En conséquence, la cour a ordonné à l’Urssaf de communiquer le rapport dans un délai de deux mois. Sur les dépensL’Urssaf, ayant succombé dans ses prétentions, a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Sur les frais irrépétiblesLa cour a également statué sur les frais irrépétibles, condamnant l’Urssaf à verser 1 500 euros à la société [5] au titre des frais non compris dans les dépens. Sur l’exécution provisoireL’arrêt étant exécutoire de plein droit, il n’y a pas lieu d’en rappeler l’exécution provisoire. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les obligations de l’Urssaf concernant la communication du rapport de contrôle ?L’article R. 243-59 IV du code de la sécurité sociale stipule que : « À l’issue de la période contradictoire, afin d’engager la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l’objet du redressement, l’agent chargé du contrôle transmet à l’organisme effectuant le recouvrement le rapport de contrôle faisant état des échanges prévus au III. » Cet article précise que l’Urssaf doit communiquer un rapport de contrôle à l’employeur à l’issue des opérations de contrôle. Cependant, il est important de noter que l’Urssaf a soutenu que ce rapport est un document interne préparatoire et qu’il n’est pas tenu de le communiquer intégralement au cotisant, qui doit seulement recevoir une lettre d’observations motivant les causes du redressement. En revanche, la CADA a émis un avis favorable à la communication de ce document, considérant qu’il s’agit d’un document administratif communicable, sous réserve qu’il ne contienne pas d’éléments protégés par le secret de la vie privée ou des informations non encore finalisées. Ainsi, bien que l’Urssaf ne soit pas légalement contraint de communiquer le rapport de contrôle, rien ne l’en empêche, et la société [5] a un intérêt légitime à obtenir ce document pour vérifier la régularité de la procédure de contrôle. Quels sont les critères pour qu’une mesure d’instruction soit considérée comme légitime ?L’article 145 du code de procédure civile énonce que : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. » Pour qu’une mesure d’instruction soit considérée comme légitime, il faut que la demande soit pertinente et qu’elle vise à établir une preuve susceptible d’influer sur la solution d’un litige futur. Il est également précisé que le demandeur n’a pas à prouver la réalité de ses suppositions, mais doit justifier d’éléments crédibles qui rendent sa demande légitime. Dans le cas présent, la société [5] a démontré qu’elle avait un intérêt légitime à obtenir le rapport de contrôle pour évaluer la régularité des opérations de contrôle et les manquements qu’elle entendait soulever. Ainsi, la cour a jugé que la demande de communication du rapport de contrôle répondait aux critères de légitimité établis par l’article 145. Quelles sont les conséquences de la décision de la cour sur les dépens et les frais irrépétibles ?Selon l’article 696 du code de procédure civile : « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. » Dans cette affaire, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais a succombé en ses prétentions, ce qui entraîne sa condamnation aux dépens de première instance et d’appel. Concernant les frais irrépétibles, l’article 700 du code de procédure civile stipule que : « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » La cour a décidé de condamner l’Urssaf à verser à la société [5] une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles, tout en déboutant l’Urssaf de sa demande d’indemnité. Cela signifie que la société [5] a obtenu gain de cause sur l’ensemble des points, tant sur la communication du rapport que sur les dépens et les frais irrépétibles. |
N°
société Legrand
C/
URSSAF Nord Pas-de-Calais
Copies certifiées conformes
-société Legrand
-URSSAF Nord Pas-de-Calais
-Me Thomas DEMESSINES
-Me Maxime DESEURE
-tribunal judiciaire
Copie exécutoire
-Me Thomas DEMESSINES
COUR D’APPEL D’AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 17 JANVIER 2025
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N° RG 23/03632 – N° Portalis DBV4-V-B7H-I3JB – N° registre 1ère instance : 23/00804
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (PÔLE SOCIAL) EN DATE DU 03 JUILLET 2023
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
société [5]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée et plaidant par Me Thomas DEMESSINES, avocat au barreau de DOUAI
ET :
INTIMEE
URSSAF Nord Pas-de-Calais
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Laëtitia BEREZIG, avocat au barreau d’AMIENS, substituant Me Maxime DESEURE de la SELARL LELEU DEMONT HARENG DESEURE, avocat au barreau de BETHUNE
DEBATS :
A l’audience publique du 17 octobre 2024 devant Mme Claire BERTIN, présidente, siégeant seule, sans opposition des avocats, en vertu de l’article 945-1 du code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Diane VIDECOQ-TYRAN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Claire BERTIN en a rendu compte à la cour composée en outre de :
M. Philippe MELIN, président,
Mme Claire BERTIN, présidente,
et M. Renaud DELOFFRE, conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 17 janvier 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, M. Philippe MELIN, président a signé la minute avec Mme Diane VIDECOQ-TYRAN, greffier.
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DECISION
1. Les faits et la procédure antérieure :
La société [5] a fait l’objet d’un contrôle de l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires portant sur les années 2018, 2019 et 2020.
Ensuite de ce contrôle et par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 mai 2022, reçue le 10 mai 2022, l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) du Nord Pas-de-Calais a mis la société [5] en demeure de lui verser la somme de 1 144 509 euros au titre des années 2018, 2019 et 2020, soit 1 035 664 euros de rappel de cotisations et 108 845 euros de majorations de retard.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juillet 2022, la société [5] a saisi la commission de recours amiable (CRA) afin de contester la mise en demeure du 9 mai 2022.
Le 27 juillet 2022, la CRA a accusé réception de sa saisine et notifié les voies et délais de recours.
Par décision du 29 septembre 2022, notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 octobre 2022, la CRA a validé la procédure de contrôle, mais annulé la mise en demeure contestée.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 octobre 2022, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais a mis la société [5] en demeure de lui verser la somme de 1 242 255 euros due au titre des années 2018, 2019 et 2020, soit 1 035 664 euros de rappel de cotisations, 97 746 euros de majorations de redressement et 108 845 euros de majorations de retard.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 décembre 2022, reçue le 19 décembre 2022, la société [5] a saisi la CRA aux fins de contestation de la mise en demeure du 13 octobre 2022.
Le 12 janvier 2023, la CRA a accusé réception de sa saisine et notifié les voies et délais de recours.
Dans le cadre de la préparation de la contestation de cette mise en demeure devant la CRA, et par courrier du 9 mars 2023, reçu le 21 mars 2023, la société [5] a demandé à l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais communication du rapport de contrôle prévu à l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale.
Par courrier du 29 mars 2023, l’Urssaf a refusé de le lui communiquer.
Par courrier du 10 avril 2023, enregistré le 24 avril suivant, la société [5] a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’une demande d’avis sur la communication de ce document.
Le 27 avril 2023, la CADA a accusé réception de sa saisine.
Par acte du 15 mai 2023, la société [5] a fait assigner l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais en référé afin d’obtenir communication sous astreinte d’une copie du rapport de contrôle prévu à l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale.
2. La décision dont appel :
Par « jugement » rendu le 3 juillet 2023, le président de la formation de jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lille, statuant en référé, a :
débouté la société [5] de sa demande de communication du rapport de contrôle de l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais ;
condamné la société [5] aux entiers dépens de l’instance ;
débouté la société [5] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision a été notifiée à la société [5] par lettre recommandée expédiée le 21 juillet 2023.
3. La déclaration d’appel :
Par déclaration du 26 juillet 2023 reçue au greffe le 31 juillet suivant, la société [5] a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de l’intégralité du dispositif de ce jugement.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 17 octobre 2024.
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1 Aux termes de ses conclusions récapitulatives visées le 17 octobre 2024, soutenues oralement par son conseil, la société [5] appelante demande à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, de :
– infirmer la décision querellée en ce qu’elle l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes ;
statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
– condamner l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais, le cas échéant sous telle astreinte qu’il plaira, à lui communiquer une copie du rapport de contrôle prévu à l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale, dressé dans le cadre de la procédure de contrôle ;
– rappeler que l’arrêt à intervenir est exécutoire de plein droit ;
– condamner l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais au paiement de la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens, ainsi qu’à assumer ces derniers dans le cadre de la présente instance.
A l’appui de ses prétentions, la société [5] fait valoir que :
– le rapport de contrôle institué par l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale constitue l’aboutissement de la procédure contradictoire et la dernière étape avant l’avis de recouvrement ; c’est sur ce rapport de l’agent chargé du contrôle que l’Urssaf se fonde pour décider ou non du recouvrement et de son montant ;
– le rapport de contrôle constitue son seul et unique moyen de prouver les manquements procéduraux qu’elle soulève d’ores et déjà devant la CRA, et qu’elle ne manquera pas de soulever par suite devant le tribunal judiciaire ;
– suivant décision du 1er juin 2023, la CADA a donné un avis favorable à sa demande de communication du rapport de contrôle, sous réserves notamment que celui-ci ne présente pas un caractère préparatoire à une décision administrative qui ne serait pas encore intervenue ou à laquelle l’administration n’aurait pas définitivement renoncé, et qu’il ne porte pas atteinte au secret de la vie privée de tiers ;
– le rapport de contrôle, objet de sa demande, est un document détaillant minutieusement les opérations de contrôle et précisant notamment les dates, heures, lieux, techniques utilisées lors du contrôle, les personnes interrogées, et encore les documents ou matériels informatiques prélevés ;
– ce rapport de contrôle destiné au supérieur hiérarchique de l’inspecteur peut révéler une remise de début de contrôle non formalisée, l’utilisation de clés USB, l’interrogation de tiers à la société, lesquels peuvent entraîner une nullité du contrôle et n’apparaissent pas dans la lettre d’observations ; il est le seul document permettant à un cotisant contrôlé de vérifier et plus encore de prouver que des manquements à la procédure ont été commis ;
– lors du recours devant la CRA, elle a exposé que l’Urssaf avait volontairement écarté certains documents, allant jusqu’à prétendre à tort que ceux-ci ne lui avaient pas été présentés lors du contrôle ;
– la demande de communication adressée à l’Urssaf résulte d’un motif légitime et celle-ci a compétence liée pour y répondre favorablement en application des articles L. 300-2, L. 311-1, L. 311-2, L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ; pour pouvoir faire l’objet d’une communication, les documents administratifs doivent en vertu de ces textes exister, être en possession de l’administration saisie de la demande, être achevés, et ne porter atteinte à aucun secret.
4.2.Aux termes de ses conclusions visées le 17 octobre 2024, soutenues oralement par son conseil, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais intimée demande à la cour de confirmer la décision dont appel, débouter la société [5] de ses demandes, et condamner la société [5] à lui payer la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
À l’appui de ses prétentions, l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais fait valoir que :
– si, en application des articles L. 300-2, L. 311-1, L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration, et R. 243-59 IV du code de la sécurité sociale, l’inspecteur doit remettre à l’employeur, à l’issue des opérations de contrôle, une lettre d’observations sous peine de nullité desdites opérations, les textes ne lui imposent nullement de communiquer l’intégralité du rapport de contrôle ; le cotisant ne peut exiger d’y avoir accès, ni invoquer la nullité du contrôle, dès lors qu’il se trouve en possession de la lettre d’observations ;
– son rapport de contrôle est un document préparatoire interne, préalable à l’établissement de la mise en demeure, lequel ne conditionne pas la régularité de la procédure ;
– le rapport de contrôle ne fait pas partie des documents à remettre au cotisant, celui-ci devant uniquement recevoir une lettre d’observations motivant les causes du redressement ;
– la société [5] a été rendue destinataire d’une lettre d’observations, reprenant les motifs juridiques et factuels du redressement envisagé, dans le respect de la contradiction, la cotisante y répondant avant que l’inspecteur ne réplique à son tour dans une lettre du 21 mars 2022 ;
– la société [5] échoue à démontrer l’existence d’un motif légitime nécessitant la production du rapport de contrôle ; elle ne rapporte pas la preuve des manquements allégués lors du contrôle.
Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Sur la demande de communication de pièce
Aux termes de l’article 11 du code de procédure civile, les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus.
Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime.
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Il entre dans les pouvoirs du juge des référés saisi sur le fondement de l’article 145 d’ordonner aux conditions prévues par ce texte une communication de pièces, ces conditions cumulatives étant l’absence d’instance au fond à la date de la saisine de la juridiction, l’exigence d’un motif légitime, et une demande portant sur une mesure légalement admissible.
Pour que le motif de l’action soit légitime, il faut et il suffit que la mesure soit pertinente et qu’elle ait pour but d’établir une preuve dont la production est susceptible d’influer sur la solution d’un litige futur ayant un objet et un fondement précis et non manifestement voué à l’échec.
Il en résulte que le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer la réalité de ses suppositions à cet égard, cette mesure in futurum étant précisément destinée à l’établir, mais qu’il doit justifier d’éléments les rendant crédibles et de ce que le procès en germe en vue duquel il sollicite la mesure n’est pas dénué de toute chance de succès.
En l’espèce, par courrier du 9 mars 2023, reçu le 21 mars 2023, la société [5] a demandé à l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais communication du rapport de contrôle prévu à l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale, lequel avait servi à l’établissement de la lettre d’observations du 9 décembre 2021.
Par courrier en réponse du 29 mars 2023, l’Urssaf a refusé de le lui communiquer, considérant qu’il s’agissait d’un document interne lui permettant d’établir la mise en demeure qu’elle adressait ensuite à son cotisant.
La société [5] a alors saisi la CADA par courrier du 10 avril 2023, enregistré le 24 avril suivant, d’une demande d’avis sur la communication de ce document.
Suivant avis favorable n° 20232526 du 1er juin 2023, la CADA a rappelé que l’Urssaf étant un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public, les décisions qu’elle prend et les pièces qu’elle produit dans le cadre du contrôle de l’application de la législation sur la sécurité sociale sont des documents administratifs au sens du code des relations entre le public et l’administration.
Elle a également rappelé qu’en vertu du IV de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable en l’espèce, l’agent chargé du contrôle « communique à l’employeur », à l’issue de ce contrôle un rapport de contrôle faisant état des échanges contradictoires décrits au III du même article.
Elle a estimé malgré la position de l’Urssaf qu’en application des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration, le document sollicité était communicable à l’intéressé, sous réserve qu’il ne présente pas un caractère préparatoire à une décision administrative qui ne serait pas encore intervenue ou à laquelle l’administration n’aurait pas définitivement renoncé et sous réserve de l’occultation préalable des éventuelles mentions couvertes par le secret de la vie privée de tiers ainsi que des mentions portant des appréciations ou des jugements de valeur sur des personnes physiques nommément désignées ou facilement identifiables, autres que le demandeur, ou faisant apparaître leur comportement dans des conditions susceptibles de leur porter préjudice.
Elle a estimé enfin que la circonstance que l’article R. 243-59 précité n’impliquerait pas par lui-même la communication intégrale du rapport de contrôle établi par l’inspecteur du recouvrement, ainsi que de ses annexes, ne fait pas obstacle à l’application des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration.
Sur l’absence de tout procès
Il résulte de l’article 145 du code de procédure civile qu’une mesure in futurum ne peut pas être ordonnée lorsqu’une instance est ouverte au fond sur le même litige et que celle-ci a été introduite avant le dépôt de la requête. Le juge est tenu d’examiner l’existence de ces conditions au jour du dépôt de la requête.
En l’espèce, si la société [5] avait d’abord saisi la CRA par lettre du 9 décembre 2022 aux fins de contestation de la mise en demeure délivrée le 13 octobre 2022, puis la CADA pour avis par lettre du 10 avril 2023, il reste que ce recours amiable devant la CRA et cette consultation pour avis d’une commission administrative ne constituent pas des instances judiciaires au fond au sens de l’article 145 précité et, partant, que la condition inhérente à l’absence de tout procès au fond à la date de délivrance de l’assignation en référé est remplie.
Sur l’existence d’un motif légitime
L’article R. 243-59 IV et V du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que :
IV. – À l’issue de la période contradictoire, afin d’engager la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l’objet du redressement, l’agent chargé du contrôle transmet à l’organisme effectuant le recouvrement le rapport de contrôle faisant état des échanges prévus au III. [‘]
V. – Les documents mentionnés au présent article sont adressés à la personne contrôlée selon les modalités définies au troisième alinéa du I.
En l’espèce, l’existence même du rapport de contrôle n’est pas contestée par les parties.
Si l’article R. 243-59 précité ne fait pas obligation à l’Urssaf de communiquer le rapport de contrôle de l’inspecteur du recouvrement au cotisant, mais seulement une lettre d’observations motivant les causes du redressement à l’issue des opérations de contrôle, il s’observe néanmoins que rien ne le lui interdit.
Si ce rapport de contrôle est un document administratif préparatoire interne, destiné à l’information de la hiérarchie, préalable à l’établissement de la mise en demeure, lequel ne conditionne pas la régularité de la procédure, il est pour autant un document communicable au cotisant en application de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration, dès lors qu’il s’agit d’un rapport achevé au sens de l’article L. 311-2 du même code, et qu’il n’est pas de nature à porter atteinte à la protection de la vie privée au sens de l’article L. 311-6 dudit code.
Alors que la société [5] a indiqué à l’occasion de son recours devant la CRA que l’Urssaf avait volontairement écarté certains documents, et prétendu faussement que ceux-ci ne lui avaient pas été présentés lors du contrôle, la production du rapport de contrôle peut renseigner le cotisant sur la manière concrète dont le contrôle a été mené, lui permettre de vérifier en complément des informations contenues dans la lettre d’observations la régularité de la procédure, de connaître le cas échéant les informations transmises par d’autres administrations ou par des personnes physiques entendues ;
Il s’ensuit que la société [5] démontre bien avoir un intérêt légitime à obtenir avant tout procès la communication du rapport de contrôle de l’inspecteur du recouvrement, et ce notamment afin de pouvoir apprécier la régularité des opérations de contrôle, l’importance des manquements qu’elle entend imputer à l’organisme de sécurité sociale, et évaluer la pertinence d’engager ou non une instance au fond par suite de la délivrance de la mise en demeure de l’Urssaf.
Sur la mesure d’instruction légalement admissible
Il résulte de l’article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi.
Il appartient dès lors à la cour, saisie d’une contestation sur le caractère légalement admissible de la mesure d’instruction, d’apprécier si cette dernière est proportionnée au droit à la preuve du requérant, d’une part, et aux droits au secret des affaires notamment ou au respect de la vie privée, d’autre part.
En l’espèce, la CADA a considéré que le rapport de contrôle de l’inspecteur du recouvrement de l’Urssaf était bien un document administratif communicable au cotisant, sous réserve notamment qu’il soit achevé et qu’il ne puisse contenir aucune atteinte au secret de la vie privée à l’égard de tiers.
L’Urssaf n’allègue aucune atteinte au secret de la vie privée pouvant résulter de la communication du rapport, objet du litige, ni davantage d’atteinte au secret des affaires, dès lors que la demande émane de la société cotisante elle-même.
En conséquence, le rapport de contrôle constitue une pièce suffisamment déterminée dont l’existence est établie de façon certaine, et sa communication est bien nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de l’appelante, tout en restant proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
Il convient d’ordonner à l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais de communiquer à la société [5] le rapport de contrôle de l’inspecteur du recouvrement prévu à l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale dans un délai de deux mois à compter de la signification de l’arrêt, sans qu’il soit nécessaire en l’état d’assortir cette obligation d’une astreinte.
Sur les dépens
Selon l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
L’Urssaf du Nord Pas-de-Calais succombant en ses prétentions, il convient de réformer la décision querellée en ses dispositions relatives aux dépens et de la condamner aux dépens de première instance et d’appel.
Sur les frais irrépétibles
Selon l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Le sens de l’arrêt conduit à réformer la décision querellée sur les frais irrépétibles de première instance.
Ne supportant pas les dépens, la société [5] ne peut voir mettre à sa charge une indemnité au titre des frais irrépétibles, ce qui justifie que l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais soit déboutée de sa demande en ce sens.
La solution du litige et l’équité justifient en revanche la condamnation de l’Urssaf du Nord Pas-de-Calais à régler à la société [5] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire
Le présent arrêt n’étant pas susceptible d’une voie ordinaire de recours, il est exécutoire de plein droit ; il n’y a donc pas lieu d’en rappeler l’exécution provisoire.
La cour,
Réforme en toutes ses dispositions la décision rendue en référé le 3 juillet 2023 par le président de la formation de jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lille ;
Prononçant à nouveau et y ajoutant,
Ordonne à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales du Nord Pas-de-Calais de communiquer à la société [5] la copie du rapport de contrôle dressé par l’inspecteur du recouvrement en application de l’article R. 243-59 IV alinéa 1er du code de la sécurité sociale, et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification de l’arrêt ;
Dit n’y avoir lieu à assortir d’une astreinte l’obligation de communication de pièce ;
Rejette les autres prétentions des parties ;
Condamne l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales du Nord Pas-de-Calais aux dépens de première instance et d’appel ;
La condamne en outre à payer à la société [5] la somme de 1 500 euros à titre d’indemnité de procédure sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la débitrice de cette somme étant elle-même déboutée de sa demande indemnitaire à cette fin.
Le greffier, Le président,
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