Co-employeurs et reconnaissance des droits salariaux : enjeux de prescription et de responsabilité

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Co-employeurs et reconnaissance des droits salariaux : enjeux de prescription et de responsabilité

L’Essentiel : Mme [G] a été engagée par Setaffaires en mai 2006. Après un congé de maternité et un congé parental, elle a été informée en mars 2012 de la reprise de l’entreprise par Setaffaires Limited, sans détails supplémentaires. Face à la fermeture du magasin, elle a saisi la juridiction prud’homale en décembre 2012 pour obtenir des paiements. En découvrant que l’activité avait continué et que M. [L] était gérant d’une autre société, elle a déposé une plainte en 2016 pour co-emploi. Le tribunal a reconnu M. [L] coupable de fraude, et la cour a jugé que l’action de Mme [G] n’était pas prescrite.

Engagement de Mme [G]

Mme [G] a été engagée en tant que vendeuse-employée de caisse par la société Setaffaires le 15 mai 2006, sous la direction de M. [L].

Congés de maternité et parental

Elle a bénéficié d’un congé de maternité du 15 juillet au 4 novembre 2010, suivi d’un congé parental d’éducation d’un an, renouvelé en novembre 2011.

Changement d’employeur

Le 7 mars 2012, M. [L] a informé Mme [G] que la société Setaffaires avait été reprise par la société Setaffaires Limited, sans lui fournir d’informations supplémentaires sur ce nouvel employeur.

Action en justice

Face à l’absence d’informations et à la fermeture du magasin, Mme [G] a saisi la juridiction prud’homale le 13 décembre 2012 pour obtenir le paiement de diverses sommes de la part de la société Setaffaires Limited.

Découverte de la fraude

En apprenant que l’activité de Setaffaires avait continué malgré la cession de ses parts et que M. [L] était également gérant d’une autre société, Gigaffaires, elle a déposé une nouvelle plainte le 4 mars 2016 pour faire reconnaître la qualité de co-employeurs des deux sociétés et de M. [L].

Jugement du tribunal correctionnel

Le 28 février 2017, le tribunal correctionnel a déclaré M. [L] coupable d’organisation frauduleuse d’insolvabilité et d’usage de faux en écriture.

Arguments de M. [L] et de Gigaffaires

M. [L] et la société Gigaffaires ont contesté la décision de la cour d’appel, arguant que l’action de Mme [G] était prescrite et que la reconnaissance de la qualité de co-employeur ne relevait pas de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail.

Réponse de la Cour

La Cour a précisé que l’action visant à reconnaître une situation de co-emploi est considérée comme personnelle et se prescrit par cinq ans, conformément à l’article 2224 du code civil. Elle a également noté que le point de départ de la prescription est la date à laquelle la fraude a été révélée à la salariée.

Conclusion de la Cour

La cour d’appel a correctement conclu que l’action de Mme [G] n’était pas prescrite, car elle avait pris connaissance de la fraude en 2016, ce qui a permis de justifier sa demande de reconnaissance de co-emploi et de paiement des indemnités.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la durée de la prescription pour les actions personnelles selon le Code civil ?

La durée de la prescription pour les actions personnelles est régie par l’article 2224 du Code civil, qui stipule :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Ainsi, pour une action personnelle, le délai de prescription est de cinq ans, et il commence à courir à partir du moment où la personne concernée a eu connaissance des faits qui lui permettent d’agir.

Il est important de noter que ce délai peut être suspendu ou interrompu dans certaines circonstances, mais en règle générale, il s’applique à toutes les actions personnelles, y compris celles liées à des créances.

Quelles sont les dispositions relatives à la prescription des actions portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail ?

Les actions portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail sont régies par l’article L. 1471-1 du Code du travail, qui dispose :

« Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. »

Ce délai de prescription de deux ans est spécifique aux litiges liés au contrat de travail et est plus court que celui prévu par le Code civil pour les actions personnelles.

Il est essentiel pour les salariés de respecter ce délai, car toute action engagée après l’expiration de ce délai sera déclarée irrecevable.

Comment la jurisprudence interprète-t-elle la reconnaissance d’une situation de co-emploi ?

La jurisprudence a établi que l’action visant à la reconnaissance d’une situation de co-emploi revêt le caractère d’une action personnelle, et donc elle est soumise à la prescription de l’article 2224 du Code civil.

Lorsque la situation de co-emploi est révélée par la découverte d’une fraude, le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle le salarié a eu connaissance des faits révélant cette fraude.

Cela signifie que si un salarié découvre une fraude qui affecte sa relation de travail, il peut agir en justice à partir de cette date, même si la rupture du contrat de travail a eu lieu antérieurement.

Quelles sont les implications de la découverte d’une fraude sur le délai de prescription des actions salariales ?

La découverte d’une fraude a des implications significatives sur le délai de prescription des actions salariales. En effet, comme le précise la jurisprudence, le point de départ du délai de prescription pour les actions relatives aux demandes salariales et indemnitaires consécutives à la reconnaissance d’une situation de co-emploi est également lié à la connaissance des faits frauduleux.

Cela signifie que si un salarié découvre qu’il a été victime d’une fraude, il peut introduire une action pour obtenir des indemnités, et ce, dans le délai de prescription applicable à la nature de la créance invoquée.

Ainsi, la cour d’appel a correctement déduit que l’action de Mme [G] n’était pas prescrite, car elle avait eu connaissance de l’organisation frauduleuse d’insolvabilité en 2016, ce qui lui a permis d’agir en justice à partir de cette date.

SOC.

JL10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 janvier 2025

Rejet

M. SOMMER, président

Arrêt n° 32 FS-B

Pourvoi n° P 23-11.765

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [G].
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 avril 2023.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 JANVIER 2025

1°/ M. [E] [L], domicilié [Adresse 3],

2°/ la société Gigaffaires, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° P 23-11.765 contre l’arrêt rendu le 7 décembre 2022 par la cour d’appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans le litige les opposant à Mme [X] [G], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Leperchey, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [L] et de la société Gigaffaires, de Me Bardoul, avocat de Mme [G], et l’avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Leperchey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Degouys, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Palle, Ménard, Filliol, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, M. Chiron, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 7 décembre 2022), Mme [G] a été engagée en qualité de vendeuse-employée de caisse le 15 mai 2006 par la société Setaffaires, dont le gérant était M. [L].

2. La salariée a bénéficié d’un congé de maternité entre les 15 juillet et 4 novembre 2010, suivi d’un congé parental d’éducation d’un an à compter du 5 novembre 2010, renouvelé pour un an en novembre 2011.

3. Le 7 mars 2012, M. [L] a informé la salariée que la société Setaffaires avait été reprise, puis lui a indiqué que son nouvel employeur était la société Setaffaires Limited.

4. En l’absence d’information sur ce nouvel employeur malgré la fermeture définitive du magasin, la salariée a saisi la juridiction prud’homale le 13 décembre 2012 afin d’obtenir la condamnation de la société Setaffaires Limited à lui payer diverses sommes.

5. Ayant appris que l’activité de la société Setaffaires s’était poursuivie malgré la cession de ses parts sociales et sa radiation et que M. [L] était également gérant d’une société Gigaffaires exploitant un autre magasin, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes le 4 mars 2016 afin de voir reconnaître la qualité de co-employeurs aux sociétés Setaffaires et Gigaffaires et à M. [L] et d’obtenir leur condamnation solidaire à lui payer diverses sommes en réparation de ses préjudices.

6. Parallèlement, par jugement du 28 février 2017, le tribunal correctionnel a déclaré M. [L] coupable des chefs d’organisation frauduleuse d’insolvabilité afin d’échapper à une condamnation patrimoniale et d’usage de faux en écriture.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. M. [L] et la société Gigaffaires font grief à l’arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, de dire que le montage juridique qu’ils ont effectué visait à échapper au paiement des dettes et que ces actes étaient inopposables à la salariée, de constater la confusion d’intérêts, d’activité et de direction entre les sociétés Setaffaires, Gigaffaires et M. [L], de dire qu’ils sont co-employeurs de la salariée et de les condamner in solidum à payer à celle-ci diverses sommes à titre d’indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée ; que Mme [G] demandait à la cour d’appel de condamner solidairement M. [L] et la société Gigaffaires en qualité de co-employeurs à lui payer certaines sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive et vexatoire des relations contractuelles ; que les créances invoquées étaient donc toutes nées de la rupture du contrat de travail ; qu’en retenant cependant, pour dire que la rupture étant intervenue le 5 novembre 2012, que l’action engagée par Mme [G] le 4 mars 2016 n’était pas prescrite, que l’action visant à voir reconnaître la qualité de co-employeur à une personne qui n’est pas partie au contrat ne porte pas sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail au sens de l’article L. 1471-1 du code du travail mais est une action en reconnaissance d’un contrat de travail revêtant un caractère personnel et se prescrivant conformément aux dispositions de l’article 2224 du code civil, la cour d’appel a violé l’article 2224 du code civil par fausse application et l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017 par refus d’application ;

2°/ que les lois spéciales dérogent aux lois générales ; que si l’action tendant au paiement de créances salariales et indemnitaires dont le succès suppose que soit préalablement reconnue la qualité de co-employeurs des défendeurs a un caractère personnel, elle est néanmoins régie par les dispositions spéciales du code du travail ; que Mme [G] demandait à la cour d’appel de condamner solidairement M. [L] et la société Gigaffaires en qualité de co-employeurs à lui payer certaines sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive et vexatoire des relations contractuelles ; qu’en retenant, pour dire que l’action engagée par Mme [G] n’était pas prescrite, que l’action visant à voir reconnaître la qualité de co-employeur à une personne qui n’est pas partie au contrat est une action en reconnaissance d’un contrat de travail revêtant un caractère personnel et se prescrivant conformément aux dispositions de l’article 2224 du code civil, la cour d’appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 1471-1 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, ensemble le principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

9. Aux termes de l’article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

10. Il résulte de la combinaison de ces textes que l’action visant à la reconnaissance d’une situation de co-emploi revêt le caractère d’une action personnelle et relève de la prescription de l’article 2224 du code civil.

11. Lorsque la situation de co-emploi a été révélée au salarié par la découverte d’une fraude, le point de départ de ce délai est la date à laquelle celui qui exerce l’action a connu ou aurait dû connaître les faits, révélant l’existence de la fraude, lui permettant d’exercer son droit.

12. Ce point de départ est également applicable aux actions relatives aux demandes salariales et indemnitaires consécutives à la reconnaissance d’une situation de co-emploi, lesquelles sont soumises au délai de prescription déterminé par la nature de la créance invoquée.

13. La cour d’appel, ayant relevé que le procureur de la République avait fait citer M. [L] devant le tribunal correctionnel courant 2016, procédure dans laquelle Mme [G] s’était constituée partie civile, date à laquelle elle avait été en mesure de connaître l’organisation frauduleuse d’insolvabilité par son employeur, et que cette dernière avait saisi la juridiction prud’homale le 4 mars 2016 afin de voir reconnaître la qualité de co-employeurs aux sociétés Setaffaires et Gigaffaires et à M. [L] et de leur réclamer les indemnités relatives à la rupture du contrat de travail, en a exactement déduit que son action n’était pas prescrite.

14. Le moyen n’est donc pas fondé.


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