Co-employeurs et prescription : enjeux de la reconnaissance des droits salariaux

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Co-employeurs et prescription : enjeux de la reconnaissance des droits salariaux

L’Essentiel : Mme [E], caissière chez Setaffaires depuis 2007, a bénéficié d’un congé parental jusqu’en avril 2013. Informée d’un changement de direction en mars 2012, elle a saisi la juridiction prud’homale en 2015 pour faire reconnaître la qualité de co-employeurs de Setaffaires et Gigaffaires, tout en demandant la résiliation de son contrat. En février 2017, M. [W] a été déclaré coupable d’insolvabilité frauduleuse. Bien que M. [W] et Gigaffaires aient contesté la prescription de l’action de Mme [E], la Cour a confirmé que son action n’était pas prescrite, soulignant que le délai commence à partir de la découverte de la fraude.

Engagement de Mme [E]

Mme [E] a été engagée en tant que caissière par la société Setaffaires le 10 janvier 2007, sous la direction de M. [W], qui était également gérant de la société Gigaffaires.

Congé parental et changement de direction

Après avoir bénéficié d’un congé parental d’éducation se terminant le 17 avril 2013, Mme [E] a été informée par M. [W] le 7 mars 2012 que la société Setaffaires avait été reprise par une nouvelle direction.

Action en justice de Mme [E]

Le 26 novembre 2015, Mme [E] a saisi la juridiction prud’homale pour faire reconnaître la qualité de co-employeurs des sociétés Setaffaires et Gigaffaires ainsi que de M. [W]. Elle a également demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement de diverses indemnités.

Jugement contre M. [W]

Le 28 février 2017, le tribunal correctionnel a déclaré M. [W] coupable d’organisation frauduleuse d’insolvabilité pour échapper à une condamnation patrimoniale. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 28 février 2024, dans lequel Mme [E] a été déclarée irrecevable en sa constitution de partie civile.

Arguments de M. [W] et de la société Gigaffaires

M. [W] et la société Gigaffaires ont contesté l’arrêt en invoquant la prescription de l’action de Mme [E]. Ils ont soutenu que la cour d’appel avait mal appliqué les articles du code civil et du code du travail concernant la prescription des actions liées à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail.

Réponse de la Cour

La Cour a précisé que l’action visant à la reconnaissance d’une situation de co-emploi est considérée comme une action personnelle, soumise à la prescription de cinq ans selon l’article 2224 du code civil. Elle a également noté que le point de départ de la prescription est lié à la découverte de la fraude, ce qui a été le cas pour Mme [E].

Conclusion de la Cour

La cour d’appel a correctement conclu que l’action de Mme [E] n’était pas prescrite, et le moyen soulevé par M. [W] et la société Gigaffaires a été jugé non fondé.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la durée de la prescription pour les actions personnelles selon le Code civil ?

La durée de la prescription pour les actions personnelles est régie par l’article 2224 du Code civil, qui stipule :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Ainsi, pour toute action personnelle, le délai de prescription est de cinq ans, ce qui signifie que le créancier doit agir dans ce délai pour faire valoir ses droits.

Il est important de noter que ce délai commence à courir à partir du moment où le titulaire du droit a eu connaissance des faits qui lui permettent d’exercer son action.

Cela implique que si une fraude est découverte, le point de départ de la prescription peut être modifié, en tenant compte de la date à laquelle la victime a eu connaissance de cette fraude.

Quelles sont les dispositions relatives à la prescription des actions portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail ?

Les actions portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail sont régies par l’article L. 1471-1 du Code du travail, qui dispose :

« Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. »

Ce délai de prescription de deux ans est spécifique aux litiges liés au contrat de travail, et il commence à courir à partir de la connaissance des faits par le salarié.

Il est essentiel de comprendre que ce délai est plus court que celui prévu par le Code civil pour les actions personnelles, ce qui souligne l’importance de la rapidité dans la prise de décision pour les salariés.

Comment se combine la prescription des actions en reconnaissance de co-emploi avec les créances salariales ?

La jurisprudence a établi que l’action visant à la reconnaissance d’une situation de co-emploi revêt le caractère d’une action personnelle, et donc, elle est soumise à la prescription de l’article 2224 du Code civil.

Cela signifie que même si la reconnaissance de co-emploi est nécessaire pour faire valoir des créances salariales, le délai de prescription applicable est celui de cinq ans, et non celui de deux ans prévu pour les actions liées au contrat de travail.

De plus, lorsque la situation de co-emploi est révélée par la découverte d’une fraude, le point de départ de la prescription est la date à laquelle le salarié a eu connaissance des faits révélant cette fraude.

Ainsi, les actions relatives aux demandes salariales et indemnitaires consécutives à la reconnaissance d’une situation de co-emploi sont également soumises au délai de prescription déterminé par la nature de la créance invoquée.

Quelles conséquences a la découverte d’une fraude sur le point de départ de la prescription ?

La découverte d’une fraude a des conséquences significatives sur le point de départ de la prescription. Selon la jurisprudence, lorsque la situation de co-emploi a été révélée au salarié par la découverte d’une fraude, le délai de prescription commence à courir à partir de la date à laquelle le salarié a eu connaissance des faits révélant cette fraude.

Cela signifie que si un salarié découvre qu’il a été victime d’une fraude, il peut avoir un délai supplémentaire pour agir, car le point de départ de la prescription est lié à sa connaissance des faits.

Cette règle vise à protéger les droits des salariés en leur permettant de réagir lorsque des éléments frauduleux sont découverts, ce qui pourrait autrement les empêcher d’exercer leurs droits dans le délai imparti.

SOC.

JL10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 15 janvier 2025

Rejet

M. SOMMER, président

Arrêt n° 33 FS-D

Pourvoi n° Q 23-11.766

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 JANVIER 2025

1°/ M. [I] [W], domicilié [Adresse 3],

2°/ la société Gigaffaires, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° Q 23-11.766 contre l’arrêt rendu le 7 décembre 2022 par la cour d’appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans le litige les opposant à Mme [N] [E], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Leperchey, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [W] et de la société Gigaffaires, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [E], et l’avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Leperchey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Degouys, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Palle, Ménard, Filliol, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, M. Chiron, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 7 décembre 2022), et les productions, Mme [E] a été engagée en qualité de caissière le 10 janvier 2007 par la société Setaffaires, dont le gérant était M. [W], ce dernier étant également gérant de la société Gigaffaires.

2. La salariée a bénéficié d’un congé parental d’éducation se terminant le 17 avril 2013. Le 7 mars 2012, M. [W] a informé la salariée que la société Setaffaires avait été reprise par une nouvelle direction.

3. La salariée a saisi la juridiction prud’homale le 26 novembre 2015 afin de voir constater la qualité de co-employeurs des sociétés Setaffaires et Gigaffaires et de M. [W], de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de ces employeurs et d’obtenir leur condamnation à lui payer diverses sommes au titre des indemnités de rupture et des salaires jusqu’au prononcé de la résiliation judiciaire.

4. Parallèlement, par jugement du 28 février 2017, le tribunal correctionnel a déclaré M. [W] coupable du chef d’organisation frauduleuse d’insolvabilité afin d’échapper à une condamnation patrimoniale.

5. Ce jugement a été confirmé par arrêt du 28 février 2024, la salariée étant déclarée irrecevable en sa constitution de partie civile.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. M. [W] et la société Gigaffaires font grief à l’arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, de dire qu’ils sont co-employeurs de Mme [E], de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à effet au 18 avril 2013, de dire que cette résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de les condamner in solidum à payer à Mme [E] des sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, au titre des congés payés afférents, à titre d’indemnité légale de licenciement et à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée ; que Mme [E] demandait à la cour d’appel de condamner solidairement M. [W] et la société Gigaffaires en qualité de co-employeurs à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaires, d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour irrégularité de la procédure de licenciement ; que les créances invoquées étaient donc toutes nées de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail ; qu’en retenant cependant, pour dire que la rupture remontant au plus tôt au 18 avril 2013, que l’action engagée par Mme [E] le 26 novembre 2015 n’était pas prescrite, que l’action visant à voir reconnaître la qualité de co-employeur à une personne qui n’est pas partie au contrat ne porte pas sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail au sens de l’article L. 1471-1 du code du travail mais est une action en reconnaissance d’un contrat de travail revêtant un caractère personnel et se prescrivant conformément aux dispositions de l’article 2224 du code civil, la cour d’appel a violé l’article 2224 du code civil par fausse application et l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017 par refus d’application ;

2°/ que les lois spéciales dérogent aux lois générales ; que si l’action tendant au paiement de créances salariales et indemnitaires dont le succès suppose que soit préalablement reconnue la qualité de co-employeurs des défendeurs a un caractère personnel, elle est néanmoins régie par les dispositions spéciales du code du travail ; que Mme [E] demandait à la cour d’appel de condamner solidairement M. [W] et la société Gigaffaires en qualité de co-employeurs à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaires, d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d’indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour irrégularité de la procédure de licenciement ; qu’en retenant, pour dire que l’action engagée par Mme [E] n’était pas prescrite, que l’action visant à voir reconnaître la qualité de co-employeur à une personne qui n’est pas partie au contrat est une action en reconnaissance d’un contrat de travail revêtant un caractère personnel et se prescrivant conformément aux dispositions de l’article 2224 du code civil, la cour d’appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 1471-1 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, ensemble le principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

8. Aux termes de l’article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

9. Il résulte de la combinaison de ces textes que l’action visant à la reconnaissance d’une situation de co-emploi revêt le caractère d’une action personnelle et relève de la prescription de l’article 2224 du code civil.

10. Lorsque la situation de co-emploi a été révélée au salarié par la découverte d’une fraude, le point de départ de ce délai est la date à laquelle celui qui exerce l’action a connu ou aurait dû connaître les faits, révélant l’existence de la fraude, lui permettant d’exercer son droit.

11. Ce point de départ est également applicable aux actions relatives aux demandes salariales et indemnitaires consécutives à la reconnaissance d’une situation de co-emploi, lesquelles sont soumises au délai de prescription déterminé par la nature de la créance invoquée.

12. La cour d’appel, ayant relevé que le procureur de la République avait fait citer M. [W] devant le tribunal correctionnel courant 2016, procédure dans laquelle Mme [E] s’était constituée partie civile, et au cours de laquelle elle avait été en mesure de connaître l’organisation frauduleuse d’insolvabilité par son employeur, et que cette dernière avait saisi la juridiction prud’homale le 26 novembre 2015 afin de voir reconnaître la qualité de co-employeurs aux sociétés Setaffaires et Gigaffaires et à M. [W] et de leur réclamer les indemnités relatives à la rupture du contrat de travail, en a exactement déduit que son action n’était pas prescrite.

13. Le moyen n’est donc pas fondé.


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