Obligations contractuelles et garanties dans le cadre d’un bail commercial : enjeux et conséquences.

·

·

Obligations contractuelles et garanties dans le cadre d’un bail commercial : enjeux et conséquences.

L’Essentiel : La SCI BASTIDE QUEYRIES a engagé une procédure contre POK’ASIE pour impayés de loyer et non-reconstitution de la garantie bancaire. Malgré des relances, le preneur n’a pas régularisé sa situation, entraînant un commandement de payer. En réponse, POK’ASIE conteste les accusations, affirmant être à jour dans ses paiements. Le tribunal a reconnu des retards, mais a noté qu’ils résultaient d’ambiguïtés sur la conformité de l’activité avec le règlement de copropriété. Il a ordonné à POK’ASIE de reconstituer la garantie dans six mois, rejetant les demandes de résiliation et d’expulsion du bail.

Exposé du litige

La SCI BASTIDE QUEYRIES a conclu un bail commercial avec la société POK’ASIE le 8 octobre 2020, portant sur des locaux à Bordeaux pour une durée de 12 ans. Le preneur a fourni un dépôt de garantie et une garantie bancaire, mais des impayés de loyer et de charges ont été constatés. Malgré des relances, le preneur n’a pas régularisé sa situation, ce qui a conduit le bailleur à actionner la garantie bancaire. Des sommes ont été versées, mais elles n’ont pas suffi à couvrir la dette. En mai 2022, le bailleur a notifié un commandement de payer.

Procédure

La SCI BASTIDE QUEYRIES a assigné POK’ASIE devant le Tribunal Judiciaire de Bordeaux le 13 septembre 2022, demandant la constatation de la clause résolutoire, l’expulsion et le paiement des loyers dus. Les débats ont eu lieu en novembre 2024, et l’affaire a été mise en délibéré pour janvier 2025.

Prétentions du demandeur

Le bailleur demande au tribunal de reconnaître que POK’ASIE est redevable de 19.543,20 € au titre des loyers et charges, de constater le manquement à la reconstitution de la garantie bancaire, et de prononcer la résiliation du bail. Il sollicite également l’expulsion de POK’ASIE et le paiement de diverses sommes, y compris des pénalités et des frais de justice.

Prétentions du défendeur

Le preneur conteste les demandes du bailleur, affirmant être à jour dans ses paiements et que l’activité prévue au bail est conforme au règlement de copropriété. Il demande le rejet des demandes de résiliation et d’expulsion, ainsi que l’autorisation de reconstituer la garantie bancaire et de payer ses loyers mensuellement.

Motifs de la décision

Le tribunal a examiné les manquements allégués par le bailleur, notamment le non-paiement des loyers et l’absence de reconstitution de la garantie. Il a constaté que, bien que le preneur ait eu des retards, ceux-ci étaient en partie dus à des ambiguïtés concernant la conformité de l’activité avec le règlement de copropriété. Le tribunal a jugé que le manquement à la reconstitution de la garantie était grave, mais a décidé d’accorder un délai de six mois pour sa régularisation.

Réponse du tribunal

Le tribunal a ordonné à POK’ASIE de reconstituer la garantie dans un délai de six mois et a enjoint le bailleur de convoquer une assemblée générale des copropriétaires pour clarifier la situation concernant l’activité du preneur. Les demandes de résiliation du bail et d’expulsion ont été rejetées, tout comme la demande de mensualisation des paiements de loyer. Le tribunal a également statué sur les dépens et les frais de justice.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations du preneur en matière de paiement des loyers et de reconstitution de la garantie ?

Le preneur, en vertu des articles 1719 et 1720 du Code civil, a l’obligation de payer le loyer aux termes convenus dans le bail. L’article 1719 stipule que « le bailleur est tenu de délivrer la chose louée en bon état de réparations de toute espèce ».

En ce qui concerne la garantie, l’article 8.2 du bail précise que la fourniture d’une garantie à première demande est une condition essentielle du consentement du bailleur.

Ainsi, le preneur doit non seulement s’acquitter de ses loyers, mais également reconstituer la garantie à première demande dans les délais impartis.

Le non-respect de ces obligations peut entraîner des conséquences graves, telles que la résiliation du bail, conformément aux articles 1224 et suivants du Code civil, qui prévoient la possibilité de résolution judiciaire en cas d’inexécution suffisamment grave.

Quelles sont les conséquences d’un manquement aux obligations contractuelles du preneur ?

Selon l’article 1224 du Code civil, « la résolution du contrat peut être demandée en cas d’inexécution suffisamment grave ».

Le tribunal a constaté que le preneur n’avait pas reconstitué la garantie à première demande, malgré plusieurs relances du bailleur. Ce manquement constitue une inexécution grave des obligations contractuelles, justifiant potentiellement la résiliation du bail.

Cependant, le tribunal a également pris en compte les circonstances atténuantes, telles que les difficultés rencontrées par le preneur dans le démarrage de son activité, ce qui a conduit à une décision de lui accorder un délai de six mois pour se conformer à cette obligation.

Comment le tribunal a-t-il évalué la conformité de l’activité du preneur avec le règlement de copropriété ?

Le tribunal a rappelé que le bailleur doit délivrer des locaux conformes à la destination du bail, conformément à l’article 1719 du Code civil.

Le preneur a soutenu que l’activité autorisée par le bail était contraire au règlement de copropriété, qui interdirait toute restauration avec transformation.

Le tribunal a noté que la clause de destination du bail était ambiguë, notamment en ce qui concerne la « cuisson à la vapeur ». Il a donc ordonné au bailleur de convoquer une assemblée générale des copropriétaires pour clarifier cette situation, sans qu’il n’y ait lieu d’ordonner d’astreinte.

Quelles sont les implications de la décision du tribunal concernant la mensualisation du paiement du loyer ?

Le tribunal a rappelé le principe de la liberté contractuelle, stipulé à l’article 1195 du Code civil, qui permet de renégocier un contrat en cas de changement de circonstances imprévisibles.

Cependant, aucune des conditions requises pour une renégociation n’était réunie dans ce cas. Le tribunal a donc débouté le preneur de sa demande de mensualisation du paiement du loyer, affirmant que le contrat devait être respecté tel qu’il avait été convenu.

Quelles sont les conséquences financières pour le preneur suite à la décision du tribunal ?

Le tribunal a condamné le preneur à payer une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, qui prévoit que « la partie perdante peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais non compris dans les dépens ».

De plus, le preneur a été condamné aux entiers dépens, conformément à l’article 696 du Code de procédure civile, qui stipule que les dépens sont à la charge de la partie qui succombe.

Ces décisions financières soulignent l’importance pour le preneur de respecter ses obligations contractuelles pour éviter des conséquences économiques significatives.

N° RG : N° RG 22/07450 – N° Portalis DBX6-W-B7G-W7HJ
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

30Z

N° RG : N° RG 22/07450 – N° Portalis DBX6-W-B7G-W7HJ

Minute n° 2025/00

AFFAIRE :

S.C.I. BASTIDES QUEYRIES

C/

S.A.R.L. POK’ASIE (OUI TAO)

Grosses délivrées
le

à
Avocats :
la SELARL AVOCAGIR
la SELAS DS AVOCATS

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 09 JANVIER 2025

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré

Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente

Pascale BUSATO, greffier lors des débats
Isabelle SANCHEZ, greffier lors du prononcé
DÉBATS :

A l’audience publique du 07 Novembre 2024,
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile.

DEMANDERESSE :

S.C.I. BASTIDES QUEYRIES
5 rue Lafayette
33000 BORDEAUX
représentée par Maître Isabelle CARTON DE GRAMMONT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

DEFENDERESSE :

S.A.R.L. POK’ASIE (OUI TAO)
5 quai de Queyries
33100 BORDEAUX
représentée par Maître Marc DUFRANC de la SELARL AVOCAGIR, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats postulant

******

EXPOSE DU LITIGE

Faits constants :
Par acte en date du 8 octobre 2020, la SCI BASTIDE QUEYRIES (le « Bailleur « ) a consenti à la société POK’ASIE (le « Preneur ») un bail commercial portant sur des locaux commerciaux situés 5 quai de Queyries à Bordeaux (33000).
Le bail a été conclu pour une durée de 12 années entières et consécutives commençant à courir le 1er octobre 2020 pour se terminer le 30 septembre 2032.
En exécution du bail, le preneur a remis au Bailleur un dépôt de garantie correspondant à 3 mois de loyer HT HC, soit à ce jour la somme de 12.926,41 euros et une garantie bancaire à première demande remise par la Banque Courtois couvrant toutes sommes dues au titre du bail commercial à hauteur de 25.200 euros.
Des impayés de loyer et de charges sont apparus qui ont fait l’objet de relances par le bailleur.
Ce dernier a alors actionné la garantie auprès de la banque Courtois, qui a in fine versé au bailleur 18.507,10 € le 23 décembre 2021, puis 6.602,90 euros le 15 février 2022, sommes qui n’ont pas suffit à apurer la dette de loyer du preneur.
Nonobstant les relances et mises en demeure du bailleur, le Preneur n’a pas réglé les sommes dues au titre du bail, ni fourni de nouvelle garantie bancaire à première demande.
Le bailleur a par acte extrajudiciaire du 20 mai 2022, adressé au preneur un commandement d’avoir à payer la somme de 40.858,14 euros TTC, correspondant à l’arriéré de loyers et charges du à cette date et de fournir une nouvelle garantie à première demande.

Procédure:
Par assignation délivrée le 13/09/2022, la SCI BASTIDES QUEYRIES a assigné la SARL POK’ASIE devant le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX aux fins de constatation d’acquisition de la clause résolutoire, ou subsidiairement résolution judiciaire du bail, expulsion, paiement du loyer restant dû et de l’indemnité d’occupation.
Il convient de préciser que depuis cette assignation :
– le preneur a constitué avocat et fait déposer des conclusions.
– l’ordonnance de clôture est en date du 2/10/2024.
Les débats s’étant déroulés à l’audience du 7/11/2024, l’affaire a été mise en délibéré au 9/01/2025.

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR, le bailleur, la SCI BASTIDES QUEYRIES :
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18/01/2024 et reprises à l’audience, le demandeur sollicite du Tribunal de :
RECEVOIR la société BASTIDE QUEYRIES en ses demandes et l’y déclarer bien fondée ;
JUGER que la société POK’ASIE est redevable de la somme de 19.543,20 € euros TTC au titre des loyers, charges et taxes dus au 1er janvier 2024 ;
JUGER que la société POK’ASIE n’a pas reconstitué depuis près de deux ans la garantie à première demande alors qu’il s’agit d’une condition essentielle et déterminante du consentement du bailleur ;
JUGER que la société POK’ASIE a violé deux obligations essentielles et déterminantes du consentement de la société BASTIDE QUEYRIES en ne s’acquittant pas régulièrement de ses loyers et en refusant de fournir une nouvelle garantie à première demande ;
Par conséquent,
DIRE ET JUGER que la société POK’ASIE a gravement manqué à ses obligations contractuelle,
PRONONCER, en conséquence, la résiliation du bail ;
JUGER que la société POK’ASIE est occupant sans droit ni titre ;
ORDONNER l’expulsion pure et simple de la société POK’ASIE, ou de tous occupants de son chef, desdits locaux, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du prononcé de la signification de la décision à intervenir;
DIRE ET JUGER que le Commissaire de justice requis à cet effet pourra se faire assister du Commissaire de Police et d’un serrurier s’il en était besoin ;
ORDONNER la séquestration de tous matériels, marchandises et objets se trouvant dans lesdits locaux à l’endroit qu’il plaira au Bailleur, aux frais avancés de la société POK’ASIE;
CONDAMNER la société POK’ASIE à régler à la société BASTIDES QUEYRIES la somme de 19.543,20 euros TTC, majorée du taux d’intérêt légal augmenté de quatre (4) points à compter de la présente assignation ;
CONDAMNER la société POK’ASIE à régler à la société BASTIDES QUEYRIES la somme de 1.954,32 euros au titre de la clause pénale contractuelle ;
CONDAMNER la société POK’ASIE au paiement à la société BASTIDE QUEYRIES, d’une indemnité d’occupation à compter du jugement à intervenir, fixée au montant du loyer de la dernière année de location, majoré de 50% ;
CONDAMNER la société POK’ASIE à payer à la société BASTIDE QUEYRIES la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
RAPPELER que l’exécution provisoire est de droit

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR, le preneur, la SARL POK’ASIE :
Dans ses dernières conclusions en date du 12/03/2024 le défendeur demande au tribunal de :
DIRE ET JUGER la SCI BASTIDE QUEYRIES mal fondée et la débouter de l’intégralité de ses demandes ;
CONSTATER que la SARL POK’ASIE est parfaitement à jour du paiement de ses loyers et charges.
DIRE ET JUGER que l’activité prévue au bail du 8 octobre 2020 est contraire aux dispositions du règlement de copropriété régissant l’immeuble du 5 Quai de Queyries et 1 Allée de Serr 33000 BORDEAUX ;
EN CONSEQUENCE,
DEBOUTER la SCI BASTIDE QUEYRIES de sa demande de résiliation judicaire du bail aux torts de la SARL POK’ASIE et de toute demande en paiement de ce chef ;
DIRE ET JUGER que la SCI BATSIDE QUEYRIES a manqué à son obligation de délivrance ;
ENJOINDRE à la SCI BASTIDE QUEYRIES de convoquer à ses frais et dans les plus brefs délais, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, une assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble du 5 Quai de Queyries et 1 Allée de Serr 33000 BORDEAUX, afin de régulariser la situation et permettre à la société POK’ASIE de jouir paisiblement des locaux et d’exercer l’activité autorisée dans le bail du 8 octobre 2020.
N° RG : N° RG 22/07450 – N° Portalis DBX6-W-B7G-W7HJ

ENJJOINDRE la société BASTIDE QUEYRIES de communiquer une copie du procès-verbal de cette assemblée générale à la société POK’ASIE dans le mois suivant sa notification afin que cette dernière puisse agir en conséquence.
AUTORISER la société POK’ASIE à reconstituer la garantie bancaire autonome à première demande d’un montant de 25.852,82 euros HT dans un délai de 12 mois suivant la signification de la décision à intervenir
AUTORISER la société POK’ASIE à régler ses loyers et charges mensuellement et d’avance, le 1er jour de chaque mois, à compter du prononcé de la décision à intervenir.
CONDAMNER la SCI BASTIDE QUEYRIES à verser à la SARL POK’ASIE la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile

L’exposé des moyens des parties sera évoqué par le Tribunal lors de sa motivation et pour le surplus, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures notifiées aux dates sus mentionnées aux parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le sort des demandes de donner acte et autres demandes ne constituant pas des prétentions
Le tribunal rappelle à titre liminaire qu’il n’a pas à statuer sur les demandes de « donner acte » ou « constater » de « déclarer » ou de « juger » qui figurent dans le dispositif des conclusions des parties, lesquelles demandes ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 53 et 768 du code de procédure civile mais des moyens de droit ou de fait qui doivent figurer au soutien d’une prétention dans la partie « discussion » des conclusions.

Sur la demande de résolution du bail aux torts exclusifs du preneur
Le bailleur prétend que le preneur aurait commis deux manquements graves à ses obligations tirées du bail.
Au visa des articles 1124, 1127 et 1128 (en fait les articles 1224 et suivants) du Code civil, après avoir renoncé à la mise en oeuvre de la clause résolutoire, le bailleur demande la résolution judiciaire du bail.
Au titre d’un manquement dans le paiement des loyers, le bailleur prétend que le preneur n’aurait jamais été régulier dans le paiement de ses loyers, qu’il ne régulariserait les échéances que dans le cadre du contentieux, qu’ainsi il y aurait un risque qu’il persiste dans ses manquements contractuels à venir.
Cela caractériserait selon lui un manquement grave et renouvelé des obligations contractuelles du preneur et justifierait la résiliation judiciaire du bail.
Au titre de la non reconstitution de la garantie à première demande, le preneur n’y aurait pas procédé malgré ses nombreuses mise en demeure, alors que la fourniture de la garantie à première demande par le preneur aurait été expressément érigée en condition essentielle et déterminante du consentement du bailleur, au sein même du bail (art 8.2).
S’agissant du moyen de défense soulevé par le preneur, il affirme que la destination du bail serait conforme au règlement de copropriété, lequel autorise :
 » A l’exception des activités nocturnes (boîte de nuit, …) et de restauration avec transformation sur place, toutes les activités seront possibles dans les locaux commerciaux (…) “
Alors que le bail stipule :
« restauration sans transformation, sans extraction, ni cuisson grasse. Découpe et assemblage de produits réchauffés par un four électrique / micro-onde. Cuisson à la vapeur.  »
Selon lui le débat portant sur le fait de savoir si « la cuisson vapeur » est une forme de « restauration avec transformation », qui pourrait éventuellement naître entre lui et le syndicat des copropriétaires ne serait pas celui de la conformité du local à sa destination ; alors que le syndicat des copropriétaires ne l’aurait jamais mis en demeure d’enjoindre le preneur, à cesser la cuisson vapeur.

Le preneur indique qu’il serait – au jour de ses dernières conclusions – à jour du paiement des loyers, selon sa pièce n°24 (relevé de compte locatif de la SARL POK’ASIE au 27.02.2024).
Il soutient que s’il n’a pas pu, momentanément, faire face au règlement de ses loyers et reconstituer sa garantie bancaire, ce serait du seul fait des manquements du Bailleur à son obligation de délivrance conformément aux dispositions de l’article 1719 du Code Civil.
Il affirme qu’il y aurait inadéquation entre l’activité du preneur autorisée au bail et celle admise au règlement de copropriété ; la copropriété – au visa d’un règlement (CE) n°852/2004 du parlement européen et du conseil du 29 avril 2004 relatif à l’hygiène des denrées alimentaires – considérerait l’activité autorisée au bail comme contraire aux dispositions du règlement de copropriété, lequel interdirait toute restauration avec transformation, ce qui serait le cas de la cuisson vapeur pourtant autorisée au bail. A tout le moins, compte tenu de l’ambiguïté de la notion de « cuisson sans transformation » le bailleur aurait dû, avant la signature du bail, se rapprocher du syndicat des copropriétaires pour s’assurer que l’activité prévue au bail était bien conforme au règlement de copropriété.
Le preneur soutient qu’il ne serait pas nécessaire que l’interdiction ait été constatée judiciairement pour que le manquement soit caractérisé, le simple courrier du syndicat adressé au preneur rappelant la prohibition du règlement de copropriété resté sans effet et sans demander une dérogation à cette interdiction permettrait d’établir le manquement à l’obligation de délivrance
De ce fait, le preneur n’aurait pas pu ouvrir son restaurant entre le mois de juin 2021 et la mi-octobre 2021, sans aucune source de revenus jusqu’à ne plus pouvoir assumer ses dettes de loyer.
A ce jour, il serait à jour du paiement du loyer, il lui resterait à reconstituer la garantie bancaire pour laquelle il sollicite des délais

Réponse du Tribunal :
En droit, au terme des articles 1224, 1227 et 1228 du code civil, le juge peut, selon les circonstances de l’espèce : soit prononcer la résolution du bail en cas d’inexécution suffisamment grave ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou encore allouer seulement des dommages et intérêts.
S’agissant de la notion “d’inexécution suffisamment grave” il est de jurisprudence bien établie que celle-ci peut relever d’un manquement du débiteur portant sur une obligation essentielle du contrat, d’un préjudice substantiel subi par le créancier, ou encore de la mauvaise foi ou d’une conduite déloyale du débiteur à l’égard du créancier.
Il convient de préciser qu’il importe peu que l’inexécution soit totale ou partielle, du moment où elle revêt une certaine gravité et que pour être retenue contre le débiteur elle se doit d’être non imputable au créancier ; la démonstration d’une faute du débiteur restant indifférente.
Enfin il a été jugé que pour apprécier la gravité de l’inexécution le juge doit tenir compte de toutes les circonstances intervenues jusqu’au jour de sa décision (Cass. 3 Civ. 5 mai 1993, n°91-17.097).

En l’espèce,
– s’agissant du moyen de défense du preneur tiré d’un supposé manquement de délivrance du bailleur (invoqué par le preneur, mais non qualifiée pour autant d’exception d’inexécution)
Le Tribunal considère que le syndicat des copropriétaires ne dispose, sauf clause spécifique au règlement de copropriété d’aucune action directe contre le preneur ; son lien juridique n’existe qu’avec le bailleur, es qualité de copropriétaire, lequel est tenu de respecter, et faire respecter par son locataire, le règlement de copropriété.
Le Tribunal constate qu’il n’est pas rapporté qu’une action en justice, voire une action extra judiciaire préalable, ait été engagée par le syndicat contre le bailleur.
Le Tribunal dit que le fait qu’une cuisson vapeur puisse caractériser une activité de restauration par transformation, est discutable, qu’ainsi la supposée non conformité de la clause d’activité autorisée au bail avec le règlement n’est pas établie de manière certaine.
Par ailleurs, le Tribunal relève que cette ambiguïté n’a pas empêché le preneur d’exercer son activité en usant, certes tardivement mais pleinement de la dite clause du bail, soit en utilisant, selon lui, la cuisson vapeur depuis avril 2022 ; de sorte qu’il n’existe pas un lien de causalité direct et exclusif entre les manquements du preneur (paiement du loyer et reconstitution de la garantie) et le supposé manquement du bailleur à son obligation de délivrance.
– s’agissant du paiement du loyer
Le preneur apporte la preuve d’avoir régularisé en cours de procédure sa situation comptable au 27/02/2024 (sa pièce 24), sans qu’à l’audience il n’ait été invoqué une nouvelle dette de loyer.
Si la répétition, les montants en jeu, et les délais mis pour payer la dette de loyer pourraient caractériser un manquement suffisamment grave à l’obligation principale du preneur, il convient toutefois de relever que les difficultés au démarrage de l’activité du preneur – tenant notamment à l’ambiguïté quant au respect du règlement de copropriété – expliquent au moins pour partie ces retards ; ce qui s’oppose à la caractérisation d’une inexécution suffisamment grave.
Ce manquement ne sera donc pas retenu comme fondement à la résolution judiciaire.
– s’agissant de l’absence de reconstitution de la garantie à première demande
Le Tribunal constate que les antécédents d’incidents de paiement du loyer qui ont conduit le bailleur à mettre en oeuvre la garantie à première demande auprès de la banque Courtois, démontrent, si besoin, l’utilité et l’importance pour le bailleur de cette garantie, qualifiée de surcroît de substantielle au bail.
Or, depuis près de deux ans le preneur n’a toujours pas reconstitué cette garantie à première demande, malgré les relances du bailleur (9 février 2022 (pièce n° 4), 28 février 2022 (pièce n° 5), 22 mars 2002 (pièce n° 6) et 11 avril 2022 (pièce n° 7).
Le Tribunal considère qu’il s’agit bien d’une inexécution grave de l’une des obligations du preneur, ce qui pourrait justifier qu’il soit mis fin au bail, si par ailleurs cette inexécution ne reposait pas également et partiellement sur la position ambigue du bailleur sur la destination des locaux, comme déjà indiqué plus haut.
Aussi, par application des dispositions de l’article 1228 sus-visé et de la jurisprudence sus-visée, le Tribunal considère que compte tenu du chiffre d’affaires réalisé par le preneur au cours de l’exercice 2023 pour plus de 450.000€, tel qu’il résulte de l’attestation produite, cette obligation peut encore être exécutée et donc ordonnée par le Juge ; alors qu’un délai de six mois pour se conformer à cette obligation et reconstituer la garantie à première demande peut raisonnablement être accordé au preneur.
La reconstitution de cette garantie dans un délai de SIX mois sera ordonnée.

Sur la demande reconventionnelle d’ordonner au bailleur de convoquer une assemblée générale
Le preneur fait état d’une décision jurisprudentielle selon laquelle, manquerait à son obligation de délivrance le bailleur qui donne à bail un local pour une activité interdite par le règlement de copropriété de l’immeuble (Cass. 3ème civ. 18 févr. 1987. N°85-14.545).
Il soutient que l’activité autorisée dans le bail du 8 octobre 2020 serait contraire aux dispositions du règlement de copropriété de l’immeuble, il aurait ainsi manqué à son obligation de délivrance.
Aussi, il demande au Tribunal d’enjoindre au bailleur de convoquer à ses frais et dans les plus brefs délais, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, une assemblée générale des copropriétaires afin de régulariser la situation et permettre au preneur de jouir paisiblement des locaux et d’exercer l’activité autorisée dans le bail du 8 octobre 2020.

Réponse du Tribunal :
En droit selon la jurisprudence citée, le bailleur doit délivrer au preneur des locaux conformes à la destination du bail et il serait susceptible, le cas échéant, d’avoir à répondre d’une faute en omettant de consulter le syndicat des copropriétaires quant à la conformité du règlement de copropriété ou encore de l’adaptabilité de la clause de destination à ce dernier.
A ce stade du litige, s’il n’appartient pas au Tribunal de résoudre cette question, force est de constater qu’une apparente contradiction résulte de la rédaction de la clause de destination ainsi rédigée :
« restauration sans transformation, sans extraction, ni cuisson grasse. Découpe et assemblage de produits réchauffés par un four électrique / micro-onde. Cuisson à la vapeur.  »
En ce que les termes “restauration sans transformation” et “cuisson”, en l’absence de précision, se contredisent ; ou à tout le moins constituent une ambiguïté qui ne saurait perdurer dans l’intérêt de toutes les parties.
En outre, le preneur produit un courrier du syndic de désapprobation sur cette question, sans que le bailleur ne produise les réponses qu’il y aurait apporté, sans que toutefois la position de la copropriété à la décision du preneur de recourir à la cuisson vapeur ne soit documentée.
Il appartient donc au bailleur de clarifier cette situation et le cas échéant (faire) modifier le règlement de copropriété ou encore la clause de destination.
Il lui sera donc ordonné d’y procéder par convocation d’une assemblée générale des copropriétaires à cette fin, dans un délai maximum d’un an, avec communication au preneur de la teneur du procès verbal portant sur ce point, sans qu’il n’y ait lieu d’ordonner d’astreinte.

Sur la demande d’autoriser le paiement du loyer par mensualité
Le bail prévoit un paiement trimestriel d’avance.
Le preneur invoque des difficultés de trésorerie, tout en affichant un CA en constante augmentation.
Le bailleur n’a pas répondu sur cette nouvelle demande reconventionnelle

Réponse du Tribunal :
Le Tribunal – par respect du principe de la liberté contractuelle et de la force obligatoire du contrat – n’a pas le pouvoir de modifier les termes d’un contrat, sauf application des dispositions spécifiques de l’article 1195 du Code civil :
N° RG : N° RG 22/07450 – N° Portalis DBX6-W-B7G-W7HJ

“Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.”
Aucune des conditions fixées à cette article n’est au cas présent réunie, le demandeur en sera débouté.

Sur la demande de paiement du loyer restant dû et de la pénalité
L’affirmation du preneur disant être à jour du paiement des loyers étayée par un décompte du mois de février 2024, soit postérieur au dernier décompte produit par le bailleur, n’est pas contestée par le bailleur, de sorte que cette demande est devenue sans objet.

Sur l’indemnité d’occupation
La résolution judiciaire du bail n’étant pas prononcée par le Tribunal, le bail continue de produire ses effets et notamment l’obligation du preneur de payer le loyer ; cette demande est donc sans objet.

Sur les autres demandes :
– sur les dépens,
Les dépens seront supportés par la partie qui succombe, en application de l’article 696 du code de procédure civile, soit le preneur condamné à reconstituer la garantie.
– sur la demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la partie non condamnée aux dépens, tout ou partie des frais non compris dans les dépens qu’elle a engagé pour faire valoir ses droits et assurer correctement sa défense. Une somme de 2.000€ sera retenue.
– sur l’exécution provisoire,
L’exécution provisoire de la décision à venir est de droit et il n’y a pas lieu à l’écarter.

PAR CES MOTIFS
Le Tribunal,

– DÉBOUTE la SCI BASTIDE QUEYRIES de ses demandes de résolution judiciaire du bail, d’expulsion du preneur et de condamnation de ce dernier à payer des loyers dus au 1/01/2024 et d’indemnités d’occupation et pénalités accessoires ;

– ORDONNE à la SARL POK’ASIE – dans un délai de six mois suivant la signification de la décision à intervenir – de reconstituer la “garantie à première demande” d’un montant de 25.852,82 euros HT au bénéfice du bailleur, telle que prévue au bail ;

– ENJOINT la SCI BASTIDE QUEYRIES de convoquer à ses frais et dans le délai maximum d’un an, une assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble du 5 Quai de Queyries et 1 Allée de Serr 33000 BORDEAUX, afin d’autoriser la SARL POK’ASIE d’exercer l’activité prévue au bail du 8 octobre 2020, y compris avec “cuisson vapeur” ;

– ENJOINT la SCI BASTIDE QUEYRIES de communiquer au preneur une copie du procès-verbal de cette assemblée générale portant sur ce dernier point dans le mois suivant sa notification ;

– REJETTE la demande d’astreinte ;

– DEBOUTE la SARL POK’ASIE de sa demande de mensualisation du paiement du loyer ;

– CONDAMNE la SARL POK’ASIE aux entiers dépens ;

– CONDAMNE la SARL POK’ASIE à payer à la SCI BASTIDE QUEYRIES la somme de 2.000€ au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

– RAPPELLE que le présent jugement est assorti de plein droit de l’exécution provisoire,

– REJETTE les demandes plus amples ou contraires des parties ;

Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par Madame Isabelle SANCHEZ, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon