Apple sanctionné pour ententes illicites

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Par décision 20-D-04 du 16 mars 2020, l’Autorité de la concurrence a sanctionné Apple d’une amende de plus d’un million d’euros pour ses pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la distribution de ses produits (hors iPhone). En droit des ententes, il est interdit, pour un fabricant tête de réseau, de porter atteinte à la concurrence que doivent se livrer ses grossistes en leur pré-attribuant des clients, ou de s’entendre avec ses distributeurs sur les prix de détail pratiqués à l’égard des consommateurs finals. Par ailleurs, ce fabricant, s’il maintient ses distributeurs dans une situation de dépendance économique à son égard, doit veiller à ne pas abuser de cette dépendance. Il doit notamment ne pas restreindre leur liberté commerciale au‑delà des limites tolérables, en les désavantageant par rapport à son propre réseau de distribution intégré.

Plainte d’un Premium Reseller

Saisie d’une plainte d’un distributeur ayant le statut dit APR (pour « Apple Premium Reseller »), la société eBizcuss.com, l’Autorité de la concurrence a sanctionné le groupe Apple, pour avoir mis en œuvre, au sein de son réseau de distribution de produits électroniques de marque Apple, hors iPhone, en France, trois pratiques anticoncurrentielles : i) une restriction de clientèle mise en œuvre avec ses deux grossistes agréés ; ii) une entente verticale sur les prix de détail de ses détaillants APR ; iii) un abus de dépendance économique aux dépens de ces détaillants.

Le résultat d’une longue enquête

Cette décision de sanction fait suite à des opérations de visite et saisie pratiquées aux sièges d’Apple et de ses grossistes les 26 et 27 juin 2013 et dont le contentieux a pris fin en décembre 2017. L’exploitation des milliers de pièces saisies par les services d’instruction a permis d’analyser de façon détaillée le système de distribution spécialisé mis en place en France par la société Apple.

Description du système mis en place

Apple a choisi, depuis le milieu des années 1990, d’approvisionner une partie du marché français par l’intermédiaire de deux grossistes de produits électroniques de dimension mondiale, les sociétés Ingram Micro et Tech Data. Ces deux grossistes vendent les produits Apple à des distributeurs spécialisés (ou « resellers »), dits « indirects », qui ne peuvent s’approvisionner en produits Apple qu’auprès d’eux, et à des distributeurs spécialisés dits « directs », qui peuvent s’approvisionner directement auprès d’Apple ou auprès de ces deux grossistes, ces distributeurs directs étant ceux dont le chiffre d’affaires en produits de la marque est le plus élevé. Ces revendeurs comprennent des revendeurs non agréés (NAR), des revendeurs agréés (AAR) et, surtout, des revendeurs agréés premium, les « Apple Premium Resellers », ou APR. À côté de ces distributeurs spécialisés, Apple approvisionne en direct des grands distributeurs, ou « retailers », tels que la FNAC, Darty, Boulanger, et des acteurs de la grande distribution à dominante alimentaire, comme Carrefour et Casino.

Fin 2009, Apple a décidé, dans les zones de chalandise les plus importantes, de créer ses propres magasins physiques de vente au détail, dénommés « les Apple Retail Stores », autres revendeurs spécialisés, qu’elle approvisionne en direct également. Apple vend aussi ses produits en direct en ligne aux consommateurs finals par l’intermédiaire de son site Internet, l’Apple Online Store (AOS).

La restriction de clientèle des grossistes

Apple a procédé à des répartitions de produits et de clientèle entre ses deux grossistes, de sorte que les détaillants « resellers » et les « retailers » n’ont pu les mettre en concurrence, soit entre eux, soit avec Apple. Cette pratique n’était pas justifiée par la nécessité de gérer les situations de rareté des produits, motif mis en avant par Apple pour expliquer ces pratiques. L’Autorité a, en effet, estimé que ces situations de rareté ou de pénurie de produits étaient majoritairement créées par Apple elle‑même. Cette pratique, dont la nocivité a été mise en évidence dans la décision, constitue une pratique anticoncurrentielle par objet et ne peut bénéficier d’une exemption par catégorie. L’Autorité a, de même, après examen des justifications particulières avancées, estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour pouvoir accorder aux grossistes et à Apple le bénéfice d’une exemption individuelle.

Cette entente, contraire à l’article 101 du TFUE et à l’article L. 420‑1 du code de commerce, a été facilitée par des échanges très fréquents et détaillés d’informations entre Apple et ses grossistes qui ont permis à Apple de contrôler et de surveiller le respect des allocations qu’elle avait précédemment fixées.

Entente verticale sur les prix de détail

L’Autorité a également sanctionné une entente verticale sur les prix entre Apple et ses distributeurs APR. Apple a diffusé des prix dits « conseillés », sur de nombreux supports, et notamment, sur son site Internet, accessible aux consommateurs finals. Par ailleurs, les APR, interrogés durant l’instruction, ont reconnu qu’ils pratiquaient rigoureusement les prix indiqués par Apple, des relevés de prix versés au dossier attestant au surplus du parfait alignement des prix des distributeurs. Si seuls certains les ont qualifiés de prix imposés, la majorité des APR se bornant à souligner leur « absence de marge de manœuvre » dans leur fixation, l’Autorité a estimé que de nombreuses preuves du dossier démontraient que ces prix dits « conseillés » constituaient, en réalité, des prix dont l’application effective était voulue par Apple et que cette volonté d’application était perçue comme telle par les distributeurs, de sorte que le concours de volontés était bien constitué.

Cette entente a été qualifiée sur le double fondement des articles 101 du TFUE et L. 420‑1 du code de commerce.

L’Autorité a considéré que cette pratique, grave par nature, avait affecté le canal de la distribution spécialisée des ventes d’Apple, les prix étant semblables, au sein du réseau intégré d’Apple et dans les APR et avait abouti, au total, à un alignement des prix de vente aux consommateurs finals pour au moins la moitié du marché de détail des produits Apple, l’autre moitié du marché, alimenté par les retailers. L’Autorité a constaté que les deux canaux concernés offrent des services présentant des caractéristiques homogènes aux yeux des consommateurs mais différenciés de ceux des revendeurs généralistes qui ne sont pas spécialisés dans les produits Apple et n’ont pas une connaissance aussi parfaite de l’offre de la marque.

Abus de dépendance économique

La situation tout à fait particulière des APR par rapport à Apple a conduit l’Autorité à caractériser une situation de dépendance économique de ceux-ci par rapport à Apple. Cette situation de dépendance économique, rarement observée dans la pratique décisionnelle du Conseil, puis de l’Autorité de la concurrence, résulte d’un enchevêtrement complexe de nombreuses clauses contractuelles et de pratiques.

L’Autorité a relevé, en particulier, que les contrats des APR leur imposaient la vente quasi exclusive des produits Apple et leur interdisaient, pendant leur durée, et six mois après la fin du contrat quelle qu’en soit la cause, d’ouvrir sur le territoire contractuel, à savoir l’Europe entière, tout magasin spécialisé dans la vente d’une marque concurrente.

Enfin, l’absence d’alternative à la distribution des produits Apple a été mise en évidence par les déclarations des APR, tous soulignant que leur clientèle était fortement attachée à la marque Apple et que la sortie de l’univers Apple se traduirait, pour eux, par la perte totale de valeur de leur fonds de commerce, par des investissements échoués ainsi que des coûts de réaménagement des magasins et de formation du personnel importants, impossibles à réaliser à court terme par des opérateurs se trouvant dans des situations déjà fragiles.

L’abus de dépendance a été retenu, en l’espèce, dès lors que l’Autorité a constaté qu’Apple avait limité la liberté commerciale des distributeurs APR en les soumettant à des retards ou des absences d’approvisionnement, résultant du système d’allocations mis en place par elle, alors que le réseau détenu en propre par Apple, celui des ARS et de l’AOS, était livré plus régulièrement. Ces pratiques, sources de désavantages pour les APR par rapport aux Apple Stores, toujours alimentés en temps et en heures en produits Apple, constituent en soi un abus de dépendance économique d’Apple. L’Autorité a également considéré comme abusive la pratique consistant à maintenir les APR dans l’incertitude sur les prix des approvisionnements et les conditions commerciales, compte tenu de la politique de remises mise en œuvre par Apple à leur égard. Soumis à Apple quant aux références et aux quantités pouvant leur être livrées et maintenus dans l’incertitude sur leurs conditions commerciales, ils n’étaient pas en situation de faire concurrence par les services aux ARS.

Les APR avaient été privés de la faculté de faire concurrence aux ARS auprès des consommateurs et que le fonctionnement de la concurrence intra-marque en avait été affecté, c’est-à-dire la concurrence qui doit normalement exister entre les différents distributeurs d’une marque donnée. Ces pratiques ont abouti à l’affaiblissement, voire à l’éviction, de certains APR, comme eBizcuss.com.

La concurrence inter-marque – c’est-à-dire celle jouant entre les différentes marques de produits électroniques – a également pu être affectée par ces pratiques, la violation par Apple des règles de concurrence au sein de son réseau de distribution pouvant, par rapport aux réseaux mis en place par des fabricants concurrents, constituer un avantage indu et déloyal dans la concurrence. Apple a en effet profité, avec les APR, d’un réseau dont les obligations caractéristiques mises à la charge des distributeurs s’apparentaient à celles de franchisés, sans être elle‑même soumise aux obligations d’un franchiseur, et privant de la même façon les distributeurs des contreparties attachées à cette forme de distribution. Apple s’est également dispensée, grâce aux APR, de développer des ARS dans toute la France, ce qui lui a permis de concentrer ses créations d’ARS dans les zones les plus rentables.

Les trois pratiques sanctionnées par l’Autorité ont permis à Apple, tout en affichant en théorie une distribution totalement libre et ouverte, qui ne revendique ni la qualification contractuelle de distribution exclusive, ni celles de distribution sélective ou de franchise, de maîtriser, non seulement les 40 % des ventes de ses produits au détail vendus en France dans son réseau détenu en propre (ARS et AOS), mais aussi les 10 % vendus par le canal de ses APR.

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