L’Essentiel : Le Conseil d’Etat a annulé les nouveaux barèmes de la redevance pour copie privée sur les appareils reconditionnés, en raison d’un absentéisme significatif au sein de la Commission de la copie privée. Cette décision, prise le 1er juin 2021, a été jugée irrégulière, car trois membres étaient absents et démissionnaires. Les effets de cette annulation seront reportés au 1er février 2023, permettant ainsi l’adoption d’un nouveau barème avec une commission complète. Cette situation souligne l’importance d’une représentation adéquate pour garantir la légitimité des décisions concernant la rémunération pour copie privée. |
Le Conseil d’Etat vient d’annuler les nouveaux barèmes de la redevance pour copie privée sur les appareils reconditionnés au motif d’un absentéisme important à la Commission de la copie privée (3 membres absents et déclarés démissionnaires). En raison des conséquences manifestement excessives de cette annulation, ses effets sont reportés au 1er février 2023, le temps d’adopter un nouveau barème avec une commission complète. Copie privée applicable aux téléphones mobiles et aux tablettes tactilesPar une décision n° 22 du 1er juin 2021, la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a fixé les barèmes de la rémunération pour copie privée applicables aux téléphones mobiles et aux tablettes tactiles multimédias en leur appliquant les barèmes issus d’une précédente décision n° 18 du 5 septembre 2018 avec un abattement respectif de 40 % pour les téléphones et de 35 % pour les tablettes. Copie privée sur les produits réconditionnés validéeLes appareils reconditionnés étant définis par la décision attaquée comme les téléphones et tablettes d’occasion, au sens de l’article L. 321-1 du code de commerce, qui, d’une part, subissent des tests portant sur leurs fonctionnalités afin d’établir qu’elles répondent aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre et, d’autre part, font l’objet, si ces tests en font apparaître la nécessité, d’interventions afin de restaurer leurs fonctionnalités d’origine, en particulier leurs capacités d’enregistrement permettant la réalisation de nouveaux actes de copie privée par un nouvel utilisateur, la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a pu légalement regarder leur mise sur le marché comme la mise en circulation d’un nouveau produit, justifiant le versement de la rémunération pour copie privée, et non comme la remise en circulation du produit neuf ayant déjà donné lieu, le cas échéant, au versement de cette rémunération lorsqu’il a été fabriqué ou importé en France. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce qu’en soumettant les produits reconditionnés à cette rémunération, la décision attaquée méconnaîtrait l’article L. 311-1 et le premier alinéa de l’article L. 311-4 du même code, qui prévoit qu’elle est versée, notamment, par le « fabricant », lors de la « mise en circulation en France » des supports, ne peut qu’être écarté. Absentéisme impactant la représentativitéToutefois, il résulte de l’article R. 311-2 du code de la propriété intellectuelle que les organisations représentant les trois catégories mentionnées au premier alinéa de l’article L. 311-5 de ce code appelées à désigner les membres, titulaires et suppléants, de la commission, ainsi que le nombre de personnes que chacune d’elles désigne, sont déterminés par un arrêté conjoint des ministres chargés de la culture, de l’industrie et de la consommation. Selon l’article R. 311-3 du même code, les membres de la commission sont désignés pour trois ans et il est pourvu aux vacances en cours de mandat par une désignation faite pour la durée du mandat restant à courir. En vertu de l’article R. 311-6 du même code, est déclaré démissionnaire d’office par le président tout membre qui n’a pas participé sans motif valable à trois séances consécutives de la commission. Enfin, selon l’article R. 311-5 du même code, la commission ne délibère valablement que si les trois quarts de ses membres sont présents ou régulièrement suppléés. L’arrêté du ministre de l’économie et des finances et du ministre de la culture du 28 novembre 2018 portant nomination à la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle attribue un siège à chacune des six organisations de consommateurs qu’il énumère. Chacune d’elles a désigné un membre titulaire et un membre suppléant pour la représenter au sein de cette commission. Il est constant que, en raison de leur absentéisme persistant sans motif valable, les membres de la commission désignés par trois de ces six associations ont été déclarés démissionnaires d’office par le président de la commission sur le fondement de l’article R. 311-6 du même code, en février 2020 pour deux d’entre elles, et en juillet 2020 pour la troisième, et que les trois associations concernées n’ont pas désigné d’autres membres pour les représenter au sein de la commission avant l’adoption de la décision attaquée, le 1er juin 2021. Afin d’assurer le fonctionnement normal de la commission, compte tenu, dans les circonstances de l’espèce, des équilibres voulus par le législateur entre les différentes catégories qui y sont représentées, il appartenait aux ministres compétents, d’ailleurs alertés à plusieurs reprises par le président de la commission de cette difficulté, de prendre les mesures nécessaires pour que sa composition soit conforme aux prévisions de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, soit en en excluant les organisations défaillantes, quand bien même n’avaient-elles pas formellement manifesté leur souhait de ne plus participer aux travaux de la commission et sans que les dispositions de l’article R. 311-3 de ce code fixant la durée du mandat des membres y fissent obstacle, et en leur substituant d’autres associations appelées à désigner de nouveaux membres, soit, ainsi d’ailleurs qu’ils l’ont fait par un arrêté du 14 avril 2022, en accordant des sièges supplémentaires aux autres associations désignées dans l’arrêté de 2018. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il existait, à la date du 1er juin 2021 à laquelle la décision attaquée a été adoptée, une situation d’urgence exigeant que, sans attendre la régularisation de la composition de la commission, des barèmes spécifiques aux appareils reconditionnés soient fixés par celle-ci, une telle urgence ne pouvant en aucun cas résulter de la simple demande faite par les ministres compétents à la commission de procéder rapidement à la fixation de tels barèmes. La décision adoptée, dans les circonstances particulières de l’espèce, par une commission irrégulièrement composée, était frappée de nullité. Conséquences excessives limitéesL’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu. Toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif – après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause – de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation. Il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine. L’annulation rétroactive de la décision attaquée aurait pour effet de remettre en vigueur, à compter du 1er juillet 2021, les barèmes fixés par la décision n° 18 du 5 septembre 2018, lesquels, ainsi qu’il a été dit au point 10, s’appliquaient indifféremment aux appareils neufs et aux appareils reconditionnés, alors même que l’étude réalisée par la société CSA fin 2017 ne portait pas spécifiquement sur ces derniers et que celle de l’institut GfK d’avril 2021 a mis en évidence des différences d’usages entre ces deux catégories de support. Le rétablissement de ces tarifs, dont la légalité pourrait elle-même être discutée en ce qui concerne les produits reconditionnés, notamment après l’entrée en vigueur de la loi du 19 novembre 2021 qui a exigé que la rémunération due au titre des produits reconditionnés soit « spécifique et différenciée », pourrait provoquer des demandes de versements complémentaires de la part de la société Copie France et donner lieu à de nombreux litiges portés devant le juge judiciaire. En outre, le maintien des barèmes issus de la décision du 1er juin 2021, fondés sur une étude propre aux supports reconditionnés, en lieu et place du rétablissement des tarifs antérieurs plus élevés, est, en tout état de cause, insusceptible d’entraîner ou d’aggraver la méconnaissance alléguée de la règle de compensation équitable prévue à l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 en tant qu’elle interdit la surcompensation du préjudice subi par les ayants droit en raison des actes de copie privée sur les supports en cause. Alors que la décision litigieuse a été adoptée par quinze voix pour, aucune voix contre et sept abstentions, de sorte que la présence des membres représentant les trois associations de consommateurs défaillantes aurait été dépourvue d’incidence sur le résultat du vote sur le seul plan arithmétique, une annulation rétroactive de la décision du 1er juin 2021 aurait, dans les circonstances de l’espèce, des conséquences manifestement excessives. Le principe de la redevance pour copie privéePour rappel, en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit exclusif des ayants droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte des oeuvres protégées, lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une « compensation équitable ». Il résulte de l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, que les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que leurs producteurs, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction de ces oeuvres, réalisée à partir d’une source licite, dès lors que la copie est strictement réservée à l’usage privé du copiste et non destinée à une utilisation collective, sous certaines réserves. Il en va de même des auteurs et éditeurs des oeuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée dans les mêmes conditions sur un support d’enregistrement numérique. En vertu du premier alinéa de l’article L. 311-4 du même code, cette rémunération est versée par le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires au sens du 3° du I de l’article 256 bis du code général des impôts, de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports. Il résulte des troisième, quatrième et cinquième alinéas du même article L. 311-4 que le montant de la rémunération est fonction du type de support et de la durée ou de la capacité d’enregistrement qu’il permet, de l’usage de chaque type de support, apprécié sur le fondement d’enquêtes, ainsi que du degré d’utilisation des mesures techniques définies à l’article L. 331-5 du même code et de leur incidence sur les usages relevant de l’exception pour copie privée. En vertu de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle : « Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée, en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants ou importateurs des supports mentionnés au premier alinéa de l’article L. 311-4 et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs ». Sur le fondement de ces dispositions, la commission qu’elles prévoient a pris le 5 septembre 2018 une décision n° 18 fixant les barèmes de la rémunération pour copie privée applicables respectivement aux téléphones mobiles et aux tablettes tactiles multimédias. Par sa décision n° 22 du 1er juin 2021 contestée, la commission prévue à l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a, ainsi qu’il a été dit au point 1, fixé les barèmes de la rémunération pour copie privée applicables aux téléphones mobiles et aux tablettes tactiles multimédias en leur appliquant les barèmes issus de la décision du 5 septembre 2018 avec un abattement respectif de 40 % pour les téléphones et de 35 % pour les tablettes.
|
Q/R juridiques soulevées : Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il annulé les nouveaux barèmes de la redevance pour copie privée sur les appareils reconditionnés ?Le Conseil d’Etat a annulé les nouveaux barèmes de la redevance pour copie privée sur les appareils reconditionnés en raison d’un absentéisme significatif au sein de la Commission de la copie privée. En effet, trois membres de cette commission étaient absents et avaient été déclarés démissionnaires. Cette situation a soulevé des préoccupations quant à la représentativité et à la légitimité des décisions prises. En conséquence, le Conseil a décidé de reporter les effets de cette annulation au 1er février 2023, afin de permettre l’adoption d’un nouveau barème avec une commission complète.Quels étaient les barèmes appliqués aux téléphones mobiles et aux tablettes tactiles avant l’annulation ?Avant l’annulation, la commission avait fixé des barèmes de rémunération pour copie privée applicables aux téléphones mobiles et aux tablettes tactiles multimédias par sa décision n° 22 du 1er juin 2021. Ces barèmes étaient basés sur une précédente décision n° 18 du 5 septembre 2018, avec un abattement de 40 % pour les téléphones et de 35 % pour les tablettes. Ces abattements étaient justifiés par la prise en compte de la durée d’utilisation prévisionnelle de ces appareils, qui était estimée à deux ans, alors que leur durée de vie totale était supérieure à quatre ans. Cela a permis de considérer les appareils reconditionnés comme des produits justifiant une nouvelle rémunération pour copie privée.Comment les appareils reconditionnés sont-ils définis dans le cadre de la redevance pour copie privée ?Les appareils reconditionnés, selon la décision attaquée, sont définis comme des téléphones et tablettes d’occasion, conformément à l’article L. 321-1 du code de commerce. Ces appareils subissent des tests pour vérifier leurs fonctionnalités et s’assurer qu’ils répondent aux normes de sécurité et aux attentes des consommateurs. Si nécessaire, des interventions sont effectuées pour restaurer leurs fonctionnalités d’origine, notamment leurs capacités d’enregistrement. Cela permet de considérer leur mise sur le marché comme la circulation d’un nouveau produit, justifiant ainsi le versement de la rémunération pour copie privée.Quel impact a eu l’absentéisme des membres de la commission sur la décision prise ?L’absentéisme des membres de la commission a eu un impact significatif sur la légitimité de la décision prise. En vertu de l’article R. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, la commission ne peut délibérer valablement que si les trois quarts de ses membres sont présents ou régulièrement suppléés. En raison de l’absence de trois membres, la commission était irrégulièrement composée lors de l’adoption de la décision n° 22. Cela a conduit le Conseil d’Etat à annuler cette décision, car elle ne respectait pas les exigences de quorum et de représentativité.Quelles sont les conséquences de l’annulation de la décision n° 22 ?L’annulation de la décision n° 22 implique que cet acte est réputé n’avoir jamais existé, mais le Conseil d’Etat a décidé de limiter les effets de cette annulation dans le temps. Ainsi, les effets de la décision antérieure à son annulation sont considérés comme définitifs jusqu’au 1er février 2023. Cette mesure vise à éviter des conséquences manifestement excessives, telles que la remise en vigueur des barèmes antérieurs qui pourraient entraîner des litiges et des demandes de versements complémentaires. Le maintien temporaire des barèmes issus de la décision du 1er juin 2021 est donc justifié par l’intérêt général.Quel est le principe de la redevance pour copie privée selon le droit français ?Le principe de la redevance pour copie privée repose sur l’idée que les ayants droit doivent recevoir une « compensation équitable » pour la reproduction d’œuvres protégées à des fins privées. Selon l’article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle, les auteurs, artistes-interprètes et producteurs ont droit à une rémunération lorsque la copie est réalisée à partir d’une source licite. Cette rémunération est versée par le fabricant ou l’importateur lors de la mise en circulation des supports d’enregistrement. Les barèmes de rémunération sont déterminés par une commission qui prend en compte divers facteurs, tels que le type de support et son usage, afin d’assurer une compensation juste et équitable. |
Laisser un commentaire