La Cour d’appel de Paris a retenu des actes de concurrence déloyale de la société Quinta communications vis-à-vis du Groupe Eclair. Cet arrêt adopte une solution rarement retenue : la sanction, en l’absence de clause de non concurrence, du démarchage de salariés clefs d’une entreprise par un concurrent (débauchage illicite par désorganisation). Pour adopter cette solution, les juges se sont appuyés non pas sur le Code du travail mais sur la responsabilité délictuelle (article 1382 du Code civil). Circonstances de l’affaire La SA Eclair Group détient d’une part, la SAS Eclair Laboratoires, laboratoire photochimique spécialisé dans le développement négatif, l’étalonnage, la postproduction son et image, le traitement vidéo et la réalisation de DVD, le tirage de copies et le stockage de films, d’autre part, la société Teloa et la société G2M qui détient elle-même la société GTC, prestataires techniques spécialisés dans la postproduction cinématographique et télévisuelle. La société Eclair Group, la société Eclair Laboratoires et la société GTC reprochaient à la société Quinta Communications (désormais alliée du géant mondial américain Thomson Technicolor) et à ses filiales, les sociétés Dataciné Group (devenues Quinta Industries) et LTC, spécialisées dans l’industrie techniques cinématographique, d’avoir commis des actes de concurrence déloyale consistant en un débauchage sélectif des forces vives du groupe Eclair, doublé d’un démarchage systématique de sa clientèle en proposant des prix anormalement bas. Après un premier jugement du 12 mai 2006 ( Tribunal de commerce de Paris) qui avait mis la société Quinta Communications hors de cause et après plusieurs renvois, le Tribunal de commerce de Nanterre (22 juillet 2011) avait condamné le Groupe Quinta à verser un peu plus de 900 000 euros aux sociétés Eclair Group, Eclair Laboratoires et GTC. Cette décision a été confirmée. La société Quinta Communication a procédé au débauchage de plusieurs hommes clés de son concurrent et de leur équipe en leur offrant des conditions de rémunération beaucoup plus élevées que celles pratiquées dans le secteur (l’ensemble de l’équipe dirigeante de Eclair Groupe , les directeurs opérationnels ou responsables artistiques reconnus sur le marché ont ainsi été débauchés). Désorganisation / Déstabilisation du concurrent Les juges ont retenu que Quinta Communications a mis en place une politique de débauchage avec des salaires hors normes qui a été déterminante des départs d’un nombre important de salariés ayant des compétences essentielles au sein du groupe Eclair sans que ceux ci aient procédé préalablement à une recherche de postes similaires et sans que Quinta Communications ait pour sa part lancé des recherches pour des embauches correspondant aux mêmes postes. En mettant en place « des rémunérations largement supérieures à celles habituellement proposées dans la profession qui ont été déterminantes dans la démission des salariés du groupe Eclair, la société Quinta Communications a volontairement voulu nuire au groupe Eclair. » Quels sont les risques du débauchage ? Le débauchage de salariés d’un concurrent n’est pas en lui-même illicite. Le contrat de travail s’exécute, par application des dispositions de l’article 1134 du code civil, et de l’article L1222-1 du code du travail, « de bonne foi », ce qui signifie que le salarié est tenu à une obligation générale de loyauté qui lui interdit de se livrer à des agissements préjudiciables aux intérêts de l’entreprise. Participe à cette obligation générale de loyauté, celle de fidélité en vertu de laquelle, durant l’exécution du contrat de travail, le salarié ne doit pas exercer une activité concurrente de celle de son employeur, pour son propre compte ou celui d’un tiers. Il ne s’agit pas là de la clause de non-concurrence, qui est destinée à trouver application après la rupture du contrat de travail, mais d’une obligation de fidélité et de non concurrence inhérente au contrat de travail, qui s’impose par conséquent au salarié indépendamment de toute clause expresse du contrat. Le débauchage massif de salariés dans le but de désorganiser l’entreprise peut constituer un tel acte de concurrence déloyale. Si des actes de concurrence déloyale se poursuivent après la rupture du contrat de travail, l’employeur peut en demander réparation sur le fondement de l’article 1382 du code civil, lequel énonce : » tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer « . L’ancien employeur lésé à la charge de la preuve que son salarié (ou son concurrent) a eu un comportement fautif et préjudiciable à son égard, de prouver l’existence d’une faute du salarié, d’un dommage pour l’entreprise, et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage (Cour d’appel d’Angers, chambre sociale, 3 janvier 2012). A noter que le transfert même massif de salariés et de clients d’une entreprise vers une autre n’est pas constitutif en lui-même d’actes de concurrence déloyale lorsqu’il n’a pas eu pour effet de désorganiser la première. Le débauchage massif illicite peut être retenu lorsque le transfert des salariés a entraîné une disparition du chiffre d’affaires (Cour de cassation, chambre commerciale, 3 avril 2012, pourvoi n° 10-27743). |
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Quelle est la validité des clauses d’objectifs de chiffre d’affaires entre employeur et salarié ?Les clauses d’objectifs de chiffre d’affaires conclues entre employeur et salarié sont considérées comme pleinement valides. Elles représentent une forme de rémunération variable, qui est un mécanisme courant dans les relations de travail, notamment dans les secteurs où la performance commerciale est essentielle. Lorsqu’un système de rémunération variable est instauré, il est impératif que le salarié ait le droit de connaître les bases de calcul de sa rémunération. Cela signifie qu’il doit être en mesure de vérifier que le calcul de sa rémunération variable est effectué conformément aux modalités stipulées dans son contrat de travail. Quelles sont les conditions d’application d’une clause de rémunération variable ?Pour qu’une clause de rémunération variable soit valide, elle doit être fondée sur des éléments objectifs qui ne dépendent pas de la volonté de l’employeur. Cela implique que les critères de performance doivent être mesurables et transparents, afin d’éviter toute subjectivité dans l’évaluation des résultats. De plus, cette clause ne doit pas transférer le risque commercial de l’entreprise sur le salarié. En d’autres termes, le salarié ne doit pas être pénalisé par des facteurs qui échappent à son contrôle. Il est également déterminant que la clause ne réduise pas la rémunération du salarié en dessous des minima légaux ou conventionnels, garantissant ainsi une protection des droits des travailleurs. Quelles sont les sanctions en cas de non-respect des objectifs fixés ?Si le contrat de travail stipule que la rémunération variable dépend d’objectifs fixés annuellement par l’employeur, le défaut de fixation de ces objectifs constitue un manquement. Ce manquement peut justifier une prise d’acte de rupture par le salarié, ce qui signifie que le salarié peut décider de mettre fin à son contrat de travail en raison de l’absence de clarté sur ses objectifs de performance. Cette sanction vise à protéger les droits du salarié et à garantir que les conditions de travail soient respectées. En effet, sans objectifs clairs, le salarié ne peut pas évaluer sa performance ni anticiper sa rémunération variable. Quel est un exemple de clause de rémunération variable ?Un exemple de clause de rémunération variable pourrait être formulé comme suit : « Le salarié bénéficie d’une part variable de rémunération fondée sur des objectifs qui font l’objet d’une définition annuelle. Le salarié devra tout mettre en œuvre pour réaliser les objectifs de chiffre d’affaires discutés et arrêtés d’un commun accord avec l’employeur. Ces objectifs, établis sur la base de la valeur du secteur et des réalisations précédentes, seront fixés suivant une périodicité susceptible de varier entre le mois et l’année dans le cadre de l’exercice social de la société. Ils pourront faire l’objet d’un découpage mensuel et seront révisés régulièrement à la fin de chaque période. Ils seront exprimés en chiffre d’affaires hors taxes. L’employeur s’engage à confirmer par écrit au salarié, au début de chaque période, les objectifs qui auront été arrêtés d’un commun accord et à lui communiquer régulièrement toutes informations utiles sur la réalisation de ces objectifs, en vue de lui permettre de mener ou de corriger son action commerciale en toute connaissance de cause. » Cette clause illustre bien les éléments essentiels d’une rémunération variable, notamment la définition claire des objectifs et l’engagement de l’employeur à fournir des informations pertinentes. |
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