Affaire Cash Investigation : le droit à l’information prime

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Affaire Cash Investigation : le droit à l’information prime
L’Essentiel : L’affaire Hoist Finance c/ Cash Investigation illustre le délicat équilibre entre le droit à l’image et la liberté d’informer. Dans ce contexte, l’émission a utilisé la caméra cachée pour révéler des pratiques de recouvrement de créances, justifiant ainsi cette méthode par l’intérêt général. Bien que les salariés aient été identifiables, la cour a estimé que la diffusion des images était légitime, car elle ne portait pas atteinte à la dignité humaine. Ce cas souligne l’importance de la liberté de la presse dans la divulgation d’informations pertinentes, tout en respectant les droits individuels des personnes concernées.

Le droit à l’image des personnes peut céder devant la liberté d’informer sur un débat d’intérêt général, le recours au procédé de la caméra cachée peut également être justifié par la nécessité d’obtenir une preuve en vue d’alimenter ledit débat.

Hoist Finance c/ Cash Investigation

L’émission Cash Investigation, produite par la société Premières Lignes Télévision, est diffusée sur la chaîne de télévision France 2. La société Hoist Finance qui est une société ayant notamment pour activité le recouvrement de créances bancaires a été mise en cause dans l’émission, par diffusion d’un reportage sur les agissements de ses salariés filmés en caméra cachée.

Par assignation en référé d’heure à heure, la société Hoist Finance a saisi sans succès le juge des référés aux fins de voir en substance l’émission retirée du site internet et aux fins d’en voir toute diffusion suspendue, sur le fondement d’une atteinte au droit au respect à la vie privée et au droit dont disposent les salariés sur leur image.

Identification des personnes

Les salariés étaient recevables à agir au titre de l’atteinte à leur droit à l’image dès lors qu’ils étaient indirectement identifiables dans les séquences du reportage. En l’occurrence, les mesures de dissimulation du producteur (floutage) n’ont pas été suffisantes pour faire échec à toute identification.

S’il n’est pas nécessaire, pour agir, que la personne alléguant d’une atteinte à ses droits de la personnalité soit nommée ou expressément désignée, il est toutefois nécessaire que son identification soit rendue possible, que ce soit par les images, par les termes du reportage ou par des circonstances extrinsèques qui éclairent et confirment cette désignation.

Il ne saurait à cet égard être reproché à des personnalités non publiques de produire, aux fins de démontrer leur recevabilité à agir, des attestations de proches, ces derniers étant à l’évidence les plus aptes à pouvoir les reconnaître.

Liberté d’informer c/ Droit à l’image

L’atteinte au droit à l’image des salariés a toutefois été couverte par la liberté de la presse et le droit à l’information du public qui autorisent la diffusion de l’image de personnes illustrant avec pertinence un débat d’intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité humaine.

L’émission, et particulièrement la partie consacrée à la société Hoist Finance, à savoir le fonctionnement et les méthodes des sociétés de recouvrement de créance, représentaient à l’évidence un sujet d’intérêt général, relatif à un sujet économique et social d’importance majeure tant sur la situation des personnes endettées que sur les méthodes employées pour recouvrer les créances qualifiées de douteuses ; ce sujet était sans difficulté de nature à susciter l’intérêt légitime du public, par ses implications sur la vie économique du pays.

Absence d’atteinte à la dignité humaine

Les images prises sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle du salarié ne présentaient aucune atteinte à la dignité humaine.

Procédé de la caméra cachée

Un tournage en caméra cachée, sans l’accord des personnes filmées, peut être justifié par le droit du public à l’information sur un sujet d’intérêt général, dès lors que cette méthode était un moyen nécessaire et proportionné pour recueillir les informations livrées au public qui auraient été difficiles à obtenir par tout autre moyen.

Dans le cas d’espèce, le journaliste s’est fait embaucher par la société Hoist aux fins d’établir les méthodes utilisées par les sociétés de recouvrement, notamment lors des formations données aux personnes recrutées ; le seul contact officiel avec la société Hoist n’aurait à l’évidence pas permis d’obtenir les mêmes informations, de sorte que le procédé employé ne pouvait pas être qualifié d’illégitime.

Si les mesures de floutage et de dissimulation n’ont pas été suffisantes pour ne pas permettre l’identification de six des sept salariés par une partie de leur cercle relationnel, il n’en demeure pas moins que les précautions prises par les sociétés intimées permettent aussi aux requérants d’éviter d’être reconnus par un très vaste champ relationnel, participant ainsi du caractère proportionné des mesures prises par le producteur et le diffuseur de l’émission.

Enfin, la circonstance que la diffusion ou le maintien sur le site de la chaîne du reportage pourrait conduire à des actions violentes contre les salariés n’est pas caractérisée, alors même que le travail des salariés de la société se déroule par téléphone et qu’au demeurant, la société Hoist a déménagé depuis le tournage de l’émission.

Principe du respect de la vie privée

Pour mémoire, conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.

De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.

L’article 9 alinéa 2 du code civil précise que les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.

Cependant, ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par les propos et les images, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression.

La liberté de la presse et le droit à l’information du public autorisent notamment la diffusion de l’image de personnes impliquées dans un événement d’actualité ou illustrant avec pertinence un débat d’intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité humaine.

Par ailleurs, la diffusion d’informations anodines ou déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée.

En outre, selon l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite visé s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Q/R juridiques soulevées :

Quel est le contexte de l’affaire Hoist Finance c/ Cash Investigation ?

L’affaire Hoist Finance c/ Cash Investigation concerne une émission diffusée sur France 2, produite par Premières Lignes Télévision. Cette émission a mis en lumière les pratiques de la société Hoist Finance, spécialisée dans le recouvrement de créances bancaires, à travers un reportage réalisé en caméra cachée. Ce reportage a suscité une réaction de la part de Hoist Finance, qui a tenté d’obtenir le retrait de l’émission et la suspension de sa diffusion, arguant d’une atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’image de ses salariés. Malgré cette demande, le juge des référés a rejeté la requête, affirmant que la liberté d’informer pouvait prévaloir sur le droit à l’image dans le cadre d’un débat d’intérêt général.

Comment les salariés ont-ils été identifiés dans le reportage ?

Les salariés de Hoist Finance ont été jugés recevables à agir pour atteinte à leur droit à l’image, car ils étaient indirectement identifiables dans le reportage. Bien que des mesures de floutage aient été appliquées, celles-ci n’ont pas suffi à empêcher leur identification. A noter que pour qu’une personne puisse revendiquer une atteinte à ses droits de la personnalité, il n’est pas nécessaire qu’elle soit nommée explicitement. Cependant, son identification doit être possible, que ce soit par les images, le contenu du reportage ou des éléments externes. Les attestations de proches ont également été considérées comme valables pour prouver l’identification des salariés, car ces personnes sont souvent les mieux placées pour les reconnaître.

Comment la liberté d’informer a-t-elle été justifiée dans cette affaire ?

La liberté d’informer a été jugée prépondérante dans cette affaire, car l’atteinte au droit à l’image des salariés a été considérée comme justifiée par l’intérêt général. Le reportage abordait des sujets économiques et sociaux majeurs, notamment les méthodes de recouvrement de créances, ce qui a suscité un intérêt légitime du public. L’émission a été perçue comme un moyen d’informer le public sur des pratiques potentiellement abusives dans le secteur du recouvrement de créances, ce qui a renforcé l’argument en faveur de la liberté de la presse. Ainsi, la diffusion d’images illustrant un débat d’intérêt général a été autorisée, tant que cela ne portait pas atteinte à la dignité humaine.

Quelles étaient les considérations concernant la dignité humaine ?

Les images diffusées dans le reportage n’ont pas été jugées comme portant atteinte à la dignité humaine des salariés. Cela signifie que les conditions dans lesquelles les images ont été prises et diffusées n’ont pas été considérées comme dégradantes ou humiliantes. La dignité humaine est un principe fondamental qui doit être respecté dans le cadre de la liberté d’informer. Dans ce cas, le tribunal a estimé que les images, bien qu’elles aient été prises en caméra cachée, ne violaient pas ce principe. Cela a permis de conclure que la diffusion des images était acceptable dans le cadre d’un débat d’intérêt général, tant que les droits des individus étaient respectés.

Quelles sont les implications du procédé de la caméra cachée ?

Le recours à la caméra cachée, sans consentement des personnes filmées, peut être justifié dans des cas où il est nécessaire d’informer le public sur un sujet d’intérêt général. Dans cette affaire, le journaliste a utilisé cette méthode pour obtenir des informations sur les pratiques de recouvrement de créances. Le tribunal a reconnu que le journaliste s’était fait embaucher par Hoist Finance pour observer les méthodes de travail, ce qui a permis de recueillir des informations qui auraient été difficiles à obtenir autrement. Ainsi, le procédé a été jugé proportionné et nécessaire pour atteindre l’objectif d’informer le public sur des pratiques potentiellement problématiques dans le secteur.

Comment le droit à la vie privée est-il protégé dans ce contexte ?

Le droit à la vie privée est protégé par l’article 9 du code civil et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Chaque individu a le droit de contrôler ce qui peut être divulgué à son sujet, y compris son image. Cependant, ce droit doit être équilibré avec la liberté d’expression et le droit à l’information. Dans des cas où l’information est d’intérêt général, le droit à la vie privée peut céder, permettant ainsi la diffusion d’images ou d’informations. Les juges peuvent également ordonner des mesures pour protéger la vie privée, mais ces mesures doivent être proportionnées et justifiées par l’intérêt public. Dans cette affaire, la liberté d’informer a été jugée plus importante que le droit à la vie privée des salariés.

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