Accès insuffisant et droit de passage : enjeux d’enclavement immobilier

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Accès insuffisant et droit de passage : enjeux d’enclavement immobilier

L’Essentiel : Madame [D], propriétaire d’un immeuble à [Localité 12], revendique une servitude de passage sur une cour appartenant aux Consorts [A]. Après des tentatives amiables infructueuses, elle a assigné ces derniers en justice, arguant que l’accès à sa parcelle était insuffisant. Un expert a confirmé que le passage actuel ne permettait pas un accès adéquat. Le tribunal a reconnu l’état d’enclave de la propriété de Madame [D] et a ordonné son désenclavement, tout en précisant que les travaux seraient à sa charge. Les Consorts [A] ont été condamnés à verser des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Contexte de l’affaire

Madame [D] est propriétaire d’un immeuble à [Localité 12], acquis par ses auteurs en 1964. Elle revendique une servitude de passage sur une cour appartenant aux Consorts [A], qui jouxte sa propriété. Les Consorts [A] sont propriétaires d’une parcelle voisine, tandis que la cour est la propriété de Monsieur [B] [A], successeur de feu Monsieur [S] [A]. Le titre de propriété de Madame [D] ne mentionne aucune servitude de passage.

Demande de servitude de passage

Madame [D] estime que l’accès actuel à sa parcelle est insuffisant et a tenté des démarches amiables sans succès. Elle a donc assigné les Consorts [A] devant le tribunal de grande instance de Nîmes pour établir une servitude de passage. Le tribunal a ordonné une expertise judiciaire pour déterminer le chemin le plus approprié.

Conclusions de l’expert

L’expert a rendu son rapport en janvier 2019, concluant que le passage actuel ne permet pas un accès adéquat pour un usage normal de l’immeuble. Madame [D] a ensuite assigné les Consorts [A] pour faire constater l’existence d’une servitude de passage, définir son assiette et ordonner la suppression des obstacles à son exercice.

Arguments des défendeurs

Les Consorts [A] contestent la demande de Madame [D], affirmant que son fonds n’est pas enclavé et que l’accès à la voie publique est suffisant. Ils soutiennent que les modifications apportées par Madame [D] à l’accès ont obstrué le passage et qu’elle ne peut pas revendiquer un droit de passage en raison de l’état d’enclave.

Décision du tribunal

Le tribunal a constaté l’état d’enclave de la parcelle de Madame [D] et a reconnu son droit à une servitude de passage. Il a ordonné le désenclavement de son fonds selon le tracé proposé par l’expert, tout en précisant que les travaux seraient à la charge de Madame [D]. Les Consorts [A] ont été condamnés à verser des dommages et intérêts à Madame [D] pour le préjudice de jouissance subi.

Conséquences financières

Les Consorts [A] ont été condamnés à payer 1 000 euros à Madame [D] pour son préjudice de jouissance, ainsi que 3 000 euros au titre des frais irrépétibles. Ils ont également été condamnés aux dépens de l’instance, y compris les frais d’expertise.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la définition de l’état d’enclave selon l’article 682 du Code civil ?

L’article 682 du Code civil stipule :

« Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. »

Cet article établit que pour qu’un fonds soit considéré comme enclavé, il doit manquer d’une issue suffisante sur la voie publique.

Il est important de noter que la jurisprudence a élargi cette définition, permettant à tout propriétaire d’un fonds enclavé de réclamer un passage, indépendamment de l’usage de son bien.

Ainsi, même si le fonds n’est pas utilisé pour des activités agricoles, industrielles ou commerciales, le propriétaire peut toujours revendiquer un droit de passage.

Le tribunal doit donc évaluer si l’accès actuel est suffisant pour l’usage normal du fonds, ce qui a été le cas dans l’affaire examinée.

Quelles sont les conséquences juridiques d’un état d’enclave ?

Lorsqu’un état d’enclave est constaté, plusieurs conséquences juridiques en découlent.

Tout d’abord, le propriétaire du fonds enclavé a le droit de demander un passage sur les fonds voisins, comme le précise l’article 682 du Code civil.

Cela signifie que le propriétaire peut exiger que ses voisins lui accordent un accès suffisant pour desservir son bien.

De plus, cette servitude de passage doit être établie à charge d’une indemnité, proportionnée au dommage que cela pourrait causer aux propriétaires des fonds servant.

Il est également à noter que le tribunal a le pouvoir d’apprécier souverainement l’état des lieux et les circonstances de l’affaire pour déterminer si un fonds est enclavé.

Dans le cas présent, le tribunal a reconnu l’état d’enclave de la parcelle de Madame [V] [D], ce qui lui a permis de revendiquer une servitude de passage.

Comment se déroule la procédure de demande de servitude de passage ?

La procédure de demande de servitude de passage commence par une assignation devant le tribunal compétent, comme cela a été fait par Madame [V] [D].

Elle a sollicité une expertise judiciaire pour déterminer le chemin le plus court et le moins dommageable pour établir la servitude de passage.

L’article 455 du Code de procédure civile précise que les parties doivent exposer leurs prétentions et moyens dans leurs écritures.

Le tribunal examine ensuite les demandes et les preuves fournies, notamment les rapports d’expertise, pour statuer sur la demande.

Dans cette affaire, le tribunal a ordonné le désenclavement du fonds de Madame [V] [D] conformément aux conclusions de l’expert judiciaire.

Il a également précisé que les frais de désenclavement seraient à la charge de la requérante, ce qui est une pratique courante dans ce type de litige.

Quelles sont les implications de l’astreinte dans le cadre d’une servitude de passage ?

L’astreinte est une mesure coercitive qui peut être ordonnée par le juge pour garantir l’exécution d’une décision.

Selon l’article L131-1 alinéa 1 du Code des procédures civiles d’exécution, « tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision ».

Dans le cas présent, Madame [V] [D] a demandé une astreinte pour forcer les consorts [A] à supprimer les obstacles à l’exercice de la servitude de passage.

Cependant, le tribunal a décidé de ne pas ordonner cette astreinte, considérant que les travaux de désenclavement étaient déjà inclus dans le tracé de l’expertise.

Cela signifie que la responsabilité de la suppression des obstacles incombe à la requérante, et non aux défendeurs.

Ainsi, l’astreinte n’a pas été appliquée, car le tribunal a jugé que les travaux nécessaires pour établir la servitude de passage étaient à la charge de Madame [V] [D].

Quels sont les critères pour évaluer un préjudice de jouissance ?

L’évaluation d’un préjudice de jouissance repose sur plusieurs critères, notamment la perte d’usage du bien et les désagréments subis par le propriétaire.

L’article 1240 du Code civil stipule : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Dans cette affaire, le tribunal a constaté que l’édification fautive d’un mur par les défendeurs avait restreint l’accès à des installations essentielles, comme les organes de coupure d’eau.

Cela a engendré un préjudice de jouissance pour Madame [V] [D], qui a été évalué à 1.000 euros.

Le tribunal a donc condamné les défendeurs à indemniser la requérante pour ce préjudice, en tenant compte de l’impact sur son usage normal de la propriété.

Cette décision souligne l’importance de la jouissance paisible d’un bien et les conséquences juridiques qui en découlent en cas de troubles.

Copie ❑ exécutoire
❑ certifiée conforme
délivrée le
à
Me Alexandre BERTEIGNE
Me Christelle LEXTRAIT

TRIBUNAL JUDICIAIRE Par mise à disposition au greffe
DE NIMES
**** Le 14 Janvier 2025
1ère Chambre Civile

N° RG 23/01033 – N° Portalis DBX2-W-B7H-J2WE
Minute n° JG25/

JUGEMENT

Le tribunal judiciaire de Nîmes, 1ère Chambre Civile, a dans l’affaire opposant :

Mme [V] [X] épouse [D]
née le 05 Décembre 1948 à [Localité 11],
demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Alexandre BERTEIGNE, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

à :

Mme [O] [N] veuve [A]
née le 09 Juin 1935
demeurant [Adresse 1]

M. [B] [A]
né le 15 Juin 1992
demeurant [Adresse 10]

Mme [U] [A] veuve [K]
demeurant [Adresse 2]

Tous représentés par Me Christelle LEXTRAIT, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

Rendu publiquement le jugement contradictoire suivant, statuant en premier ressort après que la cause a été débattue en audience publique le 12 Novembre 2024 devant Antoine GIUNTINI, Vice-président, statuant comme juge unique, assisté de Aurélie VIALLE, Greffière, et qu’il en a été délibéré.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [D] née [X] est propriétaire sur la commune de [Localité 12] d’un immeuble à usage d’habitation édifié sur la parcelle cadastrée section AB n°[Cadastre 9] sise au [Adresse 4], consistant en un immeuble formé de deux appartements.
Les auteurs de Mme [D] sont M. [X] [G] né le 24 novembre 1913 et Mme [F] [L] née le 25 avril 1912, lesquels ont acquis ledit immeuble selon acte notarié du 22 décembre 1964 dressé par Me [R], Notaire. Madame [V] [D] en est devenue propriétaire selon acte de partage dressé le 27/09/1999.
Les Consorts [A] sont quant à eux propriétaires d’une parcelle castrée section AB n° [Cadastre 7] laquelle jouxte une cour formant la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 8] (anciennement [Cadastre 5]).
Cette cour est la propriété de Monsieur [B] [A], unique successeur de feu Monsieur [S] [A] qui la détenait selon arrêt de la Cour d’appel de NÎMES du 02 avril 1987. Dans un arrêt définitif du 25 avril 1990, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé par les époux [X].
Le titre de propriété que Mme [D] tient de ses auteurs, ne fait état d’aucune servitude de passage à son profit.
Elle revendique une servitude de passage via cette cour pour accéder à sa parcelle, estimant que l’accès dont elle bénéficie actuellement est insuffisant.
Les démarches amiables en ce sens étant restée infructueuses, Madame [V] [D] a délivré assignation le 13 juillet 2018 devant le tribunal de grande instance de Nîmes statuant en référé aux fins d’instaurer une expertise judiciaire permettant de déterminer le chemin le plus court et le moins dommageable pour instaurer une servitude de passage. Par ordonnance du 12 septembre 2019, le Président du Tribunal de Grande Instance de Nîmes a fait droit à sa demande. L’expert désigné, Monsieur [I] [E], a rendu son rapport définitif le 21 janvier 2019.
Par acte de Commissaire de justice du 21 février 2023, Madame [V] [D] a assigné Madame [O] [N] veuve [A], Monsieur [B] [A] et Madame [A] [U] veuve [K] devant le Tribunal Judiciaire de Nîmes afin notamment de faire constater l’existence d’une servitude de passage, en définir l’assiette et ordonner la suppression de tout obstacle à son exercice.
* * *
Aux termes de ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 02 juillet 2024, Madame [V] [D] demande au Tribunal, sur le fondement de l’article 682 du code civil de :
Débouter les consorts [A] de l’ensemble de leur demandes fins et conclusions
Constater l’état d’enclave de la parcelle cadastrée section AB [Cadastre 9] sur la commune de [Localité 12] sis [Adresse 3] ;

Dire que le fonds de Madame [X] [V] épouse [D] bénéficiera d’une servitude de passage sur la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 8] appartenant à Madame [A] [O] née [N] et de ses successibles sa fille [A] [U] et son neveu Monsieur [B] [A] fils unique et héritier de M. [Y] [A] décédé ;
Dire que l’assiette de cette servitude retenue est celle fixée par M. l’expert judiciaire [E] dans son rapport définitif du 21 janvier 2019 consistant en la proposition n° 2 et son tracé figurant en page 13 de son rapport ;
Homologuer, valider et donner force exécutoire au rapport d’expertise judiciaire, notamment sur le tracé et l’assiette de la servitude, ainsi que sur le montant des indemnités retenues.
Ordonner le désenclavement du fonds appartenant à Madame [X] [V] sur une largeur de 6 mètres conformément au tracé figurant en proposition n° 2 du rapport d’expertise judiciaire de M. [E] [I] ;
Dire et juger que la publication du jugement à intervenir portant constitution de servitude sera effectuée par la partie la plus diligente au service de la publicité foncière de l’immeuble en dépendant ;
Dire que, pour chaque servitude, le droit de passage pourra être exercé en tout temps et à toute heure, sans aucune restriction, par le propriétaire du fonds dominant, les membres de sa famille, ses domestiques et employés, ses invités et visiteurs, puis ultérieurement et dans les mêmes conditions, par les propriétaires successifs du fonds dominant ;
Ordonner aux consorts [O] [N] veuve [A], [B] [A] et [U] [A] veuve [K], de supprimer sans délai tout obstacle à l’exercice de cette servitude de passage (encombrants, arbres, clôture etc ) sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée par huissier de justice dans le délai de 2 mois après jugement de condamnation ;
Vu les troubles de jouissances subi, condamner Madame [O] [N] veuve [A], Monsieur [B] [A] et [U] [A] veuve [K] solidairement, au paiement de la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Les condamner au paiement de la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance incluant le coût de l’expertise de M. [I] [E].

A l’appui de ses demandes elle fait état d’un état d’enclave de sa parcelle, repris par l’expert judiciaire. Elle déclare que Madame [A] [O] née [N] lui a imposé un accès étroit pour accéder à son fonds en édifiant un muret. Elle expose les solutions développées par l’expert avant de se prononcer pour l’option 2. Elle souligne que l’édification du muret par les propriétaires du fonds servant rend le passage insuffisant pour procurer une desserte répondant aux besoins découlant d’une utilisation normale du fonds, et permettant notamment la possibilité pour les services de secours d’intervenir efficacement. Elle relève également que ce muret a été construit sur des servitudes d’écoulement (alimentation eau et regard eaux usées) auxquels elle ne peut plus avoir accès.
Elle soutient que l’exploitation pour laquelle un passage est nécessaire visée par l’article 682 du code civil est entendue largement par la jurisprudence. Elle conteste avoir obstrué, par le passé, l’accès à la propriété. Elle pointe notamment que dans le titre de propriété de son père l’accès à la propriété se faisait déjà par la « cour antérieurement en indivision ». Elle dénonce les attestations produites par les défendeurs, pointant notamment qu’elles évoquent un salon de coiffure des années 1971/1972, alors qu’elle n’a acquis la propriété qu’en 1999. Elle déclare qu’un droit de passage peut être demandé quelle que soit la destination de l’héritage ne disposant pas d’une desserte suffisante sur la voie publique.
* * *
Aux termes de leurs dernières écritures, notifiées par voie électronique le 18 octobre 2024, Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] demandent au tribunal, sur le fondement de l’article 682 du code civil, de :
REJETER l’ensemble des demandes, fins et prétentions de Madame [X],
FAIRE DROIT aux demandes des Consorts [A],
A TITRE PRINCIPAL,
DEBOUTER Madame [X] de l’ensemble de ses demandes, l’état d’enclave n’étant pas constitué,
A TITRE SUBSIDIAIRE, si l’état d’enclave était reconnu,
VALIDER la proposition 2 de Monsieur L’Expert,
DIRE que les frais relatifs aux travaux seront intégralement supportés par Madame [X],
DEBOUTER Madame [X] de sa demande au titre du préjudice de jouissance,
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONDAMNER Madame [X] au paiement de la somme de 3.600,00€ au titre de l’article 700 CPC outre aux entiers dépens,

Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] font valoir que le fond de Madame [V] [D] n’est pas enclavé, un simple souci de commodité et de convenance ne permettant pas de caractériser l’insuffisance de l’issue sur la voie publique. Ils soulèvent que la requérante n’invoque ni une exploitation agricole, industrielle ou commerciale ni des opérations de construction ou de lotissement afin de justifier sa demande, lesquelles seraient pourtant obligatoires en vertu de l’article 682 du code civil. Ils estiment que l’arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l’incendie des bâtiments d’habitation n’est pas applicable au cas d’espèce, et ne justifie en toute hypothèse pas l’élérgissement sollicité du passage. Ils produisent des attestations relatant que dans les années 70 Madame [V] [D] aurait fait murer la porte donnant directement accès à la voie publique pour la transformer en fenêtre et que dès lors le propriétaire qui a lui-même obstrué l’issue donnant accès à la voie publique ne peut se prévaloir d’un droit de passage pour cause d’enclave.
Ils dénoncent l’absence de démonstration par la requérante d’un quelconque trouble de jouissance.
* * *
Pour un exposé complet des faits, prétentions et moyens des parties, il y a lieu en vertu de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs dernières écritures.

* * *
La clôture est intervenue le 29 octobre 2024 par ordonnance du juge de la mise en l’état en date du 10 juillet 2024.
L’affaire a été fixée à l’audience de juge unique du 12 novembre 2024 pour être plaidée.
La décision a été mise en délibéré au 14 janvier 2025.

* * *
MOTIFS DE LA DECISION
À titre liminaire, il est rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater », « déclarer », « juger » ou « dire et juger » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile, mais des moyens invoqués par les parties. Il ne sera donc pas statué sur ces « demandes » qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.

SUR LES DEMANDES PRINCIPALES

Sur la demande de désenclavement

Aux termes de l’article 682 du code civil, « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. » .

Il est de jurisprudence constante et ancienne que le droit, pour le propriétaire d’une parcelle enclavée, de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins est fonction de l’utilisation normale du fonds quelle qu’en soit la destination, peu importe en ce sens qu’il ne s’agisse ni d’une exploitation agricole, industrielle ou commerciale, ni d’une opération de construction ou de lotissement.

Il appartient au Tribunal d’apprécier souverainement, d’après l’état des lieux et les circonstances de la cause, si un fonds est ou non enclavé.

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise que le passage actuellement ménagé par le fonds servant pour atteindre le domicile de Madame [V] [D] ne permet pas l’accès avec un véhicule automobile, ce qui correspond, en principe, à l’usage normal d’un fonds destiné à l’habitation. En outre, et quelle que soit la règlementation fixée par l’arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l’incendie des bâtiments d’habitation, invoquée par les défendeurs, il est patent à l’examen des photographies et descriptions des lieux dans le rapport d’expertise, que leur étroitesse ne permet pas une intervention urgente efficace des services de secours, rappel fait que Madame [V] [D] est née en 1948 et que le passage dessert actuellement 3 logements. Enfin, il est constaté dans le rapport d’expertise que le découpage actuel de la cour prive les occupants des logements desservis de leur accès aux réseaux publiques de distribution qui les concernent (bouches à clef des alimentations d’eau potable, tampon de regard du réseau d’assainissement…).

Il en résulte que le passage dont dispose actuellement l’immeuble de la requérante pour accéder à la voie publique est insuffisant pour l’usage normal d’un fonds destiné à l’habitation.

Il ne peut par ailleurs être considéré que cet état est le résultat d’opérations volontaires de la requérante, les attestations produites en défense mentionnant l’obturation d’un accès direct à la voie publique dans les années 1970, plus de 20 ans avant qu’elle ne devienne propriétaire de l’immeuble. De surcroît, lors de ces travaux, la cour permettant le droit de passage n’était pas encore reconnue comme propriété exclusive des défendeurs.

Il y a lieu dès lors de considérer le fonds de Madame [V] [D] enclavé, conformément d’ailleurs aux conclusions du rapport d’expertise, la requérante étant ainsi fondée à réclamer un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son immeuble.

En conséquence, et tenant compte de la demande subsidiaire de Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A], il sera ordonné le désenclavement du fonds appartenant à Madame [X] [V] conformément au tracé figurant en proposition n° 2 du rapport d’expertise judiciaire de M. [E] [I], aux entiers frais de la requérante.

Sur la demande d’astreinte
Aux termes de l’article L131-1 alinéa 1 du Code des procédures civiles d’exécution  » tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision « .
En l’espèce il n’y a pas lieu d’ordonner aux défendeurs de supprimer les obstacles à l’exercice de la servitude, ces travaux étant compris dans le tracé figurant en proposition n° 2 du rapport d’expertise judiciaire, et donc à la charge de la requérante. Celle-ci sera donc déboutée de sa demande d’astreinte en ce sens.

Sur la demande de dommages et intérêts
Aux termes de l’article 1240 du code civil « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. ».
En l’espèce, l’édification fautive du mur par les défendeurs, à l’origine de l’étroitesse du passage et de l’impossibilité d’avoir accès en cas de besoin aux organes de coupure de l’alimentation en eau et au réseau d’évacuation, a engendré un préjudice de jouissance à la requérante qui sera justement évalué à hauteur de 1.000 euros. Les défendeurs seront donc condamnés in solidum à payer cette somme à la requérante.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] qui succombent à l’instance en supporteront in solidum les dépens, comprenant les frais d’expertise.
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
L’équité commande en l’espèce de condamner Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] à payer à Madame [V] [D] au titre des frais irrépétibles la somme de 3.000 €. Les défendeurs seront quant à eux déboutés de leur demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant en audience publique, en premier ressort, par jugement contradictoire,
CONSTATE l’état d’enclave de la parcelle cadastrée section AB [Cadastre 9] sise [Adresse 3] sur la commune de [Localité 12] ;
DIT que le fonds de Madame [X] [V] épouse [D], cadastré section AB [Cadastre 9] sise [Adresse 3] sur la commune de [Localité 12], bénéficie d’une servitude de passage sur la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 8] sur la même commune appartenant à Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] ;
DIT que l’assiette de cette servitude retenue est celle fixée par Monsieur l’expert judiciaire [E] dans son rapport définitif du 21 janvier 2019 consistant en la proposition n° 2 et son tracé figurant en page 13 de son rapport ;
ORDONNE le désenclavement du fonds appartenant à Madame [X] [V] conformément au tracé figurant en proposition n° 2 du rapport d’expertise judiciaire de Monsieur [E] [I] ;
DIT que la publication du jugement à intervenir portant constitution de servitude sera effectuée par la partie la plus diligente au service de la publicité foncière de l’immeuble en dépendant ;
DIT que, pour chaque servitude, le droit de passage pourra être exercé en tout temps et à toute heure, sans aucune restriction, par le propriétaire du fonds dominant, les membres de sa famille, ses domestiques et employés, ses invités et visiteurs, puis ultérieurement et dans les mêmes conditions, par les propriétaires successifs du fonds dominant ;

DEBOUTE Madame [X] [V] épouse [D] de sa demande de condamnation sous astreinte des consorts [O] [N] veuve [A], [B] [A] et [U] [A] veuve [K], de supprimer sans délai tout obstacle à l’exercice de cette servitude de passage ;
DIT que l’ensemble des travaux de désenclavement sera à la charge de Madame [V] [D] ;
CONDAMNE in solidum Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] à payer à Madame [V] [D] la somme de 1000 euros au titre de son préjudice de jouissance ;
CONDAMNE Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] in solidum à payer à Madame [V] [D] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum Madame [O] [N], Monsieur [B] [A] et Madame [U] [A] aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
Le présent jugement a été signé par Antoine GIUNTINI, Vice-président et par Aurélie VIALLE, Greffière présente lors de sa mise à disposition.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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