La technique du sleeveface peut constituer une atteinte au droit à l’image et suppose d’obtenir l’autorisation du modèle.
Définition du sleeveface
Le sleeveface désigne un phénomène internet qui consiste pour une ou plusieurs personnes à être pris en photographie en posant avec une pochette de disque vinyle représentant des parties du corps, de façon à prolonger l’image de la pochette et ainsi créer une illusion.
Atteinte à l’image de Mireille Mathieu
Un photographe a réalisé une photographie représentant une femme assise sur une table et tenant une bouteille de vin. Un homme est agenouillé devant elle, sa tête placée entre ses jambes dans une position sexuelle. Une pochette de l’album « Bonjour Mireille » de 1971 est tenue par un tiers entre l’objectif et le visage de la femme. Le modèle porte une robe noire similaire à celle portée par la chanteuse sur la pochette et le mur est peint dans un rouge similaire. La pochette créait l’illusion que cette femme présentée dans une position sexuelle était Mireille Mathieu.
Respect du droit à l’image c/ Liberté artistique
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression.
Ainsi, la liberté de communication des informations autorise la publication d’images de personnes impliquées dans un événement, sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine.
Il doit en être de même lorsque l’exercice par un individu de son droit à l’image aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées et opinions qui s’exprime spécialement dans le travail d’un artiste; en matière d’art photographique, la créativité du photographe et la liberté d’expression de cet artiste n’a ainsi pour limites que le respect de la dignité de la personne représentée ou les conséquences d’une particulière gravité qu’entraînerait la publication des clichés pour le sujet.
Dans ces conditions, les droits au respect de la vie privée (et au droit à l’image) et à la liberté d’expression revêtant, au regard des articles 8 et 10 de la Convention européenne et 9 du code civil, une identique valeur normative, il appartient normalement au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Or, dans le cas présent, le détournement de la pochette d’un disque de Mireille Mathieu, telle que représentant son visage, s’analyse objectivement et, juridiquement, en une exploitation ou utilisation de ses traits, ne respectant pas la finalité du consentement originaire de l’artiste à la reproduction de ses traits, à savoir l’illustration d’une pochette de disque. Surtout, l’utilisation non autorisée des traits de Mireille Mathieu vient ici s’inscrire dans un cadre dévalorisant, puisque la faisant apparaître dans une scène sexuelle particulièrement crue et explicite, dans laquelle le plaisir sexuel se combine avec les plaisirs de l’alcool.
Il apparaît d’ailleurs que le choix du montage apparaît dictée davantage par une volonté de faire rire au regard du contraste existant entre la photo remaniée et l’image médiatique de la chanteuse, laquelle, pendant toute sa vie et sa carrière, a entendu privilégier la discrétion et l’attachement aux valeurs morales traditionnelles.
Action en référé
L’article 809 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. Il s’ensuit que, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le juge statue et avec l’évidence qui s’impose à la juridiction des référés, la méconnaissance d’un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2019
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/27200 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B62PJ
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Septembre 2018 -Président du tribunal de grande instance de PARIS 17 – RG n° 18/54628
APPELANTE
Madame Z Y
[…]
[…]
née le […] à AVIGNON
R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée par Me Silvio ROSSI-ARNAUD de la SELARL BOTTAU & ROSSI-ARNAUD, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
Monsieur B X
[…]
38120 Le Fontanil-Cornillon
né le […] à […]
Représenté et assisté par Me Florent MATTERN, avocat au barreau de PARIS, toque : P261
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Juillet 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Bernard CHEVALIER, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Bernard CHEVALIER, Président
Mme Véronique DELLELIS, Présidente
Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme Denise FINSAC
ARRÊT :
— CONTRADICTOIRE
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Bernard CHEVALIER, Président et par Lauranne VOLPI, Greffière,
Exposé du litige
Z Y est une artiste interprète et chanteuse mondialement connue.
B X réalise des photographies qu’il vend de manière très ponctuelle. Il possède également un site internet cholierphotos.fr.
Dans le cadre de ses activités artistiques, M. X utilise notamment la technique du ‘sleeveface’ qui consiste à juxtaposer la pochette d’un album vinyle représentant le visage de l’artiste avec le corps d’un modèle, le tout dans une mise en scène. La pochette est tenue par le modèle ou par un tiers dont le bras est souvent visible. M. X a réalisé plusieurs montages utilisant cette technique.
X a notamment réalisé en décembre 2008 une photographie représentant une femme assise sur une table et tenant une bouteille de vin. Un homme est agenouillé devant elle, sa tête placée entre ses jambes dans une position sexuelle. Une pochette de l’album Bonjour Z de 1971 est tenue par un tiers entre l’objectif et le visage de la femme. Le modèle porte une robe noire similaire à celle portée par Z Y sur la pochette et le mur est peint dans un rouge similaire. Cela crée l’illusion que cette femme présentée dans une position sexuelle est Z Y. L’avant-bras et la main du tiers tenant la pochette de l’album sont visibles.
Cette photographie a été vendue au restaurant le Petit Y et affichée par ce dernier dans leur salle. Mme Z Y a découvert ainsi l’existence de ce montage photographique.
Par acte du 11 avril 2018, Mme Z Y a fait assigner M. B X devant le président du tribunal de grande instance de Paris statuant en référé afin d’entendre :
— condamner le défendeur à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts ;
— ordonner la publication du jugement sur le site internet ‘www.cholierphotos.fr’, aux frais du défendeur dans les trois jours suivant la signification de l’ordonnance ;
— interdire sous astreinte au défendeur de poursuivre, sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit, l’utilisation, la diffusion la publication et l’exploitation publiques du photomontage intitulé « Sleeveface Z », sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée ;
— interdire sous astreinte au défendeur de procéder à toute nouvelle reproduction, utilisation, diffusion, publication et exploitations publiques et commerciales, sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit, du photomontage intitulé ‘Sleeveface Z », sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée ;
— interdire sous astreinte au défendeur de poursuivre, sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit, l’utilisation, la diffusion la publication et 1’ exploitation publiques de toutes pochettes de disque reproduisant totalement ou partiellement Vintage et les traits de la demanderesse, sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée ;
— condamner la partie défenderesse à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Par ordonnance contradictoire rendue le 14 septembre 2018, la juridiction saisie a :
— débouté Mme Z Y de l’ensemble de ses demandes, en ce compris les demandes d’interdiction et de mesures de publication ;
— condamné Mme Z Y à verser à B X la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamné Mme Z Y aux dépens.
Le premier juge a fondé cette décision notamment sur les motifs suivants :
— la photographie est clairement un montage photographique utilisant la pochette d’un disque vinyle, il ne peut y avoir de doute sur le caractère artificiel de la photographie, il n’y a donc pas d’atteinte à la dignité de Mme Y ;
— la présence de l’écriture blanche sur le côté de la pochette et de la pastille B en haut à droite ne laisse aucun doute au public sur le caractère fantaisiste de la photographie ;
— au regard de la faible commercialisation de la photographie litigieuse, le préjudice n’est pas démontré.
Par déclaration en date du 30 novembre 2018, Mme Z Y a relevé appel de cette ordonnance critiquant toutes les dispositions.
Au terme de ses conclusions communiquées par voie électronique le 3 avril 2019, Mme Z Y demande à la cour, sur le fondement de l’article 9 du code civil, des articles 808 et 809 du code de procédure civile et de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de :
— infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé déférée, rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris le 14 septembre 2018 ;
Statuant à nouveau :
— constater et, en tant que de besoin, dire et juger que M. B X a porté atteinte au droit à l’image ainsi qu’au droit à l’intégrité morale de Mme Z Y par la reproduction, l’utilisation, la diffusion, la publication et l’exploitation publiques et commerciales, non autorisées, de ses traits dans le photomontage intitulé « SleeveFace Z Y » ;
— ordonner la publication de la décision à intervenir sur le site Internet, dénommé «www.Cholierphotos.fr », de M. B X et, aux frais exclusifs de ce dernier, par l’insertion d’un bandeau, en page d’ouverture ou première page dudit site, qui devra rester en ligne pendant une durée de trois mois consécutifs, à compter de la signification de l’arrêt qui sera rendu, selon les modalités suivantes :
— sous le titre « Publication judiciaire à la demande de Mme Z Y », ce titre devant être reproduit en caractères majuscules de 1 cm de hauteur ;
— et, avec le texte suivant : « Par Arrêt en date du 3octobre 2019 de la Cour d’appel de Paris, M. B X a été condamné pour avoir réalisé, publié et commercialisé un photomontage de type « SleeveFace » attentatoire au droit à l’image et au droit à l’intégrité morale de Mme Z Y » ;
— ordonner que la publication de la décision à intervenir selon les modalités ci-dessus devra être exécutée par M. B X et, à ses frais exclusifs, au plus tard dans les trois jours suivant immédiatement la signification de cette même décision, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
— faire défense et, en tant que de besoin, interdire à M. B X de poursuivre, directement et indirectement, sous quelque forme que ce soit, à quelque titre que ce soit et sur quelque support que ce soit, l’utilisation, la diffusion, la publication et l’exploitation publiques du photomontage intitulé « SleeveFace Z Y », tel que reproduisant les traits de Mme Z Y ce, sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée ;
— faire défense et, en tant que de besoin, interdire à M. B X de procéder, directement et indirectement, à toute nouvelle reproduction, utilisation, diffusion, publication et exploitation publiques et commerciales, sous quelque forme que ce soit, à quelque titre que ce soit et sur quelque support que ce soit, du photomontage intitulé « SleeveFace Z Y », tel que reproduisant les traits de Mme Z Y, ce sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée ;
— faire défense et, en tant que de besoin, interdire à M. B X de procéder, directement et indirectement, à toute nouvelle reproduction, utilisation, diffusion, publication et exploitation publiques et commerciales, sous quelque forme que ce soit, à quelque titre que ce soit et sur quelque support que ce soit, de toutes pochettes de disque et, en tout cas de celle ici concernée, de Mme Z Y reproduisant, totalement ou partiellement son image et ses traits, ce sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée ;
— rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions de M. B X ;
— condamner M. B X à faire procéder, à ses frais exclusifs, à l’effacement de la mémoire Internet du photomontage intitulé « SleeveFace Z Y », tel que reproduisant les traits de Mme Z Y, au plus tard, ce dont il devra en justifier, dans les deux mois suivant immédiatement la signification de l’arrêt à intervenir, et ce sous astreinte de 1.000 (Mille) euros par jour de retard ;
— condamner M. B X à verser à Madame Z Y une somme de 20.000 (Vingt Mille) euros, à titre de provision à valoir sur dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi ;
— condamner M. B X au paiement d’une somme de 6 000 euros au profit de Mme Z Y sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance, en ceux inclus les frais de constat d’huissier de Justice, comme ceux qui en seront la suite, avec distraction de ceux d’appel au profit de la S.E.L.A.R.L. Lexavoue Paris Versailles.
Mme Z Y fait valoir en substance les éléments suivants :
– sur l’atteinte au droit à l’image :
— la jurisprudence reconnaît l’atteinte au droit à l’image lorsque l’utilisation est faite dans un sens dévalorisant, lorsqu’un photomontage est utilisé, et que la commercialisation ne découle pas de la liberté d’expression ;
— en l’espèce il n’y a eu aucune autorisation préalable et donc atteinte au droit à l’image ;
— sur l’atteinte au droit à l’intégrité morale :
— les traits de Mme Y ont été utilisés et commercialisés sans son autorisation, à travers la technique du sleeveface, qui est un montage photographique et donc un photomontage ;
— en effet peu importe les arguties sémantiques, il s’agit d’une exploitation ou d’une utilisation du visage de Mme Y qui, lorsqu’elle les a prêtés à une pochette de disque, n’a pas autorisé un tel détournement ;
— de plus cette utilisation de l’image de Mme Y n’est pas justifiée pas un rattachement à un fait d’actualité, à un besoin d’information du public ;
— il procède d’une logique commerciale sous couvert d’art photographique ;
— selon le constat d’huissier, cette photographie a été tirée à 30 exemplaires et était mise en vente sur le site de M. X pour 140 euros ;
— cette atteinte morale est amplifiée par la pose obscène qui tranche avec son attitude sobre et discrète ;
— M. X prétend avoir cessé la diffusion de cette photographie mais elle est toujours visible sur internet au 7 février 2019 ;
— Mme Y subit donc toujours un préjudice, faisant évidemment un usage professionnel de son image, qui est aux antipodes de celle représentée dans la photographie de M. X.
X, par conclusions transmises par voie électronique le 26 mars 2019, demande à la cour, sur le fondement des articles 808 et 809 du code de procédure civile et de l’article 9 du code civil, de :
A titre principal,
— confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référée attaquée, rendue par le président du tribunal de grande instance de Paris le 14 septembre 2018, en ce qu’il a :
— débouté Mme Y de l’ensemble de ses demandes, en ce compris les demandes d’interdiction et de mesures de publication ;
— condamné Mme Y à verser à M. B X la somme de 2000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et
— condamné Mme Y aux dépens.
En toute hypothèse,
— juger irrecevable la demande de l’appelant tendant à condamner M. X à faire procéder à l’effacement de la mémoire internet du photomontage intitulé « SleeveFace Z Y » ;
— débouter Mme Y de l’ensemble de ses demandes ;
— condamner Mme Y à verser à M. X la somme de 10 000 euros à titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner Mme Y à verser à Monsieur X la somme de 10 000 euros pour abus de procédure ;
— condamner Mme Y aux entiers dépens, y inclus l’ensemble des frais exposés pour la réalisation du constat d’huissier du 31 mai 2018.
A titre subsidiaire :
— dans l’hypothèse où la cour ferait droit à la demande de versement d’une provision à l’appelante, la provision ne pourra être supérieure à 1 euro symbolique.
B X expose en résumé ce qui suit :
— le trouble manifestement illicite n’est pas un trouble actuel, en effet l’oeuvre a été retiré du site internet ‘cholierphotos.fr’, le site internet tripadvisor a également retiré les photos présentes sur son site, enfin le restaurant le Petit Y n’affiche plus cette photo ;
— ce fait est reconnu par l’appelante dans ses écritures ;
— les publications sur google et twitter ne sont pas du fait de M. X qui n’a aucun contrôle sur ces publications ;
— la demande visant à forcer M. X à faire procéder à ‘l’effacement du photomontage de la mémoire internet’ est nouvelle en cause d’appel et donc irrecevable ;
— il existe une contestation sérieuse à l’obligation de M. X d’indemniser l’atteinte au droit à l’image de Mme Y ;
— en effet, l’atteinte à la dignité de Mme Y n’est pas évidente, la jurisprudence exigeant plus que la nudité ou les positions suggestives ;
— surtout, le caractère de photomontage – apparent grâce à la main qui tient la pochette, elle même visible et distinguable – rend évident l’absence de Mme Y sur la photo et exclut une atteinte au droit à l’image ;
— de plus, l’aspect commercial ne supprime pas la liberté d’expression et de création de M. X ;
— en l’espèce, M. X a représenté Mme Y dans une pose qui n’est pas dégradante, et a exprimé sa liberté d’expression artistique.
Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE LA COUR :
L’article 809 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. Il s’ensuit que, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le juge statue et avec l’évidence qui s’impose à la juridiction des référés, la méconnaissance d’un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression.
Ainsi, la liberté de communication des informations autorise la publication d’images de personnes impliquées dans un événement, sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine.
Il doit en être de même lorsque l’exercice par un individu de son droit à l’image aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées et opinions qui s’exprime spécialement dans le travail d’un artiste; en matière d’art photographique, la créativité du photographe et la liberté d’expression de cet artiste n’a ainsi pour limites que le respect de la dignité de la personne représentée ou les conséquences d’une particulière gravité qu’entraînerait la publication des clichés pour le sujet.
Dans ces conditions, les droits au respect de la vie privée (et au droit à l’image) et à la liberté d’expression revêtant, au regard des articles 8 et 10 de la Convention européenne et 9 du code civil, une identique valeur normative, il appartient normalement au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
En l’espèce, Mme Z Y a établi par la production notamment d’un constat d’huissier que le montage sleeveface litigieux et qui a été décrit plus haut :
— était celui d’accroche utilisée sur le site de M. X pour illustrer ses tirages selon cette technique du « sleeveface »,
— était vendu, par commercialisation sur ce site, au prix unitaire de 140 €.
Or, dans le cas présent, ce détournement de la pochette d’un disque de Z Y, telle que représentant son visage, s’analyse objectivement et, juridiquement, en une exploitation ou utilisation de ses traits, ne respectant pas la finalité du consentement originaire de l’artiste à la reproduction de ses traits, à savoir l’illustration d’une pochette de disque.
Surtout, l’utilisation non autorisée des traits de Mme Y vient ici s’inscrire dans un cadre
dévalorisant, puisque la faisant apparaître dans une scène sexuelle particulièrement crue et explicite, dans laquelle le plaisir sexuel se combine avec les plaisirs de l’alcool.
Il apparaît d’ailleurs que le choix du montage apparaît dictée davantage par une volonté de faire rire au regard du contraste existant entre la photo remaniée et l’image médiatique de la partie appelante, laquelle n’est en aucun cas contredite lorsqu’elle énonce que, pendant toute sa vie et sa carrière, elle a entendu privilégier la discrétion et l’attachement aux valeurs morales traditionnelles, que par une intention purement artistique .
En effet, parmi les différents artistes dont l’image a donné lieu à des photomontages de même nature, Mme Z Y est la seule à avoir été représentée dans la cadre d’une scène sexuelle.
Peu importe que le montage révèle sa nature en faisant apparaître la pochette du disque ayant permis l’utilisation des traits de la partie appelante.
L’utilisation dans un sens volontairement dévalorisant de l’image de la partie appelante justifiait lors de la saisine du premier juge que soient prises les mesures propres à faire à faire cesser l’atteinte ainsi portée aux droits de la personne ,laquelle atteinte revêtait en l’espèce les caractéristiques du trouble manifestement illicite.
Il résulte toutefois des éléments de la cause que M. B X a fait établir un constat d’huissier à la date du 30 mai 2018, soit postérieurement à l’assignation délivrée par Mme Z Y, démontrant que le montage photographique litigieux avait été supprimé de son site à la date de ce constat.
Par ailleurs, il a été produit aux débats un mail du gérant du restaurant le Petit Y, photographie du mur du restaurant à l’appui, énonçant que le photo-montage avait été retiré du restaurant le 16 avril 2018, ce point n’étant pas spécialement discuté.
Si la demande nouvelle de Mme Y tendant à voir condamner M. X à faire supprimer de la mémoire internet le photomontage n’est pas irrecevable en cause d’appel, contrairement à ce qui est soutenu par la partie intimée, dès lors que cette demande apparaît être le complément des demandes initialement formées, elle se heurte au fait que M. X n’a pas la maîtrise des diffusions de l’image sur Google ou Twitter.
Il se déduit de l’ensemble des éléments de la cause que, si le trouble manifestement illicite existait à la date de l’acte introductif d’instance, le trouble directement imputable à B X avait cessé à la date à laquelle le premier juge a statué et qu’il n’y avait donc plus lieu à statuer sur une demande de mesures conservatoires tendant à la suppression de la sleeveface litigieuse du site de M. B X et à la cessation de la commercialisation de cette dernière sur ce site.
Il convient par ailleurs, pour les motifs déjà indiqués, de dire n’y avoir lieu à référé sur la demande de Mme Z Y tendant à voir condamner M. B X à faire procéder, à ses frais exclusifs, à l’effacement de la mémoire Internet du photomontage intitulé « SleeveFace Z Y », tel que reproduisant les traits de l’appelante.
Sur les mesures réparatrices :
En application des dispositions de l’article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés du tribunal de grande instance peut, en l’absence de contestation sérieuse, allouer une provision au créancier.
Au regard des éléments de la cause , la cour estime que l’allocation d’une provision de 3000 euros à la partie appelante à valoir sur le préjudice moral subi par cette dernière ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
Toutefois, la cour dira n’y avoir lieu à ordonner la publication du dispositif du présent arrêt.
En effet, une telle publication intervenant près de 18 mois après la cessation de l’image litigieuse sur le site de l’intéressé est susceptible davantage de raviver la curiosité du public pour le photomontage litigieux que de correspondre à la protection des intérêts de l’appelante.
La demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par M. X sera rejetée.
Sur les dépens et sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile:
Au regard de ce qui a été jugé plus haut, M. B X sera nécessairement condamné aux dépens de première instance et d’appel.
Il sera par ailleurs condamné à payer à Mme Z Y une indemnité procédurale pour le montant de la procédure de première instance et d’appel dont le montant est repris au présent dispositif.
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Constate que la diffusion du photomontage intitulé « Sleeveface Z » et sa commercialisation sur le site internet de M. B X constituaient une atteinte au droit à l’image de Mme Z Y répondant à la définition du trouble manifestement illicite ;
Constate que ce trouble manifestement illicite existant lors de l’assignation avait cessé à la date à laquelle le premier juge a statué ;
Dit n’y avoir plus lieu par voie de conséquence à prendre des mesures conservatoires ;
Condamne à titre provisionnel M. B X à payer à Mme Z Y la somme de 3 000 euros à valoir sur l’indemnisation du préjudice moral subi par cette dernière,
Dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de publication,
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de Mme Z Y tendant à voir condamner M. B X à faire procéder, à ses frais exclusifs, à l’effacement de la mémoire Internet du photomontage intitulé « SleeveFace Z Y », tel que reproduisant les traits de l’appelante ;
Déboute M. B X de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Condamne M. B X aux dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris Versailles;
Le condamne à payer à Mme Z Y une indemnité de 3000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d’appel.
La Greffière, Le Président,