Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Rappel de salaire et heures supplémentaires : enjeux de la preuve et validité des conventions de forfait.
→ RésuméEngagement et LicenciementUn salarié, occupant le poste d’adjoint au directeur dans une entreprise de télécommunications, a été engagé par un contrat à durée indéterminée. Après deux ans de service, il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour insuffisance professionnelle, qui a abouti à son licenciement en décembre 2015. Le salarié a contesté ce licenciement devant le conseil de prud’hommes. Décision du Conseil de Prud’hommesLe conseil de prud’hommes a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à verser des dommages-intérêts au salarié. L’employeur a été également condamné à payer des frais sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Le surplus des demandes du salarié a été rejeté. Appel et Arrêt de la Cour d’AppelLe salarié a interjeté appel de cette décision. La cour d’appel a confirmé le jugement, mais a modifié le montant des dommages-intérêts, les augmentant en raison du licenciement abusif. Elle a également ordonné le remboursement des indemnités de chômage versées au salarié et a condamné l’employeur aux dépens d’appel. Pourvoi en CassationL’employeur a formé un pourvoi en cassation contre cette décision. La Cour de cassation a cassé l’arrêt en ce qui concerne le débouté du salarié concernant ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel autrement composée. Renvoi et Nouvelles ConclusionsLe salarié a saisi la cour d’appel de renvoi, demandant la reconnaissance de ses heures supplémentaires non rémunérées et d’autres indemnités. L’employeur a contesté ces demandes, soutenant que la convention de forfait en jours était valide et que le salarié n’avait pas prouvé ses heures supplémentaires. Analyse des Heures SupplémentairesLa cour a examiné les éléments fournis par le salarié, tels que des décomptes d’heures et des courriels, et a constaté que l’employeur n’avait pas mis en place un système de suivi des heures de travail. En conséquence, la cour a jugé que le salarié avait droit à des heures supplémentaires et a infirmé le jugement initial sur ce point. Indemnités et Travaux DissimuleLe salarié a également demandé des indemnités pour repos compensateurs et congés payés afférents. La cour a reconnu le dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires et a accordé des indemnités en conséquence. Cependant, la demande d’indemnité pour travail dissimulé a été rejetée, faute de preuve d’intention frauduleuse de l’employeur. Conclusion et Décision FinaleLa cour a condamné l’employeur à verser au salarié des sommes pour heures supplémentaires, repos compensateurs et congés payés, ainsi qu’une indemnité pour frais irrépétibles. Les créances salariales ont été déclarées productives d’intérêts légaux. L’employeur a été condamné aux dépens de la procédure. |
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-5
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 FEVRIER 2025
N° RG 24/00314 – N° Portalis DBV3-V-B7I-WKAO
AFFAIRE :
[I] [U]
C/
S.A.S. SAGEMCOM ENERGY & TELECOM
Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 07 Juin 2023 par le Cour de Cassation de Chambre Sociale
N° Chambre :
N° Section :
N° RG :
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Laure CAPORICCIO
Me Stéphanie TERIITEHAU
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SIX FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
DEMANDEUR devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation du 07 juin 2023 cassant et annulant partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 1er juillet 2021
Monsieur [I] [U]
né le 15 Juillet 1973 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
assisté de Me Laure CAPORICCIO de la SELEURL CABINET CAPORICCIO AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C428
****************
DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
S.A.S. SAGEMCOM ENERGY & TELECOM
N° SIRET : 518 25 0 3 37
[Adresse 1]
[Localité 4]
assistée de Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619
Me Marie YOBO, Plaidant, avocat au barreau de Paris,
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 Décembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Madame Laure TOUTENU, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Anne REBOULEAU,
EXPOSE DU LITIGE
M. [I] [U] a été engagé par la SAS Sagemcom Energy & Telecom par contrat à durée indéterminée du 14 novembre 2013 à effet au 25 novembre 2013 en qualité d’adjoint au directeur « secteur d’activité », au statut cadre, position 3A en forfait en jours de 217 jours travaillés par an moyennant une rémunération annuelle brute de base de 65 000 euros à laquelle s’ajoute une part variable pouvant représenter jusqu’à 10% de la rémunération annuelle brute à 100% des objectifs atteints.
La relation de travail était soumise aux dispositions de la convention collective de la métallurgie des ingénieurs et cadres.
Par courrier du 24 novembre 2015, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé au 2 décembre 2015 puis reporté au 17 décembre 2015.
Par courrier du 28 décembre 2015, le salarié a été licencié pour insuffisance professionnelle.
Par requête reçue au greffe le 5 décembre 2016, M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre d’une action en contestation de licenciement et a sollicité la condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes.
Par jugement du 27 mai 2019, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Nanterre a :
– jugé le licenciement de M. [U] sans cause réelle et sérieuse ;
– condamné la société Sagemcom Energy & Telecom au paiement d’une somme de 17 843 euros à titre de dommages intérêts ;
– condamné la société Sagemcom Energy & Telecom au paiement d’une somme de 1 200 euros HT sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes.
M. [U] a formé appel de cette décision par déclaration au greffe du 18 juin 2019.
Par arrêt du 1er juillet 2021, auquel la cour renvoie pour l’exposé des demandes des parties et de la procédure antérieure, la cour d’appel de Versailles a :
– confirmé le jugement entrepris, sauf en celle de ses dispositions relatives au quantum de l’indemnité allouée au titre de l’article L. 1235-3 du code du travail ;
– condamné la SAS Sagemcom Energy & Telecom à payer à M. [I] [U] la somme de 36 000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement abusif ;
– ordonné le remboursement par la SAS Sagemcom Energy & Telecom aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [I] [U] dans la limite de 6 mois d’indemnités en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail ;
– dit que la somme à caractère indemnitaire produira intérêts au taux légal à compter de la décision l’ayant prononcée ;
– condamné la SAS Sagemcom Energy & Telecom aux dépens d’appel ;
– condamné la SAS Sagemcom Energy & Telecom à payer à M. [I] [U] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [U] a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.
Par décision du 7 juin 2023, la Cour de cassation, chambre sociale, a :
– cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il déboute M. [U] de ses demandes en paiement d’un rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées du 25 novembre 2013 au 22 novembre 2015, outre les congés payés afférents, d’une indemnité pour repos compensateur en cas de dépassement du contingent annuel des heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, et d’une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 1er juillet 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ;
– remis, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Versailles autrement composée ;
– condamné la société Sagemcom Energy & Telecom aux dépens ;
– en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société Sagemcom Energy & Telecom et l’a condamné à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros.
Pour se déterminer ainsi, la Cour de cassation, au visa notamment de l’article L. 3171-4 du code du travail, a retenu que pour débouter le salarié de sa demande en paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires outre les congés payés afférents, l’arrêt a :
– constaté que ce dernier produit un décompte hebdomadaire des heures qu’il soutient avoir accomplie, le listing des mails reçus et adressés ainsi que des mails ;
– relevé que le décompte produit par le salarié en pièce n°79 se rapporte uniquement au volume d’heures supplémentaires revendiquées par le salarié, sans fournir d’information concernant ses horaires quotidiens, que le listing produit en pièce n° 80 ne permet pas davantage de les déterminées, tout comme les mails communiqués en pièces n° 95 à 97, étant précisé qu’il n’appartient pas à la cour de rechercher quels ont été les horaires quotidiens du salarié durant les deux années de la relation de travail ;
– retenu en conséquence que le salarié ne présentait pas, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, ne permettant ainsi pas à l’employeur d’y répondre utilement.
La Cour de cassation a jugé qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
M. [U] a saisi la cour d’appel de renvoi par déclaration au greffe du 31 janvier 2024.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 25 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [U] demande à la cour de :
– constater que la Cour de cassation a dans son arrêt en date du 7 juin 2023 annulé l’arrêt de la cour d’appel de Versailles en ce que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre a cassé et annulé mais seulement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes en paiement d’un rappel de salaires pour les heures supplémentaires effectuées du 25 novembre 2013 au 22 novembre 2015, outre les congés payés afférents, d’une indemnité pour repos compensateur en cas de dépassement du contingent annuel des heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, et d’une indemnité pour travail dissimulé, l’arrêt rendu le 1er juillet 2021 entre les parties par la cour d’appel de Versailles, remis sur ces points l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles autrement composée ;
– réformer le jugement de première instance rendu le 27 mai 2019 par le conseil de prud’hommes de Nanterre ;
et statuant à nouveau,
– dire et juger qu’il a effectué des heures supplémentaires qui n’ont fait l’objet d’aucun règlement alors même que la convention de forfait jours a été déclaré dépourvue de tout effet juridique du fait de l’absence de suivi régulier effectif du temps et de la charge de travail par la société Sagemcom Energy Telecom ;
– dire et juger que la société Sagemcom Energy Telecom ne produit aucun élément objectif permettant de justifier des horaires effectivement réalisés durant sa période d’emploi ;
– dire et juger que la société Sagemcom Energy Telecommunications n’a nullement respecté les dispositions conventionnelles sur lesquelles s’appuyait la convention de forfait jours déclarée dépourvue de tout effet juridique du fait de l’absence de suivi régulier effectif du temps et de la charge de travail et s’est rendue coupable de travail dissimulé ;
en conséquence,
– condamner la société Sagemcom Energy Telecom à lui verser les sommes suivantes :
* 42 938,55 euros à titre de rappel de salaires pour les heures supplémentaires effectuées du 25 novembre 2013 au 22 novembre 2015 ;
* 4 293,85 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente ;
* 21 280,63 euros au titre de l’indemnité pour repos compensateur en cas de dépassement du contingent annuel des heures supplémentaires ;
* 2 128,06 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente ;
* 34 440 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé ;
* 5 000 euros au titre de l’indemnité due en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– assortir les condamnations des intérêts légaux à compter du prononcé du jugement ;
– condamner la société Sagemcom Energy & Telecom aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 27 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Sagemcom Energy & Telecom demande à la cour de :
In limine litis
– juger que les conclusions de M. [U] régularisées le 2 avril 2024 ne sollicitent pas l’infirmation du chef des dispositions du jugement dont il souhaite l’infirmation ;
en conséquence :
– confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Nanterre le 27 mai 2019 uniquement en ce qu’il a débouté M. [U] de ses demandes relatives au paiement de rappel de salaires pour les prétendues heures supplémentaires réalisées du 25 novembre 2013 au 22 novembre 2015, au paiement d’une indemnité pour repos compensateur et à sa condamnation pour travail dissimulé ;
– débouter M. [U] de l’intégralité de ses demandes ;
Au fond – à titre principal
– juger que la convention de forfait en jours n’est entachée d’aucune nullité ni dépourvue d’effet ;
– juger que M. [U] n’a jamais effectué d’heures supplémentaires au cours de la période du 25 novembre 2013 au 22 novembre 2015 ;
en conséquence :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre le 27 mai 2019 uniquement en ce qu’il a débouté M. [U] de ses demandes relatives au paiement de rappel de salaires pour les prétendues heures supplémentaires réalisées du 25 novembre 2013 au 22 novembre 2015, au paiement d’une indemnité pour repos compensateur et à sa condamnation pour travail dissimulé ;
– débouter M. [U] de l’intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel devait estimer que M. [U] justifie avoir réalisé des heures supplémentaires :
– juger que M. [U] ne démontre aucun élément intentionnel justifiant l’allocation d’une indemnité pour travail dissimulé ;
A titre reconventionnel et en tout état de cause :
– condamner M. [U] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 28 novembre 2024.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, dans les limites de la cassation,
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 7 juin 2023 ;
Infirme partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 27 mai 2019 ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la SAS Sagemcom Energy & Telecom à payer à M. [I] [U] :
* 34 810 euros brut au titre des heures supplémentaires sur la période du 25 novembre 2013 au 22 novembre 2015 ;
* 3 481 euros brut de congés payés afférents ;
* 13 282 euros au titre des repos compensateurs ;
* 1 328,20 euros au titre des congés payés afférents ;
Dit que les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la date de présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d’orientation et que les créances de nature indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne la SAS Sagemcom Energy & Telecom à payer à M. [I] [U] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés devant la cour d’appel de renvoi ;
Déboute les parties pour le surplus ;
Condamne la SAS Sagemcom Energy & Telecom aux dépens devant la cour de renvoi.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thierry CABALE, Président et par MadameAnne REBOULEAU, Greffière Placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président
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