Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Licenciement contesté : évaluation des manquements et de l’effectif soignant
→ RésuméEngagement et Contexte de l’AffaireUne infirmière a été engagée par contrat de travail à temps partiel à durée indéterminée par une société spécialisée dans la gestion d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, à compter du 14 janvier 2017. Au moment de la rupture, l’effectif de la société dépassait dix salariés, et elle appliquait la convention collective nationale de l’hospitalisation privée. Procédure de LicenciementLe 25 février 2021, l’infirmière a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, qui a eu lieu le 11 mars 2021. Suite à cet entretien, elle a été mise à pied à titre disciplinaire pour deux jours en avril 2021. Le 21 octobre 2021, elle a été licenciée pour faute grave, avec des reproches concernant son manque de soutien envers ses collègues et des négligences dans l’exécution de ses missions, notamment lors d’une journée où l’effectif était réduit. Contestation du LicenciementLe 18 février 2022, l’infirmière a saisi le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement et demander le paiement de diverses sommes. Le 13 janvier 2023, le conseil a jugé que le licenciement n’était pas fondé sur une faute grave, le requalifiant en licenciement pour cause réelle et sérieuse, et a condamné la société à verser plusieurs indemnités à l’infirmière. Appel de la SociétéLe 10 février 2023, la société a interjeté appel du jugement, demandant la requalification du licenciement en faute grave et le déboutement de l’infirmière de toutes ses demandes. La société a également demandé la restitution des sommes versées à l’infirmière au titre de l’exécution provisoire. Arguments des PartiesLa société a soutenu que l’infirmière n’établissait pas la réalité du sous-effectif et que les griefs retenus dans la lettre de licenciement étaient fondés. De son côté, l’infirmière a affirmé que les conditions de travail étaient difficiles en raison d’un sous-effectif chronique et a contesté la gravité des manquements qui lui étaient reprochés. Décision de la CourLa cour a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes, considérant que les manquements de l’infirmière constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement, mais non une faute grave. Elle a également confirmé les indemnités accordées à l’infirmière et a condamné la société aux dépens de la procédure d’appel, tout en déboutant les parties de leurs demandes autres. |
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
Chambre sociale 4-4
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 05 FEVRIER 2025
N° RG 23/00423
N° Portalis DBV3-V-B7H-VVUR
AFFAIRE :
Société REPOTEL [Localité 3]
C/
[Z] [N]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 janvier 2023 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de [Localité 5]
Section : AD
N° RG : F 22/00103
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Claire SELLERIN-CLABASSI
Me Blandine SIBENALER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Société REPOTEL [Localité 3]
N° SIRET: 338 344 427
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentant : Me Claire SELLERIN-CLABASSI, avocat au barreau d’ESSONNE
APPELANTE
****************
Madame [Z] [N]
née le 3 avril 1974 à [Localité 4]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Blandine SIBENALER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R286
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 6 décembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [N] a été engagée en qualité d’infirmière, par contrat de travail à temps partiel à durée indéterminée, à compter du 14 janvier 2017 par la société Repotel [Localité 3].
Cette société est spécialisée dans la gestion d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de dix salariés. Elle applique la convention collective nationale de l’hospitalisation privée.
Par lettre du 25 février 2021, Mme [N] a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 11 mars 2021. Par lettre du 22 mars 2021, Mme [N] a été mise à pied à titre disciplinaire pour une durée de deux jours le 13 avril 2021 et le 22 avril 2021.
Convoquée par lettre du 5 octobre 2021 à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 15 octobre 2021, et mise à pied à titre conservatoire, Mme [N] a été licenciée par lettre du 21 octobre 2021 pour faute grave dans les termes suivants :
« (‘) Je fais suite à notre entretien du 15 octobre dernier, préalable à une mesure de licenciement que j’envisageais de prendre à votre encontre et au cours duquel vous étiez assistée d’un conseiller extérieur, où je vous ai exposé les faits reprochés.
Votre manque de soutien auprès de vos collègues et vos négligences dans l’exécution de vos missions d’infirmière favorisent l’insécurité de la prise en charge des résidents.
A titre d’exemples, le dimanche 3 octobre 2021, les professionnels soignants ont été contraints de travailler en « mode dégradé » en raison de l’absence de trois aides-soignantes.
Bien que parfaitement informée et consciente de la difficulté organisationnelle, vous avez refusé de porter assistance à vos collègues pour les soins de nursing dans les étages en sous-effectifs au motif « de ne pas avoir le temps ».
En outre, en tant que référente « escarres, plaies et cicatrisation » depuis le 3 juillet 2019, vous êtes l’interlocutrice privilégiée des professionnels rencontrant des problèmes devant une situation de soin comportant la prise en charge des plaies sur tout l’établissement.
Il s’avère que ce jour-là, vous avez procédé au changement de pansement de Mme [G], résidente ayant toutes ses facultés. Vous avez laissé seule l’aide-soignante, Madame [R], opérer le changement du pansement des résidentes Mesdames [H] et [B] qui nécessitent quant à elles une prise en charge en binôme en raison de leur état de dépendance aggravée.
Face à l’importance de la plaie de Madame [H] et pour éviter l’aggravation de la plaie de Madame [Y], vous auriez dû apporter votre aide et expertise auprès de la soignante qui, au demeurant, était seule à cet étage.
Vous avez laissé l’aide-soignante face à ses difficultés et son incertitude ce qui est contraire au référentiel et à nos valeurs.
De plus j’ai été alertée sur votre manque d’implication dans l’évaluation des échelles de suivi des risques escarres de nos résidents. Au titre de référente, vous avez des responsabilités et vous ne pouvez pas vous contenter de réaliser ces évaluations que de temps en temps !
Par ailleurs, je déplore de nouveau votre négligence dans la prise en charge des résidents. Ainsi, toujours ce 3 octobre 2021, l’infirmière Madame [V] a constaté que vous n’aviez pas appliqué le traitement de Madame L. depuis plusieurs jours ; ce que vous m’avez confirmé lors de l’entretien.
Je vous rappelle, une fois encore, que vous êtes infirmière, il est donc de votre responsabilité de vous assurer que nos résidents aient leurs traitements. Vous avez été sanctionnée pour des faits similaires en mars 2021. Force est de constater que vous n’avez pas pris la pleine mesure de l’importance du courrier.
Enfin, je ne peux accepter que vous fassiez des transmissions écrites en dehors de votre temps et lieu de travail, comme ce fut le cas ce lundi 4 octobre 2021 entre 21 heures et 22 heures. Toutes les informations relatives à l’état de santé des résidents doivent pouvoir être connues par les équipes dès leur prise de poste, il en va de la sécurité de ces derniers.
Que ces transmissions soient écrites ou orales, elles sont essentielles à la qualité et au suivi de la prise en charge des résidents : le 4 octobre 2021, vous avez « omis » d’informer l’équipe de la nécessité que Madame [A], soit à jeun pour son rendez-vous médical. Faute de communication, le rendez-vous médical a dû être annulé et reporté à une date ultérieure au détriment de la qualité de la prise en charge de la résidente.
Ces exemples ne sont malheureusement pas exhaustifs et je ne peux être assurée de votre bien-traitance lorsque je sais que vous n’effectuez pas votre travail avec sérieux et je ne peux également être garante du bon fonctionnement de l’établissement lorsque diverses plaintes mettent en exergue votre comportement peu collaboratif et participatif.
Cette situation ne saurait plus longtemps perdurer sans préjudice pour les résidents et les salariés de l’établissement. Aussi, je suis au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnité. Votre licenciement prend effet dès ce jour.
La période de mise à pied à titre conservatoire ne vous sera pas rémunérée. (‘) ».
Par requête du 18 février 2022, Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Rambouillet aux fins de contestation de son licenciement et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.
Par jugement du 13 janvier 2023, le conseil de prud’hommes de Rambouillet (section activités diverses) a :
. dit et jugé que le licenciement de Mme [N] n’est pas fondé sur une faute grave,
. requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
. fixé le salaire de référence de Mme [N] à 2 880 euros,
. condamné la SAS Repotel [Localité 3] à verser à Mme [N] les sommes de :
. 5 760 euros au titre d’indemnité compensatrice de préavis
. 576 euros au titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
. 2 880 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
. 1 326, 43 euros au titre de rappel de salaires non versés pendant la période de mis à pied à titre conservatoire
. 132,64 euros au titre des congés payés afférents
. 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
. ordonné l’exécution provisoire du jugement à intervenir en application de l’article 515 du code de procédure civile,
. dit que les sommes porteront intérêts légaux à compter de la saisine du conseil,
. condamné la SAS Repotel [Localité 3] aux entiers dépens y compris les frais d’exécution déjà exposés et éventuels,
. débouté Mme [N] pour le surplus de ses demandes,
. débouté la SAS Repotel [Localité 3] de sa demande reconventionnelle.
Par déclaration adressée au greffe le 10 février 2023, la société Repotel [Localité 3] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 5 novembre 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Repotel [Localité 3] demande à la cour de :
. recevoir la société Repotel [Localité 3] en ses demandes, fins et conclusions et l’y déclarer bien fondée,
. Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a requalifié le licenciement prononcé pour faute grave de Mme [N] le 21 octobre 2021 en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la Société Repotel [Localité 3] à indemniser Mme [N] à ce titre,
Statuant à nouveau,
. juger que le licenciement repose sur une faute grave,
Par conséquent,
. Débouter Mme [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions tendant à la contestation de son licenciement.
. Ordonner la restitution de l’intégralité des sommes versées par la société Repotel [Localité 3] au titre de l’exécution provisoire, avec intérêt au taux légal à compter de leur perception le 13 février 2023.
Sur l’appel incident,
. débouter Mme [N] de sa demande d’infirmation du jugement en ce qu’il a considéré que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de toutes les demandes, fi ns et conclusions afférentes à cette demande,
En tout état de cause,
. condamner Mme [N] à verser à la société Repotel [Localité 3] une somme de 3 000 euros pour compenser partiellement les frais irrépétibles engagés par l’appelante, tant au titre de la première instance que de l’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
. condamner Mme [N] aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [N] demande à la cour de :
. Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Repotel [Localité 3] à verser à Mme [N] les sommes suivantes :
. 5 760 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que la somme de 576 euros au titre des congés payés afférents,
. 2 880 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
. 1 326,43 euros au titre du salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, ainsi que la somme de 132,64 euros au titre des congés payés afférents,
. 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
. Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [N] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
. condamner la SAS Repotel [Localité 3] à verser à Mme [N] la somme de 11 520 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause,
. condamner la SAS Repotel [Localité 3] à verser à Mme [N] la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civil au titre de la procédure d’appel,
. débouter la SAS Repotel [Localité 3] de ses demandes,
. condamner la SAS Repotel [Localité 3] aux dépens.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Repotel [Localité 3] à payer à Mme [N] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Repotel [Localité 3] aux dépens de la procédure d’appel.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Présidente et par Madame Dorothée Marcinek, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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