L’Essentiel : La société de gestion immobilière, en tant que demanderesse, a assigné la société locataire devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux. Elle a demandé la suppression d’un portail installé par la défenderesse, bloquant l’accès à un espace commun, ainsi que le retrait de déchets entreposés. La demanderesse a également sollicité une indemnisation pour les frais de justice. Un différend est survenu concernant le paiement des charges d’entretien des espaces communs, entraînant une décision judiciaire antérieure. Le juge a finalement rejeté la demande de la société de gestion immobilière, considérant les arguments de la société locataire comme sérieux.
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I – FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIESLa société de gestion immobilière, en tant que demanderesse, a assigné la société locataire devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux. Elle a demandé la suppression d’un portail installé par la défenderesse, qui bloque l’accès à un espace commun, ainsi que le retrait de déchets entreposés. La demanderesse a également sollicité une indemnisation pour les frais de justice et la liquidation d’une astreinte en cas de non-respect de l’ordonnance. La demanderesse a expliqué qu’elle avait acquis l’immeuble en 2016, dont les locaux avaient été loués à la société locataire depuis 2000. Un différend est survenu concernant le paiement des charges d’entretien des espaces communs, ce qui a conduit à une décision judiciaire antérieure confirmant que seuls des espaces privatisés avaient été loués. La société locataire a été accusée d’avoir illégalement occupé des parties communes en installant un portail, ce qui constitue un trouble manifestement illicite. L’affaire a été renvoyée pour échanges de conclusions et a été entendue en janvier 2025. La demanderesse a maintenu ses demandes, tandis que la société locataire a demandé le rejet de toutes les demandes et a réclamé des frais de justice. II – MOTIFS DE LA DÉCISIONLe juge des référés a examiné la demande principale de la société de gestion immobilière. Selon l’article 835 du code de procédure civile, le juge peut ordonner des mesures conservatoires même en cas de contestation sérieuse. La demanderesse a soutenu que la société locataire avait élargi l’assiette du bail en s’appropriant des parties communes, ce qui constitue un trouble illicite. Cependant, les preuves fournies par la société locataire, telles que le bail et des constatations antérieures, ont montré que le portail était prévu dès la construction de l’immeuble et qu’il existait depuis plusieurs années. La demanderesse, propriétaire depuis 2016, n’a pas justifié en quoi cette situation était illégale ou nuisible, n’ayant pas produit de preuves de désagréments. Les arguments de la société locataire concernant la prescription de l’action et la tolérance de l’occupation des lieux ont été jugés sérieux, ce qui a conduit à un rejet de la demande de la société de gestion immobilière. III – DÉCISIONLe juge des référés a décidé de ne pas donner suite à la demande de référé. La société de gestion immobilière a été déboutée de toutes ses demandes et condamnée à verser à la société locataire une somme pour couvrir ses frais de justice. La décision a été rendue publiquement et est susceptible d’appel. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article 835 du code de procédure civile dans le cadre d’une demande en référé ?L’article 835 du code de procédure civile stipule que : « Le juge des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. » Ainsi, cet article confère au juge des référés un pouvoir d’intervention rapide pour faire cesser un trouble manifestement illicite ou prévenir un dommage imminent. Cependant, il est important de noter que si l’existence de l’obligation est sérieusement contestable, le juge ne pourra pas faire droit à la demande. Dans l’affaire en question, la défenderesse a soulevé des contestations sérieuses concernant la nature de l’occupation des lieux, ce qui a conduit le juge à rejeter la demande de la demanderesse. Quelles sont les conséquences de la prescription quinquennale selon l’article 2224 du code civil ?L’article 2224 du code civil dispose que : « La prescription extinctive est un mode d’extinction des droits résultant de l’inaction de leur titulaire pendant un certain temps. Le délai de prescription est de cinq ans, sauf disposition contraire. » Dans le cadre de l’affaire, la défenderesse a soutenu que l’action engagée par la demanderesse était irrecevable en raison de la prescription quinquennale. Cela signifie que si la demanderesse n’a pas agi dans un délai de cinq ans pour revendiquer ses droits, elle ne peut plus le faire. La défenderesse a ainsi mis en avant que l’installation du portail remontait à 2001, et que la demanderesse, ayant acquis l’immeuble en 2016, aurait dû agir dans ce délai pour contester cette installation. Comment l’article 700 du code de procédure civile s’applique-t-il dans cette affaire ?L’article 700 du code de procédure civile prévoit que : « Le juge peut, dans sa décision, condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » Dans cette affaire, la SAS LES PORTES D’ARCINS a été déboutée de toutes ses demandes, ce qui a conduit le juge à condamner cette dernière à verser à la SASU TEREVA une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700. Cette disposition permet de compenser les frais engagés par la partie qui a gagné le procès, même si ces frais ne sont pas couverts par les dépens. Ainsi, la décision du juge de condamner la demanderesse à verser cette somme à la défenderesse est conforme aux dispositions de l’article 700, en raison de la perte de la première dans cette instance. |
DE BORDEAUX
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
30Z
Minute
N° RG 24/01386 – N° Portalis DBX6-W-B7I-ZFE5
3 copies
GROSSE délivrée
le 03/02/2025
à la SELARL KPDB INTER-BARREAUX
Me Baptiste MAIXANT
Rendue le TROIS FEVRIER DEUX MIL VINGT CINQ
Après débats à l’audience publique du 06 Janvier 2025
Par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente au tribunal judiciaire de BORDEAUX, assistée de Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.
DEMANDERESSE
S.A.S. Les Portes d’Arcins
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Baptiste MAIXANT, avocat au barreau de BORDEAUX
DÉFENDERESSE
S.A.S.U. TEREVA
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocats au barreau de BORDEAUX
Par exploit du 27 mai 2024, la SAS LES PORTES D’ARCINS, au visa des articles 1353 et 1728 du code civil, et 835 du code de procédure civile, a fait assigner la SASU TEREVA devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de voir :
– ordonner à la défenderesse de déposer le portail installé entre les bâtiments bloquant l’accès à un espace commun situé à l’arrière des bâtiments et le débarrasser des déchets et autres mobiliers entreposés par ses soins, dans un délai de huit jours à compter de la signification de l’ordonnance et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
– se réserver la liquidation de l’astreinte ;
– condamner la défenderesse à lui payer la somme de 2 400 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux dépens.
La demanderesse expose que par acte sous-seing privé en date du 09 octobre 2000, la SCI BAJEN III, aux droits de laquelle elle vient suite à l’acquisition de l’immeuble le 28 septembre 2016, a donné à bail à la société PIERON, devenue la société TEREVA par fusion absorption intervenue le 31 août 2006, des locaux à usage commercial situés [Adresse 4] ; qu’un différend est né entre elles, la société TEREVA se refusant à régler les factures de reddition de charges liées notamment à l’entretien des espaces communs de l’ensemble immobilier ; que le tribunal judiciaire de Bordeaux l’a déboutée de ses demandes, décision confirmée par arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 13 novembre 2023 qui a exclu les espaces communs de l’assiette du bail et considéré que seules des parties privatives avaient été donné à bail ; qu’elle a dès lors légitimement notifié le 03 avril 2024 à sa locataire de libérer ces espaces communs ; que la défenderesse s’y est refusée alors qu’elle a agrandi l’assiette du bail en s’appropriant des parties communes en édifiant un portail fermé à clés lui permettant de créer un espace privatif à l’arrière de son bâtiment où elle entrepose divers objets ; que cette occupation irrégulière est constitutive d’un trouble manifestement illicite à laquelle il convient de metre fin.
L’affaire a été appelée à l’audience du 23 septembre 2024 et a fait l’objet de renvois pour échange des conclusions entre les parties avant d’être retenue à l’audience du 06 janvier 2025.
Les parties ont conclu pour la dernière fois :
– la SAS LES PORTES D’ARCINS, le 31 décembre 2024, par des écritures aux termes desquelles elle maintient toutes ses demandes et sollicite le débouté de la défenderesse de toutes ses demandes.
Elle expose que sa demande se fonde sur l’article 835 du code de procédure civile qui vise non seulement le trouble manifestement illicite mais aussi les obligations de faire ; qu’en tout état de cause, l’existence d’un trouble manifestement illicite est caractérisée chaque fois qu’il y a une violation manifeste de la loi des parties qu’est le contrat ou plus encore lorsque la situation ne ressort d’aucun droit ni titre, ce qui est le cas en l’espèce ; que la défenderesse soutient sans le prouver que la barrière a été installée par l’ancien bailleur ; que cette situation permet tout au plus de retenir une tolérance qui n’institue aucun droit irréfragable au profit du preneur et à laquelle le bailleur est en droit de mettre fin.
– la SASU TEREVA, le 03 janvier 2025, par des écritures aux termes desquelles elle demande qu’il soit dit n’y avoir lieu à référé, que la demanderesse soit renvoyée à mieux se pourvoir, déboutée de l’ensemble de ses demandes, et condamnée à lui verser la somme de 5 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle fait valoir qu’au jour de la signature du bail le 09 octobre 2000, les locaux n’étaient pas encore construits ; que lorsque la société PIERON est entrée dans les lieux le 02 juillet 2001, certains des travaux convenus entre les parties n’étaient pas encore réalisés ; que c’est notamment le cas du portail litigieux ainsi qu’il ressort du PV de constat du 13 septembre 2001 ; qu’elle produit aux débats des photos aériennes qui confirment la présence du portail en 2003, 2006, 2008, 2013 et 2015, antérieurement à son entrée dans les lieux, ce qui contredit les assertions de la demanderesse qui soutient que c’est elle qui a installé le portail ; que l’action engagée, qui est non pas une action réelle portant sur les droits relatifs à la propriété, mais une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, est irrecevable ; que la demanderesse échoue à démontrer l’existence d’un trouble manifestement illicite ; que l’installation du portail remonte à 2001 ; qu’il n’est pas démontré en quoi sa présence perturberait l’exploitation de l’ensemble immobilier ; que l’occupation de l’arrière cour, qui ne dessert que ses locaux, ressort d’une convention avec le bailleur de l’époque qui en a attribué l’utilisation exclusive à la société Pieron qui l’a toujours utilisée comme partie privative, est incluse dans le périmètre du bail et est indispensable à son exploitation puisqu’elle constitue le seul accès à l’aire de livraison située à l’arrière du bâtiment ; que cette situation n’a jamais été remise en cause par les précédents bailleurs ; que la décision de la cour d’appel est sans conséquence, la cour n’ayant pas eu à statuer sur le statut de cette arrière-cour qui n’est pas une partie commune et ne nécessite aucuns travaux ni entretien de la part du bailleur.
La présente décision s’en rapporte à ces écritures pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
sur la demande principale :
Aux termes des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, le juge des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
En l’espèce, la demanderesse soutient que la défenderesse a agrandi l’assiette du bail en s’appropriant des parties communes en édifiant un portail fermé à clés lui permettant de créer un espace privatif à l’arrière de son bâtiment où elle entrepose divers objets ; que cette occupation irrégulière, qui la prive, ainsi que les autres locataires, de l’accès à des parties communes, est constitutive d’un trouble manifestement illicite.
Il résulte cependant des pièces produites aux débats par la défenderesse (bail, constat d’huissier du 13 septembre 2001, attestations, photos aériennes), que l’installation du portail avait été prévue dès la construction de l’immeuble, et qu’il existe depuis 2003 au moins, de sorte que la société TEREVA, locataire depuis août 2006, ne peut être la responsable de son installation.
Surtout, la demanderesse, elle-même propriétaire de l’ensemble immobilier depuis 2016, soit à une date à laquelle le portail était installé depuis longtemps, n’explique ni ne justifie en quoi cette situation, qu’elle tolère depuis huit ans, est constitutive d’un trouble manifestement illicite ou génératrice d’un péril imminent, aucune pièce n’étant produite notamment pour attester des désagréments qu’elle allègue pour elle et pour les autres locataires.
La demande ne saurait dès lors prospérer sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 835.
Il ne peut y être fait droit, sur le fondement du 2ème alinéa dudit article, qu’à la condition que l’existence de l’obligation ne soit pas sérieusement contestable.
Or les arguments développés par la défenderesse (prescription de l’action, mise à disposition volontaire des lieux par le précédent bailleur) sont autant de contestations qui doivent être considérées comme sérieuses et ne relèvent pas du pouvoir du juge des référés, ce qui commande de rejeter aussi la demande sur ce fondement.
Sur les autres demandes
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la SASU TEREVA les sommes, non comprises dans les dépens, exposées par elle dans le cadre de la présente procédure. La SAS LES PORTES D’ARCINS sera condamnée, outre les entiers dépens, à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et sera déboutée de ses demandes sur ces fondements.
III – DÉCISION
Le Juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, statuant par décision contradictoire, prononcée publiquement par mise à disposition au greffe, et à charge d’appel ;
Dit n’y avoir lieu à référé
Déboute la SAS LES PORTES D’ARCINS de toutes ses demandes
Condamne la SAS LES PORTES D’ARCINS à payer à la SASU TEREVA la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS LES PORTES D’ARCINS aux entiers dépens.
La présente décision a été signée par Elisabeth FABRY, Première Vice-Présidente, et par Karine PAPPAKOSTAS, Greffière.
Le Greffier, Le Président,
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