Effacement partiel des dettes fiscales : enjeux et limites

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Effacement partiel des dettes fiscales : enjeux et limites

L’Essentiel : L’affaire concerne un directeur général des finances publiques et un comptable public, qui ont interjeté appel d’un jugement rendu par un juge des contentieux de la protection. Ce jugement a prononcé une mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire en faveur de débiteurs. La dette d’impôt s’élève à 188 027 euros, incluant des impôts sur le revenu et des majorations. L’administration fiscale conteste l’effacement partiel des créances, arguant que certaines dettes fiscales ne peuvent être effacées sans accord du créancier. La cour d’appel a limité la majoration non rémissible, mais n’a pas répondu aux arguments de l’administration.

Contexte de l’affaire

L’affaire concerne un directeur général des finances publiques et un comptable public du pôle de recouvrement spécialisé de l’Isère, qui ont interjeté appel d’un jugement rendu par un juge des contentieux de la protection. Ce jugement, daté du 11 avril 2022, a prononcé une mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire en faveur d’un couple, désigné ici comme des débiteurs. La dette d’impôt concernée s’élève à 188 027 euros, incluant des impôts sur le revenu pour les années 2013, 2015 et 2016, ainsi que des majorations et des rappels de TVA.

Arguments de l’administration fiscale

L’administration fiscale conteste l’effacement partiel des créances, en se basant sur l’article L. 711-4 de la loi n° 2021-1900, qui stipule que certaines dettes fiscales, notamment celles ayant fait l’objet de majorations non rémissibles, ne peuvent être effacées sans l’accord du créancier. Elle soutient que toutes les impositions des débiteurs, y compris les droits et majorations, ne sont pas rémissibles et que la cour d’appel a violé les dispositions légales en ne tenant pas compte de ces arguments.

Réponse de la Cour d’appel

La cour d’appel a motivé sa décision en se fondant sur la loi n° 2021-1900, considérant que les articles pertinents étaient applicables au litige. Elle a limité le montant de la majoration non rémissible à 31 640 euros, en précisant que cette somme était liée à une opposition à contrôle fiscal. La cour a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’effacer cette créance dans le cadre du rétablissement personnel, mais elle n’a pas répondu aux conclusions de l’administration fiscale concernant l’ensemble des impositions des débiteurs.

Conclusion sur la décision de la Cour

En ne répondant pas aux arguments de l’administration fiscale, la cour d’appel a manqué à ses obligations de motivation, ce qui constitue un défaut de motifs selon l’article 455 du code de procédure civile. Cette omission soulève des questions sur la conformité de la décision avec les exigences légales en matière de traitement des dettes fiscales dans le cadre d’une procédure de rétablissement personnel.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les implications de l’article L. 711-4 du code de la consommation sur les dettes fiscales dans le cadre d’un rétablissement personnel ?

L’article L. 711-4 du code de la consommation, issu de la loi n° 2021-1900 du 31 décembre 2021, stipule que :

« Sauf accord du créancier, sont exclues de toute remise, de tout rééchelonnement ou effacement, les dettes fiscales dont les droits dus ont été sanctionnés par les majorations non rémissibles mentionnées au II de l’article 1756 du code général des impôts. »

Ainsi, cet article précise que les dettes fiscales, en particulier celles qui ont été majorées, ne peuvent pas bénéficier d’un effacement dans le cadre d’une procédure de rétablissement personnel.

Cela signifie que, même si un débiteur est en situation de surendettement, les créances fiscales, surtout celles ayant fait l’objet de majorations, restent dues et ne peuvent pas être annulées sans l’accord explicite du créancier.

En conséquence, dans le cas des époux [C], la cour d’appel a dû prendre en compte ces dispositions pour déterminer la non-rémissibilité des impositions et des majorations afférentes.

Comment l’article 455 du code de procédure civile s’applique-t-il à la motivation des jugements ?

L’article 455 du code de procédure civile stipule que :

« Tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs. »

Cela signifie que les juges doivent justifier leur décision en répondant aux arguments présentés par les parties. Dans le cas présent, l’administration fiscale a soulevé des points concernant l’application de la loi n° 2021-1900 et la non-rémissibilité des impositions.

La cour d’appel, en ne répondant pas aux conclusions de l’administration fiscale, a ainsi manqué à son obligation de motivation.

Ce défaut de réponse constitue une violation de l’article 455, car il empêche une compréhension claire des raisons qui ont conduit à la décision rendue.

Il est donc essentiel que les jugements soient non seulement motivés, mais qu’ils répondent également aux arguments des parties pour garantir la transparence et l’équité du processus judiciaire.

Quelles sont les conséquences de la non-application des articles 1756 du code général des impôts et L. 711-4 du code de la consommation dans cette affaire ?

L’article 1756 du code général des impôts précise que :

« Les majorations non rémissibles sont celles qui sont appliquées en cas de manquement aux obligations fiscales, notamment en cas d’opposition à contrôle fiscal. »

Dans cette affaire, la cour d’appel a reconnu que les majorations appliquées aux époux [C] étaient non rémissibles en vertu de cet article.

De plus, l’article L. 711-4 du code de la consommation, comme mentionné précédemment, exclut les dettes fiscales de l’effacement en cas de majorations.

La non-application de ces articles par la cour d’appel aurait pour conséquence directe que les époux [C] pourraient bénéficier d’un effacement de leurs dettes fiscales, ce qui est contraire à la législation en vigueur.

Ainsi, la cour d’appel a été contrainte de respecter ces dispositions pour éviter une décision qui violerait les droits de l’administration fiscale et compromettrait l’intégrité du système de recouvrement des créances fiscales.

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 6 février 2025

Cassation partielle

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 133 F-D

Pourvoi n° P 22-24.319

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 FÉVRIER 2025

1°/ le comptable, chef du pôle de recouvrement spécialisé de l’Isère, domicilié [Adresse 10], [Localité 11], agissant sous l’autorité du directeur départemental des finances publiques de l’Isère et du directeur général des finances publiques,

2°/ le directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 4], [Localité 25],

ont formé le pourvoi n° P 22-24.319 contre l’arrêt rendu le 8 novembre 2022 par la cour d’appel de Grenoble (2e chambre civile – surendettement), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [D] [C],

2°/ à Mme [X] [O], épouse [C],

tous deux domiciliés [Adresse 9], [Localité 12],

3°/ à la société [44], société anonyme, dont le siège est [Adresse 8], [Localité 14], et chez [41], [Adresse 3], [Localité 28], ayant un établissement pôle surendettement, [Adresse 29], [Localité 22], venant aux droits de la société [40], elle-même venant aux droits de la société [42],

4°/ à la caisse régionale de [35] Centre Est, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 21],

5°/ à la société [32], société anonyme, dont le siège est [Adresse 45], [Localité 16], et dont un établissement est chez [47], [Adresse 36], [Localité 17],

6°/ au trésorier en charge de la trésorerie de [Localité 39] amendes et produits divers, domicilié [Adresse 30], [Localité 39],

7°/ à la société [31] Personal Finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 24], et dont un établissement est chez [43], service surendettement, [Adresse 5], [Localité 27],

8°/ à la société [38], société par actions simplifiée, à l’enseigne École française de comptabilité – Paris formation, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 20],

9°/ à l’ordre des experts-comptables Auverge Rhône Alpes, dont le siège est [Adresse 13], [Localité 19],

10°/ à la société [33], dont le siège est chez [34], [Adresse 18], [Localité 15],

11°/ à la [46], société anonyme, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 26], et dont un établissement est chez [37], [Adresse 23], [Localité 26],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Chevet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques et du comptable, chef du pôle de recouvrement spécialisé de l’Isère, agissant sous l’autorité du directeur départemental des finances publiques de l’Isère et du directeur général des finances publiques, et l’avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l’audience publique du 18 décembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Chevet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 8 novembre 2022), le directeur général des finances publiques et le comptable public du pôle de recouvrement spécialisé de l’Isère (l’administration fiscale) ont relevé appel d’un jugement du 11 avril 2022 d’un juge des contentieux de la protection prononçant une mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire au profit de M. et Mme [C], disant que la dette d’impôt incluse dans la procédure de rétablissement personnel est de 188 027 euros correspondant aux impôts sur le revenu 2013, 2015 et 2016 et rappelant que ne sont pas effacées les majorations de 6 759 euros et de 6 602 euros afférentes aux impôts sur le revenu de 2015 et 2016 et la somme de 59 934,68 euros au titre du solde restant dû des rappels de TVA de 2012 et 2013.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. L’administration fiscale fait grief à l’arrêt de prononcer l’effacement partiel des créances du pôle de recouvrement spécialisé de l’Isère, alors « que l’article L. 711-4 issu de la loi n° 2021-1900 du 31 décembre 2021, entré en vigueur le 1er janvier 2022, est applicable aux créances mises en recouvrement à compter de cette date, ainsi qu’aux créances mises en recouvrement antérieurement et restant dues à cette date ; que cet article énonce notamment que, sauf accord du créancier, sont exclues de toute remise, de tout rééchelonnement ou effacement, les dettes fiscales dont les droits dus ont été sanctionnés par les majorations non rémissibles mentionnées au II de l’article 1756 du code général des impôts ; que le comptable public sollicitait l’application des dispositions claires de l’article L. 711-4 4° du code de la consommation, dans sa nouvelle rédaction en vigueur depuis le 1er janvier 2022 ; qu’ainsi, l’ensemble des impositions mises à la charge des époux [C], droits et majorations afférentes ne sont pas rémissibles ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel n’a pas répondu aux conclusions du comptable des finances publiques et partant a violé l’article 455 du code de procédure civile, ensemble l’article L. 711-4 4° du code de la consommation et l’article 1756 du code général des impôts pour défaut d’application. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 455 du code de procédure civile :

3. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

4. Pour limiter à la somme de 31 640 euros le montant de la majoration non rémissible, l’arrêt relève que la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 est une loi de procédure d’application immédiate et que les articles 1756 du code général des impôts et L. 711-4 du code de la consommation sont applicables au litige dont elle est saisie dans leur rédaction issue de ladite loi qui est entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Il retient que M. [C] a fait l’objet de plusieurs rappels d’impôts dus au titre des revenus de l’année 2013 qui ont été assortis d’une majoration de 100 % pour opposition à contrôle fiscal d’un montant de 31 640 euros, incluse dans la procédure de surendettement de M. [C] et son épouse, que les textes précités s’opposent à l’effacement de la majoration de 100 % pour opposition à contrôle fiscal et qu’il n’y a donc pas lieu à effacement de cette créance dans le cadre du rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.

5. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l’administration fiscale qui soutenait qu’en application de la loi nouvelle n° 2021-1900 du 30 décembre 2021, c’est l’ensemble des impositions de M. et Mme [C] portant sur les droits et les pénalités qui n’était pas rémissible, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.


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