Prise d’acte et harcèlement moral : enjeux de la charge de la preuve

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Prise d’acte et harcèlement moral : enjeux de la charge de la preuve

L’Essentiel : La salariée, en qualité d’ambulancière, a été engagée par l’employeur à partir du 11 janvier 2010. Après plusieurs arrêts de travail pour maladie, elle a pris acte de la rupture de son contrat le 16 mars 2018, invoquant un harcèlement moral. La salariée a saisi la juridiction prud’homale, soutenant que la rupture produisait les effets d’un licenciement nul. La cour d’appel a jugé que la prise d’acte produisait les effets d’une démission, estimant que la salariée n’avait pas démontré l’existence d’un harcèlement moral, ni prouvé des actes de discrimination de la part de l’employeur.

Engagement et Arrêts de Travail

La salariée, en qualité d’ambulancière, a été engagée par l’employeur à partir du 11 janvier 2010. Elle a ensuite été en arrêt de travail pour maladie à deux reprises, du 16 décembre 2017 au 14 janvier 2018, puis du 27 février au 18 mars 2018.

Rupture du Contrat de Travail

Le 16 mars 2018, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail. Le 25 mai 2018, elle a saisi la juridiction prud’homale, invoquant un harcèlement moral et soutenant que la rupture produisait les effets d’un licenciement nul. La société Eurl Ambulances Taxis, ayant succédé à l’employeur, a été impliquée dans la procédure.

Arguments de la Salariée

La salariée a contesté la décision de la cour d’appel qui a jugé que la prise d’acte de rupture produisait les effets d’une démission. Elle a fait valoir que la cour n’avait pas pris en compte les éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, notamment le fait que l’employeur ne lui adressait plus la parole et qu’elle avait subi des discriminations.

Réponse de la Cour

La cour a rappelé que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur. Elle a souligné que le juge doit examiner l’ensemble des éléments présentés par la salariée pour déterminer l’existence d’un harcèlement moral. En l’espèce, la cour a estimé que la salariée n’avait pas démontré que les agissements de l’employeur étaient constitutifs d’un harcèlement.

Décision de la Cour d’Appel

La cour d’appel a débouté la salariée de ses demandes, considérant qu’il n’était pas établi que l’employeur avait agi avec une volonté délibérée de nuire. Elle a également noté que la salariée n’avait pas prouvé qu’elle avait été exclue de réunions ou qu’elle avait subi une discrimination. En ne tenant pas compte de l’ensemble des éléments présentés par la salariée, la cour a été jugée en violation des textes relatifs au harcèlement moral.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de reconnaissance du harcèlement moral selon le Code du travail ?

Le harcèlement moral est défini par l’article L. 1152-1 du Code du travail, qui stipule que :

« Aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement moral, qu’ils soient commis par l’employeur ou par des collègues. »

Cet article précise que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur.

De plus, l’article L. 1154-1 du même code indique que :

« Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits. »

Ainsi, le juge doit apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Si tel est le cas, il revient à l’employeur de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Comment le juge doit-il apprécier les éléments présentés par le salarié dans le cadre d’un litige pour harcèlement moral ?

Le juge doit examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, comme le stipule l’article L. 1154-1 du Code du travail.

Ce dernier précise que :

« Le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement. »

Il est donc essentiel que le juge prenne en compte tous les éléments, y compris les témoignages et les documents médicaux, pour déterminer si les faits allégués par le salarié laissent supposer un harcèlement moral.

Dans l’affaire examinée, la cour d’appel a été critiquée pour ne pas avoir pris en compte l’ensemble des éléments présentés par la salariée, notamment le fait qu’elle n’avait été affectée qu’à des demi-journées de travail après son retour de congé maladie.

Quelles conséquences peut avoir une prise d’acte de la rupture du contrat de travail en cas de harcèlement moral ?

La prise d’acte de la rupture du contrat de travail peut produire les effets d’un licenciement nul si elle est justifiée par des faits de harcèlement moral.

L’article L. 1231-1 du Code du travail précise que :

« La rupture du contrat de travail à durée indéterminée peut être prononcée par l’une ou l’autre des parties, sous réserve de respecter les dispositions légales. »

Dans le cas où le salarié prouve l’existence de harcèlement moral, la rupture peut être considérée comme sans cause réelle et sérieuse, entraînant des conséquences pour l’employeur, notamment le versement d’indemnités.

Dans l’affaire en question, la cour d’appel a jugé que la prise d’acte produisait les effets d’une démission, ce qui a été contesté par la salariée, qui soutenait que les circonstances justifiaient une requalification de la rupture en licenciement nul.

Quels sont les droits du salarié en cas de harcèlement moral au travail ?

En cas de harcèlement moral, le salarié dispose de plusieurs droits, notamment celui de saisir le tribunal compétent pour faire valoir ses droits.

L’article L. 1154-1 du Code du travail stipule que :

« Le salarié qui se plaint de harcèlement moral peut saisir le juge pour faire constater l’existence de ce harcèlement. »

De plus, le salarié peut demander des dommages-intérêts pour le préjudice subi, ainsi que la requalification de la rupture de son contrat de travail si celle-ci est liée à des faits de harcèlement.

Il est également important de noter que l’employeur a l’obligation de protéger ses salariés contre le harcèlement moral, comme le précise l’article L. 1152-4 du Code du travail, qui impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement.

Dans l’affaire examinée, la salariée a invoqué des faits de harcèlement moral, mais la cour d’appel a jugé que ces faits n’étaient pas suffisamment établis pour justifier la prise d’acte de la rupture.

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 5 février 2025

Cassation

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 128 F-D

Pourvoi n° G 23-22.570

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025

Mme [X] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 23-22.570 contre l’arrêt rendu le 20 septembre 2023 par la cour d’appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Eurl Ambulances Taxis [L], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Ambulances [E] [L], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [B], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Eurl Ambulances Taxis [L], après débats en l’audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 20 septembre 2023), Mme [B] a été engagée en qualité d’ambulancière par M. [L] à compter du 11 janvier 2010.

2. Elle a été en arrêt de travail pour maladie du 16 décembre 2017 au 14 janvier 2018 puis du 27 février au 18 mars 2018.

3. Le 16 mars 2018, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

4. Le 25 mai 2018, invoquant l’existence d’un harcèlement moral et soutenant que la rupture produisait les effets d’un licenciement nul, la salariée a saisi la juridiction prud’homale.

5. La société Eurl Ambulances Taxis [L] est venue aux droits de M. [L].

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l’arrêt de juger que la prise d’acte produit les effets d’une démission, de la débouter de ses demandes et de la condamner à verser à l’employeur une somme à titre d’indemnité compensatrice de préavis, alors :

« 2°/ que lorsque survient un litige en matière de harcèlement moral, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, l’employeur ayant alors la charge d’établir que les agissements dénoncés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu’en relevant, pour juger que la rupture du contrat de travail de Mme [X] [B] s’analysait en une démission, qu’elle n’établissait pas que son employeur ne lui adressait plus la parole, qu’elle n’aurait pas été conviée à certaines réunions, qu’elle aurait subi une discrimination lors du versement d’une prime ou qu’elle aurait été dénigrée par son employeur, qu’il n’était pas établi que l’avoir faussement déclaré comme conductrice d’un véhicule en infraction relevait d’une volonté délibérée et que le seul fait d’avoir signé pour elle un constat d’accident sans l’avoir prévenue  »hors de toute intention malveillante » constituerait un manquement suffisant pour justifier la prise d’acte, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, pris dans leur ensemble, les faits présentés par la salariée ne laissaient pas supposer l’existence d’un harcèlement moral, de nature à justifier sa prise d’acte et si l’employeur justifiait ces faits par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement, la cour d’appel a privé sa décision se base légale au regard de l’article L. 1154-1 du code du travail ;

3°/ que, le juge doit examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement ; qu’en se bornant à retenir, pour rejeter ses prétentions, que Mme [X] [B] n’établissait pas que son employeur ne lui adressait plus la parole, qu’elle n’aurait pas été conviée à certaines réunions, qu’elle aurait subi une discrimination lors du versement d’une prime ou qu’elle aurait été dénigrée par son employeur, qu’il n’était pas établi que l’avoir faussement déclaré comme conductrice d’un véhicule en infraction relevait d’une volonté délibérée et que le seul fait d’avoir signé pour elle un constat d’accident sans l’avoir prévenue  »hors de toute intention malveillante » constituerait un manquement suffisant pour justifier la prise d’acte, sans examiner le fait, dénoncé par l’exposante, que l’employeur ne l’ait plus fait travailler que des demi-journées à compter de son retour de congé-maladie, en la prévenant au jour le jour de ses horaires, la cour d’appel, qui n’a pas pris en compte l’ensemble des faits présentés par la salariée, a violé l’article L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :

7. Il résulte du premier de ces textes que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur.

8. Il résulte du second de ces textes que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

9. Pour débouter la salariée de ses demandes au titre d’un harcèlement moral et de la rupture du contrat de travail, l’arrêt retient qu’il n’est pas établi que le fait pour l’employeur d’avoir faussement déclaré la salariée comme étant la conductrice d’un véhicule ayant contrevenu à la loi ait procédé d’une volonté délibérée de sa part plutôt que d’une simple interversion dans l’identité de deux conducteurs, que la salariée ne démontrait ni que son employeur ne lui aurait « plus adressé la parole », ni avoir été exclue d’une réunion au mois de décembre 2017, que la prime de fin d’année versée à quatre salariés sur huit de l’entreprise, en l’absence de toute obligation, avait le caractère de libéralité et qu’il n’était pas présenté d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination, qu’il n’était produit aucun élément susceptible de laisser supposer que la dégradation de l’état de santé de la salariée trouverait son origine dans le comportement de l’employeur et qu’à lui seul, le fait pour l’employeur d’avoir signé à la place de la salariée sans l’avoir prévenue, par facilité et hors de toute intention malveillante, un constat amiable d’accident automobile ne caractérisait pas un manquement suffisant de l’employeur à ses obligations pour que la rupture produise les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

10. En statuant ainsi, alors que la salariée invoquait, au titre des éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, notamment le fait que l’employeur ne l’ait plus fait travailler que des demi-journées à compter de son retour de congé pour maladie, en la prévenant au jour le jour de ses horaires, la cour d’appel, qui, d’une part, n’a pas examiné tous les éléments présentés par la salariée, d’autre part, n’a pas apprécié si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, si l’employeur justifiait ses agissements par des éléments étrangers à tout harcèlement, a violé les textes susvisés.


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