Tribunal judiciaire de Nantes, 31 janvier 2025, RG n° 23/00486
Tribunal judiciaire de Nantes, 31 janvier 2025, RG n° 23/00486

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Nantes

Thématique : Reconnaissance de la maladie professionnelle et contestation de la prise en charge

Résumé

Contexte de la demande

Monsieur [D] [I], employé par la S.N.C. [5], a déposé le 4 mars 2016 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour des douleurs aux épaules, accompagnée d’un certificat médical du Docteur [N] daté du 16 février 2016. La CPAM de Seine-Maritime a accepté la prise en charge de cette pathologie le 1er août 2016, en se basant sur le tableau n°57 des maladies professionnelles.

Contestation de la décision

La société [5] a contesté cette décision en saisissant la commission de recours amiable le 30 septembre 2016, qui a rejeté son recours le 27 février 2017. Par la suite, la société a porté l’affaire devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Seine-Maritime, qui a déclaré son incompétence et a transféré le dossier au tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes.

Transfert de compétence

Suite à la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, le contentieux a été transféré au tribunal judiciaire de Nantes, qui a reçu le dossier le 13 avril 2023. Les parties ont été convoquées à une audience le 4 décembre 2024.

Demandes de la S.N.C. [5]

La S.N.C. [5] a demandé au tribunal de déclarer la décision de la CPAM inopposable, de juger inopposables les arrêts de travail et soins liés à la pathologie, et de solliciter une expertise médicale judiciaire. Elle a également demandé des frais et honoraires à la CPAM, ainsi que le déboutement de la partie adverse.

Arguments de la S.N.C. [5]

La société a soutenu que la CPAM n’avait pas respecté ses obligations d’information, n’avait pas fourni tous les arrêts de travail, et n’avait pas justifié la concordance entre la pathologie déclarée et celle du tableau des maladies professionnelles. Elle a également contesté la date de première constatation médicale et a demandé une expertise si le tribunal manquait d’informations.

Réponse de la CPAM

La CPAM a demandé le rejet des demandes de la S.N.C. [5], affirmant que la décision de prise en charge était opposable et que tous les documents nécessaires avaient été fournis. Elle a précisé que la pathologie déclarée correspondait bien à celle du tableau n°57 et que la date de première constatation médicale avait été correctement établie.

Décision du tribunal

Le tribunal a jugé que la décision de prise en charge de la CPAM était opposable à la S.N.C. [5] et que toutes les conditions pour la prise en charge au titre du tableau n°57 étaient réunies. Il a également rejeté les demandes de la société, la condamnant aux dépens et à verser une somme à la CPAM pour les frais engagés.

Conclusion

La S.N.C. [5] a été déboutée de toutes ses demandes, et la décision de la CPAM a été confirmée, établissant ainsi la reconnaissance de la maladie professionnelle de Monsieur [I] et la prise en charge des soins et arrêts de travail associés.

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTES
POLE SOCIAL

Jugement du 31 Janvier 2025

N° RG 23/00486 – N° Portalis DBYS-W-B7H-MKIY
Code affaire : 89E

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Présidente : Frédérique PITEUX
Assesseur : Franck MEYER
Assesseur : Jérome GAUTIER
Greffière : Julie SOHIER

DEBATS

Le tribunal judiciaire de Nantes, pôle social, réuni en audience publique au palais de justice à Nantes le 04 Décembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé par Frédérique PITEUX, par mise à disposition au Greffe le 31 Janvier 2025.

Demanderesse :

S.N.C [5]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Maître Antony VANHAECKE, avocat au barreau de LYON, substitué lors de l’audience par Maître Audrey MOYSAN, avocate au barreau de NANTES

Défenderesse :

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] – SEINE-MARITIME
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Madame [R] [Z], audiencière munie à cet effet d’un pouvoir spécial

La Présidente et les assesseurs, après avoir entendu le QUATRE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE les parties présentes, en leurs observations, les ont avisées, de la date à laquelle le jugement serait prononcé, ont délibéré conformément à la loi et ont statué le TRENTE ET UN JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ, dans les termes suivants :

EXPOSÉ DU LITIGE ET DES DEMANDES

Monsieur [D] [I], employé comme poseur de canalisations par la S.N.C. [5], a établi le 4 mars 2016 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour « scapulalgies bilatérales, syndrome sous acromial, tendinopathie coiffe » et a fourni à l’appui, un certificat médical initial du Docteur [N] en date du 16 février 2016.

Après instruction, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Seine-Maritime a notifié à la société [5] le 1er août 2016 sa décision de prendre en charge la pathologie déclarée au titre du tableau n°57.

La société [5] a saisi le 30 septembre 2016 la commission de recours amiable aux fins de contester cette décision.

Le 27 février 2017, la CPAM de Seine-Maritime a notifié à la société [5] la décision de la CRA prise en sa séance du 23 février 2017, qui a rejeté son recours.

Le 25 avril 2017, la société [5] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Seine-Maritime aux fins de contester la décision de prise en charge de la pathologie de monsieur [I].

Par jugement du 13 février 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Seine Maritime s’est déclaré incompétent et a renvoyé l’affaire devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes, la société [5] étant domiciliée à [Localité 1].

En application de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, le contentieux relevant initialement du tribunal des affaires de sécurité sociale a été transféré au tribunal de grande instance de Nantes devenu, le 1er janvier 2020, le tribunal judiciaire, spécialement désigné aux termes de l’article L.211-16 du code de l’organisation judiciaire.

Le dossier a été réceptionné par le tribunal judiciaire de Nantes le 13 avril 2023.

Les parties ont été convoquées à l’audience qui s’est tenue le 4 décembre 2024 devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes.

Aux termes de ses dernières conclusions développées oralement à l’audience, la S.N.C. [5] demande au tribunal de :
A titre principal,
– Juger la décision du 1er août 2016 de la CPAM de Seine6Maritime, de prise en charge au titre des risques professionnels, de la pathologie déclarée par monsieur [I], inopposable à la société [5] ;
A titre subsidiaire,
– Juger inopposables à l’égard de la société [5] les arrêts de travail et soins pris en charge au titre de la législation professionnelle, en lien direct avec la pathologie du 16 février 2016 déclarée par monsieur [I] ;
A titre infiniment subsidiaire,
– Ordonner une mesure d’expertise médicale judiciaire ;
– Condamner la CPAM de Seine-Maritime à faire l’avance des frais et honoraires engagés ;
En toute hypothèse,
– Débouter la partie adverse de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner la CPAM à payer à la société [5] la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle soutient tout d’abord que la caisse a commis des manquements dans le cadre de son instruction : la consultation opérée n’a pas permis à la société [5] de prendre pleinement connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief puisqu’elle n’a pas eu la possibilité d’en prendre photocopie.
De plus, la caisse n’a pas transmis l’intégralité des arrêts de travail de prolongation puisque ceux prescrits à compter du 30 mars 2016 n’ont pas été offerts à la consultation.
Dès lors que la caisse n’a pas respecté son obligation d’information loyale et le principe du contradictoire, la décision de prise en charge du 1er août 2016 doit lui être déclarée inopposable.

Par ailleurs, la caisse a fait une utilisation dévoyée du délai complémentaire d’instruction puisqu’après avoir informé la société [5] le 4 juillet 2016 qu’elle recourait à un délai complémentaire d’instruction, elle a, dès le 11 juillet 2016, informé qu’elle clôturait l’instruction, sans qu’aucune mesure complémentaire n’ait manifestement été accomplie.

La société [5] reproche également à la caisse de ne pas justifier de la concordance entre la pathologie visée dans le tableau des maladies professionnelles et celle déclarée, en l’absence de production du colloque médico-administratif. Il n’est pas non plus justifié qu’une IRM a été réalisée qui confirmerait le diagnostic.
La maladie déclarée aurait donc dû faire l’objet d’une instruction hors tableau.

Elle affirme qu’elle n’est pas en mesure de vérifier le bien-fondé de la date de première constatation médicale de la maladie, étant observé que différentes dates apparaissent sur les documents versés au débat.
La caisse ne démontre donc pas que la condition relative au délai de prise en charge est vérifiée.

La société [5] indique enfin qu’à défaut pour la caisse de produire l’intégralité des certificats d’arrêts de travail dont monsieur [I] a bénéficié, notamment ceux couvrant la période du 30 mars au 14 avril 2016, il n’est pas démontré que les arrêts de travail, à compter de cette date, soient imputables à la maladie professionnelle, d’autant que monsieur [I] a alternativement fourni des arrêts de travail au titre du régime général et au titre des risques professionnels.

Si le tribunal s’estimait insuffisamment informé sur ce point, la société [5] sollicite la mise en œuvre d’une mesure d’expertise.

Par conclusions transmises le 14 octobre 2024, la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] – Seine-Maritime demande au tribunal de :
– Rejeter comme mal fondé le recours formé par la société [5] en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Dire opposable à la société [5] la décision du 1er août 2016, de prise en charge de la maladie déclarée par monsieur [I] au titre de la législation professionnelle ;
– Condamner la société [5] aux entiers dépens ;
– Condamner la société [5] à verser à la CPAM de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle rappelle qu’elle a instruit deux dossiers, mais que le sinistre objet du présent litige est celui n°160216768 pour une tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs droite, objectivée par IRM.

Elle précise que l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale ne fait peser sur la caisse qu’une obligation d’information par la consultation du dossier et en aucun cas l’obligation de remettre copie des pièces consultées.
En l’espèce, monsieur [X], salarié de la société [5], est venu consulter le dossier le 28 juillet 2016 et a déclaré avoir pu consulter l’intégralité des pièces consultables.

Elle estime par ailleurs avoir mis à disposition un dossier complet au sens de l’article R. 441-13 du code de la sécurité sociale, qui n’a pas à comprendre les avis de prolongation d’arrêts de travail, lesquels ne sont pas contributifs à la décision de la caisse.

Elle soutient que l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect des délais d’instruction, et notamment pas l’inopposabilité de la décision de prise en charge à l’égard de l’employeur.

De plus, il importe peu que le certificat médical initial et la déclaration de maladie professionnelle aient fait mention de la pathologie dans les termes exacts du tableau puisque le service médical de la caisse a la charge de vérifier si la pathologie déclarée correspond à l’une des pathologies visées dans les tableaux de maladies professionnelles.
En l’espèce, le médecin conseil a confirmé que l’affection présentée par monsieur [I] correspondait à la maladie professionnelle du tableau n°57, ce qui figurait sur le colloque médico-administratif présent au dossier que l’employeur a consulté le 28 juillet 2016.
Ce document fait par ailleurs état d’une IRM du 12 avril 2016, ainsi que de radiographies et d’une échographie du 19 janvier 2016.

La caisse n’a pas à communiquer les éléments ayant permis d’établir la date de première constatation médicale de la maladie.

Sur le délai de prise en charge, la caisse fait valoir que le médecin conseil a fixé la date de la première constatation médicale au 19 janvier 2016, date à laquelle l’assuré a effectué des radiographies et une échographie.
Cette date figure sur le colloque médico-administratif dont la société [5] a eu connaissance, de sorte que la condition relative au délai de prise en charge de 6 mois prévue par le tableau est respectée.
Toutes les conditions mentionnées au tableau n°57A étant réunies, monsieur [I] doit bénéficier de la présomption d’imputabilité édictée par l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, sauf à démontrer que la maladie est due à une cause totalement étrangère, ce que ne fait pas l’employeur.
Il n’y avait donc aucune raison de poursuivre l’instruction du dossier en saisissant le CRRMP.

Concernant l’imputabilité de l’ensemble des soins et arrêts de travail prescrits, la caisse produit l’ensemble des documents relatifs à la maladie litigieuse et affirme que tous les arrêts et soins prescrits jusqu’au 17 avril 2018, date de consolidation de l’état de santé de monsieur [I], l’ont été au titre de la maladie professionnelle déclarée et que les lésions constatées sur l’ensemble des certificats de prolongation correspondent aux lésions constatées sur le certificat médical initial.
A ce titre, elle rappelle que l’établissement d’une continuité de symptômes et de soins n’est pas un préalable obligatoire pour pouvoir faire bénéficier de la présomption d’imputabilité à la maladie professionnelle les soins et arrêts de travail litigieux.
Pour renverser cette présomption d’imputabilité, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve que les lésions ayant donné lieu aux prescriptions d’arrêts de travail sont dues à une cause totalement étrangère au travail.
Or, la société [5] n’apporte aucun élément de preuve médical et objectif qui permettrait de justifier de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, ni d’un état pathologique préexistant et évoluant pour son propre compte.
Elle s’oppose à la demande d’expertise et rappelle qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve.

La décision a été mise en délibéré au 31 janvier 2025.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par décision contradictoire, rendue publiquement, par mise à disposition au greffe et en premier ressort,

DÉBOUTE la S.N.C. [5] de l’ensemble de ses demandes ;

DÉCLARE opposables à la S.N.C. [5] la décision de prise en charge de la caisse d’assurance maladie de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] – Seine-Maritime en date du 1er août 2016, de la maladie professionnelle présentée par monsieur [D] [I] le 19 janvier 2016, ainsi que l’ensemble des soins et arrêts de travail prescrits jusqu’à la consolidation le 17 avril 2018 ;

CONDAMNE la S.N.C. [5] aux dépens ;

DÉBOUTE la S.N.C. [5] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la S.N.C. [5] à payer à la caisse d’assurance maladie de [Localité 7] [Localité 6] [Localité 4] – Seine-Maritime la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que conformément aux dispositions des articles 34 et 538 du code de procédure civile et R. 211-3 du code de l’organisation judiciaire, les parties disposent d’un délai d’UN MOIS à compter de la notification de la présente décision pour en INTERJETER APPEL ;

AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ par mise à disposition du jugement au greffe du tribunal le 31 janvier 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, la minute étant signée par Frédérique PITEUX, Présidente, et par Julie SOHIER, Greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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