L’Essentiel : La Cour de cassation a reçu, le 21 novembre 2024, une demande d’avis du président du tribunal judiciaire de Paris concernant une instance entre les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de deux établissements et un syndicat contre une entreprise. Cette demande vise à clarifier si le juge judiciaire peut statuer sur un danger grave et imminent en cas de désaccord entre l’employeur et la majorité des membres du CHSCT. La Cour précise que le juge judiciaire ne peut être saisi que par l’inspecteur du travail pour statuer sur l’existence d’un danger grave et imminent.
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Demande d’avis à la Cour de cassationLa Cour de cassation a reçu, le 21 novembre 2024, une demande d’avis du président du tribunal judiciaire de Paris, concernant une instance entre les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de deux établissements et le syndicat Sud activités postales Hauts-de-Seine contre la société La Poste. Cette demande vise à clarifier si le juge judiciaire peut statuer sur un danger grave et imminent en cas de désaccord entre l’employeur et la majorité des membres du CHSCT. Formulation de la demandeLa demande précise que l’article L. 4132-4 du code du travail, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386, doit être interprété pour déterminer le pouvoir du juge judiciaire dans les situations de divergence sur la réalité d’un danger grave et imminent. La société La Poste a également déposé des observations écrites à ce sujet. Cadre juridique applicableLes articles L. 4131-2 et L. 4132-2 à L. 4132-4 du code du travail restent applicables à La Poste. Ces articles définissent les procédures à suivre lorsqu’un représentant du personnel signale un danger grave et imminent, y compris l’obligation pour l’employeur de mener une enquête et de prendre des mesures correctives. Procédure en cas de divergenceEn cas de désaccord sur la réalité du danger, le CHSCT doit se réunir d’urgence, et l’employeur doit informer l’inspecteur du travail. Si aucun accord n’est trouvé, l’inspecteur du travail doit être saisi pour mettre en œuvre des procédures de mise en demeure ou de référé. Objet de la saisine du juge des référésLa Cour de cassation souligne que le juge des référés doit examiner l’objet des demandes qui lui sont soumises, en tenant compte du danger grave et imminent comme fondement juridique des demandes. La distinction entre les prescriptions biennale et triennale dépend de la nature des droits invoqués. Demandes spécifiques des CHSCT et du syndicatLes CHSCT et le syndicat ont demandé la désignation d’un bureau d’étude pour évaluer la capacité portante des dalles de plancher dans le cadre d’un projet de délocalisation. Ils ont également demandé la suspension de cette délocalisation jusqu’à ce que les conclusions de l’expertise soient disponibles. Expertise et prérogatives du CHSCTLe CHSCT a le droit de demander une expertise en cas de risque grave, mais cette demande ne peut pas être faite au juge judiciaire en référé. Les contestations relatives à l’expertise relèvent de la compétence du président du tribunal judiciaire. Suspension de la délocalisationLa demande de suspension de la délocalisation est considérée comme une demande de suspension d’un projet de réorganisation. Les articles L. 4732-1 et L. 4732-2 du code du travail permettent au juge judiciaire de prendre des mesures pour faire cesser un risque. Conditions de saisine du juge judiciaireLa Cour précise que le juge judiciaire ne peut être saisi en application de l’article L. 4132-4 que par l’inspecteur du travail. Si cette saisine a lieu, le juge peut alors se prononcer sur l’existence d’un danger grave et imminent. Conclusion de la Cour de cassationLa Cour de cassation conclut que le juge judiciaire a un rôle limité dans ce contexte et que la saisine doit être effectuée par l’inspecteur du travail pour que le juge puisse statuer sur la question du danger grave et imminent. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article L. 4132-4 du code du travail concernant le pouvoir du juge judiciaire ?L’article L. 4132-4 du code du travail stipule qu’à défaut d’accord entre l’employeur et la majorité du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution, l’inspecteur du travail est saisi immédiatement par l’employeur. L’inspecteur du travail met en œuvre soit l’une des procédures de mise en demeure prévues à l’article L. 4721-1, soit la procédure de référé prévue aux articles L. 4732-1 et L. 4732-2. Ainsi, le juge judiciaire ne peut être saisi, en application de cet article, que par l’inspecteur du travail. Si tel est le cas, le juge judiciaire peut se prononcer sur l’existence d’un danger grave et imminent. Quelles sont les obligations de l’employeur en cas de danger grave et imminent selon le code du travail ?Selon l’article L. 4131-2 du code du travail, le représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, doit alerter immédiatement l’employeur. Cette alerte doit se faire selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article L. 4132-2, qui précise que le représentant consigne son avis par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire. L’employeur est alors tenu de procéder immédiatement à une enquête avec le représentant qui a signalé le danger et de prendre les dispositions nécessaires pour y remédier. Comment se déroule la procédure en cas de divergence sur la réalité d’un danger ?L’article L. 4132-3 du code du travail prévoit qu’en cas de divergence sur la réalité du danger ou sur la façon de le faire cesser, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail doit se réunir d’urgence, dans un délai n’excédant pas vingt-quatre heures. L’employeur doit informer immédiatement l’inspecteur du travail, qui peut assister à la réunion. Cette procédure vise à garantir une réponse rapide et appropriée face à un danger grave et imminent. Quelle est la compétence du juge judiciaire en matière d’expertise demandée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ?L’article L. 4614-12, 1° du code du travail confère au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail la prérogative de décider d’une expertise pour risque grave constaté dans l’établissement. Cependant, le juge judiciaire statuant en référé n’est pas compétent pour ordonner une expertise sur le fondement de l’article L. 4132-4. Les contestations relatives à l’expertise relèvent de la compétence du président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond. Quelles sont les conditions pour qu’un juge judiciaire puisse ordonner la suspension d’une mesure ?Les articles L. 4732-1 et L. 4732-2 du code du travail prévoient que l’inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire statuant en référé pour ordonner toutes mesures propres à faire cesser un risque, y compris la suspension d’une activité. Cependant, le juge ne peut être saisi que par l’inspecteur du travail, conformément à l’article L. 4132-4. Si cette condition est remplie, le juge peut se prononcer sur l’existence d’un danger grave et imminent et ordonner la suspension de la mesure en question. |
n°U 24-70.010
Juridiction : le tribunal judiciaire de Paris
AJ1
Avis du 12 février 2025
n° 15003 B
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
COUR DE CASSATION
_________________________
Chambre sociale
Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile :
1. La Cour de cassation a reçu, le 21 novembre 2024, une demande d’avis formée le 12 novembre 2024 par le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile, dans une instance opposant les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des établissements de [Localité 1] et de [Localité 3] et le syndicat Sud activités postales Hauts-de-Seine à la société La Poste.
2. La demande est ainsi formulée :
« L’article L. 4132-4 du code du travail, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, donne-t-il pouvoir au juge judiciaire pour statuer en cas de divergence entre l’employeur et la majorité des membres du CHSCT sur la réalité d’un danger grave et imminent ? ».
La SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret a déposé des observations écrites pour la société La Poste ;
La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Ott, conseiller, et les conclusions de Mme Canas, avocat général, entendu en ses observations orales.
3. Les articles L. 4131-2 et L. 4132-2 à L. 4132-4 du code du travail sont demeurés applicables à La Poste.
4. Aux termes de l’article L. 4131-2 du code du travail, le représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, en alerte immédiatement l’employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article L. 4132-2.
5. Aux termes de l’article L. 4132-2 du code du travail, lorsque le représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail alerte l’employeur en application de l’article L. 4131-2, il consigne son avis par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire. L’employeur procède immédiatement à une enquête avec le représentant du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui lui a signalé le danger et prend les dispositions nécessaires pour y remédier.
6. Selon l’article L. 4132-3 du même code, en cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, notamment par arrêt du travail, de la machine ou de l’installation, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est réuni d’urgence, dans un délai n’excédant pas vingt-quatre heures. L’employeur informe immédiatement l’inspecteur du travail, désormais l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1, et l’agent du service de prévention de la caisse régionale d’assurance maladie, qui peuvent assister à la réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
7. L’article L. 4132-4 du code du travail dispose qu’à défaut d’accord entre l’employeur et la majorité du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution, l’inspecteur du travail est saisi immédiatement par l’employeur. L’inspecteur du travail met en oeuvre soit l’une des procédures de mise en demeure prévues à l’article L. 4721-1, soit la procédure de référé prévue aux articles L. 4732-1 et L. 4732-2.
8. Pour répondre à la demande d’avis, il convient de se reporter à l’objet des demandes dont est saisi le juge des référés du tribunal judiciaire dès lors que le danger grave et imminent, sur l’existence duquel il est invité par les parties à se prononcer, ne constitue, en vertu des dispositions précédemment citées, que le fondement juridique des différents chefs de demandes.
9. Ainsi la Cour de cassation juge par ailleurs que le critère principal de détermination du délai de prescription tient à l’objet de la demande dans la mesure où la distinction entre les prescriptions biennale et triennale repose sur le point de savoir si l’objet de la demande porte sur des droits acquis en contrepartie du travail ou s’ils ont une autre nature, la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 18-23.932, publié ; Soc., 30 juin 2021, pourvois n° 20-12.960, 20-12.962, publié ; Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 19-10.161, publié ; Soc., 23 juin 2021, pourvoi n° 18-24.810, publié ; Soc., 11 décembre 2024, pourvoi n° 23-10.439, publié ).
10. En l’espèce, le juge des référés du tribunal judiciaire a été saisi par les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des établissements de [Localité 1] et de [Localité 3] et le syndicat Sud activités postales Hauts-de-Seine, sur le fondement des articles L. 4121-1 et suivants, L. 4131-1 et suivants, L. 4132-4 du code du travail et des articles 834 et 835 du code de procédure civile, afin d’une part, de commettre un bureau d’étude spécialisé en structure de bâtiments, avec pour mission d’apprécier la capacité portante des dalles des planchers de locaux situés à [Localité 4], au regard du projet de délocalisation des sites du SOTI et de [Localité 2] sur le site d’accueil de [Localité 4], d’autre part, d’ordonner, sous astreinte, à la société La Poste de suspendre la délocalisation des agents relevant de ces deux sites sur celui de [Localité 4] dans l’attente des conclusions du bureau d’étude commis et du respect des éventuelles mesures qui découleraient de ses conclusions.
11. En premier lieu, s’agissant de la demande tendant à commettre un bureau d’étude spécialisé en structure de bâtiments, qui s’analyse en une demande d’expertise, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dispose de la prérogative légale de décider d’une expertise pour risque grave constaté dans l’établissement sur le fondement de l’article L. 4614-12,1°,du code du travail, demeuré applicable à La Poste. Les contestations par l’employeur de la nécessité de l’expertise, du choix de l’expert, du coût prévisionnel, de l’étendue ou la durée de l’expertise sont de la seule compétence du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond.
12. Il en résulte que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail n’est pas recevable à solliciter du juge judiciaire statuant en référé une mesure d’expertise sur le fondement de l’article L. 4132-4 du code du travail.
13. Il en résulte également qu’une organisation syndicale n’est pas recevable dans sa prétention tendant à exercer une prérogative propre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, quand bien même elle invoquerait au nom de l’intérêt collectif de la profession le fondement juridique de la procédure d’alerte pour danger grave et imminent.
14. En second lieu, la demande en suspension, sous astreinte, de la délocalisation des agents relevant de deux sites de La Poste sur le site de [Localité 4], s’analyse en une demande tendant à suspendre la mise en oeuvre d’un projet de réorganisation. A cet égard, les articles L. 4732-1 et L. 4732-2 du code du travail, auxquels renvoie l’article L. 4132-4, prévoient des mesures qui peuvent être décidées par le juge judiciaire statuant en référé et notamment l’arrêt temporaire d’une activité.
15. En effet, selon l’article L. 4732-1, l’inspecteur du travail saisit le juge judiciaire statuant en référé pour ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que la mise hors service, l’immobilisation, la saisie des matériels, machines, dispositifs, produits ou autres, lorsqu’il constate un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un travailleur résultant de l’inobservation notamment des dispositions du Titre III du Livre Ier, dont celles consacrées aux droits d’alerte et de retrait, et le juge peut également ordonner la fermeture temporaire d’un atelier ou chantier.
16. Il résulte toutefois de la combinaison des articles L. 4132-4 et L. 4732-1 du code du travail que, si l’objet de la demande de suspension du projet de réorganisation entre dans le champ des mesures susceptibles d’être ordonnées par le président du tribunal judiciaire statuant en référé, celui-ci ne peut être saisi, en application de l’article L. 4132-4, que par l’inspecteur du travail. Si tel est le cas, le juge judiciaire peut se prononcer sur l’existence d’un danger grave et imminent.
17. En revanche, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge des référés peut être saisi sur le fondement des dispositions de droit commun des articles 834 et 835 du code de procédure civile, au titre de l’obligation de sécurité instaurée par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. (Soc., 7 décembre 2016, pourvoi n° 15-16.769, Bull. 2016, V, n° 235 ; Soc., 14 novembre 2019, pourvoi n° 18-13.887, publié). Il en résulte que le juge des référés peut ordonner notamment la suspension d’une mesure constituant un risque de danger grave et imminent. Il lui appartient à cet égard d’apprécier si les conditions exigées par les articles 834 ou 835 du code de procédure civile sont réunies.
EST D’AVIS QUE :
Le juge judiciaire ne peut être saisi, en application de l’article L. 4132-4 du code du travail, que par l’inspecteur du travail. Si tel est le cas, le juge judiciaire peut se prononcer sur l’existence d’un danger grave et imminent.
Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 12 février 2025, après examen de la demande d’avis lors de la séance du 5 février 2025 où étaient présents, conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire : M. Sommer, président, Mme Ott, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Sommé, Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Ollivier, Arsac-Ribeyrolles, conseillers référendaires, Mme Canas, avocat général, Mme Jouanneau, greffier de chambre ;
Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre.
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