Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Imputabilité des soins et arrêts de travail : présomption et charge de la preuve.
→ RésuméContexte de l’affaireLa société [7] a contesté une décision de la commission de recours amiable de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis, qui avait rejeté sa demande d’inopposabilité concernant la prise en charge des soins liés à un accident de travail survenu le 9 juin 2017. Ce recours a été introduit devant une juridiction spécialisée en matière de contentieux de la sécurité sociale. Jugements antérieursLe tribunal a ordonné une expertise médicale sur les lésions résultant de l’accident par un jugement du 21 octobre 2019. Par la suite, le 9 novembre 2020, il a déclaré inopposables à la société [7] les soins et arrêts prescrits à M. [H] [R] à partir du 10 octobre 2017, a mis les frais d’expertise à la charge de la Caisse, et a ordonné la restitution d’une consignation à la société. Appel de la Caisse primaire d’assurance maladieLa Caisse primaire d’assurance maladie a interjeté appel de ce jugement, demandant l’infirmation de toutes ses dispositions et la reconnaissance de l’opposabilité des conséquences de l’accident jusqu’à la date de consolidation fixée au 18 octobre 2018. Elle a également demandé le déboutement de la société [7] de toutes ses demandes et sa condamnation aux dépens. Arguments des partiesLa Caisse a soutenu que la prise en charge de l’accident était justifiée et que la présomption d’imputabilité s’appliquait. Elle a contesté la décision du tribunal, arguant que l’employeur devait prouver que les soins n’étaient pas liés à l’accident. De son côté, la société [7] a demandé la confirmation du jugement de 2020, arguant que les soins et arrêts postérieurs au 10 octobre 2017 n’étaient pas imputables à l’accident, citant des éléments médicaux et une IRM révélant des lésions dégénératives antérieures. Expertise médicale et conclusionsL’expertise a conclu à l’existence d’une névralgie cervico-brachiale, sans établir de lien avec un état antérieur. La société a contesté cette conclusion, affirmant que les douleurs étaient liées à un état dégénératif préexistant. Cependant, le rapport d’expertise n’a pas été critiqué de manière probante par la société, qui n’a pas soumis de contre-analyse. Décision de la courLa cour a infirmé le jugement du 9 novembre 2020, déclarant opposables à la société [7] tous les soins et arrêts consécutifs à l’accident jusqu’à la date de consolidation. Elle a débouté la société de ses demandes et l’a condamnée aux dépens, y compris les frais d’expertise. |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 13
ARRÊT DU 31 Janvier 2025
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 21/00913 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDA6H
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Novembre 2020 par le Pole social du TJ de MEAUX RG n° 18/00056
APPELANTE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA SEINE SA INT DENIS
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
INTIMEE
Société [7]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Bruno LASSERI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946 substitué par Me Hajera OUADHANE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Décembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M Raoul CARBONARO, président de chambre
M Gilles REVELLES, conseiller
Mme Sophie COUPET, conseillère
Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par M. Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l’appel interjeté par la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis (la caisse) d’un jugement rendu le 9 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Meaux dans un litige l’opposant à la société [7] (la société).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de préciser que la société [7] a formé un recours devant une juridiction en charge du contentieux de la sécurité sociale à l’encontre de la décision de la commission de recours amiable de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis ayant rejeté sa demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de l’accident survenu le 9 juin 2017 et déclaré le 13 juin 2017 de son salarié, M. [H] [R] (le salarié).
Par jugement en date du 21 octobre 2019, le tribunal a ordonné une expertise médicale sur pièces relativement aux lésions consécutives à l’accident.
Par jugement du 9 novembre 2020, le tribunal a :
déclaré inopposables à la société [7] les soins et arrêts prescrits à M. [H] [R] à compter du 10 octobre 2017 inclus ,
dit que les frais d’expertise seront mis à la charge de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis ;
dit que le montant de la consignation devra être restitué à la société [7].
Le tribunal a retenu les conclusions de l’expert.
Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception remise le 7 décembre 2020 à la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis qui en a interjeté appel par déclaration formée par voie électronique le 3 janvier 2021.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis demande à la cour de :
infirmer le jugement 9 novembre 2020 en toutes ses dispositions ;
en conséquence,
déclarer toutes les conséquences de l’accident du travail du 9 juin 2017 opposables à la société [7] jusqu’à la date de consolidation fixée au 18 octobre 2018 ;
débouter la société [7] de toutes ses demandes ;
condamner la société [7] aux entiers dépens, comprenant les frais d’expertise.
La Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis expose que lorsque la prise en charge de l’accident du travail est parfaitement justifiée, toutes les conséquences de l’accident du travail bénéficient de la présomption d’imputabilité jusqu’à la guérison ou la consolidation du salarié ; qu’en l’espèce, le certificat médical initial daté du jour de l’accident, versé aux débats par elle devant les premiers juges, porte la mention de la prescription d’un arrêt de travail ; que par conséquent, c’est à tort que le tribunal a retenu l’inopposabilité des soins et arrêts prescrits à M. [H] [R] à compter du 10 octobre 2017, dès lors qu’elle justifiait de la prescription initiale d’un arrêt de travail et donc de l’application de la présomption d’imputabilité ; que sauf à inverser la charge de la preuve, ce n’est pas à elle de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l’accident du travail mais à l’employeur de justifier que lesdits soins et arrêts sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l’assuré ; que le tribunal a demandé à l’expert de fixer la durée des arrêts de travail directement et uniquement imputables à l’accident du travail, faisant ainsi fi de la présomption d’imputabilité ; que ses conclusions sont donc biaisées et ne peuvent en aucun cas permettre de renverser la présomption applicable en l’espèce ; que les conclusions de l’expertise ne permettent aucunement de rapporter la preuve, ni un commencement de preuve laissant supposer l’existence d’un état pathologique antérieur auquel les prestations sont exclusivement imputables ou d’une cause totalement étrangère au travail ; que le raisonnement de l’expert ne repose pas sur des éléments tangibles mais uniquement sur des considérations générales ; que la durée de prise en charge des arrêts de travail est tout à fait cohérente compte tenu de la nature des lésions de l’assuré ; qu’aucun élément ne justifie l’organisation d’une nouvelle mesure d’expertise.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la société [7] demande à la cour de :
confirmer le jugement en date du 9 novembre 2020 en toutes ses dispositions ;
en conséquence :
déclarer inopposables à la société [7] l’ensemble des arrêts et soins prescrits à M. [H] [R] postérieurs au 10 octobre 2017 ;
à titre subsidiaire sur la mise en ‘uvre d’une expertise médicale,
constater qu’il existe un différend d’ordre médical portant sur la réelle imputabilité des lésions, prestations, soins et arrêts de travail indemnisés, à l’accident du 9 juin 2019 déclaré par M. [H] [R] ;
en conséquence,
ordonner, avant dire droit au fond, une expertise médicale judiciaire confiée à tel expert avec pour mission de :
prendre connaissance des documents détenus par la caisse concernant les prestations prises en charge au titre du sinistre initial ;
déterminer exactement les lésions initiales provoquées par l’accident ;
fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe avec ces lésions ;
dire si le sinistre litigieux a seulement révélé ou s’il a temporairement aggravé un état indépendant à décrire et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date cet état est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte ;
en tout état de cause, dire à partir de quelle date la prise en charge des soins et arrêts au titre de la législation professionnelle n’est pas médicalement justifiée au regard de l’évolution du seul état consécutif au sinistre litigieux ;
fixer la date de consolidation des seules lésions consécutives à l’accident à l’exclusion de tout état indépendant évoluant pour son propre compte ;
ordonner à la caisse de transmettre au médecin désigné par la société [7], le docteur [M] [S], exerçant au [Adresse 1], [Localité 4], la totalité des documents justifiant la prise en charge des prestations servies au titre du sinistre litigieux ;
à réception du rapport d’expertise,
ordonner la notification par l’expert de son rapport intégral tel que déposé au greffe de la cour, au médecin désigné par l’employeur, conformément à l’article R. 142-16-4 nouveau du code de la sécurité sociale ;
renvoyer l’affaire à la première audience utile de la cour afin de débattre des conclusions médicales de l’expert, en présence du médecin désigné par la requérante, étant précisé que, le cas échéant, et au regard des éléments communiqués, la requérante se réserve le droit de formuler toutes demandes complémentaires de nature juridique pouvant aller jusqu’à l’inopposabilité des prestations servies au titre du sinistre litigieux ;
à titre subsidiaire sur le recours à une consultation sur pièces,
ordonner, avant dire droit au fond, au visa de l’article R. 142-16 nouveau du code de la sécurité sociale, une consultation sur pièces confiée à un consultant désigné suivant les modalités prévues à l’article R. 142-16-1 nouveau du code de la sécurité sociale, et ayant pour mission de :
prendre connaissance de l’intégralité des documents détenus et transmis par la caisse, concernant les prestations prises en charge au titre du sinistre litigieux ;
déterminer exactement les lésions initiales provoquées par le sinistre litigieux ;
fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe avec ces lésions ;
dire si le sinistre litigieux a seulement révélé ou s’il a temporairement aggravé un état indépendant à décrire et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date cet état est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte ;
en tout état de cause, dire à partir de quelle date la prise en charge des soins et arrêts au titre de la législation professionnelle n’est pas médicalement justifiée au regard de l’évolution du seul état consécutif au sinistre litigieux ;
fixer la date de consolidation des seules lésions consécutives à l’accident à l’exclusion de tout état indépendant évoluant pour son propre compte ;
ordonner à la caisse de transmettre au médecin désigné par la société [7], le docteur [M] [S] exerçant au [Adresse 1], [Localité 4], la totalité des documents justifiant la prise en charge des prestations servies au titre du sinistre litigieux ;
à réception de la consultation,
ordonner la notification par le consultant de son rapport intégral tel que déposé au greffe de la cour, au médecin désigné par l’employeur, conformément à l’article R. 142-16-4 nouveau du code de la sécurité sociale ;
en tout état de cause,
renvoyer l’affaire à une audience ultérieure pour qu’il soit débattu du caractère professionnel des lésions, prestations, soins et arrêts en cause.
La société [7] expose que l’assuré a déclaré souffrir de douleurs au bras gauche et au cou alors qu’il était en train de conduire un véhicule ; qu’il a fait constater médicalement son état de santé le 9 juin 2017 ; que le certificat médical initial qui ne décrit pas la nature des lésions fait état de « douleur dans la nuque et bras gauche avec fourmillement suite à un faux mouvement » et d’un arrêt de travail jusqu’au 23 juin 2017 ; qu’il a bénéficié de soins et arrêts de travail pendant une durée de 489 jours d’arrêts de travail ; que son médecin consultant, qui a eu accès au dossier, a pu constater que l’ensemble des arrêts et soins prescrits n’est pas imputable à l’accident du 9 juin 2017 ; qu’une IRM du rachis cervical réalisée le 8 août 2017, met en évidence l’existence de lésions dégénératives du rachis cervical constitutif d’un état antérieur qui sont une cause totalement étrangère à l’accident de l’assuré ; que le diagnostic de névralgie cervicobrachiale n’est aucunement confirmé dans ce dossier puisque l’électromyogramme réalisé très tardivement après l’accident en date du 6 septembre 2018 est strictement normal ; que les certificats médicaux descriptifs, qui ne décrivent aucune évolution en amélioration ou en aggravation, ne sont pas informatifs dans ce dossier ; que la contusion cervicale de M. [H] [R] a aggravé temporairement les douleurs liées à un état antérieur évoluant pour son propre compte ; que les conclusions du rapport d’expertise sont cohérentes avec la date proposée par son médecin consultant ; qu’à tout le moins ce document constitue le liminaire de preuve nécessaire à une mesure d’instruction ; que refuser une expertise à l’employeur qui ne dispose d’aucun autre moyen pour faire la preuve de ses prétentions, constituerait une atteinte au principe du droit à un procès équitable.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
DÉCLARE recevable l’appel de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis ;
INFIRME le jugement rendu le 9 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Meaux ;
STATUANT À NOUVEAU,
DÉCLARE opposable à la société [7] l’ensemble des soins et arrêts consécutifs à l’accident du travail du 9 juin 2017 dont a été victime M. [H] [R] jusqu’à la date de consolidation fixée au 18 octobre 2018 ;
DÉBOUTE la société [7] de ses demandes ;
CONDAMNE la société [7] aux dépens qui comprendront les frais d’expertise.
La greffière Le président
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