Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Lyon
Thématique : Reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en matière de santé au travail
→ RésuméContexte de l’affaireMadame [P] [C], agent d’entretien dans la société [5] depuis 2012, a déclaré une maladie professionnelle le 22 février 2019, spécifiquement une dermatite d’origine professionnelle, accompagnée d’un certificat médical du Docteur [R] daté du 13 février 2019. Ce certificat mentionne des lésions eczématiformes sur le visage, les oreilles et les fesses. Décisions de la caisse primaire d’assurance maladieAprès enquête, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a reconnu la pathologie de Madame [C] comme relevant du tableau n° 49 des maladies professionnelles, fixant la date de première constatation médicale au 17 juillet 2018. Cependant, elle a noté que le délai de prise en charge de 15 jours était dépassé, car l’exposition au risque avait eu lieu entre 2012 et 2018. Reconnaissance de la maladie professionnelleLe 16 décembre 2019, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a établi un lien direct entre la maladie de Madame [C] et son activité professionnelle. Le 17 décembre 2019, la caisse a décidé de prendre en charge la maladie au titre du tableau 49. Demande de reconnaissance de faute inexcusableLe 31 juillet 2020, Madame [C] a saisi le tribunal judiciaire de Lyon pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Le tribunal a demandé un second avis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Franche-Comté, qui a confirmé le lien entre la maladie et l’exposition professionnelle le 21 août 2023. Arguments de Madame [C]Madame [C] a soutenu que sa maladie était causée par son exposition à des produits chimiques dans le cadre de son travail, affirmant que l’employeur n’avait pas pris les mesures de sécurité nécessaires. Elle a également souligné que son état de santé s’était détérioré depuis 2015 et que la société [5] n’avait pas respecté ses obligations en matière de prévention des risques. Réponse de la société [5]La société [5] a contesté la décision de prise en charge, arguant que la caisse n’avait pas respecté le principe du contradictoire et que les risques liés aux produits utilisés avaient été pris en compte. Elle a également affirmé que Madame [C] avait reçu une formation adéquate et disposait d’équipements de protection. Position de la caisse primaire d’assurance maladieLa caisse primaire a défendu sa décision de prise en charge, affirmant avoir respecté les procédures et que la société [5] devait prouver que la maladie n’était pas d’origine professionnelle. Elle a également précisé qu’elle recouvrerait les sommes versées en cas de reconnaissance de la faute inexcusable. Jugement du tribunalLe tribunal a déclaré irrecevable la demande de la société [5] concernant l’opposabilité de la décision de prise en charge. Il a reconnu la maladie de Madame [C] comme imputable à la faute inexcusable de l’employeur et a ordonné la majoration de la rente au taux maximum. Une expertise médicale a été ordonnée pour évaluer les préjudices subis par Madame [C]. Conséquences de la décisionLe tribunal a alloué à Madame [C] une provision de 2 000 € pour ses préjudices et a ordonné à la caisse primaire d’assurance maladie de faire l’avance des frais d’expertise. La société [5] a été condamnée à rembourser les sommes dues au titre de la faute inexcusable. |
MINUTE N° : TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LYON
POLE SOCIAL – CONTENTIEUX GENERAL
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
JUGEMENT DU :
MAGISTRAT :
ASSESSEURS :
DÉBATS :
PRONONCE :
AFFAIRE :
NUMÉRO R.G :
30 Janvier 2025
Julien FERRAND, président
Lydie REINBOLD, assesseur collège employeur
Bruno ANDRE, assesseur collège salarié
assistés lors des débats et du prononcé du jugement par Sophie PONTVIENNE, greffière
tenus en audience publique le 05 Novembre 2024
jugement contradictoire, rendu en premier ressort, dont le délibéré initialement fixé au 14 Janvier 2025 a été prorogé au 30 Janvier 2025 par le même magistrat
Madame [P] [C] C/ Société SA [5] / CPAM
N° RG 20/01463 – N° Portalis DB2H-W-B7E-VCZN
DEMANDERESSE
Madame [P] [C]
demeurant [Adresse 3]
non comparante représentée par la SELARL MALLARD AVOCATS, avocats au barreau de LYON vestiaire 1192
DÉFENDERESSE
Société SA [5]
dont le siège social est sis [Adresse 8]
représentée par la SELARL POUEY AVOCATS, avocats au barreau de LYON vestiaire 1129
PARTIE INTERVENANTE
CPAM DU RHONE
dont le siège social est sis Service contentieux général
[Localité 2]
représentée par Madame [F] [O] munie d’un pouvoir
Notification le :
Une copie certifiée conforme à :
[P] [C]
Société SA [5]
CPAM DU RHONE
la SELARL MALLARD AVOCATS, vestiaire : 1192
la SELARL POUEY AVOCATS, vestiaire : 1129
Une copie revêtue de la formule exécutoire : la SELARL MALLARD AVOCATS, vestiaire : 1192
Une copie certifiée conforme au dossier
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [P] [C], née le 12 février 1977, salariée depuis le 1er avril 2012 de la société [5] en qualité d’agent d’entretien, a souscrit le 22 février 2019 une déclaration de maladie professionnelle au titre d’une “dermatite d’origine professionnelle” et a joint à sa déclaration un certificat médical initial établi le 13 février 2019 par le Docteur [R] faisant état d’un “dermatite (lésions eczématiformes) d’origine professionnelle (visage, oreilles, fesses).”
A l’issue d’une enquête et après avis de son médecin conseil, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a retenu que :
– Madame [C] présente la pathologie décrite sur le certificat médical initial, sa demande relève du tableau n° 49 des maladies professionnelles et la date de première constatation médicale doit être fixée au 17 juillet 2018,
– l’assurée a été exposée au risque lésionnel mais le délai de prise en charge de 15 jours est dépassé compte tenu d’une date de première constatation fixée au 17 juillet 2018 et de la période d’exposition au risque du 1er avril 2012 au 4 mai 2018.
Par avis du 16 décembre 2019, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a retenu l’existence d’un lien direct entre la maladie et l’activité professionnelle de Madame [C].
Par décision du 17 décembre 2019, la caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge la maladie déclarée par Madame [C] au titre du tableau 49 des maladies professionnelles.
Le 31 juillet 2020, Madame [C] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon d’une demande tendant à reconnaître la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de la maladie professionnelle.
Par jugement du 8 mars 2022 auquel il sera renvoyé pour l’exposé des demandes et moyens des parties, le tribunal, avant dire droit, a désigné pour second avis le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Franche-Comté pour dire si la pathologie présentée a été directement causée par son travail habituel au sein de la société [5].
Par avis du 21 août 2023, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Bourgogne Franche-Comté a retenu un lien direct entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle.
Aux termes de ses conclusions n°2 reprises à l’audience du 5 novembre 2024, Madame [C] sollicite, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– la confirmation du caractère professionnel de la maladie et la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5] ;
– la majoration au taux maximum de la rente versée par la caisse ;
– l’organisation d’une expertise médicale aux fins d’évaluer ses préjudices ;
– le paiement d’une indemnité provisionnelle de 5 000 € ;
– la condamnation de la société [5] au paiement de la somme de 2 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– le rejet des demandes adverses.
Elle expose qu’elle travaillait dans des ateliers de fabrication de dialyseurs FX au sein desquels elle nettoyait les appareils en inox et les vitres salies par les résines utilisées composées de chlorure de méthylène et de Méthyl cétone MEC, en utilisant des produits, notamment E-NOX SHINE et gel 507, à l’origine d’un asthme et d’un eczéma de contact.
Elle fait valoir :
– que l’affection déclarée a été causée directement par son exposition établie dans le cadre de son activité d’agent d’entretien à l’éthanolamine dans les conditions du tableau 49, alors qu’elle n’avait pas d’antécédents ;
– que la procédure suivie pour recueillir les avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles est régulière dès lors que la transmission de l’avis circonstancié de l’employeur et de l’avis du médecin du travail ne sont plus obligatoires depuis le 1er décembre 2019.
– que son état de santé s’est dégradé à partir de 2015, alors qu’elle travaillait pour la société [5] qui ne démontre pas que la maladie trouve son origine dans une cause étrangère au travail ;
– que la nocivité des produits chimiques d’entretien utilisés, ACMOSIL et E-NOX SHINE, est établie par les fiches de données de sécurité ;
– que la société [5] n’a pas procédé à une évaluation sérieuse des risques auxquels elle était exposée au regard notamment du document unique d’évaluation des risques versé aux débats qui ne fait pas état des effets des produits suscités sur le système nerveux, les voies respiratoires et les irritations cutanées ;
– que le risque spécifique résultant de la combinaison des agents chimiques dangereux n’a pas été pris en compte ;
– que les mesures de prévention du document unique d’évaluation des risques sont insuffisantes, ne reprenant pas les équipements de protection requis aux termes des fiches de données de sécurité ;
– qu’elle n’a en tout état de cause pas bénéficié des équipements adaptés et que la société [5] a mis à sa disposition un masque inadapté sans respecter les préconisations de la médecine du travail relatives au port d’un masque type FFP2 ;
– qu’elle n’a pas davantage bénéficié d’une formation sur la bonne utilisation des produits et des équipements de protection individuelle, l’utilisation des détergents et les mélanges des agents toxiques, et que son information sur les risques auxquels elle était exposée s’est limitée aux pictogrammes chimiques et à la fiche de données de sécurité ;
– que l’absence de prévention et de protection résulte du déni de l’utilisation de produits dangereux pour la santé alors que l’employeur disposait des documents démontrant leur nocivité.
La société [5] conclut :
– à titre principal, à l’inopposabilité à son encontre de la décision de prise en charge de la maladie ;
– à titre subsidiaire, au rejet de la demande de reconnaissance d’une faute inexcusable ;
– à titre plus subsidiaire, au rejet des demandes de provision et d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– à la condamnation de Madame [C] au paiement de la somme de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
– que la caisse n’a pas respecté le principe du contradictoire et son obligation d’information en ne transmettant au second comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ni l’avis circonstancié de l’employeur, ni l’avis du médecin du travail qui doivent figurer au dossier pour les maladies professionnelles déclarées avant le 1er décembre 2019, et qu’elle ne justifie pas avoir invité le médecin du travail à formuler un avis ;
– que les risques liés à l’utilisation des produits employés ont été pris en compte dans le document unique d’évaluation des risques ;
– que des mesures de concentration dans l’air pour analyser le risque lié au produit E-NOX SHINE n’ont pas révélé de dépassement de la valeur limite d’exposition nécessitant le port d’un masque à cartouche conformément à la fiche de données de sécurité ;
– que Madame [C] a bénéficié de nombreuses formations portant notamment sur les gestes et postures, la sécurité et l’environnement, et le risque chimique ;
– qu’elle disposait d’équipements de protection individuelle et collective, escabeaux et marche-pied pour le travail en hauteur, gants et masque de protection, et qu’elle n’était pas soumise à une cadence ;
– qu’elle a été suivie par la médecine du travail dont les préconisations ont été mises en oeuvre ;
– que l’asthme déclaré peut trouver son origine dans ses précédents emplois.
La caisse primaire d’assurance maladie du Rhône conclut au rejet de la demande de la société [5] aux fins de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée.
Elle fait valoir qu’elle a accompli les diligences en adressant à l’employeur le certificat médical initial et la déclaration de maladie professionnelle dont un exemplaire était joint à l’attention du médecin du travail, et qu’il incombait à la société [5] d’établir le rapport circonstancié dont elle n’a pas été destinataire.
Elle ne formule pas d’observations sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et demande pour le cas où elle serait retenue qu’il soit jugé qu’elle recouvrera directement auprès de l’employeur les sommes versées au titre de la majoration de la rente ou du capital en application des dispositions des articles L 452-2 et D 452-1 du code de la sécurité sociale et des préjudices reconnus dans l’éventualité où une expertise serait ordonnée, outre les frais relatifs à la mise en oeuvre de l’expertise.
PAR CES MOTIFS
Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort,
Déclare irrecevable la demande de la société [5] aux fins de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie professionnelle visée au tableau n°49 des maladies professionnelles déclarée par Madame [P] [C] ;
Dit que la maladie professionnelle “dermatite eczématiforme” déclarée par Madame [P] [C] le 22 février 2019 est imputable à la faute inexcusable de la société [5] ;
Dit que le capital ou la rente attribué à Madame [P] [C] doit être majoré au taux maximum prévu par la loi ;
Dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône pourra recouvrer auprès de l’employeur les sommes versées au titre de la rente ou du capital majoré ;
Alloue à Madame [P] [C] une provision de 2 000 € à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices ;
Dit que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Rhône doit faire l’avance de l’indemnité provisionnelle à charge pour elle de recouvrer la somme auprès de l’employeur ;
Avant-dire droit sur l’indemnisation :
Ordonne une expertise médicale de Madame [C] ;
Désigne pour y procéder Monsieur le Docteur [E] [D], dermatologue, Centre [6] – Unité onco-dermatologie [Adresse 1] ;
Lui donne mission, après avoir convoqué les parties, de :
– se faire communiquer le dossier médical de Madame [C],
– examiner Madame [C],
– détailler les blessures provoquées par la maladie déclarée le 22 février 2019,
– décrire précisément les séquelles consécutives à cette maladie suite à la consolidation fixée au 30 septembre 2020 et indiquer les actes et gestes devenus limités ou impossibles,
– indiquer la période de déficit fonctionnel temporaire total, pendant laquelle la victime a été dans l’incapacité totale de poursuivre ses activités personnelles avant consolidation,
– indiquer la période de déficit fonctionnel temporaire partiel, pendant laquelle la victime a été dans l’incapacité partielle de poursuivre ses activités personnelles avant consolidation et évaluer le taux de cette incapacité,
– dire si l’état de la victime a nécessité l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne avant la consolidation par la sécurité sociale, et, dans l’affirmative, préciser la nature de l’assistance et sa durée quotidienne,
– évaluer les souffrances physiques et morales consécutives à la maladie jusqu’à la date de consolidation,
– donner tous éléments pour apprécier si la victime a perdu une chance de promotion professionnelle,
– dire si la victime subit, du fait de l’accident, et après consolidation, un déficit fonctionnel permanent défini comme la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral, ainsi que les troubles dans les conditions d’existence (personnelles, familiales et sociales), en évaluer l’importance et en chiffrer le taux ;
– évaluer le préjudice esthétique temporaire et permanent consécutif à la maladie,
– évaluer le préjudice d’agrément consécutif à la maladie après consolidation,
– évaluer le préjudice sexuel consécutif à la maladie après consolidation,
– dire si l’état de la victime nécessite ou a nécessité un aménagement de son logement,
– dire si l’état de la victime nécessite ou a nécessité un aménagement de son véhicule,
– donner tous éléments pour apprécier si la victime subit une perte de chance de réaliser un projet de vie familiale,
– dire si la victime subit des préjudices exceptionnels et s’en expliquer,
– dire si l’état de la victime est susceptible de modifications,
Rappelle que la consolidation de l’état de santé de Madame [C] résultant de la maladie professionnelle déclarée le 22 février 2019 a été fixée par la caisse primaire d’assurance maladie à la date du 30 septembre 2020 et qu’il n’appartient pas à l’expert de se prononcer sur ce point ;
Dit que l’expert devra prendre en considération les observations ou réclamations des parties, qu’il devra les joindre à son avis lorsqu’elles sont écrites et que les parties le demandent, et qu’il devra faire mention des suites qu’il leur aura données ;
Dit qu’il pourra pour ce faire adresser un pré-rapport aux parties et rappelle que lorsqu’il a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, l’expert n’est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l’expiration de ce délai, à moins qu’il n’existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge ;
Dit que l’expert déposera son rapport au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Lyon dans le délai de six mois à compter de sa saisine et en transmettra une copie à chacune des parties ;
Dit que la caisse primaire d’assurance maladie doit faire l’avance des frais de l’expertise médicale et de la provision ;
Condamne la société [5] à restituer à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Rhône l’intégralité des sommes dues au titre de la faute inexcusable dont elle aura fait l’avance ;
Condamne la société [5] à payer à Madame [P] [C] la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Réserve les dépens.
Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 30 janvier 2025, et signé par le président et la greffière.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
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