Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion, 30 janvier 2025, RG n° 24/00293
Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion, 30 janvier 2025, RG n° 24/00293

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion

Thématique : Attribution de marché public : enjeux de transparence et d’évaluation des offres

Résumé

Publication de l’avis d’appel d’offres

Le 18 février 2024, la Société d’Habitation à Loyer Modéré de la Réunion (SHLMR) a lancé un appel d’offres public pour le nettoyage de son patrimoine, décomposé en 11 lots. La société Espaces Vert de l’Est, sortante pour le lot 4, a soumis des offres pour tous les lots.

Rejet des offres

Le 17 juin 2024, Espaces Vert a été informée du rejet de ses offres, sauf pour le lot 4, dont la procédure a été déclarée infructueuse. Le 27 juin 2024, la société a reçu un courrier l’informant du rejet de son offre pour le lot 4, suscitant des interrogations sur la notation attribuée.

Assignation en justice

Le 4 juillet 2024, Espaces Vert a assigné la SHLMR devant le tribunal judiciaire de Saint-Denis, demandant l’annulation de l’attribution du lot 4 à la société Sud Service et la reprise de la procédure d’attribution. Elle a également demandé des dommages-intérêts pour les frais engagés.

Arguments de la société Espaces Vert

Espaces Vert a soutenu que la SHLMR n’avait pas respecté ses obligations d’information, notamment en ce qui concerne les critères d’évaluation des offres. Elle a contesté la notation reçue, arguant que la SHLMR n’avait pas appliqué correctement les critères définis dans le règlement de consultation.

Réponse de la SHLMR

La SHLMR a répliqué que la société Espaces Vert avait été classée quatrième avec un écart de près de 15 points par rapport à l’attributaire. Elle a affirmé avoir respecté ses obligations d’information et que les notes attribuées étaient justifiées.

Décision du tribunal

Le tribunal a examiné les manquements allégués par Espaces Vert concernant l’obligation d’information et les erreurs dans l’analyse des offres. Il a conclu que la SHLMR avait respecté ses obligations et que la société Espaces Vert n’avait pas démontré de lésion.

Conclusion et condamnation

Le tribunal a rejeté toutes les demandes de la SARL Espaces Vert, la condamnant aux dépens et à verser 2.000 € à la SHLMR au titre des frais irrépétibles. La décision a été rendue exécutoire immédiatement.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE ST DENIS

MINUTE N°

CHAMBRE DES REFERES
AFFAIRE N° RG 24/00293 – N° Portalis DB3Z-W-B7I-GYUW
NAC : 97Z

JUGEMENT STATUANT SELON
LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE AU FOND

AUDIENCE DU 30 Janvier 2025

DEMANDERESSE

S.A.R.L. ESPACES VERT DE L’EST Représentée par son gérant en exercice, Monsieur [Y] [B]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Rep/assistant : Maître Eric DUGOUJON de la SELARL DUGOUJON & ASSOCIES, avocats au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

DEFENDERESSES

S.A. SOCIÉTÉ ANONYME D’HABITATIONS À LOYER MODÉRÉ DE LA RÉUNION (SHLMR)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Rep/assistant : Maître Julie RAMSAMY de RAMSAMY AVOCAT, avocats au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

S.A.S. SUD SERVICE Dont le bureau à La Réunion se situe [Adresse 4], inscrite au RCS de Saint-Denis sous le numéro SIRET 343 952 859 00332 (SIRET siège n° 343 952 859 00035), représentée par son directeur général en exercice.
[Adresse 1]
[Localité 6]

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

LORS DES DÉBATS :

Président : Catherine VANNIER
Greffier : Marina GARCIA 
Audience Publique du : 12 Décembre 2024

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Jugement prononcé le 30 Janvier 2025 , par décision réputée contradictoire en dernier ressort, et par mise à disposition au greffe de la juridiction par Madame Catherine VANNIER, Première Vice-présidente, assistée de Madame Marina GARCIA, Greffier 

Copie exécutoire à Maître RAMSAMY délivrée le :
Copie certifiée conforme à Maître DUGOUJON délivrée le :

EXPOSE DU LITIGE

Le 18 février 2024, la Société d’Habitation à Loyer Modéré de la Reunion (SHLMR) a publié un avis d’appel public à la concurrence en vue de l’attribution d’un marché public de service ayant pour objet le nettoyage de son patrimoine. Le marché a été passé sous la forme d’un appel d’offre ouvert et décomposé en 11 lots.

La société Espaces Vert de l’Est qui était la société sortante pour le lot 4, a remis une offre pour chacun des 11 lots.

Par courrier du 17 juin 2024, la société Espaces Vert était informée du rejet de ses offres pour l’ensemble des lots à l’exception du lot 4. La procédure afférente au lot n°1 avait été déclarée infructueux.

Concernant le lot 4, la SARL Espaces Vert était informée du rejet de son offre par courrier du 27 juin 2024. Elle s’interrogeait sur sa note de 45,3 portant sur le prix alors que le prix proposé par le candidat retenu s’élevait à 55 malgré son offre inférieure de près de 10% à celui de la société attributaire.

Estimant que la SHLMR a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, la SARL Espaces Vert a, par acte de commissaire de justice en date du 4 juillet 2024, fait assigner la SHLMR devant la présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis, selon la procédure accélérée au fond aux fins de :
Déclarer recevable l’action de la société Espaces Vert de l’Est à l’encontre de la SHLMR,Annuler la décision d’attribution du lot 4 à la société Sud Service,A titre principale, enjoindre à la SHLMR de reprendre la procédure d’attribution du lot 4 au stade de l’analyse des offres,Subsidiairement, annuler l’ensemble de la procédure de passation du marché, Condamner la SHLMR à verser à la société Espaces Vert la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la SARL Espaces Vert fait valoir que l’information du candidat évincé doit être suffisamment claire, précise et détaillée pour lui permettre, en toute connaissance de cause, d’apprécier le respect par le pouvoir adjudicataire de ses obligations de publicité et de mise en concurrence. La SHLMR s’est contenté dans un premier temps de produire un tableau reprenant les deux critères d’évaluation sans aucune autre explication. Or, ces critères comportaient des sous-critères d’évaluation. Le courrier n’apportait aucun détail permettant de connaître avec précision et clarté les motifs ayant conduit à octroyer le marché à la société Sud Service. La SARL Espaces Vert a sollicité la communication de plusieurs documents. Si les tableaux d’analyse des offres ont été communiqués, elle maintient sa demande de communication du rapport d’analyse des offres. Pour elle, la SHLMR n’a pas respecté ses obligations d’information résultant des dispositions du code de la commande publique et notamment le rapport d’analyse des offres permettant de connaître les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue.

La SARL Espaces Vert estime que la SHLMR a commis une erreur dans le cadre de l’analyse des offres concernant le critère « prix », correspondant à 60% de la note finale, le critère « valeur technique » comptant pour 40% de la note finale. Pourtant, la SHLMR précisait dans son courrier du 24 septembre 2024 que le critère « prix » est évalué sur la base des prix indiqués dans l’offre du soumissionnaire. L’offre la moins-disante, sous réserve de ne pas être anormalement basse, obtient la note maximale. Les autres offres sont notées proportionnellement par application de la formule suivante : Note = (prix le plus bas/prix analysé) x maximum de points ».

Elle précise que le critère Prix est divisé en trois sous-critères, la décomposition de prix global et forfaitaire (DPGF : 60 points), le document de quantités estimées (DQE : 20 points), le bordereau des prix par famille de locaux (BPPF : 20 points). Elle s’interroge sur la note obtenue sur le sous-critère DQE de 1,89 alors que la société attributaire, la société Sud Service, a obtenu la note de 20 alors que la formule utilisée pour apprécier ce sous-critère est toujours : note = (prix le plus bas/prix analysé) x maximum de points. Or, le prix proposé par la société Sud Service est 10 fois supérieur à celui qu’elle a proposé. Elle ajoute que les notes des deux autres sous-critères obtenus par les deux sociétés sont proches. Elle estime que la SHLMR n’a pas appliqué les critères définis dans le règlement de consultation et éventuellement en n’appliquant pas la formule mathématique et a ainsi manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. En l’absence d’explication sur les modalités retenues pour évoluer le critère prix et ainsi justifier les notes des candidats, la société Espaces Vert estime le classement irrégulier au regard des critères définis dans les documents de consultation.

La société Espaces Vert ajoute encore des erreurs dans l’analyse du critère Valeur Technique. Ainsi, la société Sud Service aurait dû obtenir sur le sous-critère « présentation encadrement » et « suivi du marché » la note 1 en application du coefficient de 0,5 et non la note 2. De même, sur le sous-critère « clause environnementale » la société Sud Service a obtenu la note de 4 alors qu’elle avait été notée 3. En appliquant le coefficient 1, sa note aurait dû rester à 3. Ainsi, la SHLMR n’a pas appliqué correctement les critères d’évaluation des offres et notamment des formules renseignées dans le règlement de consultation. Elle a manqué à ses obligations de mise en concurrence.

Ces irrégularités ont lésé la société requérante. En dépit d’une offre moins-disante, elle a obtenu une note moins élevée que la société attributaire concernant le critère prix. Au regard de la formule de calcul retenue par la SHLMR, un tel résultat est impossible puisque la société faisant l’offre financière la plus basse doit obtenir la note maximale. La SHLMR a commis une erreur puisque la société Espaces Vert n’a pas obtenu la note qu’elle méritait et n’a donc pas été classée selon ses mérites. A cette erreur, se sont ajoutées des erreurs de calcul sur le critère Valeur Technique qui ont eu pour conséquence de majorer la note de la société attributaire.

Sur le fondement de l’article 3 de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009, la société Espaces Vert sollicite qu’il soit enjoint à la SHLMR de reprendre la procédure au stade de l’analyse de offres et subsidiairement, l’annulation de la procédure.

La SHLMR réplique que la SARL Espaces Vert a été classée en quatrième position avec un écart de près de 15 points avec l’attributaire. Elle estime l’avoir informée régulièrement des motifs de rejet de sa candidature ainsi que le nom de l’attributaire et les notes obtenues par ce dernier.

Concernant le manquement à l’obligation d’information, la SHLMR estime que la société Espaces Vert n’apporte pas la démonstration de ce qu’elle aurait été lésée. Elle ne justifie d’aucun intérêt lésé alors qu’elle a pu utilement formuler un référé précontractuel comportant plusieurs moyens. Par ailleurs, la SHLMR a, par courrier du 27 juin 2024, informé la société Espaces Vert du rejet de son offre sur le lot n°4 en précisant que son offre n’a pas été retenue comme étant la plus avantageuse au regard des critères dans les documents de la consultation. Elle a encore précisé le nom de l’attributaire et les notes obtenues par la société attributaire ainsi que les notes obtenues par la société requérante. Enfin, elle a précisé la date envisagée pour la signature du marché. Elle a donc parfaitement satisfait à son obligation d’information spontanée telle que fixée par les dispositions de l’article R. 2181-3 du code de la commande publique. Sur l’obligation d’information à la demande, la SHLMR indique l’avoir envoyé par courriel, mais n’en a pas gardé la trace. Elle verse le courrier de réponse à la demande de communication des caractéristiques et avantages de l’offre retenue, précisant le détail de la notation de l’offre de la SARL Espaces Vert, le détail de la notation de l’offre du candidat retenu par la société Sud Service, les éléments de comparaison entre les deux offres. La SARL Espaces Vert est parfaitement mise en mesure de contester utilement son éviction. S’agissant des demandes supplémentaires visant différentes pièces du marché, la SHLMR précise que le droit de communication ne s’applique qu’à des documents achevés et ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration. Les documents relatifs à la procédure de passation du contrat sont considérés comme préparatoires aussi longtemps que la procédure n’est pas close. En l’absence de signature du marché, les documents sollicités par la société Espaces Vert revêtent un caractère préparatoire et ne peuvent lui être communiqués. Elle rappelle encore que la communication du rapport d’analyse des offres ne peut être communiqué à la société requérante à ce stade de la procédure, le marché n’étant pas signé. Sur la demande de suspension de la procédure, la SHLMR rappelle que le référé précontractuel a pour effet immédiat de suspendre la signature du contrat. La signature du contrat est donc suspendue des suites de la saisine du juge des référés précontractuels.

Concernant l’incohérence de la notation du critère prix, la SHLMR estime que la société Espaces Vert ne démontre pas que le manquement l’a lésé ou est susceptible de l’avoir lésée. Elle rappelle que la société requérante a été classée en 4ème position avec un écart de près de 15 points par rapport à l’attributaire. Un tel écart rend hautement improbable l’établissement d’une lésion dès lors que même en présence d’une éventuelle irrégularité, les chances de succès d’obtenir le marché demeurent faibles.

Par ailleurs, le juge des référés précontractuels est étroitement circonscrite par la loi. Son contrôle porte sur le respect des obligations de publicité et des obligations de mise en concurrence. Il n’appartient pas au juge des référés précontractuels d’examiner l’appréciation portée par l’acheteur sur les mérites respectifs de chacun des candidats ou la pertinence du choix opéré par lui, même en cas d’erreur manifeste d’appréciation. Il peut seulement procéder au contrôle de la dénaturation de l’offre d’un candidat. La SHLMR estime que le moyen de la société Espaces Vert renvoie directement à la notation dans le cadre de l’analyse des offres et porte sur l’appréciation de l’acheteur. La société Espaces Vert ne démontre aucun manquement aux obligations de publicité ni aucun manquement aux obligations de mise en concurrence. Or, il n’appartient pas au juge des référés d’examiner l’appréciation de la SHLMR sur le choix du candidat.

La SHLMR ajoute encore que 14 candidats se sont positionnés sur le lot n°4, dont 9 candidatures qui ont accédé au stade de l’analyse des offres. La société Espaces Vert n’a pas été la moins-disante. C’est donc le prix de ce candidat moins-disant qui a servi de base à la formule de calcul du critère prix. Par ailleurs, la société Espaces Vert ne démontre pas l’existence d’une lésion. Elle est en 4ème position et le sous-critère DQE ne représente que 20 points du critère du prix qui lui-même correspond à 60% de la note finale. Elle ne démontre pas en quoi la supposée erreur de la SHLMR lui aurait permis de remporter le marché. De plus, en invoquant le moyen tiré de « l’incohérence de la notation du critère prix » la SARL Espaces Vert invoque un moyen qui se rattache à l’analyse de la notation retenue par la SHLMR. Il ne peut donc être invoqué dans le cadre d’une procédure de référé précontractuel. A supposer qu’une erreur ait pu être commise par l’acheteur dans l’analyse des offres, il appartient au candidat évincé de saisir le juge compétent. La SHLMR estime que le moyen tiré de l’incohérence de la notation du critère prix fait écho à l’appréciation de l’acheteur et est donc inopérant dans le cadre du référé précontractuel.

Par ailleurs, la SHLMR précise que la société Sud Service a effectivement présenté des prix inférieurs à ceux proposés par la société Espaces Vert notamment pour les prestations de décapage et de nettoyage justifiant ainsi les notes obtenues de ces deux candidats. Elle ajoute être limitée dans sa défense par le secret industriel et commercial et indique que la commission d’accès aux documents administratifs admet que l’offre de prix globale de l’attributaire est communicable mais que la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret commercial ne sont en principe pas communicable. Les notes obtenues reflètent des pratiques tarifaires différentes et les éléments d’analyse du sous-critère DQE ne sont pas communicables sauf à méconnaître le secret industriel et commercial et ainsi engager la responsabilité de la SHLMR à l’égard de l’attributaire Sud Service.

De même, la SHLMR estime le moyen tiré des erreurs de notations du critère Valeur Technique est tout aussi inopérant et infondé que celui tiré de l’incohérence de la notation du critère prix. La société Espaces Vert ne démontre pas avoir été lésé du fait de ces prétendues erreurs qui au surplus sont minimes. La société requérante ne démontre pas l’existence d’un manquement à une obligation de publicité et de mise en concurrence. Concernant ces erreurs, elle précise avoir versé un document de travail et non le document définitif et ajoute que ce sont les bonnes notes qui ont été attribuées à Sud Service. Ce dysfonctionnement du tableau Excel a été rectifié dans le document définitif et est sans incidence sur la note valeur technique de Sud Service.

La SHLMR sollicite en conséquence que la société Espaces Vert soit déboutée de ses demandes et qu’elle soit condamnée à lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’audience du 12 décembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 30 janvier 2025.

PAR CES MOTIFS

La présidente, statuant selon la procédure accélérée au fond, par jugement réputé contradictoire, en dernier ressort et mise à disposition au greffe,

REJETTE l’ensemble des demandes de la SARL Espaces Vert de l’Est,

CONDAMNE la SARL Espaces Vert de l’Est aux entiers dépens de l’instance,

CONDAMNE la SARL Espaces Vert de l’Est à payer à la Société d’Habitation à Loyer Modéré de la Reunion, la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire,

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE,

 


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