Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Nantes
Thématique : Nationalité française : conditions de preuve de l’état civil et exigences de légalisation des actes étrangers.
→ RésuméContexte de la Déclaration de NationalitéMonsieur [O] [L], né le 1er décembre 2001 en Guinée, a déposé une déclaration d’acquisition de nationalité française le 17 octobre 2019. Cette démarche a été effectuée auprès du tribunal judiciaire de Nantes, en vertu de l’article 21-12 du code civil. Cependant, le 29 octobre 2019, sa demande a été rejetée en raison de l’irrecevabilité de son état civil, jugé non fiable selon l’article 47 du code civil. Assignation du Procureur de la RépubliqueSuite au refus d’enregistrement de sa déclaration, Monsieur [O] [L] a assigné le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes le 27 avril 2021. Il a demandé au tribunal de reconnaître la recevabilité de sa demande et d’ordonner l’enregistrement de sa déclaration de nationalité française, ainsi que l’établissement d’un acte de naissance sur les registres de l’état civil français. Arguments de Monsieur [O] [L]Dans ses conclusions, Monsieur [O] [L] a soutenu qu’il était sous la protection du service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de trois ans et qu’il n’avait pas encore atteint sa majorité au moment de la déclaration. Il a également affirmé que les actes produits étaient correctement légalisés et que le ministère public avait des exigences excessives en matière de légalisation. Il a justifié son état civil en se référant à un jugement supplétif et a contesté les critiques du ministère public concernant la validité de ses documents. Position du Ministère PublicLe ministère public a requis le rejet de la demande de Monsieur [O] [L], arguant que le jugement supplétif n’était pas opposable en France en raison d’une légalisation insuffisante. Il a également souligné que l’acte de naissance produit ne respectait pas les exigences de l’article 47 du code civil, notamment en ce qui concerne les mentions essentielles relatives aux parents. De plus, il a mis en avant l’existence de deux jugements supplétifs, ce qui remet en question la fiabilité de l’état civil de Monsieur [O] [L]. Décision du TribunalLe tribunal a constaté que la formalité de l’article 1040 du code de procédure civile avait été respectée. Cependant, il a conclu que Monsieur [O] [L] ne justifiait pas d’un état civil certain, ce qui l’empêchait de revendiquer la nationalité française. En conséquence, toutes ses demandes ont été rejetées, et son extranéité a été constatée. Le tribunal a également ordonné la mention prévue par l’article 28 du code civil et a condamné Monsieur [O] [L] aux dépens. |
C.L
F.C
LE 30 JANVIER 2025
Minute n°
N° RG 21/02312 – N° Portalis DBYS-W-B7F-LDRP
[O] [L]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001367 du 02/12/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de NANTES)
C/
M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE NANTES
NATIO 21-36
copie exécutoire
copie certifiée conforme
délivrée à
30/01/2025
copie certifiée conforme
délivrée à
PR (3)
Me E. LEUDET
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTES
———————————————-
HUITIEME CHAMBRE
Jugement du TRENTE JANVIER DEUX MIL VINGT CINQ
Composition du Tribunal lors des débats et du délibéré :
Président : Florence CROIZE, Vice-présidente,
Assesseur : Géraldine BERHAULT, Première Vice-Présidente,
Assesseur : Marie-Caroline PASQUIER, Vice-Présidente,
GREFFIER : Caroline LAUNAY
Débats à l’audience publique du 22 NOVEMBRE 2024 devant Florence CROIZE, vice-présidente, siégeant en juge rapporteur, sans opposition des avocats, qui a rendu compte au Tribunal dans son délibéré.
Prononcé du jugement fixé au 30 JANVIER 2025, date indiquée à l’issue des débats.
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe.
—————
ENTRE :
Monsieur [O] [L], demeurant [Adresse 1]
Rep/assistant : Me Emmanuelle LEUDET, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant
DEMANDEUR.
D’UNE PART
ET :
M. LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE DE NANTES
représenté par Céline MATHIEU-VARENNES, procureur adjoint
DEFENDEUR.
D’AUTRE PART
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [O] [L], né le 1er décembre 2001 à [Localité 2] (Guinée), a souscrit le 17 octobre 2019 une déclaration acquisitive de nationalité française auprès de la directrice des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Nantes sur le fondement de l’article 21-12 du code civil.
Il s’est vu opposer le 29 octobre 2019 une décision refusant l’enregistrement de sa déclaration de nationalité française, celle-ci étant jugée irrecevable, au motif que son état civil n’était ni fiable, ni probant au regard de l’article 47 du code civil, faute de motivation du jugement supplétif de naissance, en contrariété avec l’ordre public international français.
Il a dès lors, par acte d’huissier du 27 avril 2021, fait assigner Monsieur le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes devant la présente juridiction, aux fins d’enregistrement de sa déclaration de nationalité française.
En l’état de ses dernières conclusions notifiées par voir électronique le 20 janvier 2023, M. [O] [L] demande au tribunal, sur le fondement des articles 21-12 et 47 du code civil, de :
Le déclarer recevable et bien fondé en sa demande ;En conséquence,
Ordonner l’enregistrement de la déclaration d’acquisition de nationalité française souscrite le 17 octobre 2019 ;Dire et juger qu’il a acquis la nationalité française par déclaration ;Ordonner l’établissement d’un acte de naissance sur les registres de l’état civil français ;Ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil ;Condamner l’Etat, représenté par le ministère public, à payer à Me Leudet la somme de 2 000 euros, sur le fondement des articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aode juridique, sous réserve pour Me Leudet de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat à la mission d’aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;Laisser les dépens à la charge du Trésor public.
Il estime en premier lieu démontrer qu’au jour de la souscription de sa déclaration acquisitive de nationalité française, il était confié au service de l’aide sociale à l’enfance depuis trois années et cinq mois et n’avait pas encore atteint la majorité, puisqu’il n’a eu 18 ans que le 1er décembre 2019.
Il fait valoir en deuxième lieu que les actes produits sont correctement légalisés. Il considère que le ministère public « outrepasse largement les exigences en matière de légalisation, car quel que soit le fondement légal de cette formalité, il n’est nullement exigé qu’il soit indiqué, dans la formule de légalisation, à quel greffe ou à quel centre d’état civil la personne dont la signature est authentifiée appartient. »
Il soutient en troisième lieu qu’il justifie de son état civil.
S’agissant de son acte de naissance, il souligne que les articles visés par ministère public sont relatifs aux actes dressés lors de l’évènement qu’il relate et non aux actes dressés en exécution d’un jugement supplétif, l’article 193 du code civil guinéen étant alors applicable. Il soutient que cet article n’impose aucune mention particulière. Il en conclut que c’est à tort que le ministère public soutient que son acte de naissance n’aurait pas été dressé selon les formes usitées en Guinée. Il estime en outre qu’il n’est pas possible de considérer un acte d’état civil étranger irrégulier au motif que la loi étrangère n’impose pas des formes que le droit français juge impératives et qu’en tout état de cause, le ministère public ne démontre pas que la mention de l’état civil complet des parents serait imposée en droit français.
S’agissant du jugement supplétif, il relève qu’il renvoie aux motifs de la requête et aux pièces produites et qu’il se réfère aux documents versés au dossier et à l’enquête à laquelle il a été procédé à la barre du tribunal, notamment à l’audition de deux témoins. Il en conclut qu’il est erroné de prétendre que ce jugement ne serait pas motivé. Il rappelle que nombre de jugements français ne sont pas motivés. Il estime que le jugement est affecté d’une erreur matérielle, lorsque l’auteur de la requête est qualifié de requérant ou de requérante et qu’il n’est nullement exigé que la qualité de celui-ci soit précisée. Il fait enfin valoir que le jugement supplétif est rendu en deux exemplaires, de sorte qu’il n’est pas besoin de produire une expédition et que le ministère public n’explique pas en quoi l’absence de mention du procureur de la République dans le jugement affecterait sa validité. Il qualifie par ailleurs de « déloyale » la critique du ministère public selon laquelle il serait en possession de deux actes de naissance, dans la mesure où c’est la directrice des services de greffe judiciaires elle-même qui a sollicité un nouveau jugement supplétif, estimant celui de 2017 trop ancien. Il fait observer que le jugement n° 489 a été rendu à sa requête, alors qu’il était mineur et résidait en France, de sorte qu’irrégulier, il doit être considéré comme inexistant. Il en conclut que le seul jugement à prendre en considération est le jugement n° 4054 du 1er octobre 2019, qui a donné lieu à l’établissement de l’acte de naissance n° 410.
*
* *
Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par RPVA le 14 avril 2023, le ministère public requiert qu’il plaise au tribunal :
Constater que le récépissé prévu par l’article 1040 du code de procédure civile a été délivré ;Débouter l’intéressé de sa demande d’enregistrement de la déclaration souscrite et constater l’extranéité de l’intéressé ;Ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil.
Il soutient tout d’abord que le jugement supplétif n° 4054 n’est pas opposable en France, faute d’être valablement légalisé. Il fait en effet observer que la légalisation de l’ambassade de Guinée en France ne porte pas sur la signature du greffier qui a délivré la copie, mais sur celle du greffier qui tenait la plume à l’audience. Il soutient que la copie de l’acte de naissance n° 410 n’est pas davantage valablement légalisée par l’autorité compétente.
Il fait valoir ensuite que l’acte de naissance n° 410 n’est pas probant au sens de l’article 47 du code civil, en ce qu’il ne précise pas l’heure de son établissement, ni l’état civil complet des père et mère, mentions pourtant substantielles de l’acte au sens du droit français, indispensable pour identifier les parents. Il estime que les mentions substantielles d’un acte d’état civil sont à apprécier au sens du droit local mais aussi du droit français et qu’au sens du droit français, l’acte de naissance étranger doit mentionner les dates et lieux de naissance des parents, ou au moins leur âge, pour être considéré comme probant par le juge français de la nationalité.
Il souligne en outre que l’acte de naissance du requérant indique que le père se nomme [U] [Y], alors que selon le jugement supplétif, il se nomme [U] [S] [Y].
Il relève par ailleurs que l’acte est douteux, en ce qu’il précise de manière incongrue selon lui que [Localité 2] se trouve en République de Guinée, alors que la devise de ce pays est portée en-tête de l’acte.
Il soutient enfin que le jugement supplétif n’est pas opposable en France. D’une part, alors qu’il est chargé de statuer sur l’état civil de l’enfant, il ne précise ni l’état civil de la mère, ni celui du père. D’autre part, il n’est pas réellement motivé, cause d’irrégularité internationale des jugements étrangers, en ce qu’il se borne à viser, sans les analyser, ni même en faire la liste, les pièces du dossier, la requête, « les pièces produites » et l’enquête à la barre. Il souligne que le jugement n’est pas motivé sur la nécessité d’un jugement supplétif et sur le fait qu’aucun acte de naissance n’avait été dressé en 2001, alors qu’il statue en 2019 sur une naissance censée être survenue presque 18 ans plus tôt. Il qualifie ce jugement de « douteux » pour préciser que [Localité 2] se situe en République de Guinée et de « incohérent » en ce que l’auteur de la requête, [E] [I] [L], dont il n’est pas précisé de qui il s’agit, est parfois qualifié de requérant et parfois de requérante. Il fait observer qu’il n’est pas produit en expédition conforme. Il soutient que ce jugement est de toute façon contraire à l’ordre public international, en ce qu’il viole le principe du contradictoire, la requête n’ayant pas été communiquée au parquet guinéen et le jugement ne mentionnant pas la présence de celui-ci à l’audience.
Le ministère public fait en tout état de cause état de ce que le requérant avant produit devant le directeur de greffe un autre jugement supplétif, de sorte qu’il est en possession de deux jugements supplétifs et de deux actes de naissance, ce qui est impossible. Il relève que ce jugement supplétif a été rendu à la requête de l’intéressé, alors que celui-ci n’ignorait pas qu’il avait déjà obtenu un jugement supplétif. Il en conclut que son état civil ne peut être jugé fiable et certain.
*
Au-delà de ce qui a été repris pour les besoins de la discussion et faisant application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties à leurs dernières conclusions susvisées.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 15 octobre 2024.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,
CONSTATE que le récépissé prévu par l’article 1043 (devenu 1040) du code de procédure civile a été délivré ;
DÉBOUTE Monsieur [O] [L] de l’intégralité de ses demandes, y compris de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONSTATE l’extranéité de Monsieur [O] [L], se disant né le 1er décembre 2001 à [Localité 2] (Guinée) ;
ORDONNE la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
CONDAMNE Monsieur [O] [L] aux dépens.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT
Caroline LAUNAY Florence CROIZE
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