L’Essentiel : M. [F] [N] a été embauché par la Sarl Matrics le 2 janvier 2019 en tant que consultant. Le 11 juillet 2019, il a notifié une prise d’acte de rupture de son contrat, invoquant des manquements liés à des paiements dissimulés. Le 2 février 2023, le conseil de prud’hommes a requalifié cette prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant la Sarl Matrics à verser des indemnités. M. [N] a interjeté appel, contestant le refus d’indemnité pour travail dissimulé. La cour a conclu que l’employeur avait intentionnellement dissimulé une partie de la rémunération, justifiant ainsi la prise d’acte.
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Embauche et Prise d’ActeM. [F] [N] a été embauché le 2 janvier 2019 par la Sarl Matrics en tant que consultant sous un contrat de travail à durée indéterminée, régi par la convention collective Syntec. Le 11 juillet 2019, il a notifié à son employeur une prise d’acte de rupture de son contrat, invoquant des manquements liés à des paiements dissimulés et à l’absence de paiement de sa rémunération intégrale. Procédure JudiciaireLe 29 juillet 2019, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse pour faire reconnaître que sa prise d’acte produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, tout en demandant le versement de diverses sommes en raison de travail dissimulé. Après une radiation de l’affaire en mars 2021, celle-ci a été réinscrite en mai 2022. Jugement du Conseil de Prud’hommesLe 2 février 2023, le conseil de prud’hommes a requalifié la prise d’acte de M. [N] en licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant la Sarl Matrics à verser plusieurs indemnités, dont une indemnité de préavis et des dommages et intérêts. Les parties ont été déboutées de leurs demandes excédentaires, et la Sarl Matrics a été condamnée aux dépens. Appel de M. [N]M. [N] a interjeté appel le 10 mars 2023, contestant le jugement sur plusieurs points, notamment le refus d’indemnité pour travail dissimulé et de rappels de salaire. Il a demandé à la cour de reconnaître les faits de travail dissimulé et d’ordonner le versement de sommes supplémentaires. Réponse de la Sarl MatricsLa Sarl Matrics a demandé à la cour d’infirmer le jugement, arguant que les prestations d’apporteur d’affaires étaient distinctes de la relation de travail et qu’aucun travail dissimulé n’avait été commis. Elle a également soutenu que la prise d’acte devait être considérée comme une démission. Motivations de la CourLa cour a examiné les éléments relatifs au travail dissimulé, concluant que la Sarl Matrics avait intentionnellement dissimulé une partie de la rémunération de M. [N]. Elle a également retenu que les manquements de l’employeur justifiaient la prise d’acte comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Indemnisation et Décisions FinalesLa cour a ordonné le versement de plusieurs sommes à M. [N], y compris des rappels de salaire et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Elle a également statué sur les intérêts moratoires et a condamné la Sarl Matrics aux dépens d’appel, tout en déboutant la société de sa demande d’indemnité. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les implications juridiques du travail dissimulé dans cette affaire ?Le travail dissimulé est défini par l’article L. 8221-5 du Code du travail, qui stipule que constitue un travail dissimulé le fait pour un employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales. Cet article précise que : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales. » Dans le cas présent, M. [N] a allégué que la Sarl Matrics lui avait versé des sommes sous forme de « compensations » pour des prestations d’apporteur d’affaires, qui n’étaient pas déclarées. La cour a retenu que ces sommes constituaient en réalité un complément de salaire dissimulé, ce qui a été corroboré par des éléments de preuve tels que des factures et des échanges de courriels. Ainsi, la Sarl Matrics a été reconnue coupable de travail dissimulé, ce qui a des conséquences financières significatives, notamment le droit pour M. [N] de réclamer une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, conformément à l’article L. 8223-1 du Code du travail. Comment la prise d’acte de rupture a-t-elle été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse ?La prise d’acte de rupture est un acte par lequel un salarié met fin à son contrat de travail en raison de manquements de l’employeur. Selon la jurisprudence, pour qu’une prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il faut que les manquements reprochés soient d’une gravité telle qu’ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail. La cour a considéré que les manquements de la Sarl Matrics, notamment le défaut de paiement d’une partie de la rémunération et la dissimulation d’une partie du salaire, étaient suffisamment graves pour justifier la prise d’acte. L’article L. 1231-1 du Code du travail précise que : « Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse lorsque l’employeur ne justifie pas d’une cause réelle et sérieuse. » Dans cette affaire, la cour a constaté que les manquements de l’employeur avaient perduré sur plusieurs mois, ce qui a conduit à la requalification de la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ainsi, M. [N] a pu bénéficier des indemnités associées à cette requalification, y compris des dommages et intérêts. Quelles sont les conséquences financières pour la Sarl Matrics suite à cette décision ?Les conséquences financières pour la Sarl Matrics sont significatives, car elle a été condamnée à verser plusieurs sommes à M. [N] en raison de la requalification de la prise d’acte et de la reconnaissance du travail dissimulé. Conformément à l’article L. 8223-1 du Code du travail, M. [N] a droit à une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, qui a été fixée à six mois de salaire. De plus, la cour a ordonné le versement de : – 5 265,00 euros au titre du rappel de salaire, Ces montants sont dus à M. [N] en raison des manquements de la Sarl Matrics, qui a également été condamnée aux dépens d’appel et à verser 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. Ainsi, la Sarl Matrics se retrouve dans une situation financière délicate, avec des obligations de paiement importantes résultant de la décision de la cour. |
ARRÊT N°2025/29
N° RG 23/00868 – N° Portalis DBVI-V-B7H-PJY2
MD/CD
Décision déférée du 02 Février 2023 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( F 22/00758)
ML.BLATT
Section Encadrement
[F] [N]
C/
S.A.R.L. MATRICS
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
*
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
*
ARRÊT DU TRENTE ET UN JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ
*
APPELANT
Monsieur [F] [N]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Renaud FRECHIN de la SCP CABINET DENJEAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIM »E
S.A.R.L. MATRICS
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Marion BOUCHER, avocat au barreau de TOULOUSE
Représentée par Me Coralie OUAZANA, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Novembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. DARIES, Conseillère, chargée du rapport. Cette magistrate a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
C.GILLOIS-GHERA, présidente
M. DARIES, conseillère
N.BERGOUNIOU, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffière, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par C.GILLOIS-GHERA, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre
M. [F] [N] a été embauché le 2 janvier 2019 par la Sarl Matrics en qualité de consultant suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite « Syntec »).
Par courrier recommandé du 11 juillet 2019, M. [N] a notifié à la Sarl Matrics une prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur en ce que les prestations d’apporteur d’affaires seraient un complément de salaire dissimulé et en ce qu’il n’a pas été payé de l’intégralité de sa rémunération.
M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 29 juillet 2019 afin de demander que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le versement de diverses sommes en raison notamment du travail dissimulé.
Par décision du 22 mars 2021, le conseil de prud’hommes de Toulouse a prononcé la radiation de l’affaire. L’affaire a été réinscrite au rôle le 11 mai 2022.
Le conseil de prud’hommes de Toulouse, section encadrement, par jugement du 2 février 2023, a :
– requalifié la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [N] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamné la Sarl Matrics prise en la personne de son représentant légal ès-qualités à verser à M. [N] :
9 999 euros au titre d’indemnité de préavis,
999,9 euros à titre de congés payés sur préavis,
1 666,5 euros à titre d’indemnité de licenciement,
3 333 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné la Sarl Matrics aux dépens.
Par déclaration du 10 mars 2023, M. [N] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 21 février 2023, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 31 octobre 2024, M. [F] [N] demande à la cour de :
– déclarer recevable en la forme l’appel interjeté contre la décision déférée,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté :
* de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
* de sa demande de rappels de salaire et de congés payés y afférents,
statuant à nouveau
– juger que la Sarl Matrics s’est rendue coupable de faits de travail dissimulé,
– condamner la Sarl Matrics à lui verser avec intérêts de droit à compter du jour de la demande les sommes de :
20 342,34 euros bruts au titre de rappel de salaire outre la somme de 2 034,23 euros au titre de congés payés afférents,
40 342,62 euros au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
* jugé que la Sarl Matrics a gravement manqué à ses obligations légales et contractuelles envers lui, rendant impossible la poursuite de son contrat de travail,
* jugé que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* accordé les sommes de 739,63 euros à titre de rappel sur l’indemnité légale de licenciement, de 500 euros injustement prélevée sur son solde de tout compte, de 2 197,34 euros bruts au titre du complément de salaire dû sur la période du 15 décembre 2018 au 15 avril 2019 outre les congés payés y afférents, de 209,73 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés, ainsi que la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
y ajoutant :
– condamner la Sarl Matrics à lui verser avec les intérêts de droit à compter du jour de la demande, les sommes de :
10 172, 16 euros à titre de complément de l’indemnité compensatrice de préavis,
1 017,21 euros à titre de complément des congés payés sur préavis,
1 695,36 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement,
– condamner la Sarl Matrics à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens,
– juger que la moyenne des trois derniers mois de salaire s’établit à la somme de 6 723,72 euros.
Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 2 août 2023, la Sarl Matrics demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau :
– juger que les prestations d’apporteur d’affaires de la société Rocket Packet ont été réalisées de manière distincte de la relation de travail liant M. [N] et la société Matrics et ne saurait s’analyser comme une activité salariée ou une rémunération salariée,
en conséquence :
– juger qu’aucun travail dissimulé ou rémunération dissimulée n’a été commis par elle dans sa relation contractuelle salariée avec M. [N],
– débouter M. [N] de ses demandes de rappel de salaires,
– débouter M. [N] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé,
– juger que la prise d’acte de rupture du contrat de travail par M. [N] en date du 10 juillet 2019 était infondée et doit produire les effets d’une démission,
en conséquence :
– débouter M. [N] de ses demandes indemnitaires au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouter M. [N] de sa demande d’indemnité légale de licenciement,
– débouter M. [N] de sa demande de versement d’indemnité compensatrice de préavis outre l’indemnité de congés payés afférente,
– débouter M. [N] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,
– condamner M. [N] au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 8 novembre 2024.
Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
I/ Sur la rémunération
Sur le travail dissimulé,
L’article L. 8221-5 3° du code du travail dispose qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par les textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En vertu de l’article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Le contrat d’apporteur d’affaires est un contrat commercial innommé dans le cadre duquel l’apporteur doit être inscrit en qualité de travailleur indépendant et ne doit donc être lié à son donneur d’ordre par aucun contrat de travail ni par un lien quelconque de subordination.
L’appelant prétend à une indemnité de 6 mois de salaire, alléguant que la Sarl Matrics s’est rendue coupable de travail dissimulé en lui versant intentionnellement, pour la même prestation de travail, à la fois un salaire soumis à cotisations sociales et à la fois des sommes sous forme de « compensations » pour des prestations d’apporteur d’affaires facturées par l’intermédiaire des sociétés Rocket Packet puis DA Consult dont il était dirigeant, calculées sur la base du nombre de jours effectivement travaillés par mois, ne figurant pas sur ses bulletins de paie et n’étant pas déclarées aux organismes de recouvrement ni à l’administration fiscale, constituant en réalité un complément de salaire dissimulé.
L’employeur conclut au débouté, arguant que la création et l’activité commerciale de la société Rocket Packet dirigée par M. [N] est antérieure de deux ans aux faits litigieux. Il ajoute que les prestations d’apporteur d’affaires se distinguent de celles tenant à l’exécution du contrat de travail, justifiant deux modes de rémunération différents.
Le contrat de travail stipulait que le salarié travaillait à temps plein pour une durée de 39 heures par semaine et percevait une rémunération annuelle brute de 40 000 euros, soit 3 333,33 euros bruts mensuels.
Il ne résulte d’aucun accord des parties, qui par ailleurs n’invoquent aucun accord collectif sur ce point, que le salarié pouvait bénéficier d’un complément de salaire.
Il est versé aux débats :
– un échange de mails dont il ressort que M. [G], directeur d’agence, a indiqué aux ressources humaines de l’entreprise le 30 novembre 2018 de se mettre en relation avec M. [N] afin de rédiger son contrat de travail pour un salaire de 40 000 euros annuel tout en mentionnant qu’une « compensation » de 135 euros par jour « en apport d’affaires » devait être effectuée auprès d’une société de M. [N], que ce dernier a présenté le 13 mai 2019 une facture pour les mois de janvier à avril 2019 au nom de la société Rocket Packet dont il est dirigeant, précisant qu’il ne pouvait pas se déclarer auto-entrepreneur, que M. [G] a répondu le 14 mai 2019 en ces termes : « c’est vu, ça passe au paiement », que M. [N] lui a écrit le 17 juin 2019 « comme convenu, je te confirme que je suis déclaré auto-entrepreneur depuis le 7/06. Je peux donc te facturer les jours prévus dans notre accord initial. Voici donc la nouvelle facture au titre des mois de janvier à mai 2019 »,
– le bulletin de salaire de M. [N] du mois de mai 2019, qui mentionne un salaire brut mensuel à hauteur de 3 333,33 euros,
– plusieurs factures établies par M. [N] au nom des sociétés Rocket Packet puis DA Consult pour des « apports d’affaires » de janvier à juin 2019 indiquant, pour chaque mois, le nombre de jours travaillés, le prix à la journée de 135 euros ainsi que le total,
– un compte rendu d’activité de M. [N] au sein de la Sarl Matrics en tant que consultant de janvier à juin 2019 dont il ressort que le nombre de jours travaillés par le salarié chaque mois est le même que celui indiqué sur les factures d’apport d’affaires,
– le détail d’un virement effectué par la Sarl Matrics à la société Rocket Pocket le 3 juillet 2019 pour un montant de 12 312 euros correspondant au montant de la facture émise par M. [N] de janvier à avril 2019.
La Sarl Matrics qui conteste la version des faits de M. [N], n’apporte aucun élément concret pour justifier de la réalité des prestations d’apporteur d’affaires distinctes de celles de consultant que M. [N] exécutait dans le cadre de sa relation de travail salarié.
Le caractère fictif du contrat d’apporteur d’affaires se déduit également des factures d’apport d’affaires qui sont établies sur la base du nombre de jours travaillés par M. [N] en tant que salarié.
Par ailleurs, le lien de subordination entre les parties est incompatible avec la qualité de travailleur indépendant de l’apporteur d’affaire.
De l’ensemble de ces éléments, il résulte que les sommes allouées en raison de prétendus « apports d’affaires » constituaient en réalité un complément de salaire destiné à rémunérer M. [N] en contrepartie des prestations fournies dans le cadre de son contrat de travail, que l’employeur établissait des bulletins de salaire contenant des mentions inexactes destinées à dissimuler partie des salaires versés à M. [N], et ce afin d’échapper au paiement d’une partie des charges sociales.
Dès lors la cour estime que l’intention frauduleuse de la Sarl Matrics est établie.
La Sarl Matrics devra verser à M. [N] la somme de 35 659,98 euros correspondant à six mois de salaire (sur la base d’un salaire moyen mensuel brut de 5 943,33 euros) soit (3333,33 €+ (15 660 € montant total des 2 factures / 6 mois = 2 610 €) par infirmation du jugement déféré.
Sur le rappel de salaire
La cour a retenu la qualification de travail dissimulé à l’égard des sommes facturées par les sociétés Rocket Packet puis DA Consult, leur conférant une nature salariale.
Il s’en déduit que M. [N] est fondé à demander le paiement de l’intégralité de ces sommes non rémunérées à titre de rappel de salaire.
Il fait valoir que la Sarl Matrics n’a réglé qu’une partie des factures correspondant au complément de rémunération dû, ce que conteste l’employeur.
Au regard des pièces versées par les parties dont il ressort que la Sarl Matrics a réglé le complément de rémunération facturé pour la période de janvier à avril 2019 à hauteur de 12 312 euros, la cour fera droit à la demande de M. [N] à hauteur de 5 265,00 euros de rappel de salaire pour complément de rémunération facturé pour la période de mai et juin 2019 outre 526,5 euros de congés payés afférents, par infirmation du jugement déféré.
II / Sur la rupture du contrat de travail
La prise d’acte s’analyse comme un mode de rupture du contrat de travail, à l’initiative du salarié, qui se fonde sur des manquements imputés à son employeur dans l’exécution de ses obligations. Elle ne produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les manquements reprochés sont actuels et d’une gravité incompatible avec la poursuite du contrat de travail. Dans le cas contraire, elle produit les effets d’une démission. Contrairement au licenciement, la lettre de prise d’acte ne circonscrit pas le litige.
Il incombe au salarié d’établir la matérialité des faits qu’il invoque.
La lettre de prise d’acte de rupture du contrat de travail est ainsi libellée :
« J’ai été embauché par la société MATRICS en qualité de consultant cadre position 2.3 coefficient 150 le 2 janvier 2019.
Il avait été convenu d’un salaire de 6.000€ bruts. Il m’a été expliqué que votre société ne pourrait me payer ce montant là comme salaire.
Il m’a été indiqué que cette somme qui devait correspondre à mon salaire me serait versée sous la forme d’un salaire déclaré de 3.333,33€ par mois augmenté d’une partie payée sur facture à hauteur de 135 € par journée de travail salarié.
Les factures devaient mentionner une prétendue commission en qualité d’apporteur d’affaire et supposait mon inscription comme autoentrepreneur.
Bien que ce montage n’arrange en rien mes intérêts, j’ai été contraint de faire avec. Il est apparu que malgré vos engagements écrits, le complément de salaire n’allait être payé que tardivement après plusieurs relances.
Ce n’est donc que le 4 juillet 2019, qu’une partie du complément du salaire convenu m’a été réglée.
Cette dissimulation d’emploi par dissimulation d’une partie importante du salaire convenu me cause préjudice et constitue une cause suffisamment grave pour permettre de prendre acte de la rupture de son contrat de travail ce que je fais par la présente.
Mon contrat cessera à réception de la présente par vos services ».
M. [N] reproche à l’employeur qui le réfute :
– une dissimulation d’une partie de sa rémunération caractérisant le travail dissimulé,
– un défaut de paiement d’une partie importante de la rémunération due,
manquements que le salarié estime suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.
La cour a retenu les manquements allégués par le salarié au titre du défaut de paiement d’une partie de la rémunération due et du travail dissimulé.
Les manquements imputables à l’employeur ont perduré sur plusieurs mois et le règlement de la totalité du salaire n’a pas été effectué malgré les demandes de l’intimé avant la prise d’acte.
La cour estime que les manquements avérés et durables fondent la prise d’acte qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’indemnisation
M. [N] prétend au versement d’un complément d’indemnité de préavis et d’indemnité de licenciement.
L’employeur conclut au débouté.
Sur la base d’un salaire de référence de 5 943,33 euros et d’une ancienneté de six mois dans une entreprise d’au moins 11 salariés, la société sera condamnée à lui payer, par réformation du jugement déféré, 7 830,00 euros ((5 943,33€ x 3) – 9 999,99€ montant fixé par le jugement ) à titre de complément d’indemnité compensatrice de préavis outre 783,00 euros de congés payés afférents en application de l’article 4.2 de la convention collective nationale « Syntec » prévoyant un préavis de 3 mois pour les cadres en cas de rupture du contrat de travail.
L’ancienneté du salarié à la date du rupture du contrat de travail par la prise d’acte du 11 juillet 2019 étant inférieure à 8 mois, il ne peut prétendre à une indemnité de licenciement. Le jugement sera infirmé sur ce point et il sera débouté de sa demande de complément d’indemnité de licenciement.
III/ Sur les demandes annexes :
En application des dispositions de l’article 1231-6 du code civil, les intérêts moratoires courront sur les sommes ayant caractère de salaire à compter du 16 août 2022, date de la réception par l’employeur de la convocation en conciliation comportant les demandes.
En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, les intérêts moratoires courront sur la condamnation prononcée au titre de dommages et intérêts à compter du prononcé de la présente décision.
Si l’appelant sollicite dans ses motifs la remise des documents de fin de contrat rectifiés conformes au présent, cette demande ne figure pas dans le dispositif de ses conclusions, de sorte que la cour n’en est pas saisie.
La Sarl Matrics, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.
La condamnation de la société aux frais irrépétibles par le conseil de prud’hommes sera confirmée.
M. [N] est en droit de réclamer l’indemnisation des frais non compris dans les dépens exposés à l’occasion de cette procédure.
La Sarl Matrics sera condamnée à lui verser une somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel. La Sarl Matrics sera déboutée de sa demande à ce titre.
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la sarl Matrics au paiement d’une indemnité de licenciement et en ce qu’il a débouté M. [F] [N] de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de sa demande de rappels de salaire et de congés payés afférents,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le travail dissimulé est caractérisé,
Condamne la Sarl Matrics à payer à M. [F] [N] les sommes suivantes :
– 5 265,00 euros au titre du rappel de salaire outre 526,5 euros de congés payés afférents,
– 35 659,98 euros au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– 7 830,00 euros à titre de complément d’indemnité compensatrice de préavis outre 783,00 euros de congés payés afférents,
Dit que les intérêts sont dus au taux légal sur les sommes de nature salariale à compter du 16 août 2022,
Dit que les intérêts sont dus au taux légal sur les sommes à caractère indemnitaire à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,
Déboute M. [F] [N] de sa demande d’indemnité de licenciement,
Condamne la Sarl Matrics aux dépens d’appel et à payer à M. [F] [N] la somme de 2 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
Déboute la Sarl Matrics de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par C.GILLOIS-GHERA, présidente, et par C. DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C. DELVER C.GILLOIS-GHERA
.
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