En l’absence de clause contraire, le préjudice moral de l’artiste dont les oeuvres ont été abimées lors d’un prêt à un Musée n’est pas couvert par la police d’assurances,
En matière d’oeuvres d’art, selon l’article L. 113-2 4° du code des assurances, la déchéance ne peut pas être opposée à l’assuré (le Musée qui avais la garde des oeuvres détériorées) si elle ne fait pas l’objet d’une clause dans la police d’assurances (Civ 1ère, 24 févr. 1965 : RGAT 1965. 472). En conséquence, la seule clause valable relative au délai de déclaration de sinistre n’est pas sanctionnée de déchéance en cas de déclaration tardive. En la cause, la police d’assurances litigieuse stipule que le présent « contrat a pour objet de garantir toutes pertes ou dommages matériels directs survenant aux objets et œuvres d’art appartenant ou confiées à l’assuré, dans le cadre d’exposition temporaires et/ou permanentes organisées dans les locaux. ». L’artiste est donc bien fondée à solliciter la condamnation in solidum de XL INSURANCE COMPANY SE et du Musée assuré des préjudices matériels subis. En matière de prêt d’oeuvres d’art, les dégradations des œuvres litigieuses ne sont pas causées par un vice propre à la chose mais, notamment, par un encadrement fautif, de sorte que XL INSURANCE COMPANY SE n’est pas fondée à opposer l’article des conditions générales d’assurance aux termes duquel la garantie est exclue en cas de vice propre de l’œuvre. L’assureur dénie également à tort sa garantie en raison d’une déclaration de sinistre qu’elle estime tardive (plus d’une année après la remise en prêt des oeuvres au Musée) ; elle oppose ainsi la déchéance pour déclaration tardive telle qu’elle est prévue par l’article L. 113-2 4° du code des assurances aux termes duquel « l’assuré est obligé de donner avis à l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entrainer la garantie de l’assureur. (…) lorsqu’elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. » En l’espèce, le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE sont en désaccords sur les clauses applicables au présent litige, le premier opposant l’article 4.14 des conditions particulières aux termes duquel la déclaration de sinistre est porté à 30 jours ouvrables à partir du moment où le service assurance du souscripteur en aura connaissance ; alors que l’assureur oppose l’article 6 des conditions générales d’assurances qui stipule que la déclaration de sinistre doit être réalisée sous peine de déchéance dans un délai de cinq jours ouvrés à partir où l’assuré en a connaissance. Or, le tribunal observe qu’il y une contradiction manifeste entre les conditions générales et les conditions particulières de la police d’assurances ; l’une prévoyant un délai de déclaration de trente jours sans déchéance tandis que l’autre prévoyant un délai de déclaration de cinq jours sous peine de déchéance. Il y a lieu de retenir les conditions particulières, en ce que le spécial déroge au général et qu’elles sont par ailleurs plus favorables à la partie qui n’a pas rédigé le contrat. Et précisément, les conditions particulières stipulent que la déclaration de sinistre doit intervenir dans un délai de trente jours ; délai qui n’est pas sanctionné contractuellement par une déchéance. Selon l’article L. 113-2 4° du code des assurances cité ci-avant, la déchéance ne peut pas être opposée à l’assuré si elle ne fait pas l’objet d’une clause dans la police d’assurances (Civ 1ère, 24 févr. 1965 : RGAT 1965. 472). En conséquence, la seule clause valable relative au délai de déclaration de sinistre n’est pas sanctionnée de déchéance en cas de déclaration tardive. |
L’Essentiel : Mme [P] [K] a prêté quatorze œuvres au Musée [8], mais a constaté des dégradations. Elle a demandé 150.000 euros d’indemnisation au département du Nord, qui a déclaré le sinistre à son assureur, XL INSURANCE COMPANY SE. Après une expertise, Mme [P] [K] a assigné les deux parties en justice. Le tribunal a reconnu des fautes du département, notamment un manque d’information sur les dégradations. Il a évalué le préjudice matériel à 52.000 euros et le préjudice moral à 10.000 euros, condamnant le département et l’assureur à verser ces sommes à l’artiste. L’exécution provisoire a été maintenue.
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Résumé de l’affaire :
Exposé du litigeMme [P] [K] a prêté quatorze de ses œuvres au Musée [8] pour une exposition, mais a constaté des dégradations durant celle-ci. Elle a mis en demeure le département du Nord pour obtenir une indemnisation de 150.000 euros. Le département a déclaré le sinistre à son assureur, XL INSURANCE COMPANY SE, qui a réalisé une expertise. Mme [P] [K] a ensuite assigné le département et l’assureur en paiement de dommages-intérêts. Demandes de Mme [P] [K]Dans ses conclusions, Mme [P] [K] demande la condamnation solidaire du département et de l’assureur à lui verser 140.000 euros pour préjudice matériel, 50.000 euros pour préjudice moral, 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que le paiement des dépens. Elle reproche au département d’avoir manqué à ses obligations contractuelles, notamment concernant l’affichage, le constat d’état des œuvres, le signalement des dégradations, le décrochage non autorisé et la restitution tardive des œuvres. Réponses des défendeursLe département du Nord conteste les demandes de Mme [P] [K] et demande à être débouté. À titre subsidiaire, il propose de réduire les montants des dommages-intérêts. Il soutient que les dégradations sont dues à l’usage normal des œuvres et qu’il n’a pas commis de faute. XL INSURANCE COMPANY SE conteste également les fautes qui lui sont imputées et demande à être déboutée, tout en soutenant que les dégradations ne sont pas survenues durant l’exposition. Analyse de la responsabilitéLe tribunal examine la responsabilité du département du Nord en vertu des articles du code civil relatifs au prêt à usage. Il conclut que Mme [P] [K] a prouvé l’existence de désordres sur ses œuvres, causés par une insuffisante contrainte de fixation lors de l’encadrement. Le musée a également tardé à informer l’artiste des dégradations, ce qui constitue une faute. Évaluation des préjudicesLe tribunal évalue les dégradations des œuvres et conclut qu’elles sont irréversibles, entraînant un préjudice matériel de 52.000 euros pour Mme [P] [K]. De plus, un préjudice moral de 10.000 euros est également reconnu. Le tribunal condamne le département du Nord à verser ces sommes à l’artiste. Garantie de l’assureurXL INSURANCE COMPANY SE est déboutée de sa demande de déchéance pour déclaration tardive, car le tribunal retient que la déclaration a été faite dans les délais prévus par les conditions particulières de la police d’assurances. L’assureur est condamné à garantir le département du Nord pour les sommes versées à Mme [P] [K] pour le préjudice matériel. Décision finaleLe tribunal condamne in solidum le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE à payer à Mme [P] [K] les sommes dues pour le préjudice matériel et moral, ainsi qu’à régler les dépens et une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire est maintenue. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les obligations de l’emprunteur en vertu du contrat de prêt à usage ?L’article 1874 du Code civil définit le prêt à usage comme un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi. L’article 1880 du Code civil précise que l’emprunteur est tenu de veiller raisonnablement à la garde et à la conservation de la chose prêtée. Dans le cas présent, Mme [P] [K] a prêté ses œuvres au musée [8], administré par le département du Nord, et elle doit prouver que les dégradations ont eu lieu pendant la période où les œuvres étaient sous la garde de l’emprunteur. Il est donc essentiel que l’emprunteur respecte ses obligations de conservation et de restitution des œuvres dans l’état dans lequel elles ont été prêtées. En l’espèce, le tribunal a constaté que le département du Nord n’a pas respecté ses obligations, notamment en ce qui concerne l’encadrement et l’affichage des œuvres, ce qui a conduit à leur dégradation. Comment la responsabilité de l’emprunteur peut-elle être engagée en cas de dégradation des œuvres ?L’article 1231-1 du Code civil stipule que le débiteur est tenu de réparer le préjudice causé par l’inexécution de son obligation. En vertu de l’article 1884 du Code civil, si la chose se détériore par le seul effet de l’usage pour lequel elle a été empruntée, et sans aucune faute de la part de l’emprunteur, il n’est pas tenu de la détérioration. Cependant, la jurisprudence impose à l’emprunteur de prouver l’absence de faute ou d’un cas fortuit pour s’exonérer de sa responsabilité. Dans cette affaire, le tribunal a noté que le département du Nord n’a pas démontré que les dégradations étaient uniquement dues à l’usage normal des œuvres. Au contraire, il a été établi que l’insuffisante contrainte de fixation des œuvres au support a contribué à leur détérioration, engageant ainsi la responsabilité de l’emprunteur. Quels sont les critères pour évaluer le préjudice matériel subi par l’artiste ?L’article 1231-2 du Code civil précise que les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé. Dans le cas présent, l’expertise amiable a évalué les dégradations des œuvres et a estimé le coût de leur restauration. L’article 1883 du Code civil indique que si la chose a été estimée en la prêtant, la perte qui arrive, même par cas fortuit, est pour l’emprunteur, s’il n’y a convention contraire. Le tribunal a constaté que treize des quatorze œuvres présentaient des dégradations irréversibles, ce qui a conduit à une évaluation de 52.000 euros pour le préjudice matériel. Il a également été noté que la valeur des œuvres avait été estimée à 4.000 euros chacune lors de la déclaration d’assurance, ce qui a servi de base pour le calcul des dommages-intérêts. Quelles sont les implications de la déclaration tardive de sinistre pour l’assureur ?L’article L. 113-2 du Code des assurances stipule que l’assuré est obligé de donner avis à l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l’assureur. En l’espèce, le département du Nord a déclaré le sinistre dans un délai de trente jours, conformément aux conditions particulières de la police d’assurances, qui ne prévoient pas de déchéance en cas de déclaration tardive. Le tribunal a noté qu’il y avait une contradiction entre les conditions générales et particulières de la police d’assurances, mais a retenu les conditions particulières, plus favorables à l’assuré. Ainsi, l’assureur ne pouvait pas opposer la déchéance pour déclaration tardive, car le délai de trente jours n’était pas sanctionné par une telle déchéance. En conséquence, XL INSURANCE COMPANY SE a été déboutée de sa demande de déchéance pour déclaration tardive. |
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Chambre 01
N° RG 22/06885 – N° Portalis DBZS-W-B7G-WSCE
JUGEMENT DU 17 JANVIER 2025
DEMANDERESSE :
Mme [P] [K]
[Adresse 2]
[Localité 1] (TUNISIE)
représentée par Me César GHRENASSIA, avocat au barreau de PARIS, plaidant et Me Marine MARBACH, avocat au barreau de LILLE, postulant
DÉFENDERESSES :
LE DEPARTEMENT DU NORD,
pris en la personne de son président en exercice dûment habilité
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Me My-Kim YANG-PAYA, avocat au barreau de PARIS, plaidant et Me Jean-Pierre VANDAMME, avocat au barreau de LILLE, postulant
Société XL INSURANCE COMPANY SE
immariculée au RCS de PARIS sous le n° 419 408 927
prise en la personne de son représental légal
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Jean-Michel AZOULAI, avocat au barreau de PARIS, plaidant et Me Jeanine AUDEGOND, avocat au barreau de LILLE, postulant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Marie TERRIER,
Assesseur : Juliette BEUSCHAERT
Assesseur : Nicolas VERMEULEN
Greffier : Benjamin LAPLUME,
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture rendue en date du 19 Avril 2024, avec effet au 05 Avril 2024.
A l’audience publique devant la formation collégiale du 14 Novembre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré,les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 17 Janvier 2025.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 17 Janvier 2025 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.
Suivants convention de prêt à usage régularisé le 12 août 2019, Mme [P] [K] a prêté quatorze de ses œuvres au Musée [8], représenté par le département du Nord, pour les besoins de l’exposition « Tout va bien Monsieur [8] ».
Se plaignant d’une dégradation de ses œuvres au cours de l’exposition, Mme [P] [K] a, par lettre recommandée du 3 novembre 2021, mis en demeure le département du Nord de procéder à l’indemnisation de son préjudice hauteur de 150.000 euros.
Le département du Nord a procédé à une déclaration de sinistre auprès de XL INSURANCE COMPANY SE, qui a fait procéder à une expertise amiable, dont le rapport lui a été remis le 21 janvier 2022.
Par actes de commissaire de justice en date des 26 et 27 octobre 2022, Mme [P] [K] a fait assigner le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE en paiement de dommages-intérêts.
Sur ce, les défendeurs ont constitué.
La clôture est intervenue le 05 avril 2024, suivant ordonnance du même jour, et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 14 novembre 2024.
Au terme de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 28 septembre 2023, Mme [P] [K] demande de :
Condamner solidairement le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE à lui payer la somme de 140.000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel ;
Les condamner solidairement à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages intérêts au titre de son préjudice moral ;
Les condamner solidairement à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Les condamner aux dépens.
Mme [P] [K] prétend, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, que le département du Nord a manqué à ses obligations issues du contrat de prêt. Elle reproche notamment :
– S’agissant des conditions d’affichage des œuvres, que celles-ci n’ont pas été installées conformément à ses instructions, en contravention de l’article 5 du contrat, à savoir un accrochage des œuvres aplanies sur leur support.
– S’agissant de la réalisation d’un constat d’état des œuvres, Mme [P] [K] allègue que le musée [8] n’a pas effectué de constat des œuvres lors de l’enlèvement des œuvres des [6], en charge de l’encadrement, en contravention de l’article 7 du contrat.
– S’agissant du signalement des dégradations et de leur prise en charge, Mme [P] [K] énonce que le musée [8] a alerté l’artiste des dégradations pour la première fois le 29 juin 2021, soit plus d’un an après l’arrivée des œuvres sur le lieu de l’exposition.
– S’agissant du décrochage et de l’entreposage non autorisés des œuvres, Mme [P] [K] précise que les œuvres ont, à la fin de l’exposition « Tout va bien Monsieur [8] », été décrochées et placées en réserve sans son accord.
– S’agissant de la restitution de l’œuvre, Mme [P] [K] estime qu’elles lui ont été restituées à [Localité 9] plus de quatre mois après la fin de l’exposition alors que l’article 1 du contrat stipulait une restitution dans le délai de trois semaines à [Localité 10].
Mme [P] [K], sur le fondement des articles 1874 et suivants du code civil, expose que les détériorations ont eu lieu par la faute de l’emprunteur, de sorte que celui-ci engage sa responsabilité et doit réparer ses préjudices matériels ainsi que son atteinte au droit moral de l’auteur (L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle).
Elle soutient que l’exigence de la preuve du lien de causalité entre les manquements et les préjudices est affaiblie, compte tenu de la présomption simple de faute de l’emprunteur aux termes d’une jurisprudence établie de la Cour de cassation. Elle conteste l’allégation selon laquelle les altérations constatées sur les œuvres sont liées à la matière organique, à savoir le cuir animal. Elle expose que les dégradations sont causées notamment par l’absence de contrainte du support et des influences atmosphériques.
Elle estime que son préjudice matériel découle de la dégradation irréversible de ses œuvres et qu’elles n’ont plus de valeur commerciale en tant qu’œuvre originale. Elle énonce qu’il doit être pris le caractère volatile du marché de l’œuvre qui n’exclut pas que les siennes puissent dans un avenir proche avoir un succès important.
Au terme de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 10 janvier 2024, le département du Nord demande de :
Débouter Mme [P] [K] de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
Diminuer le montant des dommages et intérêts sollicités à titre du préjudice matériel à la somme totale de 16.000 euros, pris en charge exclusivement par XL INSURANCE COMPANY SE ;
Diminuer les dommages et intérêts sollicités à titre de préjudice moral à l’euro symbolique ;
En tout état de cause,
Condamner Mme [P] [K] à lui payer une indemnité de 8.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux dépens ;
Ecarter l’exécution provisoire.
Sur le fondement de l’article 1884 du code civil, le département du Nord expose qu’il n’est pas tenu de la détérioration qui survient par le seul effet de l’usage de la chose pour lequel elle a été empruntée. Il réfute toute faute qui lui est imputée :
– S’agissant des conditions d’affichage des œuvres, le département du Nord prétend que l’artiste n’a pas fait connaître les conditions spécifiques d’encadrement et d’affichage et n’a pas communiqué de fiche technique ni de protocole de montage.
– S’agissant des dégradations, le département du Nord énonce qu’aucun constat d’état des œuvres n’a été réalisé par l’artiste au départ du lieu d’enlèvement. Il énonce que l’artiste a été informée, dès réception des œuvres, de l’existence d’un pli marqué sur l’une des œuvres. Il précise que la réponse de l’artiste met en évidence le caractère évolutif du cuir en qualité de matière organique. Le département du Nord dénie la force probante des photographies versées aux débats par l’artiste, qu’il estime non datées et non présentées de la même manière, ne démontrant pas ainsi l’état dans lequel les œuvres ont été prêtées. Il allègue également que l’état des œuvres – et notamment l’existence de froissements – qui ont été exposées au musée est identique que d’autres œuvres de la même artiste exposées dans d’autres expositions.
– S’agissant du décrochage des œuvres, le département du Nord soutient que l’article 6 du contrat a pour objet la restauration, le nettoyage ou la modification de l’œuvre et aucunement le décrochage de l’œuvre et la conservation en réserve après l’exposition « Tout va bien Monsieur [8] ».
– S’agissant de la restitution tardive des œuvres, le département du Nord la justifie par la naissance du présent différend et le temps nécessaire pour procéder à une expertise. Il estime que la restitution à [Localité 9] a été effectuée en accord avec l’artiste.
Le département du Nord conteste l’usage anormal qui lui est imputé et soutient que le gondolement de l’œuvre ainsi que le froissement sont causés par la matière utilisée par l’artiste, à savoir le cuir animal et qu’ils n’ont aucun lien avec une éventuelle mauvaise fixation.
A titre subsidiaire, le département du Nord prétend que les œuvres ne peuvent pas être estimés individuellement au montant de 10.000 euros. Il estime que l’œuvre n°12 n’a subi aucun désordre ; qu’aucune des œuvres n’a été détruite et sont susceptibles d’être vendues ou exposées à nouveau ; qu’il n’est pas démontré que les œuvres ne sont pas susceptibles de restauration.
Le département du Nord sollicite la garantie de l’assureur et énonce qu’elle a procédé à une déclaration de sinistre dans le délai de trente jours ouvrables à partir du moment où il a eu connaissance du sinistre. En tout état de cause, sur le fondement de l’article L. 113-2 du code des assurances, le département du Nord prétend que le retard dans la déclaration n’a causé aucun préjudice à l’assureur.
Au terme de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 16 février 2024, XL INSURANCE COMPANY SE demande de :
Débouter Mme [P] [K] de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
Rapporter les préjudices à de plus justes proportions, pris en charge exclusivement par le département du Nord ;
En tout état de cause,
Condamner Mme [P] [K] à lui payer une indemnité de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux dépens.
XL INSURANCE COMPANY SE conteste la réalité des fautes qui sont imputées à son assuré, le département du Nord :
– S’agissant des conditions d’affichage des œuvres, l’assureur expose d’une part que l’artiste n’a pas donné d’instruction sur les conditions d’affichage de ses œuvres et, d’autre part, qu’elle a choisi elle-même l’atelier en charge de l’encadrement.
– S’agissant des dégradations, l’assureur soutient qu’il n’est pas démontré que les dégradations sont apparues au cours de l’exposition et que la chronologie des faits (ouverture au public de l’exposition le 11 juillet 2020 et photographies de froissement le 16 juillet 2020) fait présumer des désordres avant la réception des œuvres par le musée. L’assureur énonce également que d’autres photographies des œuvres de l’artiste dans d’autres expositions révèlent l’existence de froissement.
– S’agissant du décrochage des œuvres, l’assureur soutient que toutes les précautions ont été prises pour la mise en réserve.
– S’agissant de la restitution tardive des œuvres, l’assureur allègue que les œuvres ont été restituées après expertise et à l’adresse convenue entre toutes les parties.
L’assureur précise que les gondolements et froissements ne peuvent pas être qualifiés de dommage dès lors que qu’ils sont intrinsèques à la matière utilisée par l’artiste comme support de ses œuvres. Il en déduit qu’aucun usage anormal peut être imputé à son assuré.
L’assureur conteste également la réalité d’une atteinte aux droits moraux de l’artiste ainsi que le lien causal entre les fautes alléguées et le préjudice de Mme [P] [K].
L’assureur énonce également que l’article 2 des conditions générales de la police d’assurances exclut expressément des garanties du contrat les détériorations causées par un vice propre à l’œuvre.
Il sollicite également le rejet des préjudices avancés en ce qu’il n’est pas justifié que les œuvres avaient une valeur individuelle de 10.000 euros et qu’un devis de restauration à hauteur de 16.000 euros a été proposé à l’artiste.
A titre subsidiaire, sur le fondement de l’article 6.2 des conditions générales d’assurance, l’assureur prétend que le département du Nord a procédé tardivement la déclaration de sinistre. Il estime que la déclaration a été effectuée le 8 décembre 2021, alors que les dégradations sont apparues avant le mois de décembre 2021. Il prétend qu’une déclaration en amont aurait permis de prendre les précautions nécessaires pour éviter que les œuvres ne se détériorent davantage.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.
L’affaire a été mise en délibéré au 17 janvier 2025.
Sur le principe de responsabilité
1. Il résulte de l’article 1874 du code civil que le prêt des choses dont on peut user sans les détruire s’appelle prêt à usage.
L’article 1875 du code civil dispose que « le prêt à usage est un contrat par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s’en être servi. »
L’article 1880 du code civil dispose que « l’emprunteur est tenu de veiller raisonnablement à la garde et à la conservation de la chose prêtée ».
2. En l’espèce, Mme [P] [K] et le musée [8], administré par le département du Nord, ont régularisé un commodat courant 2019 portant sur quatorze œuvres pour la période du 04 avril 2020 au 17 janvier 2021 pour les besoins de l’exposition « Tout va bien Monsieur [8] ».
3. Mme [P] [K], qui se plaint d’une dégradation de ses œuvres alors qu’elles étaient à disposition de l’emprunteur, doit rapporter la preuve de désordres ou dommages entre leur mise à disposition et leur restitution.
4. Les parties sont en désaccord sur l’état des œuvres lors de leur réception par le musée [8]. En l’absence d’état des œuvres contradictoire, il appartient au tribunal d’apprécier les pièces versées aux débats afin de connaître l’état des œuvres lors de la mise à disposition des œuvres par le prêteur.
5. Pour pallier l’absence d’obligation conventionnelle de constat contradictoire, l’article 7 du contrat de prêt à usage stipule que « le prêteur est tenu de faire un constat d’état de l’œuvre au départ du lieu d’enlèvement que le musée départemental [8] s’engage à vérifier à l’arrivée ainsi qu’au lieu de retour de l’œuvre ».
Le tribunal observe avec la demanderesse qu’aucune formalité pour répondre à cette obligation contractuelle n’est requise par la convention régularisée par les parties.
Mme [P] [K] verse aux débats des photographies, prises par elle-même, de ses œuvres sans désordre, et allègue qu’elles ont été prises avant la mise à disposition des œuvres au musée [8]. Afin de corroborer cette allégation, contestée par les défendeurs, Mme [P] [K] verse aux débats un courriel du 4 mars 2020, adressé à M. [T] [Y], en charge de l’exposition au musée [8], rédigé ainsi : « Bonjour [T], Oui ça me va, je vous ai envoyé les photos des gravures en HD. »
6. Dès lors, le tribunal juge que les photographies versées aux débats par Mme [P] [K] en pièce n°6 démontrent suffisamment l’état des œuvres lors de la mise à disposition de celles-ci au musée [8] ; il appartenait aux défendeurs, qui contestent la force probante des photographies, de verser aux débats les photographies évoquées dans le courriel du 4 mars 2020, précision faite que ce courriel et sa teneur ne sont pas contestés.
7. Aux termes de l’article 7 de la convention de prêt, l’emprunteur a la charge de vérifier l’état des œuvres à l’arrivée de celles-ci au musée.
Le département du Nord verse aux débats plusieurs photographies en pièce n°13 de huit des quatorze œuvres montrant la présence sur les œuvres photographiées de légers froissements et d’ondulations et allègue que les photographies ont été prises lors de la réception des œuvres à l’arrivée du musée [8]. L’allégation peut être corroborée par un échange téléphonique via une messagerie instantanée entre Mme [V] [N], régisseuse d’œuvres du musée [8], et l’artiste en date du 7 septembre 2021 aux termes duquel la première informe la seconde que « je suis sincèrement désolée, mais je peux vous assurer que vos œuvres sont arrivées au musée dans cet état-là. J’avais alors pris des photos pour preuve, je peux vous les envoyer si vous le souhaitez. »
8. Compte tenu des différences entre les photographies de l’artiste et du département du Nord le tribunal en déduit, en premier lieu, que les légers froissements et ondulations sont apparus lors de l’encadrement des œuvres de Mme [P] [K].
Or, l’artiste n’a été informée que très partiellement des désordres puisque, dans un courriel du 22 janvier 2020, envoyé par M. [T] [Y], en charge de l’exposition, à destination de Mme [P] [K], celle-ci est alertée dans ces termes : « Bonjour [P], Les œuvres viennent d’arriver et petite question car il y a un pli très marqué et encore les traces au crayon gris d’un encadrement. Que me conseilles tu de faire ? Bien amicalement ». Ainsi, il n’est pas fait état de l’apparition des légers froissements et des ondulations.
Il y a lieu d’en déduire que l’artiste n’a été informée des désordres que plus d’an an après le début de l’exposition alors que le musée était en mesure de constater l’apparition de léger froissement entre l’état des œuvres aux départs du domicile de l’artiste (Point 6.) et celui à l’arrivée au musée après encadrement.
La tardivité de l’alerte sur l’état des œuvres de la part de l’emprunteur est constitutive d’une faute au sens de l’article 1880 du code civil (Point 1.)
9. Par ailleurs, le département du Nord verse aux débats des échanges par messagerie instantanée, courant juillet 2021, soit un an après le début de l’exposition, aux termes desquelles Mme [V] [N], régisseuse d’œuvres du musée, s’inquiète de l’évolution des œuvres litigieuses et notamment de l’aggravation de froissements et d’ondulations – ce qui suppose au demeurant que de tels désordres n’étaient pas présent à l’arrivée des œuvres au musée.
Le tribunal observe que le courriel du 29 juin 2021 de Mme [V] [N], rédigé comme suit, est particulièrement évoquant : « Bonjour [P], Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le certificat d’assurance pour vos œuvres, suite à la nouvelle prolongation de l’exposition « Tout va bien Monsieur [8] », jusqu’au 30 décembre 2021. Je me permets également de vous transmettre quelques photos de vos œuvres. Nous sommes inquiets quant à la façon dont vos œuvres ont été encadrées. [T] [Y] m’avait indiquée que c’était normal et que le fait que les œuvres ne soient pas bien fixées étaient un choix esthétique. Cependant, avec le temps et sous le poids du cuir, il semble que cet effet s’accentue, au risque d’abîmer vos œuvres ou de les voir se décoller complétement (…) ».
10. Dès lors, l’état des œuvres s’est substantiellement modifié lors de l’usage qu’en a fait le musée [8].
11. Les défendeurs allèguent que les détériorations de l’œuvre ont été causées par le seul effet de son support, à savoir le cuir animal, de sorte qu’elles opposent à Mme [P] [K] l’article 1884 du code civil aux termes duquel « si la chose se détériore par le seul effet de l’usage pour lequel elle a été empruntée, et sans aucune faute de la part de l’emprunteur, il n’est pas tenu de la détérioration ».
12. Il est de jurisprudence constante que, en cas de dégradation de la chose ayant fait l’objet d’un prêt à usage, l’emprunteur ne peut s’exonérer qu’en rapportant la preuve de l’absence de faute de sa part ou d’un cas fortuit (Civ 1ère, 28 juin 2012 n°11-17629), de sorte que l’emprunteur doit démontrer l’allégation ci-dessus (point 11.).
13. Afin de renverser cette présomption de faute, les défendeurs versent aux débats le rapport d’expertise amiable, celle-ci ayant été diligentée par XL INSURANCE COMPANY SE. Bien que les parties en débattent abondamment, l’expert ne conclut aucunement que la nature du support soit la cause exclusive des dommages constatés sur les œuvres. En effet, il énonce en page 6 que « l’expertise de ces œuvres nous conduit à mettre en évidence quatre origines différentes du sinistre.
– La matière du support : (…)
– La gravité influant sur les supports : (…)
– L’insuffisante contrainte de fixation du support : (…)
– La nature des peaux : (…) »
Il doit être relevé, s’agissant de l’insuffisante contrainte de fixation du support, que l’expert note que « ces peaux ont été fixées à leurs cadres à l’aide de longueurs de ruban adhésif, l’un collant le support de l’œuvre en sa partie supérieure, l’autre en sa partie inférieure, ces deux étant régulièrement distants de quelques centimètres du bord du support. Ainsi, ce mode de fixation des peaux n’a pas permis de les contraindre sur le support, laissant leur périphérie libre, à même de travailler au fil des variations d’ambiance tant hygrométriques qu’en matière de température ambiante ». L’expertise mentionne également que « la force gravitationnelle s’exerçant sur les supports des œuvres a nécessairement provoqué des ondulations résultant d’un affaissement de la matière du haut du coupon de cuir se recourbant vers le bas, la bordure haute n’étant pas contrainte par l’adhésif apposé au revers ».
Le tribunal déduit des conclusions de l’expertise amiable que la matière support de l’œuvre, décrite comme « matière animale vivante par excellence », est susceptible de réagir significativement à la gravité et aux conditions dans lesquelles elle est encadrée. Il appartenait donc à la personne en charge de l’encadrement de s’adapter aux contraintes de l’œuvre.
Dans le cas présent, l’expert est certain que l’insuffisante contrainte de fixation du support a causé ou aggravé plusieurs désordres sur les œuvres litigieuses ; l’encadrement est donc fautif et le musée du Nord et son assureur ne démontrent pas que l’apparition des dégradations soit le fait exclusif de l’usage du cuir animal comme support de l’œuvre. Le moyen tiré de l’article 1884 du code civil sera donc écarté.
14. Les parties contestent l’imputabilité des choix d’encadrement ; il appartient ainsi au tribunal de rechercher l’imputabilité de l’encadrement fautif.
15. Les fiches techniques de l’œuvre annexées au prêt régularisé courant août 2019 mentionne expressément que les œuvres ne sont pas encadrées et que l’artiste accepte que le musée utilise son propre système d’accrochage sécurisé.
Par ailleurs, il résulte des différents courriels échangés que le devis pour l’encadrement a été régularisé par le musée [8], ce qui révèle son intention de prendre sous sa responsabilité les œuvres dès la mise à disposition de celles-ci chez l’artisan encadreur.
Le musée [8] avait donc la responsabilité de l’encadrement des œuvres et leur accrochage.
16. Enfin, l’absence de fiche technique ou de protocole de montage ne saurait exonérer le département du Nord de sa responsabilité dès lors qu’il résulte d’un échange entre Mme [P] [K] et M. [T] [Y], par courriel du 4 octobre 2019, que ceux-ci sont convenus tacitement de s’en dispenser et de procéder à un encadrement identique à celui auxquels ils avaient procédé lors d’une précédente exposition.
17. En conséquence, Mme [P] [K] démontre l’existence de désordres sur les œuvres prêtés suivant commodat régularisé courant août 2019. Ces désordres ont été causés notamment par l’insuffisante contrainte de fixation des œuvres au support. Or, le musée [8], responsable de l’encadrement fautif, a également informé tardivement l’artiste de la présence de froissement et d’ondulation qui aurait pu permettre à celle-ci de rappeler les exigences de planéité de ses œuvres sur leur support.
Le musée [8], administré par le département du Nord, a donc commis des fautes dans la conservation des œuvres prêtées ; le département du Nord doit répondre des dommages causés aux œuvres.
Ces seuls éléments sont suffisants pour engager la responsabilité de l’emprunteur sans qu’il soit nécessaire d’apprécier le bien-fondé des deux autres fautes alléguées par Mme [P] [K], à savoir le décrochage des œuvres pour leur mises en réserve après l’exposition et la restitution tardive des œuvres.
Sur les préjudices
18. L’article 1231-2 du code civil dispose que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé ».
L’article 1883 du code civil dispose que « si la chose a été estimée en la prêtant, la perte qui arrive, même par cas fortuit, est pour l’emprunteur, s’il n’y a convention contraire ».
L’alinéa 1 de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. »
19. En l’espèce, il ressort de l’expertise amiable que treize des quatorze œuvres présentent, à des degrés variés, des gondolements, des froissements, des aspérités voire une lacération.
20. S’agissant de l’ampleur des dégradations, une opération de restauration est évaluée par l’expert amiable à 1.000 euros par œuvre (2.000 euros s’agissant de l’œuvre présentant une lacération), sous réserve de la faisabilité de l’opération et de l’avis d’un restaurateur spécialisé dans l’univers de la reliure et du travail du cuir sur manuscrit.
21. Mme [P] [K] conteste l’argument selon lequel les œuvres sont susceptibles de restauration et, afin de corroborer l’allégation de dégradation irréversible, Mme [P] [K] verse aux débats une attestation de M. [J] [B], directeur de la société Mdesign & Challenge, aux termes de laquelle il affirme : « je peux confirmer que les dommages causés aux cuirs exposés au musée de [8], tels que l’affaissement et les déformations, ainsi que les craquelures, les fissures et les épidermures qui ont altéré l’impression sur la peau, sont sans aucun doute dus à une exposition prolongée avec un mode d’accrochage inadapté. Si ces cuirs sont soumis à des conditions de stockage et d’accrochage inappropriés, ils peuvent se rétracter et se rigidifier de manière irréversible, provoquant des dommages permanents. Dans ce contexte, la restauration de l’œuvre n’est pas envisageable, car l’impression UV est altérée. »
22. Le tribunal juge que l’attestation de M. [B] est suffisamment circonstanciée et n’est pas contredite par l’expertise amiable diligentée par XL INSURANCE COMPANY SE. Ainsi, les dégradations sont irréversibles et le préjudice subi par Mme [P] [K] correspond à la perte de treize de ses œuvres.
23. Le tribunal doit statuer au jour où il statue et ne peut donc pas apprécier la valeur des œuvres au regard du caractère volatile du marché de l’art.
Les œuvres ont été estimées, par dans parties, lors de la déclaration d’assurance, au début de l’exposition à la somme de 4.000 euros chacune et les parties n’apportent aucun autre élément pour apprécier différemment la valeur de celles-ci.
Il convient donc d’allouer la somme de 52.000 euros en réparation du préjudice matériel de Mme [P] [K].
24. La perte de ses œuvres lui cause également un préjudice moral qui sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 10.000 euros.
25. Le département du Nord sera donc condamné au paiement de ces sommes.
Sur la garantie de l’assureur.
26. Le tribunal se réfère aux motifs ci-avant (point 13.) afin de rappeler que les dégradations des œuvres litigieuses ne sont pas causées par un vice propre à la chose mais, notamment, par un encadrement fautif, de sorte que XL INSURANCE COMPANY SE n’est pas fondée à opposer l’article 2 des conditions générales d’assurance aux termes duquel la garantie est exclue en cas de vice propre de l’œuvre.
27. L’assureur dénie également sa garantie en raison d’une déclaration de sinistre qu’elle estime tardive ; elle oppose ainsi la déchéance pour déclaration tardive telle qu’elle est prévue par l’article L. 113-2 4° du code des assurances aux termes duquel « l’assuré est obligé de donner avis à l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entrainer la garantie de l’assureur. (…) lorsqu’elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. »
28. En l’espèce, le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE sont en désaccords sur les clauses applicables au présent litige, le premier opposant l’article 4.14 des conditions particulières aux termes duquel la déclaration de sinistre est porté à 30 jours ouvrables à partir du moment où le service assurance du souscripteur en aura connaissance ; alors que l’assureur oppose l’article 6 des conditions générales d’assurances qui stipule que la déclaration de sinistre doit être réalisée sous peine de déchéance dans un délai de cinq jours ouvrés à partir où l’assuré en a connaissance.
29. Le tribunal observe qu’il y une contradiction manifeste entre les conditions générales et les conditions particulières de la police d’assurances ; l’une prévoyant un délai de déclaration de trente jours sans déchéance tandis que l’autre prévoyant un délai de déclaration de cinq jours sous peine de déchéance.
30. Il y a lieu de retenir les conditions particulières, en ce que le spécial déroge au général et qu’elles sont par ailleurs plus favorables à la partie qui n’a pas rédigé le contrat.
Le tribunal rappelle que les conditions particulières stipulent que la déclaration de sinistre doit intervenir dans un délai de trente jours ; délai qui n’est pas sanctionné contractuellement par une déchéance (point 28.).
Or, selon l’article L. 113-2 4° du code des assurances cité ci-avant, la déchéance ne peut pas être opposée à l’assuré si elle ne fait pas l’objet d’une clause dans la police d’assurances (Civ 1ère, 24 févr. 1965 : RGAT 1965. 472)
31. En conséquence, la seule clause valable relative au délai de déclaration de sinistre n’est pas sanctionnée de déchéance en cas de déclaration tardive.
XL INSURANCE COMPANY SE sera donc déboutée de sa demande tendant à être indemne de toute condamnation sur ce moyen.
32. Enfin, la police d’assurances litigieuse stipule que le présent « contrat a pour objet de garantir toutes pertes ou dommages matériels directs survenant aux objets et œuvres d’art appartenant ou confiées à l’assuré, dans le cadre d’exposition temporaires et/ou permanentes organisées dans les locaux. »
33. Mme [P] [K] est donc bien fondée à solliciter la condamnation in solidum de XL INSURANCE COMPANY SE des préjudices matériels subis.
Encore, le département du Nord est bien fondé à solliciter la garantie de XL INSURANCE COMPANY SE s’agissant de la condamnation relative aux préjudices matériels.
En revanche, le préjudice moral n’est pas couvert par la police d’assurances, de sorte que Mme [P] [K] sera déboutée de sa demande en condamnation de XL INSURANCE COMPANY SE à ce titre.
Sur les autres demandes
34. Le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE, partie perdante, seront condamnés in solidum aux dépens.
35. Ils seront également condamnés in solidum au paiement d’une somme de 5.000 euros.
36. Il y a lieu de maintenir l’exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire.
Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort, par jugement contradictoire, et par mise à disposition au greffe
DEBOUTE XL INSURANCE COMPANY SE de sa demande en déchéance pour déclaration tardive ;
CONDAMNE in solidum le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE à payer à Mme [P] [K] la somme de 52.000 euros en réparation de son préjudice matériel issu de la perte de treize de ses œuvres prêtées aux termes du prêt à usage régularisé courant août 2019 ;
CONDAMNE XL INSURANCE COMPANY SE à garantir le département du Nord de toutes les sommes qu’il aura payé au titre du préjudice matériel ;
CONDAMNE le département du Nord à payer à Mme [P] [K] la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE in solidum le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE à payer à Mme [P] [K] la somme de 5.000 euros au titre de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum le département du Nord et XL INSURANCE COMPANY SE aux dépens ;
MAINTIENT l’exécution provisoire.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
Benjamin LAPLUME Marie TERRIER
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