Tribunal judiciaire d’Évreux, 28 janvier 2025, RG n° 21/01900
Tribunal judiciaire d’Évreux, 28 janvier 2025, RG n° 21/01900

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire d’Évreux

Thématique : Contrat de restauration : enjeux de la suspension et résiliation en période de crise sanitaire

Résumé

Contexte de l’affaire

La SAS Elior entreprises est une société française spécialisée dans la restauration collective, tandis que l’association RIE Campus de l’espace a été créée pour gérer la restauration inter-entreprises sur un campus technologique. Un contrat de prestation de services de restauration a été signé le 22 novembre 2018, avec une entrée en vigueur au 20 août 2018, pour une durée de cinq ans.

Exécution du contrat et crise sanitaire

Le contrat a été exécuté normalement jusqu’à la fermeture des restaurants en mars 2020, en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19. En juin 2020, Elior entreprises a exprimé des désaccords avec l’association concernant les conditions de réouverture et a demandé la prise en charge de frais fixes, la résiliation du contrat, ainsi que la réalisation d’une promesse d’achat pour des équipements.

Réactions de l’association RIE Campus de l’espace

L’association a refusé les demandes d’Elior entreprises et a mis en demeure cette dernière de récupérer les équipements. En mars 2021, Elior entreprises a mis en demeure l’association de régler une somme totale de près de 119 000 euros. En juin 2021, Elior entreprises a assigné l’association devant le tribunal judiciaire d’Evreux.

Décisions judiciaires

Le tribunal a d’abord clôturé la procédure en juin 2023, mais a ensuite réouvert les débats en septembre 2023 pour examiner des questions de compétence. En décembre 2023, l’association s’est désistée de certaines demandes, et la procédure a été clôturée en mai 2024.

Prétentions des parties

Elior entreprises a demandé le paiement de frais fixes et le montant de la promesse d’achat, tandis que l’association a demandé le déboutement d’Elior et des dommages-intérêts pour résiliation abusive. Les deux parties ont avancé des arguments juridiques basés sur le code civil.

Analyse du contrat et des clauses

Le tribunal a examiné la nature du contrat, concluant qu’il s’agissait d’un contrat de gré à gré, et a analysé la qualité de l’association, la considérant comme non professionnelle. Il a également jugé que certaines clauses du contrat étaient abusives, notamment celles concernant la prise en charge des frais fixes et la promesse d’achat.

Décisions finales du tribunal

Le tribunal a rejeté les demandes d’Elior entreprises pour le paiement des frais fixes et de la promesse d’achat, tout en condamnant Elior à verser 5 000 euros à l’association pour préjudice moral. Elior a également été condamnée aux dépens et à payer 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ EVREUX

CHAMBRE CIVILE

N° RG 21/01900 – N° Portalis DBXU-W-B7F-GRUR
NAC : 59D Demande en paiement relative à un contrat non qualifié
CIVIL – Chambre 1

JUGEMENT DU 28 JANVIER 2025

DEMANDEUR :

S.A.S ELIOR ENTREPRISES
Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n°413 901 760
Dont le siège social est sis :
[Adresse 2]
[Localité 3]
Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

Représentée par Me Frédéric DEREUX, membre du cabinet CHARLES RUSSELL SPEECHLYS, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant) et par Me Quentin ANDRE, membre de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau de l’EURE (avocat postulant)

DEFENDEUR :

ASSOCIATION RIE CAMPUS DE L’ESPACE
Dont le siège social est sis :
[Adresse 1]
– [Localité 4]

Représentée par Me Stéphane CAMPANARO, membre de la SELARL CAMPANARO NOEL OHANIAN, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats et du délibéré :

– Madame Marie LEFORT, Présidente,
– Madame Anne-Caroline HAGTORN, juge
– Madame Louise AUBRON-MATHIEU, Juge placé auprès de la Première présidente de la cour d’appel de Rouen, déléguée aux fonctions de juge au tribunal judiciaire d’Evreux 

GREFFIER : Madame Aurélie HUGONNIER

RG N° : N° RG 21/01900 – N° Portalis DBXU-W-B7F-GRUR jugement du 28 janvier 2025

DEBATS :

En audience publique du 12 Novembre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 28 janvier 2025.

JUGEMENT :

– au fond,
– contradictoire, rendu publiquement et en premier ressort,
– mis à disposition au greffe,
– rédigé par Madame Louise AUBRON-MATHIEU,
– signé par Madame Marie LEFORT, première vice-Présidente et Madame Aurélie HUGONNIER, greffier

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La SAS Elior entreprises est une société française spécialisée dans l’élaboration et la fourniture de solutions de restauration collective pour le compte de clients qui ont décidé d’externaliser cette activité.

L’association RIE Campus de l’espace a été créée pour faciliter la mise en place de la restauration inter-entreprises sur le Campus de l’espace, campus technologique situé à [Localité 4] (27). Elle est composée des entreprises et organismes adhérents qui ont choisi de bénéficier du service de restauration collective pour leurs salariés et leurs étudiants.

Le 22 novembre 2018, la société Elior entreprises et l’association RIE Campus de l’espace ont conclu un contrat de prestation de services de restauration avec effet au 20 août 2018 pour une durée initiale de 5 ans. Aux termes de ce contrat, la société Elior entreprises s’est engagée à fournir un service complet de restauration aux bénéficiaires en assurant la préparation et la distribution des repas ainsi que l’encaissement et la gestion du compte des bénéficiaires, au nom et pour le compte de l’association RIE Campus de l’espace.

Le contrat a été exécuté normalement depuis sa prise d’effet le 20 août 2018 jusqu’à l’annonce, le 14 mars 2020, de la fermeture des restaurants sur l’ensemble du territoire national ordonnée suite à la crise sanitaire liée au virus de la Covid-19.

Se plaignant d’un désaccord persistant avec l’association RIE Campus de l’espace sur les conditions de réouverture du restaurant collectif, la société Elior entreprises a, par lettre adressée à l’association en date du 11 juin 2020 :
– sollicité la prise en charge des frais fixes durant la période de fermeture du restaurant pour un montant de 23 980,54 euros HT ;
– notifié la résiliation du contrat de prestation de service de restauration ;
– sollicité la réalisation de la promesse d’achat consentie par l’association au prix de cession stipulé correspondant à la date du 31 mai 2020, soit un montant de 94 966,41 euros HT.

Le 17 juillet 2020, par l’intermédiaire de son conseil, l’association RIE Campus de l’espace a refusé d’accéder aux demandes de la société Elior entreprises et l’a mise en demeure de récupérer les équipements et matériels listés à l’inventaire contradictoire de sortie réalisé le 23 juin 2020.

De son côté, par l’intermédiaire de son conseil, la société Elior entreprises a, le 2 mars 2021, mis en demeure l’association RIE Campus de l’espace de lui régler la somme totale de 118 946,95 euros HT, soit la somme de 140 335,28 euros TTC.

C’est dans ce contexte que par acte d’huissier en date du 24 juin 2021, la société Elior entreprises a fait assigner l’association RIE Campus de l’espace devant le tribunal judiciaire d’Evreux demandant de :
– condamner l’association RIE Campus de l’espace à lui régler la somme de 23 980,54 euros HT au titre de la prise en charge de la part fixe des repas pour la période du 1er mars au 31 mai 2020 ;
– condamner l’association RIE Campus de l’espace à lui régler la somme de 94 966,41 euros HT correspondant au prix de cession des équipements et matériels faisant l’objet de la promesse d’achat ;
– condamner l’association RIE Campus de l’espace à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La procédure a été clôturée une première fois par ordonnance du 13 juin 2023.

Par jugement en date du 26 septembre 2023, le tribunal judiciaire d’Evreux a révoqué l’ordonnance de clôture et a ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de formuler leurs observations par voie de conclusions devant le juge de la mise en état sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal judiciaire d’Evreux pour statuer sur les demandes indemnitaires formulées par l’association RIE Campus de l’espace, en application des dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019, après avoir relevé que les litiges relatifs à l’application de cet article relèvent de la seule compétence du tribunal judiciaire de Lille.

Par ordonnance en date du 11 décembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Evreux a constaté que l’association RIE Campus de l’espace se désistait de ses demandes formulées au visa des dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 mai 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées le 15 avril 2024 par RPVA, la société Elior entreprises demande au tribunal de :

condamner l’association RIE Campus de l’espace à lui payer la somme de 23 980,54 euros HT au titre de la prise en charge de la part fixe du prix des repas pour la période du 1er mars au 31 mai 2020 ; condamner l’association RIE Campus de l’espace à lui payer la somme de 94 966,41 euros HT correspondant au prix de cession des équipements et matériels faisant l’objet de la promesse d’achat ; débouter l’association RIE Campus de l’espace de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles ; condamner l’association RIE Campus de l’espace, à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.Au soutien de ses prétentions, au visa des articles 1103, 1104, 1193, 1218 et 1224 du code civil elle fait valoir que :
selon l’article 3.5 des conditions générales de vente prévues au contrat, ses obligations contractuelles ont été suspendues à compter du 16 mars 2020, en raison de l’arrêté ordonnant la fermeture administrative de l’ensemble des restaurants sur le territoire décidée par le gouvernement le 14 mars 2020 ;selon l’article 3.5 des conditions générales de vente, les causes de la suspension du contrat se sont prolongées pendant plus de 60 jours, soit du 1er mars 2020 au 31 mai 2020, date à laquelle les restaurants ont été de nouveau autorisés à ouvrir à des conditions restrictives et le contrat a ainsi pu être valablement résilié le 11 juin 2020 ;elle ne pouvait pas décider de reprendre l’exécution du contrat aux conditions financières initiales dans la mesure où les nouvelles règles d’hygiènes imposées et la baisse de fréquentation du restaurant entrainaient une charge supplémentaire et l’association a refusé son offre « Click and collect » proposée le 5 juin 2020 ;l’article 3.5 des conditions générales de vente prévoit l’obligation de rachat par l’association du matériel en fin de contrat quelle qu’en soit la cause, et non uniquement à l’échéance du terme de 5 ans.En réponse aux moyens développés par l’association RIE Campus de l’espace, elle soutient que :
le contrat conclu avec l’association n’est pas un contrat d’adhésion dans la mesure où cette dernière avait la possibilité de négocier les clauses prévues au contrat, en témoignent l’existence de conditions particulières de vente et les dérogations aux conditions générales de vente prévues à l’article 7 des conditions particulières.l’association ne peut se prévaloir des dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives, dans la mesure où, même à but non lucratif, elle a la qualité de professionnel lorsqu’elle contracte pour les besoins d’une activité de laquelle elle tire des recettes, qu’elle facture et encaisse le prix des repas.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 30 avril 2024 par RPVA, l’association RIE Campus de l’espace demande au tribunal de :

débouter la société Elior entreprises de toutes ses demandes ;condamner la société Elior entreprises à lui payer la somme de 15 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié à la résiliation sans juste motif et de mauvaise foi du contrat ;ordonner la compensation des sommes allouées avec toutes les condamnations qui seraient prononcées à l’encontre de l’association RIE Campus de l’espace ; écarter l’exécution provisoire des condamnations prononcées à l’encontre de l’association RIE Campus de l’espace, compte-tenu de la nature de l’affaire ;condamner la société Elior entreprises à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Au soutien de ses prétentions, au visa des articles 1104, 1110, 1171, 1212, 1218, 1231-1 du code civil, elle fait valoir que :
le contrat conclu, comprenant un ensemble de clauses non négociables a été rédigé en amont de sa conclusion par la société Elior entreprises et doit être qualifié de contrat d’adhésion, et ce même si des modifications légères ont été apportées au contrat ;les dispositions du droit de la consommation relatives aux clauses abusives lui sont applicables dans la mesure où l’association a un but non-lucratif et doit être considérée comme une personne morale non professionnelle ;la clause prévue à l’article 3.5 des conditions générales du contrat qui prévoit que le prestataire doit percevoir le montant des frais fixes même dans le cas où l’activité est suspendue, entraine un déséquilibre significatif entre les parties et la clause doit donc être réputée non écrite ;la société Elior entreprises a bénéficié d’aides gouvernementales couvrant les frais fixes demandés et ne peut donc en demander le paiement, dans la mesure où cela constituerait un paiement indu soumis à restitution ;sur l’application de la clause de rachat de matériel prévue en cas de résiliation du contrat, l’association RIE Campus de l’espace fait valoir qu’en l’absence de résiliation valable du contrat, la société Elior entreprises ne peut se prévaloir de cette clause, dans la mesure où la suspension administrative n’a duré que 57 jours et qu’elle a notifié sa décision de rompre le contrat le 11 juin 2020, alors que la suspension du contrat avait cessé puisque la fermeture administrative des restaurants avait pris fin ;aucune discussion n’a eu lieu sur les conditions de réouverture du restaurant, la société Elior entreprises ayant simplement proposé en juin 2020 un service de vente à emporter de paniers de repas froids avec un surcoût de deux euros en moyenne ;si la résiliation devait être considérée comme justifiée, l’association RIE Campus de l’espace soutient que cette clause entraine un déséquilibre significatif entre les parties et devra être réputée non écrite.Sur sa demande reconventionnelle, elle estime qu’elle a subi un préjudice du fait de la rupture brutale et de mauvaise foi du contrat dans la mesure où elle s’est retrouvée sans solution de restauration en pleine crise sanitaire et a dû rechercher un nouveau prestataire en urgence.

PAR CES MOTIFS
Le tribunal,

DIT que la clause de l’article 3.5 des conditions générales de vente « Contrats de restauration – Missions et moyens spécifiques d’Elior » en page 2 du contrat de prestation de service de restauration conclu le 9 novembre 2018 entre la SAS Elior entreprises et l’association RIE Campus de l’espace selon laquelle la société Elior entreprises « perçoit au minimum la part fixe des prix pendant la période de suspension » et les clauses des articles 3.1 et 3.2 de l’annexe 4 « équipements et matériels mis en place par le prestataire dans le restaurant » page 8 et 9 du contrat de prestation de service de restauration conclu le 9 novembre 2018 entre la société Elior entreprises et l’association RIE Campus de l’espace sont abusives et réputées non écrites ;
REJETTE la demande de la société Elior entreprises visant à condamner l’association RIE Campus de l’espace au paiement de la somme de 23 980,54 euros HT au titre de la prise en charge des frais fixes durant la période de fermeture du restaurant ;
REJETTE la demande de la société Elior entreprises visant à condamner l’association RIE Campus de l’espace au paiement de la somme de 94 966, 41 euros HT au titre de la réalisation de la promesse d’achat ;
DIT que la société Elior entreprises demeurant propriétaire du matériel mis à disposition de l’association RIE Campus de l’espace, celle-ci devra laisser la société Elior entreprises accéder à ses locaux pour lui permettre de reprendre possession du matériel lui appartenant ;
CONDAMNE la société Elior entreprises à payer à l’association RIE Campus de l’espace la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
CONDAMNE la société Elior entreprises aux entiers dépens ;
CONDAMNE la société Elior entreprise à payer à l’association RIE Campus de l’espace la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de la société Elior entreprises au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire du présent jugement.

En foi de quoi, le présent jugement a été signé par la Présidente et le greffier.
Le greffier, La Présidente,

 


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