Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Mulhouse
Thématique : Constitution d’une servitude de passage : enjeux et obligations contractuelles.
→ RésuméContexte de la ventePar acte authentique en date du 5 novembre 2020, Mme [F] [W], veuve [H], ainsi que MM [K] [H], [I] [H] et [G] [H] (les consorts [H]), ont vendu à la SCI KMO plusieurs parcelles situées à [Localité 19] pour un montant de 720 000 euros. L’acte de vente incluait des engagements concernant la régularisation d’une servitude de passage et la réalisation de travaux d’installation d’un sous-compteur d’eau potable, ainsi que le raccordement au réseau d’assainissement, à la charge des vendeurs. Litige et actions en justiceLa SCI KMO a intenté une action en justice contre les consorts [H] le 4 juillet 2022, invoquant un non-respect des engagements contractuels. Elle a demandé au tribunal de condamner les défendeurs à signer l’acte de servitude de passage et à exécuter les travaux prévus, tout en sollicitant des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Demandes de la SCI KMODans ses conclusions, la SCI KMO a demandé la signature de l’acte de servitude, la reconnaissance de l’enclave de sa parcelle, et la constitution d’une servitude de passage. Elle a également réclamé des sommes pour les travaux non réalisés, ainsi qu’une provision pour préjudice, tout en demandant la libération d’une somme séquestrée de 24 069,20 euros. Réponses des consorts [H]Les consorts [H] ont contesté les demandes de la SCI KMO, demandant le rejet de toutes les conclusions et la condamnation de la SCI KMO à leur verser le solde du prix de vente. Ils ont également demandé une interdiction de circulation sur leur propriété et des dommages et intérêts en cas de constitution d’une servitude. Décisions du tribunalLe tribunal a rejeté la demande de la SCI KMO concernant la signature de l’acte de servitude, ainsi que la demande d’instituer une servitude de passage. Les demandes de dommages et intérêts et de garantie ont également été rejetées. En revanche, le tribunal a ordonné la restitution d’une somme de 16 634 euros aux consorts [H] et a condamné la SCI KMO à payer 1 500 euros aux consorts au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. ConclusionLe tribunal a statué en faveur des consorts [H], rejetant les principales demandes de la SCI KMO et confirmant l’exécution provisoire de la décision. La SCI KMO a été condamnée aux dépens, marquant ainsi une issue défavorable pour elle dans ce litige. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MULHOUSE
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[Adresse 20]
[Adresse 5]
[Localité 22]
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Première Chambre Civile
MINUTE n° 25/61
N° RG 22/00388
N° Portalis DB2G-W-B7G-H26M
KG/JLD
République Française
Au Nom du Peuple Français
JUGEMENT
DU 28 janvier 2025
Dans la procédure introduite par :
S.C.I. KMO
dont le siège social est sis [Adresse 15] – [Localité 13]
représentée par Me Olivier PETER, avocat au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 50
– partie demanderesse –
A l’encontre de :
Madame [J] [W]
demeurant [Adresse 8] – [Localité 12]
Monsieur [K] [H]
demeurant [Adresse 10] – [Localité 19]
Monsieur [I] [H]
demeurant [Adresse 1] – [Localité 9]
Monsieur [G] [H]
demeurant [Adresse 14] – [Localité 11]
représentés par Me Hervé KUONY, avocat postulant, avocat au barreau de MULHOUSE, vestiaire : 76 et Me Christian DECOT, avocat plaidant, avocat au barreau de STRASBOURG
– partie défenderesse –
CONCERNE : Autres demandes relatives à un contrat de réalisation de travaux de construction
Le Tribunal composé de Jean-Louis DRAGON, Juge au Tribunal de céans, statuant à Juge unique, et de Thomas SINT, Greffier
Jugement contradictoire en premier ressort
Après avoir à l’audience publique du 19 novembre 2024, entendu les avocats des parties en leurs conclusions et plaidoiries, et en avoir délibéré conformément à la loi, statuant comme suit, par jugement mis à disposition au greffe ce jour :
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte authentique reçu par Me [P] [Y] en date du 5 novembre 2020, Mme [F] [W], veuve [H], MM [K] [H], [I] [H] et [G] [H] (les consorts [H]) ont vendu à la SCI KMO des parcelles situées à [Localité 19] cadastrées section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 3]/[Cadastre 17], [Cadastre 4]/[Cadastre 16] et [Cadastre 7]/[Cadastre 17] moyennant le prix de 720000 euros.
Aux termes de cet acte, il a été inséré une clause dans laquelle le représentant des vendeurs à savoir M. [G] [H] a déclaré se porter fort pour le compte de ces derniers à régulariser une servitude de passage par tout moyen et véhicule à charge de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 6]/[Cadastre 17] leur appartenant et au profit de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 7]/[Cadastre 17].
Il a été également inséré au titre des conditions particulières, le financement par les vendeurs des travaux d’installation d’un sous-compteur d’eau potable, de raccordement en eau potable et d’individualisation du compteur d’electricité à effectuer. L’acte de vente a précisé que les travaux de raccordement au réseau d’assainissement étaient à la charge des vendeurs.
L’ensemble de ces travaux a été assorti de la constitution d’un séquestre de 35000 euros en garantie de l’exécution par les vendeurs.
Invoquant un non-respect de leurs engagements contractuels, la SCI KMO a attrait les consorts [H] devant le tribunal judiciaire de MULHOUSE par acte introductif d’instance transmis au greffe le 4 juillet 2022 signifié les 15, 18, 20 juillet et 4 août 2022 aux fins de condamnation.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 20 mars 2024, la SCI KMO sollicite du tribunal de :
– condamner les défendeurs à signer par devant Me [P] [Y], notaire à [Localité 22] l’acte portant constitution de servitude de passage par tout moyen et véhicule à charge de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 6]/[Cadastre 17] au profit de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 7]/[Cadastre 17] conformément au projet d’acte communiqué aux parties, à frais partagés ;
– dire et juger que faute pour l’un seul des défendeurs de signer l’acte dont il s’agit sur première sommation du notaire, le jugement à intervenir vaudra signature et autorisera le notaire à procéder aux transcriptions légales ;
subsidiairement,
– dire et juger que la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 7]/[Cadastre 17] est enclavée ;
– par conséquent, instituer une servitude de passage à charge de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 6]/[Cadastre 17] au profit de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 7]/[Cadastre 17] en tout temps et heure et avec tout véhicule, s’exerçant exclusivement sur une bande d’une largeur de 4 mètres ;
– ordonner la transcription dudit droit de passage au livre foncier ;
– condamner M. [G] [H] à lui verser la somme de 20000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice définitif assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
– réserver les droits de la SCI KMO de chiffrer son préjudice définitif ;
– condamner M. [G] [H] à la garantir de toute condamnation susceptible d’intervenir à son encontre au titre de l’utilisation du passage litigieux ;
– condamner solidairement les défendeurs à lui verser la somme totale de 28167,30 euros au titre des travaux mis à leur charge dans l’acte de vente du 5 novembre 2020 assortie des intérêts au taux légal à compter de la sommation du 14 avril 2021 ;
– autoriser sur simple présentation du jugement Me [P] [Y], Notaire à MULHOUSE, à se libérer entre les mains de la SCI KMO de la somme de 24069,20 euros qu’il détient en sa qualité de séquestre en exécution de l’acte de vente du 5 novembre 2020 ;
– condamner solidairement les défendeurs à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande ;
– condamner solidairement les défendeurs à lui verser la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens ;
– débouter les défendeurs de l’ensemble de leurs fins, moyens et prétentions ;
– ordonner l’exécution provisoire.
Au soutien de ses conclusions, la SCI KMO expose que :
– au visa des articles 1103 et 1104 du Code civil, les consorts [H] en refusant de régulariser l’acte de servitude ne respectent pas leurs engagements contractuels ;
– le refus de régulariser l’acte s’explique par le refus de s’acquitter des frais de donation complémentaire qui permettrait de transcrire la parcelle à leur nom au livre foncier et par leur intention de nuire à son encontre ;
– la promesse de porte-fort est valable dès lors que l’ensemble des consorts [H] sont signataires de l’acte de vente et qu’ils ont ratifié le principe de la constitution de la servitude ;
– ils ont exprimé par ailleurs leur accord avec leur propre notaire sur cette constitution de servitude ;
– très subsidiairement et à défaut, M. [G] [H] engage sa responsabilité en sa qualité de promettant au visa de l’article 1204 du Code civil et doit l’indemniser à titre de provision sur son préjudice définitif eu égard que la non-constitution de la servitude lui cause un préjudice important qui sera réservé lié à la perte de loyers en résultant ;
– M.[G] [H] devra être condamné à la décharger de toute hypothétique condamnation si elle venait à être condamnée pour avoir emprunté le passage querellé ;
– il convient par ailleurs d’instituer une servitude légale de passage face à la situation d’enclave de la parcelle au visa de l’article 682 du Code civil ; moyennant l’indemnité d’un euro prévu dans le projet de constitution ;
– en réponse au moyen selon lequel, la servitude ne peut être constituée en raison d’une prétendue impossibilité juridique, les consorts [H] sont bien propriétaires et détenteurs des parcelles, seule la publication au livre foncier n’a pas été réalisée en raison de leur propre carence;
– elle est fondée à obtenir le remboursement des travaux effectués et la libération du séquestre après déduction des montants déjà versés ;
– en réponse aux défendeurs et sur les travaux, il n’est pas contesté que les travaux d’individualisation du compteur électrique ont été effectués, pour le reste, elle justifie qu’ils doivent être mis à leur charge ;
– l’attitude déloyale des défendeurs génère un préjudice réparable.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 juin 2024, les consorts [H] sollicitent du tribunal de :
sur la demande principale,
– débouter la SCI KMO de l’ensemble de ses fins et conclusions ;
– condamner la SCI KMO à leur régler entre les mains des défendeurs le solde du prix de vente leur revenant soit la somme de 24728 euros portant intérêts au taux conventionnel à compter de la significaion des présentes conclusions ;
– ordonner la libération dudit montant entre les mains des défendeurs à concurrence des montants restant en possession de Me [Y] en vertu de la constitution de séquestre opérée entre ses mains dans le cadre de l’acte de vente du 5 novembre 2020 sous numéro de répertoire 65.021 et cela sous astreinte de 100 euros par jours de retard à compter de la signification de la décision à intervenir augmenté d’un délai de 15 jours ;
– débouter la SCI KMO de sa demande de constitution d’une servitude de passage à la charge des défendeurs ;
sur la demande reconventionnelle,
– faire interdiction à la SCI KMO de son propre chef ou du chef de toute personne propriétaire ou usager des locaux exploités au sein de l’immeuble dont elle demeure propriétaire édifiés sur la parcelle cadastrée commune d’[Localité 19] section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 7]/[Cadastre 17] de circuler respectivement de stationner avec tout véhicule sur le fonds propriété indivis des défendeurs inscrit au livre foncier de la commune d’[Localité 19] en section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 6]/[Cadastre 17] cela sous astreinte de 200 euros par infraction constatée par trois témoins ;
à titre subsidiaire en cas de constitution d’une servitude de passage mise à la charge des défendeurs,
– condamner la SCI KMO à leur payer la somme de 30000 euros à titre de dommages et intérêts conformément aux dispositions des articles 682 et suivants du Code civil ;
en toute hypothèse,
– condamner la SCI KMO à leur payer la somme de 6000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les frais et dépens de l’instance.
Au soutien de leurs conclusions, les consorts [H] exposent que :
– le projet d’acte transmis à M. [H] la veille du rendez-vous ne comportait aucune servitude et les travaux étaient chiffrés à une somme moindre ;
– au visa de l’article 1204 du Code civil, les autres membres de l’indivision n’ont pu consentir à la constitution de servitude puisque à l’exception de M. [G] [H], ils n’étaient pas présents à la signature du 5 novembre 2020 ;
– M. [G] [H] a régularisé une promesse de porte-fort sur des droits dont ni lui ni les promettants de disposaient en raison de l’absence de transcription préalable de la propriété au profit de l’indivision ;
– sur la demande de constitution de servitude, le demande de réparation est difficile dès lors qu’à ce jour la servitude n’a pas été régularisée et la demanderesse abuse déjà de ce droit de passage auto-proclamé ;
– la SCI KMO ne démontre pas la situation d’enclave ;
– à titre subsidiaire, il sera attribué des dommages et intérêts en raison de l’empiètement en résultant sur leur propriété ;
– concernant les obligations mises à leur charge et les travaux, ceux d’individualisation du compteur électrique ne font l’objet d’aucune contestation ni de prétention ;
– concernant les travaux afférents au réseau d’eau, ils ont transmis des devis relatifs mais les acquéreurs ont entendu soumettre leur examen à la constitution d’une servitude ;
– les acquéreurs ont obtenu de la part du notaire le paiement d’un acompte au détriment des dispositions contractuelles ;
-ils sont prêts assurer un montant déjà couvert par l’acompte versé par le notaire et le solde des montants consignés doit être libéré.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 19 septembre 2024 par ordonnance du même jour.
A l’audience de plaidoirie en date du 19 novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 28 janvier 2025.
Pour un exposé plus complet du litige, il est renvoyé aux conclusions des parties en application de l’article 455 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire,
REJETTE la demande de condamnation formée par la SCI KMO à l’encontre de Mme [F] [W], veuve [H], MM [K] [H], [I] [H] et [G] [H] à signer par devant Me [P] [Y], notaire à MULHOUSE l’acte portant constitution de servitude de passage par tout moyen et véhicule à charge de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 6]/[Cadastre 17] au profit de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 7]/[Cadastre 17] conformément au projet d’acte communiqué aux parties, à frais partagés ;
REJETTE la demande formée par la SCI KMO d’instituer une servitude de passage à charge de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 6]/[Cadastre 17] au profit de la parcelle section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 7]/[Cadastre 17] en tout temps et heure et avec tout véhicule, s’exerçant exclusivement sur une bande d’une largeur de 4 mètres sera rejetée ;
REJETTE la demande de condamnation en paiement de la somme de 20000 euros formée par la SCI KMO à l’encontre de M. [G] [H] à titre de provision à valoir sur le préjudice définitif de la SCI KMO , assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
REJETTE la demande de réserve des droits de la SCI KMO de chiffrer son préjudice définitif ;
ORDONNE la restitition de la somme de 16.634,00 € (SEIZE MILLE SIX CENT TRENTE-QUATRE EUROS) séquestrée entre les mains de Me [P] [Y] au profit de Mme [F] [W], veuve [H], MM [K] [H], [I] [H] et [G] [H] ;
REJETTE la demande d’autoriser sur simple présentation du jugement Me [T] à se libérer entre les mains de la SCI KMO de la somme de 24.069,20 € qu’il détient en sa qualité de séquestre en exécution de l’acte de vente du 5 novembre 2020 ;
REJETTE la condamnation solidaire en paiement de la somme de 28.167,30 € TTC au titre des travaux réalisés formée par la SCI KMO à l’encontre de Mme [F] [W], veuve [H], MM [K] [H], [I] [H] et [G] [H] ;
REJETTE la demande en paiement de la somme de 5000 euros formée par la SCI KMO à l’encontre de Mme [F] [W], veuve [H], MM [K] [H], [I] [H] et [G] [H] à titre de dommages et intérêts ;
REJETTE la demande formée par Mme [F] [W], veuve [H], MM [K] [H], [I] [H] et [G] [H] de faire interdiction à la SCI KMO de son propre chef ou du chef de toute personne propriétaire ou usager des locaux exploités au sein de l’immeuble dont elle demeure propriétaire édifiés sur la parcelle cadastrée commune d’[Localité 19] section [Cadastre 2] numéro [Cadastre 7]/[Cadastre 17] de circuler respectivement de stationner avec tout véhicule sur le fonds propriété indivisde des défendeurs inscrit au livre foncier de la commune d’[Localité 19] en section 15 numéro [Cadastre 6]/[Cadastre 17] cela sous astreinte de 200 euros par infraction constatée par trois témoins ;
REJETTE la demande de condamnation de M. [G] [H] à garantir la SCI KMO de toute condamnation susceptible d’intervenir à son encontre au titre de l’utilisation du passage litigieux ;
CONDAMNE la SCI KMO au paiement de la somme de 1.500,00 € (MILLE CINQ CENTS EUROS) à Mme [F] [W], veuve [H], MM [K] [H], [I] [H] et [G] [H] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
REJETTE la demande de la SCI KMO au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
CONDAMNE la SCI KMO aux dépens;
CONSTATE l’exécution provisoire de la décision.
Et ce jugement a été signé par le Président et le Greffier.
Le Greffier, Le Président,
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