Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire du Mans
Thématique : Engagement de cautionnement et ses implications financières
→ RésuméContexte du litigeUn contrat de co-gérance a été signé le 2 juillet 2007 entre Monsieur [E] [W], Madame [O] [W] et la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE pour la gestion d’une supérette. Monsieur [I] [W] a agi en tant que caution personnelle et solidaire pour un montant de 24.000 € sur une durée de 17 ans. Évolution des contrats de géranceUn nouveau contrat de gérance a été établi le 17 juillet 2012 entre la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE et Monsieur [E] [W], suivi d’un avenant concernant la rémunération. Madame [O] [W] a également signé un contrat similaire le 20 juillet 2012 pour un autre magasin, avec un avenant le même jour. Un second contrat a été signé par Madame [O] [W] le 13 août 2012 pour un troisième magasin. Résiliation du contrat de co-géranceLa SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE a notifié la résiliation du contrat de co-gérance pour le magasin C 6279 par courrier recommandé le 1er juillet 2013, en raison de sa fermeture définitive et de l’absence de reprise d’un autre magasin. Mises en demeure et actions judiciairesEn août 2014, la société a mis en demeure les époux [W] de régler un solde débiteur de 74.849,34 €. Monsieur [I] [W] a également été mis en demeure de payer 24.000 € en tant que caution. La société a ensuite assigné Monsieur [W] devant le Tribunal de grande instance du Mans en février 2015. Décisions judiciaires successivesLe juge a ordonné un sursis à statuer sur la demande de paiement jusqu’à la décision de la Cour d’appel de Douai, qui a statué sur l’appel d’un jugement du Conseil de prud’hommes en avril 2015. Plusieurs ordonnances ont prolongé ce sursis jusqu’à des décisions ultérieures de la Cour de cassation et de la Cour d’appel. Arguments de la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCELa société a soutenu que le cautionnement de Monsieur [I] [W] couvrait toutes les dettes des époux [W] envers elle, y compris celles nées après la signature du contrat de co-gérance. Elle a également affirmé que le cautionnement n’était pas limité au contrat initial et que les conditions de gestion n’avaient pas eu d’impact négatif sur les résultats. Arguments de Monsieur [I] [W]Monsieur [I] [W] a contesté l’extension de son engagement de caution à d’autres contrats, arguant que son engagement était limité au contrat de 2007. Il a également soulevé des questions de disproportion de son engagement par rapport à ses capacités financières et a affirmé ne pas avoir été informé des changements dans la gestion des magasins. Décision du TribunalLe Tribunal a condamné Monsieur [I] [W] à payer 24.000 € à la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE, avec intérêts à compter du 5 juin 2014. Il a également ordonné la capitalisation des intérêts et a condamné Monsieur [I] [W] aux dépens, tout en déboutant les parties de leurs autres demandes. L’exécution provisoire a été ordonnée. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DU MANS
Première Chambre
Jugement du 30 Janvier 2025
N° RG 19/02240 – N° Portalis DB2N-W-B7D-GTHI
DEMANDERESSE
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE, prise en la personne de son représentant légal
immatriculée au RCS de SAINT ETIENNE sous le n°428 268 023
dont le siège social est situé [Adresse 1]
[Adresse 4]
représentée par Maître ABRIAL, membre de la SELARL JUDICAL CLERGUE ABRIAL, avocat au Barreau de SAINT-ETIENNE, avocat plaidant et par Maître Jean-Philippe PELTIER, membre de la SCP PELTIER & CALDERERO, avocat au Barreau du MANS, avocat postulant
DEFENDEUR
Monsieur [I] [W]
né le [Date naissance 3] 1933 à [Localité 5] (72)
demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître Jean-Christophe BONFILS, avocat au Barreau de DIJON, avocat plaidant et par Maître Bérengère BEGUE, membre de la SCP GALLOT-LAVALLEE – IFRAH – BEGUE, avocate au Barreau du MANS, avocate postulante
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS
PRÉSIDENT : Marie-Michèle BELLET, Vice-présidente
ASSESSEURS : Emilie JOUSSELIN, Vice-Présidente
Amélie HERPIN, Juge
Emilie JOUSSELIN, juge rapporteur, a tenu seule l’audience conformément à l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et a rendu compte au Tribunal dans son délibéré
GREFFIER : Patricia BERNICOT
DEBATS
A l’audience publique du : 05 Novembre 2024
A l’issue de celle-ci, le Président a fait savoir aux parties que le jugement serait rendu le 30 Janvier 2025 par sa mise à disposition au greffe de la juridiction.
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DELIBERE
Madame BELLET, Vice-présidente
Madame JOUSSELIN, Vice-Présidente
Mme HERPIN, Juge
Jugement du 30 Janvier 2025
– prononcé publiquement par Madame BELLET, par sa mise à disposition au greffe
– en premier ressort
– contradictoire
– signé par le Président et Madame BERNICOT, greffière, à qui la minute du jugement a été remise
copie exécutoire à Maître Bérengère BEGUE- 3, Maître Jean-Philippe PELTIER- 30 le
N° RG 19/02240 – N° Portalis DB2N-W-B7D-GTHI
EXPOSE DU LITIGE
Suivant contrat de co-gérance du 2 juillet 2007 régularisé entre Monsieur [E] [W] et Madame [O] [W] d’une part et la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE, d’autre part, la gestion et l’exploitation d’une supérette C 6279 située à [Localité 9] (59) leur avait été confiées.
Monsieur [I] [W] s’est porté caution personnelle et solidaire de Monsieur [E] [W] et de Madame [O] [W] au bénéfice de la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE pour la somme de 24.000 € et pour une durée de 17 ans, aux termes d’un acte de cautionnement du 1er juillet 2007.
Un nouveau contrat de gérance mandataire non salariée a été établi entre la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE et Monsieur [E] [W] le 17 juillet 2012. Un avenant à ce contrat a également été signé le même jour, relatif au magasin C 6279 de [Localité 9], au titre des modalités de sa rémunération.
En parallèle, un contrat de gérance mandataire non salariée a été régularisé entre la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE et Madame [O] [W] le 20 juillet 2012. Un avenant du même jour lui a confié la gérance d’un magasin C 3891 situé à [Localité 6] (62), fixant par ailleurs les modalités de rémunération.
Un second contrat de gérance mandataire non salariée a été conclu entre la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE et Madame [O] [W] le 13 août 2012. L’avenant régularisé le même jour a confié à celle-ci un magasin E 9693 à [Localité 8] (59), fixant par ailleurs les modalités de rémunération.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 1er juillet 2013, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a notifié à Monsieur [E] [W] et Madame [O] [W] la résiliation du contrat de co-gérance mandataire non-salariée relatif à l’exploitation du magasin C 6279 situé à [Localité 9], en raison de sa fermeture définitive et de l’absence de reprise d’un autre magasin.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 7 août 2014, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a mis en demeure Monsieur [E] [W] et Madame [O] [W] de régler la somme de 74.849,34 € au titre du solde débiteur figurant sur le compte général de dépôt certifié sincère et conforme.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 juin 2014, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a mis en demeure Monsieur [I] [W] de lui régler la somme de 24.000 € correspondant au plafond de l’engagement de caution en remboursement d’une partie des sommes dues par Monsieur [E] [W] et Madame [O] [W].
Par acte du 6 février 2015, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a fait assigner Monsieur [W] devant le Tribunal de grande instance du Mans.
Par ordonnance du 18 juin 2015, le Juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer sur la demande en paiement présentée par la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à l’encontre de Monsieur [W] jusqu’à la décision de la Cour d’appel de Douai statuant définitivement sur appel du jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Dunkerque le 13 avril 2015
Par conclusions aux fins de réinscription, signifiées par voie électronique le 13 juin 2017, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a justifié de l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour d’appel de Douai du 31 mars 2017. L’affaire a été réinscrite sous le numéro RG 17/04057.
Selon ordonnance du 29 mars 2018, le Juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer sur la demande en paiement présentée par la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à l’encontre de Monsieur [W] jusqu’à la décision de la Cour de cassation statuant sur le pourvoi formé par Monsieur [W] contre l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour d’appel de Douai.
Par conclusions aux fins de réinscription, signifiées par voie électronique le 10 avril 2019, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE a justifié de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2018. L’affaire a été réinscrite sous le numéro RG 19/02240.
Par ordonnance du 17 septembre 2020, le Juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer sur la demande en paiement présentée par la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à l’encontre de Monsieur [W] jusqu’à la décision de la Cour d’appel de Douai statuant définitivement en appel contre le jugement du Tribunal de commerce de Dunkerque du 27 janvier 2020. La Cour d’appel de Douai a rendu son arrêt le 24 mars 2022.
Suivant ordonnance du 24 janvier 2023, le Juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer sur les demandes formées dans l’attente de la décision de la Cour de cassation suite au pourvoi formé par Monsieur [W].
La Chambre commerciale de la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi ainsi formé par décision du 7 février 2024.
Suivant conclusions récapitulatives n°2, signifiées par voie électronique en date du 11 juillet 2024, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé du litige, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE sollicite de :
– débouter Monsieur [W] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner Monsieur [W] à payer à la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE la somme de 24.000 € outre intérêts de droit à compter du 3 juin 2014, date de la première mise en demeure,
– condamner Monsieur [W] à payer à la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE la somme de 4.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
– le condamner aux entiers dépens de l’instance.
La Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE se prévaut des dispositions du contrat de cogérance (article 21) pour soutenir que l’arrêté de compte et la comparaison des inventaires du 11 février 2013 et du 16 juillet 2013, réalisé pour la reprise du magasin, permettaient de retenir que le compte général de dépôt des époux [W] présentait un solde débiteur de 74.849,34 €. Elle oppose que cette somme n’a jamais été réglée par les époux [W]. A ce titre, elle rappelle que la Cour d’appel de Douai a statué de manière définitive sur la créance due, à hauteur de 74.712,57 €, outre intérêts. Elle fonde sa demande en paiement à l’encontre de Monsieur [I] [W], en qualité de caution, à hauteur du plafond du cautionnement, au visa des articles 1134 et 2288 du Code civil.
Sur les moyens soutenus par Monsieur [I] [W], la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE fait valoir que l’engagement de caution n’est pas limité au contrat de cogérance initial signé le 2 juillet 2007, mais vaut pour toute dette due par les débiteurs principaux. Elle rappelle à ce titre les articles 1 et 3 du cautionnement souscrit. Elle avance que le fait que Madame [O] [W] ait été détachée à la gestion d’autres supérettes sur une période déterminés (19 juillet au 19 septembre 2012), qui a entraîné une gestion de la supérette considérée uniquement par Monsieur [E] [W], ne peut être retenu comme invalidant les résultats d’inventaire du magasin de [Localité 9]. Elle ajoute que la Cour d’appel de Douai a en outre retenu, dans sa décision du 24 mars 2022, aucun impact négatif sur les résultats de ce fait. Elle note que si une gestion par une seule gestion n’est pas permise par l’Accord collectif national des maisons d’alimentation du 18 juillet 1963, aucune sanction n’est toutefois prévue à ce titre. Au titre de la disproportion du cautionnement, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE relève que les dispositions protectrices des articles L. 341-1 et suivants du Code de la consommation ne sont pas applicables en ce que le contrat garanti n’est pas une opération de crédit. Elle considère au surplus que Monsieur [I] [W] n’apporte pas d’éléments suffisants pour établir une telle disproportion manifeste au regard de sa situation financière, relevant qu’il est marié sous le régime de la communauté légale et que doit également être prise en considération la situation de son épouse. Enfin, concernant un défaut d’information de la caution, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE avance également que l’article L. 341-6 du Code de la consommation n’est pas applicable au cautionnement souscrit par Monsieur [I] [W] et que l’article 2 du contrat écarte en outre cette obligation.
Aux termes de conclusions récapitulatives, signifiées par voie électronique en date du 14 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé du litige, Monsieur [W] demande de :
– débouter en toute hypothèse la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE aux entiers dépens, dont recouvrement direct en application de l’article 699 du Code de procédure civile,
– condamner la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE à payer à Monsieur [W] une somme de 3.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Monsieur [I] [W] soutient tout d’abord que l’exécution de son engagement de caution ne peut être rattaché qu’au contrat du 2 juillet 2007, pour une exploitation exclusivement par les deux époux [W]. Il rappelle qu’il ne peut être étendu en application de l’article 2292 du Code civil. Sur la période pendant laquelle Monsieur [E] [W] a géré seul la supérette de [Localité 9], Monsieur [I] [W] estime que son engagement porte sur une exploitation risquée, non consentie lors de la souscription du cautionnement. Il conteste toute extension de son cautionnement à un autre contrat de gérance que celui du 2 juillet 2007. Considérant que le contrat du 17 juillet 2012 a abrogé le précédent du 2 juillet 2007, Monsieur [I] [W] fait valoir que le déficit est né postérieurement lors de la gestion de la supérette de [Localité 9] par Monsieur [E] [W] seul, en violation des accords collectifs. Il avance que dans ce cadre, la supérette était plus exposée au risque de vols et entraîne pour le gérant unique une charge de travail supplémentaire, majorant le risque d’erreurs par surcharge de travail. Il ajoute qu’il n’a jamais été avisé de la conclusion des contrats ultérieurs avec Madame [O] [W], alors même que cette communication est prévue par l’article 22-B des accord collectifs et par l’article 5-A de l’avenant contractuel des gérants. Il conteste ainsi le déficit opposé aux époux [W], alors qu’il prend en compte une période d’exploitation par un gérant unique et qu’il intègre également l’inventaire des deux autres commerces confiées à Madame [O] [W].
Il fait en outre valoir que l’engagement de caution est disproportionné à ses capacités financières au moment de la souscription du contrat, sur le fondement de l’article 332-1 du Code de la consommation. Il rappelle qu’à cette période il était retraité et n’avait aucun patrimoine particulier. Il note que le montant de son engagement est supérieur à ses revenus annuels (retraites et revenus fonciers). Il considère que les revenus de son épouse, qui n’a pas souscrit cet engagement, ne doivent pas être pris en compte. Il ajoute que même s’il étaient pris en considération, l’engagement serait toujours supérieur aux 2/3 des revenus annuels du couple. Il avance ainsi que la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE ne peut se prévaloir de ce cautionnement.
Enfin, Monsieur [I] [W] rappelle qu’en vertu de l’article 22 des accords collectifs du 18 juillet 1963, il devait être informé des situations anormales d’inventaire mais qu’il n’a jamais bénéficié de ces éléments. Il ajoute que l’article L. 341-6 du Code de la consommation impose au créancier une obligation d’information annuelle de la caution personne physique et qu’à défaut d’exécution de cette obligation, la Société DISTRIBUTION CASINO FRANCE ne peut se prévaloir des pénalités et intérêts de retard échus.
La clôture des débats est intervenue le 10 octobre 2024, par ordonnance du même jour.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, suivant mise à disposition de la décision par le greffe, par décision contradictoire et en premier ressort,
CONDAMNE Monsieur [I] [W] à payer à la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE la somme de 24.000 €, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juin 2014 ;
DIT que les intérêts pour une année entière à compter de la présente décision pourront eux-mêmes produire des intérêts ;
DÉBOUTE les parties de leurs plus amples demandes ;
CONDAMNE Monsieur [I] [W] aux entiers dépens ;
CONDAMNE Monsieur [I] [W] à payer à la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
DÉBOUTE Monsieur [I] [W] de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
ORDONNE l’exécution provisoire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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