L’Essentiel : Mme [V] a débuté sa collaboration avec Mme [N], kinésithérapeute, en septembre 2012, mais a mis fin à leur relation professionnelle le 26 février 2018. Suite à cette rupture, elle a saisi le conseil de prud’hommes le 12 juillet 2018, demandant la reconnaissance d’un contrat de travail et la requalification de la rupture. Contestant la décision de la cour d’appel qui a déclaré son action prescrite, Mme [V] a soutenu que le point de départ de la prescription devait être la date de cessation de leur collaboration. La cour a cependant fixé ce point à septembre 2012, estimant que Mme [V] avait eu connaissance des faits dès le début de son activité.
|
Contexte de la relation professionnelleMme [V] a commencé à travailler en tant que secrétaire indépendante pour Mme [N], kinésithérapeute, en septembre 2012. Cette relation professionnelle a perduré jusqu’à ce que Mme [V] décide de mettre fin à leur collaboration par une lettre datée du 26 février 2018. Actions judiciaires de Mme [V]Suite à la rupture de leur relation, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes le 12 juillet 2018. Elle a demandé la reconnaissance d’un contrat de travail, la requalification de la rupture en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le paiement de diverses sommes liées à l’exécution et à la rupture de ce contrat. Arguments de Mme [V]Mme [V] a contesté la décision de la cour d’appel qui a déclaré son action prescrite et ses demandes irrecevables. Elle a soutenu que l’action visant à qualifier un contrat de travail est personnelle et doit être soumise à une prescription quinquennale, dont le point de départ est la date de cessation de la relation contractuelle, soit le 26 février 2018. Réponse de la cour d’appelLa cour d’appel a jugé que l’article L. 1471-1 du code du travail s’appliquait à l’affaire, considérant que l’action de Mme [V] visait à obtenir des conséquences pécuniaires liées à l’exécution ou à la rupture d’un contrat de travail. Elle a fixé le point de départ de la prescription à septembre 2012, en se basant sur la connaissance des faits permettant à Mme [V] d’agir. Conclusion de la cour d’appelEn concluant que l’action de Mme [V] était prescrite, la cour d’appel a estimé qu’elle avait eu connaissance des éléments lui permettant d’agir peu après le début de son activité en septembre 2012. Cette décision a été contestée par Mme [V], qui a argué que la cour avait violé les textes de loi en ne tenant pas compte de la date de cessation de la relation contractuelle. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature de l’action en qualification d’un contrat de travail selon la jurisprudence ?L’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle. Cette qualification est précisée par l’article 2224 du code civil, qui stipule que : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » Ainsi, le délai de prescription applicable à cette action est de cinq ans, et il commence à courir à partir de la date à laquelle la relation contractuelle a cessé, soit le 26 février 2018 dans le cas présent. Il est important de noter que la qualification dépend des conditions dans lesquelles l’activité est exercée, ce qui signifie que le point de départ du délai de prescription est la date de cessation de la relation contractuelle. Comment se combine l’article 2224 du code civil et l’article L. 1471-1 du code du travail ?L’article L. 1471-1 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, précise que : « Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. » Cependant, il résulte de la combinaison de ces deux articles que l’action en qualification d’un contrat de travail est considérée comme une action personnelle, et donc soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil. Cela signifie que, même si l’article L. 1471-1 impose un délai de deux ans pour les actions liées à l’exécution du contrat de travail, la qualification d’un contrat comme étant un contrat de travail est régie par le délai de cinq ans. Quel est le point de départ du délai de prescription pour l’action en qualification ?Le point de départ du délai de prescription pour l’action en qualification d’un contrat de travail est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. Dans le cas de Mme [V], cette date est le 26 février 2018, date à laquelle elle a mis fin à sa relation de travail avec Mme [N]. C’est à partir de cette date que Mme [V] a eu connaissance de l’ensemble des faits lui permettant d’exercer son droit à la reconnaissance d’un contrat de travail. Ainsi, l’action engagée le 12 juillet 2018 n’était pas prescrite, car elle a été intentée dans le délai de cinq ans prévu par l’article 2224 du code civil. Quelles erreurs la cour d’appel a-t-elle commises dans son jugement ?La cour d’appel a commis plusieurs erreurs dans son jugement en considérant que l’action de Mme [V] était prescrite. Elle a d’abord appliqué l’article L. 1471-1 du code du travail, en concluant que le point de départ de la prescription devait être fixé à septembre 2012, date de début de l’activité de secrétaire indépendante. Cette interprétation est erronée, car elle ne tient pas compte du fait que le point de départ du délai de prescription doit être la date de cessation de la relation contractuelle, soit le 26 février 2018. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 1471-1 du code du travail, en ne respectant pas la distinction entre l’action en qualification et les actions liées à l’exécution du contrat de travail. |
CZ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 janvier 2025
Cassation
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 83 F-D
Pourvoi n° B 23-14.100
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 29 JANVIER 2025
Mme [B] [V], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 23-14.100 contre l’arrêt rendu le 15 novembre 2022 par la cour d’appel de Nîmes (chambre civile, 5e chambre sociale PH), dans le litige l’opposant à Mme [F] [N], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Nirdé-Dorail, conseiller, les observations de Me Ridoux, avocat de Mme [V], après débats en l’audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Nirdé-Dorail, conseiller rapporteur, Mme Filliol, conseiller, M. Charbonnier, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 15 novembre 2022), Mme [V] a exercé, à compter de septembre 2012, les fonctions de secrétaire indépendante pour Mme [N], kinésithérapeute.
2. Par lettre du 26 février 2018, Mme [V] a mis fin à leur relation et a saisi la juridiction prud’homale, le 12 juillet 2018, de demandes tendant à la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail, à la requalification de la rupture en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et au paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. Mme [V] fait grief à l’arrêt de dire son action prescrite et de déclarer ses demandes irrecevables, alors que « l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle, qui relève de la prescription quinquennale ; que la qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que Mme [V], qui exerçait les fonctions de secrétaire indépendante pour Mme [N] à compter du mois de septembre 2012, avait mis un terme à la relation de travail par courrier du 26 février 2018, et que le 12 juillet 2018, elle avait saisi le conseil de prud’hommes afin de faire constater l’existence d’un contrat de travail à durée déterminée à temps complet ; que le point de départ du délai de prescription de cette action en qualification courait donc à compter de la date de fin de la relation contractuelle, soit le 26 février 2018, de sorte que l’action engagée le 12 juillet 2018 n’était pas prescrite ; que dès lors, en jugeant que le délai de prescription avait commencé à courir très rapidement après le commencement de l’activité de secrétaire de Mme [V] pour Mme [N] en septembre 2012, pour en déduire que son action était prescrite, la cour d’appel a violé l’article 2224 du code civil. »
Vu les articles 2224 du code civil et L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 :
4. Selon le premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
5. Selon le second, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
6. Il résulte de leur combinaison que l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle et relève de la prescription de l’article 2224 du code civil.
7. Cette qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C’est en effet à cette date que le titulaire connaît l’ensemble des faits lui permettant d’exercer son droit.
8. Pour dire prescrite l’action et irrecevables les demandes, l’arrêt retient que l’article L. 1471-1 du code du travail s’applique dès lors que cette action a pour but, en cas de succès, d’obtenir les conséquences pécuniaires attachées à l’exécution ou à la rupture de ce type de contrat.
9. Pour fixer le point de départ de la prescription à septembre 2012, il relève que les faits permettant à Mme [V] d’exercer son droit à la reconnaissance d’un contrat de travail sont les faits établissant l’existence d’un lien de subordination, élément permettant de remettre en cause l’apparence créée par le contrat de secrétaire indépendante conclu entre les parties.
10. L’arrêt retient enfin que Mme [V] avait connaissance des faits lui permettant d’agir très rapidement après le commencement de son activité de secrétaire pour le compte de Mme [N] en septembre 2012.
11. Relevant que l’action avait été engagée le 12 juillet 2018, il en conclut que celle-ci était prescrite.
12. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Laisser un commentaire