Obligation de vigilance et vérification des sous-traitants : enjeux de la solidarité financière

·

·

Obligation de vigilance et vérification des sous-traitants : enjeux de la solidarité financière

L’Essentiel : La présente affaire oppose une société à l’URSSAF suite à un contrôle d’un sous-traitant. En octobre 2018, l’URSSAF a notifié à la société une lettre d’observations, suivie d’une mise en demeure et d’une contrainte. En réponse, la société a formé opposition, contestée par l’URSSAF, qui soutenait que la société n’avait pas vérifié les obligations sociales de son sous-traitant. La cour d’appel a annulé le redressement, estimant que la société avait effectué les vérifications nécessaires. Cependant, cette décision a été critiquée pour ne pas avoir examiné d’éventuelles discordances dans les informations fournies, remettant en question sa légitimité.

Contexte de l’affaire

La présente affaire concerne un litige entre une société et l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales d’Aquitaine (URSSAF) suite à un contrôle d’un sous-traitant. Le 26 octobre 2018, l’URSSAF a adressé une lettre d’observations à la société, mettant en œuvre la solidarité financière prévue par le code du travail. Ce processus a été suivi d’une mise en demeure le 4 février 2019 et d’une contrainte le 12 mars 2019.

Opposition de la société

En réponse à la contrainte, la société a formé opposition devant une juridiction compétente en matière de contentieux de la sécurité sociale. L’URSSAF contestait la décision de la cour d’appel qui avait annulé le redressement des cotisations et des majorations de retard dues par la société pour la période de décembre 2016 à février 2017.

Arguments de l’URSSAF

L’URSSAF soutenait que la société, en tant que donneur d’ordre, avait manqué à son obligation de vérifier que son sous-traitant s’était acquitté de ses obligations sociales. Elle faisait valoir que la société n’avait pas relevé d’incohérences entre la masse salariale déclarée par le sous-traitant et les travaux réalisés, ce qui aurait dû l’inciter à approfondir ses vérifications.

Réponse de la Cour

La Cour a rappelé que le donneur d’ordre est présumé avoir effectué les vérifications requises s’il a reçu les documents appropriés de son cocontractant. Cependant, cette présomption ne s’applique pas en cas de discordance entre les déclarations et le volume de travail nécessaire à l’exécution du contrat.

Décision de la cour d’appel

La cour d’appel a annulé le redressement en considérant que la société avait bien vérifié que son sous-traitant était à jour de ses obligations sociales, en se basant sur les documents fournis, y compris une attestation de vigilance. Elle a conclu qu’il n’y avait pas de doute sur la capacité du sous-traitant à réaliser les travaux, ce qui exonérait la société de la solidarité financière.

Critique de la décision

Cependant, la cour d’appel n’a pas examiné si des discordances existaient entre les informations de l’attestation de vigilance et celles dont la société pouvait avoir connaissance. Cette omission a conduit à une décision considérée comme dépourvue de base légale, remettant en question la validité de l’annulation du redressement par la cour d’appel.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations du donneur d’ordre en matière de vérification des sous-traitants selon le Code du travail ?

La responsabilité du donneur d’ordre en matière de vérification des sous-traitants est régie par les articles L. 8222-1 et L. 8222-2 du Code du travail.

L’article L. 8222-1 stipule que :

« Le donneur d’ordre est tenu de s’assurer que son cocontractant s’est acquitté de ses obligations en matière de déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale. »

Cette obligation de vigilance implique que le donneur d’ordre doit procéder à des vérifications appropriées.

L’article L. 8222-2 précise que :

« Le donneur d’ordre est solidairement responsable des cotisations et contributions dues par son cocontractant, lorsque celui-ci a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé. »

Ainsi, le donneur d’ordre doit s’assurer que son sous-traitant respecte ses obligations sociales, sous peine de se voir engagé à une solidarité financière.

Quelles sont les conséquences d’une discordance entre les déclarations du sous-traitant et les informations connues du donneur d’ordre ?

La question de la discordance entre les déclarations du sous-traitant et les informations dont dispose le donneur d’ordre est abordée dans l’article D. 8222-5 du Code du travail.

Cet article énonce que :

« Le donneur d’ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l’article L. 8222-1 lorsqu’il s’est fait remettre par son cocontractant les documents énumérés. »

Cependant, cette présomption de conformité ne s’applique pas en cas de discordance.

En effet, si des incohérences sont constatées entre les informations fournies par le sous-traitant et celles que le donneur d’ordre peut raisonnablement connaître, cela remet en question la validité des vérifications effectuées.

Ainsi, le donneur d’ordre pourrait être tenu responsable des cotisations dues par le sous-traitant, en raison de son manquement à l’obligation de vigilance.

Comment le donneur d’ordre peut-il se prémunir contre la solidarité financière ?

Pour se prémunir contre la solidarité financière, le donneur d’ordre doit respecter les dispositions des articles L. 243-15 et D. 243-15 du Code de la sécurité sociale.

L’article L. 243-15 stipule que :

« L’attestation de vigilance permet de vérifier que le cocontractant est à jour de ses obligations auprès des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales. »

Le donneur d’ordre doit donc exiger cette attestation de son sous-traitant, qui doit être fournie lors de la conclusion du contrat et tous les six mois.

L’article D. 243-15 précise que :

« L’attestation mentionne l’identification de l’entreprise, le nombre de salariés et le total des rémunérations déclarées. »

En s’assurant de l’authenticité de cette attestation et en vérifiant la cohérence des informations, le donneur d’ordre peut se protéger contre les risques de solidarité financière en cas de défaillance de son sous-traitant.

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 30 janvier 2025

Cassation

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 105 F-D

Pourvoi n° K 22-19.808

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JANVIER 2025

L’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) d’Aquitaine, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 22-19.808 contre l’arrêt rendu le 2 juin 2022 par la cour d’appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société [7], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],

2°/ à la société [4], société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité d’administrateur judiciaire de la société [7],

3°/ à la société [5]’, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège [Adresse 1], prise en qualité de mandataire judiciaire puis de liquidateur judiciaire de la société [7],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Montfort, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’URSSAF d’Aquitaine, et l’avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Montfort, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d’instance

1. Il est donné acte à l’URSSAF d’Aquitaine de la reprise d’instance à l’encontre de la société [5]’ en qualité de liquidateur de la société [7].

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 2 juin 2022) et les productions, à la suite d’un contrôle d’un sous-traitant de la société [7] (la société), l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales d’Aquitaine (l’URSSAF) lui a adressé une lettre d’observations, le 26 octobre 2018, mettant en oeuvre la solidarité financière prévue par les articles L. 8222-1 et suivants du code du travail, suivie d’une mise en demeure du 4 février 2019 et d’une contrainte du 12 mars 2019.

3. La société a formé opposition à cette contrainte devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. L’URSSAF fait grief à l’arrêt d’annuler le redressement des cotisations et majorations de retard dues par la société au titre de la solidarité financière pour la période des mois de décembre 2016 à février 2017, alors « qu’est tenu solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé le donneur d’ordre qui a méconnu l’obligation de vérifier que son cocontractant s’est acquitté des formalités lui incombant ; qu’est considéré comme ayant procédé à ces vérifications le donneur d’ordre qui, d’une part, s’est fait remettre certains documents limitativement énumérés, parmi lesquels figure une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions, d’autre part, a vérifié le contenu et la cohérence des déclarations figurant dans cette attestation ; qu’en l’espèce, l’URSSAF faisait valoir que la société, qui s’était fait remettre des documents au titre de son obligation de vigilance pour la période de septembre 2016 à mars 2017, n’avait pas procédé aux vérifications lui incombant en ne relevant pas que la masse salariale déclarée par son sous-traitant était en inadéquation avec les travaux réalisés ; qu’en décidant que la société s’était acquittée de son obligation de vigilance pour la période en cause en se faisant remettre les documents énumérés à l’article D. 8222-5 du code du travail, sans rechercher, ainsi qu’elle y était expressément invitée, si le donneur d’ordre avait également vérifié la cohérence de l’attestation de vigilance, d’où il résultait des discordances évidentes et grossières entre les informations contenues et les termes du contrat conclu avec le sous-traitant, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8222-1, L. 8222-2 et D. 8222-5 du code du travail, ensemble les articles L. 243-15 et D. 243-15 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 8222-1, L. 8222-2 et D. 8222-5 du code du travail, et les articles L. 243-15 et D. 243-15 du code de la sécurité sociale :

5. Il résulte du troisième de ces textes, que la personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4 du code du travail, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 du même code si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution, une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.

6. Il résulte du dernier de ces textes que lorsque le cocontractant emploie des salariés, l’attestation prévue à l’article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, dite attestation de vigilance, qui permet au cocontractant de vérifier que la personne qui exécute ou doit exécuter un contrat portant sur l’exécution d’un travail, la fourniture d’une prestation de services ou un acte de commerce, est à jour de ses obligations auprès des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales, mentionne l’identification de l’entreprise, le nombre de salariés et le total des rémunérations déclarés au cours de la dernière période ayant donné lieu à la communication des informations prévue à l’article R. 243-13 du même code.

7. Il résulte de la combinaison de ces textes que le donneur d’ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l’article L. 8222-1 du code du travail lorsqu’il s’est fait remettre par son cocontractant les documents que l’article D. 8222-5 du même code énumère, cette présomption ne joue pas en cas de discordance entre les déclarations mentionnées sur ces documents et le volume d’heures de travail nécessaire à l’exécution de la prestation.

8. Pour annuler le redressement, l’arrêt relève qu’en produisant lors de la conclusion du contrat de sous-traitance, en septembre 2016, les pièces reçues du sous-traitant, comprenant une attestation de vigilance datée du 9 mai 2016 mentionnant un effectif de deux salariés pour une masse salariale de 691 euros, les factures justifiant des versements des cotisations à l’URSSAF pendant la période d’exécution du contrat, ainsi qu’une attestation de vérification de l’authenticité de l’attestation de vigilance, le donneur d’ordre est considéré avoir vérifié que le sous-traitant était à jour de ses obligations auprès des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales pour la période du mois de septembre 2016 au mois de mars 2017. Il retient qu’à défaut de doute sur la capacité du sous-traitant à réaliser les travaux confiés démontré par l’organisme de recouvrement, le donneur d’ordre n’était pas tenu à la solidarité financière prévue par l’article L. 8222-2 du code du travail pour la période litigieuse.

9. En se déterminant ainsi, sans rechercher comme il lui était demandé, s’il n’existait pas une discordance entre les mentions de l’attestation de l’attestation de vigilance et les informations dont le donneur d’ordre pouvait avoir connaissance, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon