Rupture commerciale et indemnisation : enjeux de la réparation intégrale du préjudice

·

·

Rupture commerciale et indemnisation : enjeux de la réparation intégrale du préjudice

L’Essentiel : La société Wipelec a engagé une action en justice contre Exxelia suite à une rupture brutale de leur relation commerciale, entraînant une diminution des commandes. La cour d’appel a initialement accordé 52 464,25 euros en dommages et intérêts, en déduisant les marges réalisées après la rupture. Wipelec a contesté cette décision, arguant que le préjudice devait être évalué sans tenir compte de ces marges. La Cour de cassation a finalement statué en faveur de Wipelec, confirmant une perte de marge de 91 566,25 euros et condamnant Exxelia à verser 79 770,71 euros, après ajustement.

Contexte de la relation commerciale

La société Wipelec a entretenu une relation commerciale de longue date avec la société Exxelia, lui fournissant des pièces de haute technologie. Cependant, en 2018, Wipelec a constaté une diminution significative des commandes de la part d’Exxelia, ce qui a conduit à une assignation en justice pour obtenir réparation du préjudice causé par cette rupture brutale de la relation commerciale.

Demande de dommages et intérêts

Wipelec a contesté la décision de la cour d’appel qui a condamné Exxelia à lui verser seulement 52 464,25 euros en dommages et intérêts, tout en rejetant d’autres demandes. Wipelec a soutenu que, selon la législation en vigueur, le préjudice dû à une rupture brutale d’une relation commerciale établie doit être évalué en tenant compte de la marge brute escomptée durant la période d’insuffisance de préavis, sans déduire les marges réalisées après cette période.

Arguments de la cour d’appel

La cour d’appel a reconnu que la perte de marge pendant la période de préavis non respecté s’élevait à 91 566,25 euros. Cependant, elle a décidé de déduire les marges réalisées sur les commandes passées après le 1er juillet 2018, ce qui a conduit à une réduction des dommages-intérêts à 52 464,25 euros. Cette décision a été contestée par Wipelec, qui a argué que la cour avait violé le principe de réparation intégrale du préjudice.

Recevabilité du moyen

Exxelia a contesté la recevabilité du moyen soulevé par Wipelec, arguant qu’il était nouveau et mélangé de fait et de droit. Toutefois, la cour a jugé que le moyen était recevable, car il découlait directement de la décision attaquée.

Analyse de la Cour de cassation

La Cour de cassation a examiné les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, qui stipule que la rupture brutale d’une relation commerciale établie engage la responsabilité de son auteur. Elle a constaté que la cour d’appel avait mal appliqué la loi en déduisant les marges réalisées après la rupture partielle, alors que le préjudice devait être évalué uniquement sur la base de la période de préavis non respecté.

Décision finale

La Cour de cassation a décidé de statuer au fond, en tenant compte des éléments fournis par la cour d’appel. Elle a confirmé que la perte de marge sur la durée du préavis non respecté était de 91 566,25 euros, mais a également pris en compte les marges réalisées au second semestre 2018. En conséquence, elle a condamné Exxelia à verser à Wipelec la somme de 79 770,71 euros, après déduction de la marge réalisée durant la période de préavis.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce concernant la rupture brutale d’une relation commerciale établie ?

L’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce stipule que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. »

Cet article vise à protéger les partenaires commerciaux contre les ruptures inattendues qui peuvent causer des préjudices significatifs.

Il impose une obligation de préavis, dont la durée doit être proportionnelle à la durée de la relation commerciale.

En cas de non-respect de cette obligation, la partie lésée peut demander réparation pour le préjudice subi, ce qui inclut la perte de marge brute escomptée durant la période de préavis.

Comment la cour d’appel a-t-elle évalué le préjudice de la société Wipelec ?

La cour d’appel a évalué le préjudice de la société Wipelec en considérant que la perte de marge correspondant à la durée du préavis non respecté s’élevait à 91 566,25 euros.

Cependant, elle a également pris en compte que la rupture avait été partielle.

Ainsi, elle a déduit de ce montant la somme de 39 102 euros, correspondant aux marges réalisées sur les commandes passées par la société Exxelia après le 1er juillet 2018.

Cette approche a été critiquée, car elle ne respecte pas le principe de réparation intégrale du préjudice, qui stipule que le préjudice doit être évalué sans tenir compte des marges réalisées postérieurement à la période d’insuffisance de préavis.

Quelles sont les conséquences de la cassation de l’arrêt de la cour d’appel ?

La cassation de l’arrêt de la cour d’appel a pour conséquence de rétablir le principe de réparation intégrale du préjudice.

La Cour de cassation a statué que, dans le cas d’une rupture partielle d’une relation commerciale, le préjudice doit être évalué uniquement en fonction de la perte de marge brute escomptée pendant la durée du préavis.

Ainsi, la société Wipelec a été condamnée à recevoir la somme de 79 770,71 euros, correspondant à la perte de marge sur la durée du préavis non respecté, après déduction de la marge réalisée au cours du second semestre 2018.

Cette décision souligne l’importance de respecter les obligations de préavis dans les relations commerciales établies et de garantir une indemnisation adéquate en cas de rupture.

COMM.

HM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 29 janvier 2025

Cassation partielle sans renvoi

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 48 F-D

Pourvoi n° J 23-19.972

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025

La société Wipelec, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 23-19.972 contre l’arrêt rendu le 7 juin 2023 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l’opposant à la société Exxelia, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de la société Wipelec, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Exxelia, après débats en l’audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 7 juin 2023), depuis de nombreuses années la société Wipelec vend à la société Exxelia des pièces de haute technologie.

2. Soutenant avoir subi une baisse considérable des commandes de la part de la société Exxelia au cours de l’année 2018, la société Wipelec l’a assignée en réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société Wipelec fait grief à l’arrêt de condamner la société Exxelia à lui verser la somme de 52 464,25 euros seulement, à titre de dommages et intérêts et de rejeter ses autres demandes, alors « qu’en cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie, doit être indemnisé le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, évalué en considération de la marge brute escomptée durant la seule période d’insuffisance de préavis ; que, par suite, lorsque cette rupture est seulement partielle, cette indemnisation tient compte de la perte partielle de cette marge pendant la période d’insuffisance de préavis, sans qu’il y ait lieu d’en déduire la marge brute éventuellement réalisée postérieurement à cette période ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que la société Exxelia avait passé commande à la société Wipelec pour des montants de 13 879,11 euros au second semestre 2018, puis de 21 725,48 euros en 2019 et de 10 425 euros en 2020, soit au total un peu plus de 46 000 euros ; que, pour limiter les dommages-intérêts dus à la société Wipelec à la somme de 52 464,25 euros, la cour d’appel, après avoir considéré que la société Exxelia aurait dû respecter un délai de six mois de préavis à compter du 1er juillet 2018, a énoncé que si la perte de marge sur la durée d’insuffisance de préavis s’élève à la somme de 91 566,25 euros, la rupture ayant été partielle, il convient de déduire de cette somme les marges réalisées sur les commandes postérieures au 1er juillet 2018, soit, au regard d’un taux de marge sur coûts variables de 85 %, la somme arrondie de 39 102 euros (46 002 euros x 85 %) ; qu’en déduisant ainsi du préjudice indemnisable la marge réalisée par la société Wipelec postérieurement à l’expiration de la période d’insuffisance sur préavis, la cour d’appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. La société Exxelia conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu’il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

5. Cependant, le moyen est né de la décision attaquée.

6. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

7. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale.

8. Pour condamner la société Exxelia à verser à la société Wipelec la somme de 52 464,25 euros à titre de dommages-intérêts pour avoir brutalement rompu leur relation commerciale établie en réduisant de manière drastique ses commandes à partir du 1er juillet 2018, sans respecter le préavis de six mois qu’elle devait à sa partenaire, l’arrêt retient que la perte de marge correspondant à la durée du préavis non respecté s’élève à la somme de 91 566,25 euros, mais que la rupture ayant été partielle, il convient de déduire de ce montant, la somme de 39 102 euros, correspondant aux marges réalisées sur les commandes passées par la société Exxelia au second semestre 2018, en 2019 et en 2020.

9. En statuant ainsi, alors qu’en cas de rupture partielle d’une relation commerciale établie, le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture s’évalue en considération de la diminution de la marge brute escomptée pendant la seule durée du préavis, la cour d‘appel a violé le texte et le principe susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

12. Ainsi que l’a retenu la cour d’appel, par des motifs non critiqués, le taux de marge sur coûts variables réalisé par la société Wipelec est de 85 %, la marge moyenne mensuelle s’élève à 15 261 euros et, en conséquence, la perte de marge sur la durée du préavis non respecté est de 91 566,25 euros (15 261 euros x 6 mois).

13. Toutefois, la rupture ayant été partielle, il convient de déduire de cette somme les marges réalisées au second semestre 2018, correspondant au préavis non respecté de six mois. Le chiffre d’affaires réalisé par la société Wipelec avec la société Exxelia au cours de cette période est de 13 877,11 euros. La marge réalisée au cours du second semestre 2018 est donc de 11 795,54 euros (13 877 euros x 85 %).

14. Il y a dès lors lieu de condamner la société Exxelia a payer à la société Wipelec la somme de 79 770,71 euros (91 566,26 – 11 795,54 euros).


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon