Résiliation unilatérale et manquements contractuels : enjeux d’indemnisation

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Résiliation unilatérale et manquements contractuels : enjeux d’indemnisation

L’Essentiel : En 2018, Biocorp production a engagé Kepler Corporate Finance pour une cession, avec un contrat renouvelable tacitement. Le 19 février 2020, Biocorp a résilié la mission, invoquant l’article 1224 du code civil, arguant que les interventions de Kepler étaient contre-productives. En réponse, Kepler a contesté cette résiliation, demandant des dommages et intérêts. La cour d’appel a reconnu que, bien que les interventions n’aient pas été satisfaisantes, aucun manquement grave n’était établi. Elle a donc limité les dommages à 5 000 euros, tout en soulignant le caractère brutal de la résiliation, justifiant une indemnisation pour Kepler.

Contexte de l’affaire

En 2018, la société Biocorp production, spécialisée dans la production de dispositifs médicaux, a engagé la société Kepler Corporate Finance pour l’assister dans une opération de cession. Le contrat, d’une durée initiale de douze mois, était renouvelable tacitement, sauf dénonciation dans un délai de trente jours avant son terme.

Résiliation de la mission

Le 19 février 2020, Biocorp a mis fin à la mission de Kepler, invoquant l’article 1224 du code civil. La société a justifié cette décision par le fait que les interventions de Kepler étaient contre-productives et menaçaient l’opération de cession.

Litige et demande de dommages et intérêts

En réponse à la résiliation unilatérale, Kepler a assigné Biocorp en dommages et intérêts, contestant la légitimité de la rupture du contrat. La société a soutenu que la résiliation n’était pas fondée sur un manquement grave à ses obligations contractuelles.

Arguments de la cour d’appel

La cour d’appel a examiné les arguments de Kepler, notant que la résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée nécessite la preuve d’un manquement grave. Bien que la cour ait reconnu que les interventions de Kepler n’avaient pas été satisfaisantes, elle a conclu qu’aucun manquement grave ne pouvait être reproché à la société, ce qui a conduit à une limitation des dommages et intérêts à 5 000 euros.

Décision finale de la cour

La cour a statué que la résiliation par Biocorp était justifiée sur le fondement de la mésintelligence entre les parties, mais a également souligné le caractère brutal de cette résiliation. En conséquence, elle a accordé une indemnisation à Kepler, tout en affirmant que la résiliation n’était pas fondée sur une inexécution grave.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée selon l’article 1224 du code civil ?

La résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée est encadrée par l’article 1224 du code civil, qui stipule que :

« La résolution peut résulter, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur. »

Cela signifie que pour qu’une partie puisse résilier un contrat de manière unilatérale, elle doit prouver que l’autre partie a commis une inexécution suffisamment grave de ses obligations contractuelles.

En outre, l’article 1226 du même code précise que :

« Sauf urgence, le créancier doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. »

Cette mise en demeure doit indiquer clairement que, si le débiteur ne s’exécute pas, le créancier se réserve le droit de résoudre le contrat.

Ainsi, la résiliation unilatérale n’est admise que si la partie qui s’en prévaut établit que son cocontractant a gravement manqué à ses obligations contractuelles, et la simple faute ne suffit pas.

Comment la cour d’appel a-t-elle interprété les conditions de la résiliation dans l’affaire Biocorp ?

Dans l’affaire Biocorp, la cour d’appel a examiné si la résiliation unilatérale du contrat par la société Biocorp était justifiée. Elle a d’abord rappelé que, selon l’article 1224 du code civil, la résolution d’un contrat peut être fondée sur une inexécution suffisamment grave.

La cour a constaté que, après dix-huit mois de collaboration, la société Kepler n’avait présenté qu’un seul candidat dont les offres étaient inadéquates.

Cependant, elle a également noté qu’aucun manquement grave ni comportement gravement déloyal ne pouvait être reproché à la société Kepler.

Cela a conduit la cour à conclure que, bien que la résiliation ait été brutale, elle n’était pas justifiée au sens des articles 1224 et 1226, car il n’y avait pas eu d’inexécution grave.

En conséquence, la cour a limité les dommages et intérêts à 5 000 euros, considérant que la résiliation, bien que brutale, n’était pas fondée sur une inexécution contractuelle suffisante pour justifier une résiliation unilatérale.

Ainsi, la cour a violé les articles susmentionnés en considérant la résiliation comme justifiée alors qu’elle avait reconnu l’absence d’inexécution grave.

Quels sont les recours possibles pour le débiteur en cas de résiliation injustifiée ?

En cas de résiliation injustifiée d’un contrat, le débiteur a plusieurs recours possibles. Selon l’article 1226 du code civil :

« Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. »

Cela signifie que le débiteur a le droit de demander au tribunal d’examiner la légitimité de la résiliation.

Si le juge conclut que la résiliation était injustifiée, il peut ordonner la réintégration du contrat ou accorder des dommages et intérêts au débiteur pour le préjudice subi.

De plus, le débiteur peut également demander des dommages et intérêts pour la perte de chance ou le manque à gagner résultant de la résiliation.

Il est donc essentiel pour le débiteur de rassembler des preuves démontrant que la résiliation n’était pas fondée sur une inexécution suffisamment grave de ses obligations contractuelles.

En résumé, le débiteur a le droit de contester la résiliation et de demander réparation pour le préjudice subi.

COMM.

MB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 29 janvier 2025

Cassation partielle

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 50 F-D

Pourvoi n° T 23-17.795

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025

La société Kepler Cheuvreux (Suisse), société anonyme de droit suisse, dont le siège est [Adresse 1] (Suisse), venant aux droits de Kepler Corporate Finance, a formé le pourvoi n° T 23-17.795 contre l’arrêt rendu le 22 mai 2023 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige l’opposant à la société Biocorp production, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Kepler Cheuvreux (Suisse), venant aux droits de Kepler Corporate Finance, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Biocorp production, après débats en l’audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 22 mai 2023) et les productions, en 2018, la société Biocorp production (la société Biocorp), qui a pour activité la production de dispositifs médicaux destinés à l’administration de médicaments, a confié à la société Kepler Corporate Finance, aux droits de laquelle vient la société Kepler Cheuvreux (Suisse) (la société Kepler), société de conseil financier, la mission de l’assister en vue d’une opération de cession de l’ensemble de la société ou de l’un ses principaux actifs.

2. Le contrat a été conclu pour une durée de douze mois et était reconductible tacitement pour la même durée, sauf dénonciation dans les trente jours précédant le terme.

3. Le 19 février 2020, la société Biocorp a mis fin à la mission de la société Kepler sur le fondement de l’article 1224 du code civil, au motif que les interventions de celle-ci s’étaient révélées contre-productives et risquaient de remettre en cause l’opération.

4. Contestant cette résolution unilatérale du contrat, la société Kepler a assigné la société Biocorp en dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Kepler fait grief à l’arrêt de limiter la condamnation de la société Biocorp à la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que la résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée n’est admise qu’à la condition que la partie qui s’en prévaut établisse que son cocontractant a gravement manqué à ses obligations contractuelles, la faute simple ne suffisant pas ; qu’au cas présent, la cour d’appel, après avoir rappelé cette exigence d’une faute grave, a retenu qu’aucun manquement contractuel grave n’était caractérisé en l’espèce, tout en considérant comme justifiée la « résolution » du contrat ; qu’on lit ainsi dans l’arrêt attaqué qu’ « après dix-huit mois de collaboration, la société Kepler n’avait présenté qu’un seul candidat, dont les offres de prix étaient inadéquates. Dans ces conditions, la preuve est apportée que les interventions de Kepler n’ont pas été satisfaisantes et que la mésintelligence entre les parties justifiait la résolution du contrat. Cependant aucune inexécution grave, ni aucun comportement gravement déloyal ne peut être reproché à la société Kepler pour justifier la résiliation unilatérale de la lettre de mission, sans préavis, ni même mise en demeure. L’échec de la mission confiée à la société Kepler n’impliquait aucune urgence. La résiliation ouvre donc droit à une indemnisation » et qu’ « il n’en demeure pas moins que la résiliation unilatérale est intervenue brutalement. Le montant du préjudice peut être raisonnablement évalué à la somme de 5 000 euros » ; qu’en considérant que la résiliation unilatérale du contrat, décrétée par la société Biocorp, aurait été justifiée, quand il ressortait de ses propres constatations qu’aucun manquement grave à ses obligations contractuelles ne pouvait être reproché à la société Kepler, la cour d’appel a violé l’article 1224 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1224 et 1226 du code civil :

6. Selon le premier de ces textes, la résolution peut résulter, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur. Selon le second, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution.

7. Pour juger que la résolution du contrat par la société Biocorp est justifiée, ne retenir la responsabilité de cette dernière qu’à raison du caractère brutal de cette résolution et, en conséquence, limiter à la somme de 5 000 euros les dommages et intérêts auxquels elle est condamnée, l’arrêt, après avoir énoncé que l’article 1224 du code civil prévoit que la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice, et retenu qu’il convenait donc de rechercher si « l’inexécution grave » ou le comportement « gravement déloyal » de la société Kepler étaient démontrés, permettant de justifier la résiliation unilatérale du contrat par simple notification, retient qu’après dix-huit mois de collaboration, la société Kepler n’avait présenté qu’un seul candidat à la société Biocorp, dont les offres de prix étaient inadéquates, que la preuve est apportée que les interventions de la société Kepler n’ont pas été satisfaisantes et que la mésintelligence entre les parties justifiait la résolution du contrat. Il ajoute que, cependant, aucune inexécution grave ni aucun comportement gravement déloyal ne peut être reproché à la société Kepler pour justifier la résiliation unilatérale de la lettre de mission sans préavis, ni même mise en demeure, et que l’échec de la mission confiée à la société Kepler n’impliquait aucune urgence. Il en déduit que la résiliation unilatérale, intervenue brutalement, ouvre donc droit à une indemnisation.

8. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu qu’aucune inexécution grave ni aucun comportement gravement déloyal ne pouvait être reproché à la société Kepler, ce dont il résultait que la résolution était injustifiée et pas seulement brutale, la cour d’appel a violé les textes susvisés.


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