L’Essentiel : La société Loos France a résilié ses contrats d’exclusivité avec Midi technique et Suditherm, effectif au 19 mars 2012. Ces sociétés, se considérant comme agents commerciaux, ont contesté cette résiliation, arguant d’une modification unilatérale des commissions et d’un non-respect du préavis. Elles ont saisi un tribunal arbitral, qui a rendu une sentence en janvier 2021. En appel, elles ont soutenu que la Cour n’avait pas examiné tous les éléments de preuve, notamment des courriers de Loos reconnaissant leur statut, et ont demandé des indemnités pour rupture abusive. La Cour d’appel a cependant rejeté leur qualification d’agents commerciaux.
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Contexte des contratsLa société Loos France, spécialisée dans la fabrication de chaudières industrielles, a conclu des contrats d’exclusivité territoriale avec deux sociétés : Midi technique pour la zone Midi-Pyrénées-Grand Sud-Ouest et Suditherm pour la zone Sud-Est-Provence-Alpes-Côte d’Azur, respectivement en avril 2006. Résiliation des contratsLe 19 septembre 2011, la société Loos a décidé de résilier ces contrats, avec effet au 19 mars 2012, et a informé les sociétés Midi technique et Suditherm des modalités de préavis le 26 septembre suivant. Litige et recours arbitralLes sociétés Midi technique et Suditherm, se considérant comme agents commerciaux, ont contesté la résiliation, invoquant une modification unilatérale des commissions, le caractère abusif de la rupture et le non-respect du préavis. Elles ont saisi un tribunal arbitral sur la base d’une clause compromissoire. Appel de la sentence arbitraleLes sociétés Midi technique et Thermie Provence, cette dernière ayant succédé à Suditherm, ont interjeté appel de la sentence arbitrale rendue le 5 janvier 2021, contestant la qualification de leurs contrats et demandant des justifications et des indemnités. Arguments des sociétés appelantesLes sociétés Midi technique et Thermie Provence ont fait valoir que les juges n’avaient pas examiné tous les éléments de preuve, notamment des courriers de la société Loos reconnaissant leur statut d’agents commerciaux, et ont demandé des rappels de commissions et des indemnités pour rupture abusive. Réponse de la Cour d’appelLa Cour d’appel a statué que les contrats ne pouvaient pas être qualifiés d’agents commerciaux, se basant sur les clauses contractuelles et d’autres documents, mais a été critiquée pour ne pas avoir pris en compte certains courriers qui soutenaient la position des sociétés Midi technique et Suditherm. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article 455 du code de procédure civile dans l’examen des demandes des parties ?L’article 455 du code de procédure civile stipule que : « Les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions. » Cet article impose une obligation de motivation des décisions judiciaires, ce qui signifie que les juges doivent prendre en compte l’ensemble des éléments de preuve présentés par les parties. Dans le cas présent, la cour d’appel a été critiquée pour ne pas avoir examiné les courriers des 17 février et 21 décembre 2011, qui contenaient des éléments cruciaux pour établir le statut d’agent commercial des sociétés Midi technique et Suditherm. En ne tenant pas compte de ces documents, la cour a potentiellement violé les exigences de l’article 455, ce qui pourrait entraîner une cassation de sa décision. Quelles sont les implications des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce concernant le statut d’agent commercial ?Les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce définissent le cadre juridique des agents commerciaux en France. L’article L. 134-1 précise que : « Un agent commercial est une personne qui, de manière indépendante, est chargée de manière permanente de négocier des contrats de vente ou d’achat de biens pour le compte d’un mandant. » Ces articles établissent les droits et obligations des agents commerciaux, notamment en matière de commissions et d’indemnités en cas de rupture de contrat. Dans le contexte de l’affaire, les sociétés Midi technique et Suditherm soutiennent qu’elles ont agi en tant qu’agents commerciaux, ce qui leur conférerait des droits spécifiques, notamment le droit à des commissions sur les ventes réalisées. La reconnaissance de ce statut est donc cruciale pour la détermination des indemnités dues en cas de rupture abusive des contrats. Comment la cour d’appel a-t-elle justifié sa décision de ne pas qualifier les contrats d’agent commercial ?La cour d’appel a justifié sa décision en se basant sur l’analyse des clauses contractuelles, indiquant que les sociétés Midi technique et Suditherm achetaient les produits de la société Loos pour les revendre, ce qui ne correspond pas à la définition d’un agent commercial. Elle a également mentionné des documents tels qu’une lettre de mai 2005 et un compte rendu de réunion, qui évoquaient une représentation commerciale sans établir le statut d’agent commercial. Cependant, cette analyse a été contestée, car la cour n’a pas pris en compte les courriers de 2011, qui reconnaissaient explicitement le statut d’agent commercial. Cette omission pourrait constituer une violation de l’article 455 du code de procédure civile, car elle a conduit à une décision sans examen complet des preuves présentées par les parties. |
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 47 F-D
Pourvoi n° P 23-19.217
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JANVIER 2025
1°/ La société Midi technique, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Thermie Provence, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Suditherm,
ont formé le pourvoi n° P 23-19.217 contre l’arrêt rendu le 31 mai 2023 par la cour d’appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige les opposant à la société ELM Leblanc, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Bosch thermotechnologie et de la société Loos France, défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat des sociétés Midi technique et Thermie Provence, venant aux droits de la société Suditherm, de la SARL Le Prado – Gilbert, avocat de la société ELM Leblanc, venant aux droits de la société Bosch thermotechnologie et de la société Loos France, après débats en l’audience publique du 3 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l’arrêt attaqué (Colmar, 31 mai 2023) et les productions, par contrat des 1er et 28 avril 2006, la société Loos France (la société Loos), fabriquant de chaudières industrielles, a accordé à la société Midi technique l’exclusivité territoriale pour la distribution de ses produits sur la zone Midi-Pyrénées-Grand Sud-Ouest. Par contrats des 12 et 28 avril 2006, rédigés en des termes identiques, elle a accordé à la société Suditherm l’exclusivité territoriale sur la zone Sud-Est-Provence-Alpes-Côte d’Azur.
2. Le 19 septembre 2011, la société Loos a résilié ces contrats avec effet au 19 mars 2012 et a, le 26 septembre suivant, communiqué aux sociétés Midi technique et Suditherm les modalités d’exécution du préavis.
3. Invoquant leur qualité d’agent commercial et reprochant à la société Loos, aux droits de laquelle sont venues la société Bosch thermotechnologie puis la société ELM Leblanc, une modification unilatérale des modes de calcul de leurs commissions, dont elles réclament par ailleurs le paiement, le caractère abusif de la rupture et le non-respect du préavis, les sociétés Midi technique et Suditherm ont saisi, sur le fondement d’une clause compromissoire, un tribunal arbitral.
4. Les sociétés Midi technique et Thermie Provence, cette dernière venant au droits de la société Suditherm, ont interjeté appel de la sentence arbitrale rendue le 5 janvier 2021.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
5. Les sociétés Midi technique et Thermie Provence font grief à l’arrêt de dire que les contrats des 1er et 12 avril 2006 liant les parties ne peuvent pas être qualifiés de contrats d’agent commercial et de rejeter leurs demandes tendant à enjoindre à la société Loos, aux droits de laquelle est venue la société ELM Leblanc, de justifier de l’ensemble des commandes et factures correspondantes à partir de 2009 jusqu’à la résiliation de ces contrats, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à ordonner la réintégration de l’ensemble des ventes réalisées, notamment par la société Loos Chaudières Industrielles (LCI), sur les zones d’exclusivité concédées aux sociétés Midi technique et Suditherm dans la détermination du quantum des rappels de commissions et des indemnités leur étant dues, à ordonner la réintégration de l’ensemble des ventes réalisées avec la société LCI dans la détermination du quantum des rappels de commissions et des indemnités dues aux sociétés Midi technique et Suditherm, à condamner la société ELM Leblanc à verser à la société Midi technique les sommes suivantes : 93 100,90 euros à titre de rappels de commissions, 94 664,99 euros à titre d’indemnisation pour les opérations réalisées sur son secteur en violation de son exclusivité territoriale, 100 000 euros à titre d’indemnité de rupture et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, et à condamner la société ELM Leblanc à verser à la société Thermie Provence, venant aux droits de la société Suditherm, les sommes suivantes : 114 643,10 euros à titre de rappels de commissions, 24 250 euros à titre d’indemnisation pour les opérations réalisées sur son secteur en violation de son exclusivité territoriale, 80 000 euros à titre d’indemnité de rupture et 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du préavis, alors :
« 2°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu’en l’espèce, pour confirmer leur statut d’agent commercial, les sociétés Midi technique et Suditherm versaient aux débats, en pièce 9, le courrier recommandé avec accusé de réception du 17 février 2011, dans lequel la société Loos, aux droits de laquelle vient la société ELM Leblanc, reconnaissait expressément que le mandat qu’elle avait confié à ses contractantes relevait du statut des agents commerciaux au sens des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce ; qu’en considérant que les sociétés Midi technique et Suditherm ne pouvaient se prévaloir du statut d’agent commercial sans examiner, même sommairement, ce courrier inclinant en faveur de cette qualification, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu’en l’espèce, pour confirmer leur statut d’agent commercial, les sociétés Midi technique et Suditherm versaient aux débats, en pièce 26, le courrier recommandé avec accusé de réception du 21 décembre 2011, dans lequel la société Loos, aux droits de laquelle vient la société ELM Leblanc, évoquait les conditions de la résiliation des « contrats d’agents commerciaux », « la finalité commune du mandat d’intérêt commun » liant les sociétés Midi technique et Suditherm, d’une part, à la société Loos, d’autre part, et proposait le paiement de commissions restant dues, ainsi que le versement d’une indemnité au titre du préjudice subi en raison de la résiliation des contrats, calculée « sur une base moyenne de deux années de commissions sur la base encaissée au cours des trois derniers exercices » ; qu’en considérant que les sociétés Midi technique et Suditherm ne pouvaient se prévaloir du statut d’agent commercial sans examiner, même sommairement, ce courrier inclinant en faveur de cette qualification, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »
Vu l’article 455 du code de procédure civile :
6. Il résulte de ce texte que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions.
7. Pour dire que les contrats liant les parties ne peuvent pas être qualifiés de contrat d’agent commercial, l’arrêt retient qu’il résulte de la lecture des clauses contractuelles que les sociétés Midi technique et Suditherm achètent les produits de la société Loos et les revendent, tandis que l’agent commercial vend les produits de son mandant sans en prendre la propriété, que la lettre de mai 2005 évoque une représentation commerciale dont la définition n’est pas celle de l’agent commercial, que la lettre du mois de mai 2006 ne rapporte pas davantage cette preuve, que le compte rendu d’une réunion qui s’est tenue le 4 janvier 2010 indique que la société Loos intervient en qualité de « distributeur », enfin, que les sociétés Midi technique et Thermie Provence, celle-ci venant aux droits de la société Suditherm, ne démontrent pas qu’elles se sont comportées comme des agents commerciaux.
8. En statuant ainsi, sans examiner, même succinctement, tant les termes de la lettre du 17 février 2011, par lesquels la société Loos indiquait que le mandat confié relevait du statut des agents commerciaux, au sens des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, que ceux de la lettre du 21 décembre 2011, par lesquels cette société se référait aux conditions de la résiliation des « contrats d’agents commerciaux » et à « la finalité commune du mandat d’intérêt commun » liant les cocontractants, la cour d‘appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
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