Responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail et indemnisation des préjudices subis.

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Responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail et indemnisation des préjudices subis.

L’Essentiel : M. [V] [S], agent de la société de surveillance [11], a subi un AVC au travail le 3 avril 2011. Bien que la caisse primaire d’assurance maladie ait refusé de reconnaître cet événement comme un accident du travail, le tribunal des affaires de sécurité sociale a ordonné sa prise en charge en 2014. Après plusieurs procédures judiciaires, la cour d’appel a finalement reconnu la faute inexcusable de la SAS [11] le 8 septembre 2023, ordonnant une majoration de la rente de M. [V] [S] et une expertise médicale pour évaluer ses préjudices.

Circonstances de l’accident

M. [V] [S], agent de la société de surveillance [11], a subi un AVC sur son lieu de travail le 3 avril 2011. La caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] a refusé de reconnaître cet événement comme un accident du travail. Cependant, le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 12] a ordonné, par un jugement du 24 avril 2014, la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle.

Procédure judiciaire

Suite à un échec de conciliation, M. [I] [S], tuteur de M. [V] [S], a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale pour faire reconnaître la faute inexcusable de la société [11] et demander une majoration de la rente. Le tribunal a débouté M. [I] [S] de toutes ses demandes par un jugement du 18 septembre 2015. La SAS [11] a été placée en liquidation judiciaire le 19 juin 2012.

Décisions des cours d’appel

La cour d’appel a déclaré l’appel de M. [I] [S] recevable mais non fondé, confirmant le jugement du tribunal. Cependant, la Cour de cassation a annulé cet arrêt le 12 novembre 2019, renvoyant l’affaire devant une autre formation de la cour d’appel de [Localité 12]. La cour a relevé que l’employeur avait conscience du danger et que les mesures de sécurité mises en place étaient défaillantes.

Arrêt du 8 septembre 2023

Dans un nouvel arrêt du 8 septembre 2023, la cour a déclaré recevable l’appel de M. [V] [S] et a infirmé le jugement de 2015. Elle a reconnu la faute inexcusable de la SAS [11] et a ordonné la majoration de la rente de M. [V] [S]. Une expertise médicale a été ordonnée pour évaluer les préjudices subis.

Demandes d’indemnisation

M. [V] [S] a demandé des indemnités pour divers préjudices, incluant des souffrances physiques, un préjudice esthétique, un préjudice d’agrément, un préjudice sexuel, un préjudice moral, et d’autres frais. La Caisse primaire d’assurance maladie a contesté certaines de ces demandes, notamment celles liées au préjudice d’agrément et au préjudice sexuel.

Évaluation des préjudices

La cour a évalué les souffrances physiques avant consolidation à 15 000 euros, le préjudice esthétique temporaire à 10 000 euros, et le préjudice moral post-consolidation à 15 000 euros. Le préjudice sexuel a été évalué à 5 000 euros. Les demandes de M. [V] [S] pour d’autres préjudices ont été rejetées.

Conclusion et décisions finales

La cour a ordonné que la Caisse primaire d’assurance maladie avance les sommes dues à M. [V] [S]. Elle a également rejeté les demandes de la Caisse concernant l’inscription de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la SAS [11]. Enfin, la SAS [11] a été condamnée aux dépens et à verser une somme au titre des frais d’avocat.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail ?

L’article R. 4512-13 du Code du travail stipule que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour qu’aucun travailleur ne travaille isolément en un point où il ne pourrait être secouru à bref délai en cas d’accident.

Dans le cas présent, la cour a relevé que l’employeur avait conscience du danger, ce qui implique une obligation de sécurité renforcée. La défaillance du dispositif de sécurité mis en place par l’employeur a été considérée comme une faute inexcusable, entraînant sa responsabilité pour l’accident survenu à M. [V] [S].

Cette responsabilité est d’autant plus engagée que l’employeur avait déjà pris des mesures de sécurité, mais celles-ci se sont révélées insuffisantes pour prévenir l’accident.

Ainsi, la cour a conclu que la SAS [11] avait commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail de M. [V] [S].

Quelles sont les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable ?

La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur entraîne des conséquences significatives en matière d’indemnisation. Selon l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la victime d’un accident du travail peut demander une majoration de sa rente.

Dans ce cas, la cour a ordonné la majoration de la rente servie à M. [V] [S] par la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] au maximum légal.

Cette majoration est destinée à compenser les préjudices subis par la victime en raison de la faute de l’employeur. En outre, la cour a également ordonné une expertise médicale judiciaire pour évaluer les préjudices de M. [V] [S], ce qui est une étape cruciale pour déterminer le montant des indemnités à allouer.

Comment sont évalués les préjudices corporels ?

L’évaluation des préjudices corporels se fait en tenant compte de plusieurs critères, notamment la douleur physique, le préjudice esthétique, et les souffrances morales.

L’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale précise que les souffrances endurées par la victime avant la consolidation de son état doivent être indemnisées.

Dans le cas de M. [V] [S], l’expert a évalué ses souffrances physiques avant consolidation à 5,5 sur 7, ce qui a conduit la cour à lui allouer une indemnité de 15 000 euros.

De même, le préjudice esthétique a été évalué à 5 sur 7, entraînant une indemnisation de 10 000 euros. Les préjudices sexuels et moraux ont également été pris en compte, avec des indemnités respectives de 5 000 euros et 15 000 euros.

Quelles sont les limites de l’indemnisation des préjudices ?

L’indemnisation des préjudices est soumise à certaines limites, notamment en ce qui concerne la preuve des préjudices subis.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] a contesté plusieurs demandes d’indemnisation, arguant que M. [V] [S] n’avait pas fourni de justificatifs suffisants pour prouver l’existence de certains préjudices, tels que le préjudice d’agrément ou la perte de chance de promotion professionnelle.

La cour a ainsi rejeté ces demandes, soulignant que l’assuré n’avait pas démontré l’existence d’une pratique régulière d’activités spécifiques avant l’accident.

De plus, la cour a précisé que certains préjudices, comme le préjudice exceptionnel permanent, doivent être directement liés à des circonstances particulières, ce qui n’était pas le cas ici.

Quelles sont les implications de la liquidation judiciaire de l’employeur ?

La liquidation judiciaire de l’employeur a des implications importantes pour le recouvrement des créances.

Dans ce cas, la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] a demandé la fixation de sa créance au passif de la SAS [11]. Cependant, la cour a constaté que la caisse n’avait pas prouvé avoir déclaré sa créance, ni avoir été relevée de caducité.

En conséquence, aucune somme n’a été inscrite au passif, et l’action récursoire de la caisse a été rejetée.

Cela souligne l’importance pour les créanciers de respecter les procédures de déclaration de créance dans le cadre d’une liquidation judiciaire, sans quoi ils risquent de perdre leur droit à indemnisation.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 17 Janvier 2025

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 22/01428 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFBXZ

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Septembre 2015 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 14-05705

APPELANT

Monsieur [V] [S]

[Adresse 2]

[Localité 7]

représenté par Me Béatrice FRIDMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0043

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/045928 du 15/01/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMES

Me SELAFA MJA – Mandataire liquidateur de S.A.S. [11]

[Adresse 1]

[Localité 6]

non comparant, non représenté

S.A.S. [11] EN LIQUIDATION JUDICIAIRE REPRESENTEE par la SELAFA MJA, Me VAlérie LELOUP-THOMAS, désignée par jugement du 19 juin 2012, [Adresse 1]

[Adresse 4]

[Localité 5]

non comparante, non représentée

CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE [Localité 12]

[Adresse 3]

[Localité 8]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Novembre 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M Raoul CARBONARO, président de chambre

M Gilles REVELLES, conseiller

Mme Sophie COUPET, conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

– REPUTE CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par M Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par M. [V] [S] représenté par M. [I] [S], son tuteur, d’un jugement rendu le 18 septembre 2015 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 12] dans un litige l’opposant à la SAS [11] représentée par son liquidateur la SELAFA MJA en la personne de Me Valérie Leloup-Thomas, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12].

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que M. [V] [S], agent dans la société de surveillance [11], a été victime le 3 avril 2011, sur son lieu de travail, d’un AVC que la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] a refusé de prendre en charge comme accident du travail ; que le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 12], par jugement définitif du 24 avril 2014, a ordonné la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle ; que faute de conciliation, M. [I] [S], en qualité de tuteur de M. [V] [S], a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 12] en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [11] et en majoration de la rente servie à ce dernier ; que par jugement du 18 septembre 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 12] a débouté le requérant de toutes ses demandes.

La SAS [11] a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 19 juin 2012, la SELAFA MJA en la personne de Me Valérie Leloup-Thomas ayant été désignée en qualité de liquidateur.

Par arrêt du 13 avril 2018, la cour a :

déclaré l’appel recevable mais non fondé ;

confirmé le jugement déféré ;

débouté M. [I] [S], ès qualités, de toutes ses demandes ;

dispensé M. [I] [S], ès qualités, du paiement du droit d’appel prévu par l’article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.

Par arrêt du 12 novembre 2019, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 avril 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Paris et remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de [Localité 12], autrement composée.

La cour a relevé qu’en application de l’article R. 4512-13 du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour qu’aucun travailleur ne travaille isolément en un point où il ne pourrait être secouru à bref délai en cas d’accident. Elle a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir tiré les conséquences légales du constat que l’employeur avait estimé nécessaire de mettre en place un dispositif de sécurité, ce dont il résultait qu’il avait eu conscience du danger, et que ce dispositif avait été défaillant.

Par arrêt du 8 septembre 2023 rectifié le 24 novembre 2023, la cour :

déclare recevable l’appel de M. [V] [S], représenté par M. [I] [S];

infirme le jugement rendu le 18 septembre 2015 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris ;

statuant à nouveau :

dit que la SAS [11] a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident du travail de M. [V] [S] survenu le 3 avril 2011 ;

ordonne la majoration de la rente servie à M. [V] [S] par la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] au maximum légal ;

ordonne une expertise médicale judiciaire sur la réparation des préjudices de M. [V] [S] ;

dispense M. [V] [S], bénéficiaire de l’aide juridictionnelle de toute consignation à valoir sur la rémunération de l’expert ;

dit que la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] devra verser directement à M. [V] [S] représenté par M. [I] [S] la majoration de rente allouée ;

sursoit à statuer sur l’action récursoire de la caisse et sur la demande formée au titre des frais irrépétibles ;

réserve les dépens d’appel ;

ordonne le renvoi de l’affaire à une audience ultérieure notamment pour que la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] conclue sur l’existence d’une déclaration de créance, et en cas d’absence, sur la sanction de l’inopposabilité à la procédure collective de sa créance.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, M. [V] [S], représenté par M. [I] [S] demande à la cour de :

le recevoir en ses demandes et l’en déclarant bien fondé ;

condamner la Société [11] représentée par la SELAFA MJA (et inscrire à son passif) et la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] à lui payer les sommes de :

15 000 euros au titre des souffrances physiques ;

10 000 euros au titre du préjudice esthétique ;

15 000 euros au titre du préjudice d’agrément ;

15 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

15 000 euros au titre du préjudice moral ;

10 000 euros pour préjudice de perte de possibilité de promotion professionnelle ;

10 000 euros pour préjudice exceptionnel permanent et pathologie évolutive ;

69,40 euros de remboursement des frais de taxi ;

2 000 euros au titre de l’article 700-2 du code de procédure civile et 37 al. 3 et 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

en tant que de besoin, condamner la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] à faire l’avance du montant des condamnations prononcées en sa faveur ;

condamner les intimés en tous les dépens.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l’audience par son avocat, la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] demande à la cour de :

lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à la sagesse de la Cour sur l’indemnisation des souffrances endurées et du préjudice esthétique temporaire ;

débouter M. [V] [S] de ses demandes au titre du préjudice d’agrément, du préjudice sexuel, de la perte de chance de promotion professionnelle, du préjudice exceptionnel permanent et pathologie évolutive et des frais de taxi ;

fixer la créance de la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] au passif de la SAS [11] ;

condamner tout succombant aux entiers dépens.

La SAS [11], représentée par la SELAFA MJA en la personne de Me Valérie Leloup-Thomas, a été informée des conclusions notifiant en outre la date d’audience par lettre recommandée avec demande d’accusé de réception remise le 30 octobre 2024 et n’a pas comparu et ne s’est pas faite représenter.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l’audience du 18 novembre 2024 qu’elles ont respectivement soutenues oralement.

SUR CE

– sur le préjudice de la douleur avant consolidation :

Moyens des parties :

M. [V] [S] expose qu’il n’a pas reçu de soins après son accident pendant près de 4 heures ; qu’il souffrait et gémissait, ce qui était audible et indiqué dans les rapports ; qu’il jouissait d’une bonne santé et n’avait pas eu d’arrêts de travail précédemment ; qu’il a été dans le coma une quinzaine de jours, hospitalisé 14 mois dans pas moins de 6 établissements où il a subi des traitements lourds ; qu’il n’a été consolidé qu’au bout de 4 ans par la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] ; que l’expert conclut que son état nécessite l’aide d’une tierce personne toute la journée ; qu’une prise en charge a été mise en place à la résidence des [10] ; qu’il résulte de ce document qu’il refuse parfois la séance qui a pour objet le travail de verticalisation/renforcement ; que cette attitude démontre le ressenti de la douleur physique et psychologique qui sera exposée ; que l’expert chiffre ce préjudice très important à 5,5/7.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] réplique que l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne prévoit qu’un seul et même poste de préjudice correspondant aux souffrances endurées, lequel ne peut faire l’objet d’une double indemnisation ; que c’est donc à tort que l’assuré opère ici une distinction ; qu’il sollicite la somme globale de 30 000 euros allouée en réparation des souffrances endurées, que l’expert a évalué à 5,5/7 ; qu’elle s’en rapporte à la sagesse de la cour sur ce point.

Réponse de la cour :

L’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale distingue le préjudice de la douleur physique et morale antérieur à la consolidation de celui qui est désormais intégré dans le déficit fonctionnel permanent, postérieur à celle-ci. Dès lors, la demande relative au préjudice moral qui fait part du fait que l’assuré est un intellectuel brillant qui se retrouve diminué, sans pouvoir continuer ses recherches, se rapporte au préjudice de la douleur morale post-consolidation qui doit faire l’objet d’une indemnisation distincte.

En l’espèce, l’expert indique que l’assuré a été victime d’une crise d’épilepsie tonicoclonique généralisée, survenu sur le travail. Il a été intubé et ventilé et s’est retrouvé dans un coma secondaire lié à un hématome intra parenchymateux. Il a été extubé au bout de 14 jours. Il a été consolidé le 3 décembre 2014.

L’expert relève des souffrances physiques, psychiques et morales découlant des blessures avant la consolidation qu’il évalue au regard des durées d’hospitalisation, du séjour en réanimation et les interventions à 5,5/7.

L’indemnité qui sera allouée à M. [V] [S] sera justement évaluée à la somme de 15 000 euros.

– sur le préjudice esthétique :

Moyens des parties :

M. [V] [S] expose qu’il était dans la force de l’âge ; qu’il se retrouve complètement diminué et disgracieux dans un fauteuil roulant ; que l’expert chiffre ce préjudice très important à 5/7.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] réplique s’en rapporter.

Réponse de la cour :

Ce poste indemnise les altérations de l’apparence physique de la victime antérieurement et postérieurement à la consolidation et qui présentent un retentissement dans la vie de cette dernière.

En l’espèce, l’expert a évalué à préjudice esthétique temporaire au regard de l’aspect physique et apathique, avec absence de toute communication, nécessité d’une installation fauteuil roulant avec enroulement des épaules et cyphose. Il qualifie ce préjudice d’important et l’évalue à cinq sur une échelle de sept.

L’indemnisation qui sera allouée à M. [V] [S] de ce chef sera fixée à la somme de 10 000 euros.

– sur le préjudice d’agrément :

M. [V] [S] expose qu’il ne peut plus avoir une vie sociale normale et surtout qu’il ne peut plus travailler à sa thèse de doctorat d’histoire de l’art qui était le moteur de sa vie ; qu’il ne peut plus accomplir les gestes banals de la vie ; que tout ceci constitue une atteinte constante à la qualité de la vie.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] réplique que l’assuré ne verse aucun justificatif permettant d’attester d’une pratique antérieure et régulière d’une activité spécifique de sport ou de loisir.

Réponse de la cour :

Ce poste indemnise le préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir.

En l’espèce, l’expert note que l’assuré présente une détérioration sur le plan cognitif, majorée par les difficultés de communication, avec une aphasie peu fluente. Il présente une hémiplégie droite massive et motrice pure. À la date de son accident, il était gardien.

Si l’assuré indique qu’il rédigeait une thèse de troisième cycle de doctorat, les pièces déposées mettent en évidence que cette thèse a été soutenue en 1982, de telle sorte qu’il ne démontre pas d’un travail spécifique intellectuel ou une reprise d’études lors de l’accident.

Les troubles rapportés concernent les conséquences de son handicap et une éventuelle indemnisation au titre du déficit fonctionnel permanent qui n’a pas demandée.

Dès lors, la demande sera rejetée.

– sur le préjudice sexuel :

Moyens des parties :

M. [V] [S] expose qu’il ne peut plus avoir de relations intimes.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] réplique que l’expert n’a pas relevé de préjudice à ce titre.

Réponse de la cour :

Ce poste indemnise les préjudices touchant à la sphère sexuelle, incluant les atteintes aux organes sexuels, le préjudice lié à l’acte sexuel, comme la perte de plaisir ou de libido, et le préjudice lié à l’impossibilité de procréer.

En l’espèce, l’expert ne note aucune répercussion de l’accident sur la vie sexuelle de l’assuré dont il note qu’il était célibataire.

Si le fait que l’assuré soit célibataire avant l’accident n’exclut pas en soi l’existence d’un préjudice sexuel, aucune pièce, ni aucune déclaration, n’indique que l’assuré ait exprimé des doléances à ce sujet. Il n’est pas démontré de vie sexuelle active, de telle sorte que l’état grabataire de l’assuré crée un préjudice de principe du fait de la difficulté de réaliser un acte sexuel et de la perte de plaisir ou de libido consécutive aux douleurs physiques et morales persistantes.

Ce poste de préjudice sera donc justement indemnisé par l’octroi d’une somme de 5 000 euros de dommages et intérêts.

– sur le préjudice moral post-consolidation :

Moyens des parties :

M. [V] [S] expose qu’il était un intellectuel brillant qui avait publié une thèse de doctorat ; qu’il se retrouve complètement diminué, sans pouvoir continuer ses recherches, ce qui constituait le centre de sa vie.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] réplique que ce chef de préjudice ne peut être distingué du préjudice de la souffrance physique.

Réponse de la cour :

L’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale prévoient l’indemnisation du préjudice des souffrances morales postérieures à la consolidation, désormais incluses dans le déficit fonctionnel permanent. Dès lors, ce chef de préjudice est indemnisable.

Il est constant que l’assuré, qui était gardien, a eu un parcours intellectuel brillant en ayant soutenu en 1982 une thèse d’histoire de l’art. Il est tout aussi constant, au regard des termes du rapport d’expertise qu’il souffre de troubles cognitifs tout autant que de troubles physiques massifs entraînant un état dépressif majeur. Ce chef de préjudice est donc totalement caractérisé et son indemnisation sera justement évaluée à la somme de 15 000 euros.

– sur le préjudice de perte de possibilité de promotion professionnelle :

Moyens des parties :

M. [V] [S] expose que sa carrière a été arrêtée brutalement.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] réplique que la perte de chance de promotion professionnelle ne correspond pas au simple déclassement du salarié, lequel est d’ores et déjà indemnisé par la rente ; que l’assuré n’apporte aucun élément de nature à justifier l’existence réelle d’une perte de chance de promotion professionnelle, ni dans son principe, ni dans son quantum.

Réponse de la cour :

La perte de chance de promotion professionnelle ne se confond pas avec l’incidence professionnelle indéniable dont l’assuré est victime, dès lors que l’incidence professionnelle indemnisée par la rente concerne le déclassement professionnel, l’obligation de se reconvertir ou l’impossibilité de continuer son métier antérieur.

En l’espèce, l’assuré, qui était âgé de 62 ans au moment des faits, exerçait une activité de gardien. Aucune pièce ne démontre qu’une formation avait été suivie qui lui aurait permis de bénéficier, à quelques années de sa retraite, d’une promotion dans le cadre de son activité professionnelle.

Sa demande sera donc rejetée.

– sur le préjudice exceptionnel psychologique permanent pour pathologie évolutive :

Moyens des parties :

M. [V] [S] expose que les pièces médicales démontrent indubitablement un préjudice psychologique et dépressionnaire résultant des séquelles de son accident ; que ce préjudice correspond au préjudice exceptionnel permanent et pathologie évolutive.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] réplique que le préjudice permanent exceptionnel correspond à un préjudice extra-patrimonial atypique, directement lié au handicap permanent qui prend une résonance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles ou industrielles ou d’attentats ; que l’assuré n’apporte aucun élément de nature à justifier l’existence réelle d’un préjudice permanent exceptionnel, ni dans son principe, ni dans son quantum.

Réponse de la cour :

Le préjudice permanent exceptionnel doit se distinguer des autres postes de préjudice et notamment du déficit fonctionnel permanent. À cet égard, il doit s’agir d’un préjudice extra-patrimonial atypique, directement lié au handicap permanent qui prend une résonance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles ou industrielles ou d’attentats.

En l’espèce, l’assuré ne dépose aucune pièce justifiant du caractère exceptionnel de l’accident dont il a été victime, au regard de ses circonstances.

En outre, l’expert a évalué le déficit fonctionnel permanent à 90 % en raison de son hémiplégie droite massive, des éléments dépressifs patents, de l’aphasie totale, avec une absence de toute communication associant des troubles de la compréhension des ordres complexes. Or, le préjudice exceptionnel dont allègue l’assuré relève des séquelles de son handicap et de sa dépression réactionnelle, de telle sorte que cette demande ressortit de l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent.

S’agissant des préjudices extrapatrimoniaux évolutifs, il s’agit d’indemniser les pathologies évolutives, notamment les maladies incurables dont le risque d’évolution constitue, en lui-même, un chef de préjudice distinct.

En l’espèce, l’expert, en réponse aux dires de l’avocate de l’assuré, précise que ce dernier a été transféré à plusieurs reprises au service des urgences de l’hôpital [9] pour des idées suicidaires et évolution pathologique. Il est suivi par un psychiatre qui vient le voir une fois par trimestre et la psychologue clinicienne atteste qu’il nécessite un accompagnement personnalisé au quotidien. Il conclut à l’existence d’un préjudice psychologique et d’une incidence professionnelle résultant des séquelles de l’accident. Il conclut à la possibilité d’un préjudice lié au caractère évolutif de la pathologie.

En complément de l’expertise, la psychologue clinicienne atteste le 7 juin 2024 de l’existence d’une grande fragilité au plan psychique qui est associée à des fluctuations de l’humeur, nécessitant un accompagnement personnalisé au quotidien le 22 août 2024, son médecin traitant indique une détérioration de l’état du patient qui présente une dépression majeure avec des idées suicidaires réactionnelles à son état de santé. Il explique que ce dernier a du mal à accepter son nouvel état de santé et les conséquences de son accident. Il ajoute que cette situation rend le patient très nerveux, facilement irritable, surtout lorsqu’on n’arrive pas à le comprendre. Il indique qu’il passe par des périodes d’agressivité, de refus de soins et d’alimentation. Il bénéficie d’un suivi par antidépresseurs, anxiolytiques et thymorégulateurs.

Toutefois, la pathologie dont souffre l’assuré ne met pas en jeu à court ou moyen terme le pronostic vital, dès lors que la maladie est curable. La nécessité d’une tierce personne après consolidation est en outre prise en compte dans la rente versée. Ce chef de préjudice n’est donc pas démontré.

La demande sera donc rejetée.

– sur le remboursement des frais de taxis pour se rendre à l’expertise :

Moyens des parties :

M. [V] [S] expose avoir exposé des frais de 69,40 euros à ce titre dont il demande le remboursement.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] réplique que lesdits frais ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une indemnisation au titre de la faute inexcusable.

Réponse de la cour :

Les frais exposés par l’assuré pour se rendre d’expertise ne sont pas inclus dans l’indemnisation de la faute inexcusable ressortent d’une demande au titre des frais irrépétibles.

La demande sera donc rejetée.

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] étant partie jointe au procès ne saurait être condamnée à aucune somme au profit de l’assuré. Les demandes en paiement dirigées à son encontre seront donc rejetées.

– sur l’action récursoire de la caisse :

Moyens des parties :

La Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] demande la fixation de sa créance au passif de la société.

Réponse de la cour :

Dans son arrêt précédent, la cour a sursis à statuer sur l’action récursoire de la caisse, dans l’attente de la justification de sa déclaration de créance, la SAS [11] étant placée en liquidation judiciaire.

La caisse ne prouvant pas avoir déclaré sa créance, ni avoir été relevée de caducité, aucune somme ne sera inscrite au passif et l’action récursoire de la caisse sera rejetée.

– sur les autres demandes :

La SAS [11] représentée par la SELAFA MJA en la personne de Me Valérie Leloup-Thomas, qui succombe, sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 37 alinéa 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

FIXE les préjudices de M. [V] [S], représenté par M. [I] [S] aux sommes suivantes :

– souffrances physiques avant consolidation : 15 000 euros ;

– préjudice esthétique temporaire : 10 000 euros ;

– préjudice sexuel : 5 000 euros ;

– préjudice de la souffrance morale après consolidation : 15 000 euros ;

DÉBOUTE M. [V] [S], représenté par M. [I] [S] du surplus de ses demandes indemnitaires ;

DIT que la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] devra faire l’avance de ces sommes à M. [V] [S], représenté par M. [I] [S] ;

DÉBOUTE M. [V] [S] représenté par M. [I] [S] de sa demande de condamnation de la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] au paiement d’une somme en application de l’article 700 du code de procédure civile ou de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

DÉBOUTE la Caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 12] de son action récursoire et de sa demande d’inscription au passif de la liquidation judiciaire de la SAS [11], représentée par la SELAFA MJA en la personne de Me Valérie Leloup-Thomas ;

CONDAMNE la SAS [11], représentée par la SELAFA MJA en la personne de Me Valérie Leloup-Thomas à payer à Me Béatrice Fridman la somme de 2 000 euros au titre de l’article 37 alinéa 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

CONDAMNE la SAS [11], représentée par la SELAFA MJA en la personne de Me Valérie Leloup-Thomas aux dépens ;

DIT qu’ils seront recouvrés au titre de la loi sur l’aide juridictionnelle.

La greffière Le président


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