Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Aix-en-Provence
Thématique : Conflit autour de la requalification d’un contrat de travail maritime et de ses implications juridiques.
→ RésuméContexte de l’affaireLa société STORM SHIPPING LTD, enregistrée à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, était propriétaire du navire STORM I. M. [Z] [L], un ressortissant français, a été engagé comme capitaine du navire par un contrat de travail signé en France le 12 août 2009. Le 29 septembre 2016, le navire a été vendu à M. [W] [V], un ressortissant allemand, qui l’a enregistré aux îles Cook. M. [W] [V] a acquis un nouveau navire, le CLIFFORD II, le 2 octobre 2017. Création de la société A.C.T YACHT SERVICESLe 25 octobre 2018, M. [Z] [L] a fondé une société unipersonnelle, A.C.T YACHT SERVICES UNIPESSOAL LDA, pour gérer le navire CLIFFORD II. À partir du 1er janvier 2019, il a été employé par cette société par le biais de trois contrats successifs, chacun couvrant une année. Changement de propriétaire du navireLe 10 novembre 2021, M. [W] [V] a vendu le CLIFFORD II à la société TWELVE, dirigée par M. [I] [N], et a mis fin à ses relations avec A.C.T YACHT SERVICES UNIPESSOAL LDA à compter du 31 décembre 2021. Le navire a été renommé EQUITY. Communication de M. [Z] [L]Le 14 décembre 2021, M. [Z] [L] a informé M. [W] [V] par SMS qu’il ne serait plus capitaine du CLIFFORD II. Le 10 janvier 2022, il a envoyé un courriel à M. [I] [N] demandant des informations sur ses indemnités de départ et un certificat de travail, n’ayant pas été informé de la vente du navire. Réponse de M. [I] [N]M. [I] [N] a répondu par courriel, affirmant que M. [Z] [L] avait été informé de la vente et des décisions concernant l’équipage. Il a précisé qu’il n’avait aucune relation professionnelle avec M. [Z] [L] et que l’ancien propriétaire avait pris en charge les obligations jusqu’au 31 décembre 2021. Procédure judiciaireLe 21 janvier 2022, M. [Z] [L] a obtenu une ordonnance du tribunal de Draguignan lui permettant de saisir le navire EQUITY à titre conservatoire pour garantir une créance de 484 533 €. Le 22 février 2022, il a saisi le conseil de prud’hommes de Fréjus, alléguant un travail dissimulé et un licenciement sans cause réelle. Jugement du conseil de prud’hommesLe 23 mai 2023, le conseil de prud’hommes a déclaré recevables les pièces de M. [Z] [L] en langues étrangères, a retenu le droit français applicable, a mis hors de cause M. [W] [V], M. [I] [N] et la société TWELVE, et a débouté M. [Z] [L] de ses demandes. Il a également condamné M. [Z] [L] à payer des dommages et intérêts pour procédure abusive. Appel de M. [Z] [L]M. [Z] [L] a interjeté appel le 16 juin 2023. L’instruction a été clôturée le 18 octobre 2024. Dans ses conclusions, M. [Z] [L] a demandé la confirmation de certaines décisions du jugement tout en contestant d’autres, notamment le rejet de ses demandes contre M. [W] [V] et la société TWELVE. Demandes de M. [W] [V] et de M. [I] [N]M. [W] [V] a demandé la confirmation du jugement et le déboutement de M. [Z] [L] de toutes ses prétentions. M. [I] [N] et la société TWELVE ont également demandé à la cour d’infirmer le jugement sur certains points tout en confirmant d’autres dispositions. Motifs de la décisionLa cour a constaté que le jugement n’était pas contesté concernant la recevabilité des pièces en langues étrangères. Elle a décidé d’écarter une pièce en portugais faute de traduction et a ordonné la réouverture des débats pour permettre à M. [Z] [L] de produire un original du contrat de travail du 1er octobre 2016. Les autres demandes ont été mises en attente. |
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT MIXTE
DU 17 JANVIER 2025
N°2025/009
Rôle N°23/08023
N° Portalis DBVB-V-B7H-BLOZW
[Z] [L]
C/
[W] [V]
[I] [N]
Société TWELVE
Copie exécutoire délivrée
le : 17/01/2025
à :
– Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE
– Me Jean MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
– Me Serge AYACHE, avocat au barreau d’AIX EN PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FREJUS en date du 23 Mai 2023 enregistré au répertoire général sous le n° F 22/00043.
APPELANT
Monsieur [Z] [L], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Lionel BUDIEU, avocat au barreau de NICE et de Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
INTIMES
Monsieur [W] [V], demeurant [Adresse 7]
[Localité 2] – ALLEMAGNE
représenté par Me Jean MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [I] [N], demeurant [Adresse 8]
représenté par Me Marilyne DEFERI, avocat au barreau de NICE
et par Me Serge AYACHE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
Société TWELVE, sise [Adresse 6]
représentée par Me Marilyne DEFERI, avocat au barreau de NICE
et par Me Serge AYACHE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 19 Novembre 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre, et Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller.
Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre
Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller
Madame Raphaelle BOVE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2025.
Signé par Monsieur Pascal MATHIS, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*
EXPOSÉ DU LITIGE
[1] La société STORM SHIPPING LTD est enregistrée auprès du registre du commerce de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Elle était propriétaire d’un navire dénommé STORM I. Elle a engagé M. [Z] [L], ressortissant français, son propre dirigeant, en qualité de capitaine de ce navire, selon un contrat de travail rédigé en langue française signé à [Localité 3] (France) le 12 août 2009. La société a cédé le navire STORM I à M. [W] [V], ressortissant allemand, le 29 septembre 2016. Ce dernier a enregistré le navire auprès du registre du commerce des îles Cook. M. [W] [V] a acquis un nouveau navire le 2 octobre 2017, dénommé CLIFFORD II.
[2] Le 25 octobre 2018, M. [Z] [L] a créé une société unipersonnelle A.C.T YACHT SERVICES UNIPESSOAL LDA, immatriculée à [Localité 5]. À compter du 1er’janvier 2019, cette société a formellement employé M. [Z] [L], pour gérer le navire CLIFFORD II propriété de M. [W] [V], et ce, par 3 contrats successifs pour les périodes du’:
»1er janvier 2019 au 31 décembre 2019′;
»1er janvier 2020 au 31 décembre 2020′;
»1er janvier 2021 au 31 décembre 2021′;
[3] Le 10 novembre 2021, M. [W] [V] a cédé le navire CLIFFORD II à la société TWELVE, dirigée par M. [I] [N], sujet luxembourgeois résidant monégasque, et mis fin à ses relations commerciales avec la société AC.T YACHT SERVICES UNIPESSOAL LDA à compter du 31 décembre 2021. Le navire a été alors renommé EQUITY.
[4] Le 14 décembre 2021, M. [Z] [L] adressait à M. [W] [V] un SMS en anglais ainsi traduit’:
«’Bonjour [W], j’espère que vous allez bien. Vous savez peut-être que [I] ne me veut plus sur le Clifford 2. C’est la vie. Je démissionnerai bientôt. Je suis donc sur le marché. Et [Y] aussi.’»
Le 10 janvier 2022, M. [Z] [L] adressait à M. [I] [N] un courriel ainsi rédigé’:
«'[I], Je suis le capitaine du CLIFFORD II depuis plus de 5’ans et je viens d’être informé par M. [F], qui jusqu’à présent était mon second et que vous avez chargé de m’annoncer la nouvelle, que je ne suis plus le capitaine du navire à partir du 31 décembre 2021 et que je dois débarquer immédiatement’! Ce ne sont pas des manières. Je vous remercie au moins de m’indiquer le montant de mes indemnités de départ et surtout de m’adresser un certificat de travail, les documents qui me permettront de m’inscrire au chômage et une lettre de recommandation pour d’aider à retrouver un nouvel emploi. N’ayant jamais été clairement informé de la vente du navire, Je vous adresse ce courriel à tous les deux et j’espère une réponse rapide de votre part.’»
Le même jour, M. [I] [N] répondait’par un courriel qui sera reproduit corrigé des erreurs manifestes de transcription vocale’:
«’Bonjour [Z], Je ne comprends pas ce message tout d’abord tu étais très bien informé de la vente du bateau en question de l’ancien propriétaire et de moi-même en novembre en présence de tous l’équipage et de mon assistante’! Après il y a eu des entretiens de réembauche éventuelle avec chaque employé de ta société gestion qui géré le bateau pour l’ancien propriétaire avec mon assistante et tout était clarifié en décembre aussi avec toi où tu étais informé que nous allons pas faire appel à tes services ni a ta société de gestion’! L’ancien propriétaire t’avais précisé qu’il prenait tout en charge jusqu’au 31.12.2021 et juste pour rappelle nous avons aucune relation professionnelle ensemble’! J’espère que je pouvais rafraîchir ta mémoire pour toutes autres informations tu peux t’adresser à mon assistante et je t’invite de respecter les consignes qui ont été données à M. [A].’»
[5] Par ordonnance du juge de l’exécution au tribunal judiciaire de Draguignan du 21’janvier’2022, M. [Z] [L] a été autorisé à saisir à titre conservatoire le navire EQUITY, en garantie d’une créance évaluée provisoirement à la somme de 484’533’€, dont la quittance de paiement a été enregistrée le 10 mars 2022.
[6] Soutenant être en réalité salarié de M. [W] [V] depuis le 29 septembre 2016 en qualité de capitaine d’un navire STORM 1 puis d’un second navire CLIFFORD II et se plaignant notamment de travail dissimulé, d’une absence de transfert de son contrat de travail à la société TWELVE et d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [Z] [L] a saisi le 22 février 2022 le conseil de prud’hommes de Fréjus, section activités diverses, lequel, par jugement rendu le 23 mai 2023, a’:
déclaré recevables les pièces de M. [Z] [L] écrites en langues étrangères’;
dit qu’il n’y a pas lieu de rejeter les pièces produites en portugais’;
dit le droit français applicable aux contrats de travail de M. [Z] [L]’;
mis hors de cause M. [W] [V], M. [I] [N] et la société civile particulière monégasque TWELVE’;
débouté M. [Z] [L] de l’ensemble de ses demandes’;
condamné M. [Z] [L] à payer les sommes suivantes’:
1’500’€ à M. [I] [N] à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive’;
»’500’€ à M. [W] [V] au titre des frais irrépétibles’;
»’500’€ à M. [I] [N] et à la société civile monégasque TWELVE au titre des frais irrépétibles’;
débouté les parties défenderesses du surplus de leurs demandes’;
condamné M. [Z] [L] aux entiers dépens.
[7] Cette décision a été notifiée le 24 mai 2023 à M. [Z] [L] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 16 juin 2023. L’instruction a été clôturée par ordonnance du 18’octobre’2024.
[8] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 3 octobre 2024 aux termes desquelles M. [Z] [L] demande à la cour de’:
confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reçu les pièces produites en langue anglaise’;
l’infirmer en ce qu’il a admis les pièces produites en langue portugaise qu’aucune partie ne comprend’;
rejeter lesdites pièces des débats’;
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis hors de cause MM. [I] [N] et [W] [V] ainsi que la société TWELVE et l’a débouté de toutes ses demandes’;
dire que’:
M. [W] [V] a été son employeur jusqu’à la vente du CLIFFORD II’;
la SCI TWELVE et M. [I] [N] sont devenus son employeur par application des dispositions des articles L. 1224-1 et suivants du code du travail’;
dire le droit français applicable à la relation de travail’;
dire que la moyenne des salaires s’élève à la somme de 12’990’€ bruts’;
requalifier les contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée’;
condamner la SCI TWELVE, M. [I] [N] à titre principal ou subsidiairement solidairement avec M. [W] [V], à lui verser les sommes suivantes’:
indemnité de requalification des CDD en CDI’: 25’980’€’;
indemnité compensatrice de préavis’: 25’980’€’;
congés payés y afférant’: 2’598’€’;
indemnité légale de licenciement’: 41’135’€’;
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse’: 142’890’€’;
dommages et intérêts pour licenciement vexatoire’: 10’000’€’;
indemnité forfaitaire de travail dissimulé’: 77’940’€’;
réparation du préjudice distinct’: 148’000’€’;
frais irrépétibles’: 10’000’€’;
condamner l’employeur à régulariser sa situation depuis l’embauche ainsi qu’à lui remettre’des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle Emploi, le tout sous astreinte comminatoire de 100’€ par jour de retard à compter de la notification de l’arrêt’;
condamner la SCI TWELVE à titre principal ou subsidiairement solidairement avec M.'[W] [V] aux entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de Maître Romain CHERFILS, membre de la SELARL LEXAVOUE AIX-EN-PROVENCE, avocats associés aux offres de droit.
[9] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 17 octobre 2024 aux termes desquelles M. [W] [V] demande à la cour de’:
à titre principal,
confirmer le jugement entrepris’;
débouter le requérant de toutes ses prétentions’;
condamner le requérant à la somme de 5’000’€ au titre des frais irrépétibles’;
condamner le requérant aux entiers dépens d’instance’;
à titre subsidiaire,
cantonner les condamnations au minimum légal dû sur la base d’une ancienneté de 2’ans et 10’mois, ou plus subsidiairement sur la base d’une ancienneté de 5’ans et deux mois et d’un salaire de 10’000’€ bruts.
cantonner la demande de régularisation aux 3 années précédant la rupture du contrat, soit seulement à compter du 10 novembre 2021.
[10] Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 17 octobre 2024 aux termes desquelles M. [I] [N] et la société TWELVE demandent à la cour de’:
les déclarer recevables et bien fondés en leur appel incident’;
infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé applicable le droit français aux contrats de travail de M. [Z] [L]’;
le confirmer pour le surplus en ses dispositions non contraires à leurs conclusions’;
débouter M. [Z] [L] de l’ensemble de ses demandes à leur égard’;
condamner M. [Z] [L] à leur verser la somme de 2’000’€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive’;
condamner M. [Z] [L] aux entiers dépens ainsi qu’à leur verser la somme de 10’000’€ au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Constate que le jugement n’est pas contesté en ce qu’il a déclaré recevables les pièces produites par M. [Z] [L] et écrites en langues étrangères.
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit qu’il n’y a pas lieu de rejeter les pièces produites en portugais.
Statuant à nouveau sur ce point,
Écarte des débats, faute de traduction, le seul extrait du journal officiel de la région autonome de [Localité 4] du 11’janvier 2019 produit par M. [W] [V].
Avant dire droit sur les autres demandes,
Ordonne la réouverture des débats et le rabat de l’ordonnance de clôture afin de permettre à M. [Z] [L] de produire à l’audience du mardi 11 février 2025 à 14’heures, à laquelle l’affaire est renvoyée, un des deux originaux du contrat de travail du 1er octobre 2016, lequel sera examiné sur l’audience par les parties et la cour.
Dit qu’après cet examen les parties pourront à leur choix, ou bien s’en tenir à leurs écritures, en quel cas une nouvelle clôture sera prononcée sur le champ avec leur accord et la cause mise en délibéré, ou bien demander à prendre de nouvelles écritures, en quel cas l’instruction sera clôturée à nouveau le 11 mars 2025 et l’affaire plaidée à l’audience du mardi 25 mars 2025 à 14’heures.
Sursoit à statuer sur les autres demandes.
Réserve les dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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