Loyauté et Impartialité en Milieu Professionnel : Conséquences d’un Manquement

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Loyauté et Impartialité en Milieu Professionnel : Conséquences d’un Manquement

L’Essentiel : M. [G] [O], responsable logistique chez Les saveurs d’Antoine, a été licencié pour faute grave le 23 août 2022, suite à des témoignages de Mme [J] [S], représentante du personnel. Contestant ce licenciement, M. [O] a dénoncé la connivence de Mme [S] avec l’employeur. Le 29 août 2024, le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par la suite, M. [O] a assigné Mme [S] en responsabilité délictuelle, demandant des dommages et intérêts pour préjudice moral. Le tribunal a reconnu le manquement de loyauté de Mme [S] et l’a condamnée à verser 5 000 euros à M. [O].

Contexte de l’affaire

M. [G] [O] était employé en tant que responsable logistique au sein de la société Les saveurs d’Antoine. Le 5 août 2022, il a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement, où il a été assisté par Mme [J] [S] épouse [K], représentante du personnel. Au cours de cet entretien, M. [O] a appris que Mme [S] avait témoigné contre lui auprès de leur employeur.

Licenciement et contestation

Le 23 août 2022, M. [O] a été licencié pour faute grave. Par la suite, il a dénoncé la connivence de Mme [S] avec l’employeur et a remis en question la sincérité du compte rendu de l’entretien. Le 29 août 2024, le conseil de prud’hommes a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, accordant diverses indemnités à M. [O].

Assignation en responsabilité délictuelle

Le 12 mars 2024, M. [O] a assigné Mme [S] en responsabilité délictuelle devant le tribunal judiciaire de Bobigny. Dans ses conclusions, il a demandé des dommages et intérêts pour préjudice moral, perte de chance d’assistance, ainsi que des frais de justice.

Demandes de Mme [S]

De son côté, Mme [S] a demandé le déboutement de M. [O] de ses demandes et a sollicité des frais de justice à son encontre. Le tribunal a renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens.

Motivations du tribunal

Le tribunal a examiné les demandes indemnitaire de M. [O] en se basant sur le code civil et le code du travail. Il a constaté que Mme [S] avait manqué de loyauté et d’impartialité en témoignant contre M. [O] tout en étant censée l’assister. Cela a conduit à un préjudice moral pour M. [O], évalué à 5 000 euros.

Décisions du tribunal

Le tribunal a condamné Mme [S] à verser 5 000 euros à M. [O] pour dommages et intérêts, tout en déboutant ce dernier du surplus de ses demandes. Mme [S] a également été condamnée aux dépens et à payer 3 000 euros à M. [O] pour les frais de justice.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conséquences de la loyauté et de l’impartialité dans le cadre de l’assistance d’un salarié lors d’un entretien préalable au licenciement ?

La loyauté et l’impartialité sont des principes fondamentaux qui régissent la relation entre un salarié et son représentant lors d’un entretien préalable au licenciement.

Selon l’article R 1232-1 du Code du travail, la lettre de convocation à l’entretien doit indiquer l’objet de celui-ci et rappeler que le salarié peut se faire assister par une personne de son choix, appartenant au personnel de l’entreprise.

Cette assistance est essentielle pour garantir que le salarié puisse défendre ses droits de manière adéquate. La circulaire n° 91-16 du 5 septembre 1991 précise que le rôle du conseiller est strictement limité à l’assistance et au conseil, ce qui implique une obligation de loyauté envers le salarié.

Dans l’affaire en question, Mme [S] épouse [K] a manqué à cette obligation en témoignant contre M. [O] sans l’en informer au préalable. Cela a conduit à une situation où M. [O] n’a pas pu bénéficier d’une assistance efficace, ce qui constitue une violation de son droit à une défense équitable.

En conséquence, le tribunal a jugé que le manquement à la loyauté et à l’impartialité de Mme [S] a causé un préjudice moral à M. [O], qui a été privé d’une assistance substantielle lors de l’entretien préalable.

Comment le préjudice moral est-il évalué dans le cadre d’une responsabilité délictuelle ?

Le préjudice moral est un dommage non matériel qui peut résulter d’une faute, comme le stipule l’article 1240 du Code civil. Cet article énonce que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Dans le cas présent, M. [O] a subi un préjudice moral en raison de la connivence perçue entre Mme [S] et l’employeur, ainsi que d’une perte de confiance envers sa représentante.

Le tribunal a pris en compte ces éléments pour évaluer le préjudice. Il a noté que M. [O] n’avait pas seulement été lésé par la perte de chance d’obtenir une décision favorable, mais qu’il avait également ressenti un profond sentiment d’injustice et de trahison.

Ainsi, le tribunal a fixé le montant de l’indemnisation à 5 000 euros, considérant que ce montant était proportionné au préjudice moral subi par M. [O].

Quelles sont les implications des articles 696 et 700 du Code de procédure civile concernant les frais de justice ?

L’article 696 du Code de procédure civile stipule que « la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie ».

Dans cette affaire, Mme [S] épouse [K] a été condamnée aux dépens en tant que partie perdante. Cela signifie qu’elle doit couvrir les frais de justice engagés par M. [O].

De plus, l’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour couvrir les frais non compris dans les dépens. Le tribunal a décidé d’accorder à M. [O] la somme de 3 000 euros sur ce fondement, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de Mme [S].

Ces articles visent à garantir que la partie qui a succombé dans ses prétentions supporte les frais de la procédure, afin de ne pas pénaliser la partie qui a eu gain de cause.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 16 JANVIER 2025

Chambre 7/Section 1
AFFAIRE: N° RG 24/02749 – N° Portalis DB3S-W-B7I-Y25G
N° de MINUTE : 25/00026

Monsieur [G] [O]
[Adresse 2]
[Adresse 2]/FRANCE
représenté par Me Jean-baptiste ABADIE,
avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : C0368

DEMANDEUR

C/

Madame [J] [S] épouse [K]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Georges DEMIDOFF,
avocat au barreau de PARIS,
vestiaire : L0143

DEFENDEUR

COMPOSITION DU TRIBUNAL

M. Michaël MARTINEZ, statuant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l article 812 du code de procédure civile, assisté aux débats de Madame Camille FLAMANT, greffier.

DÉBATS

Audience publique du 21 Novembre 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement, par mise au disposition au greffe, par jugement Contradictoire et en premier ressort, par M. Michaël MARTINEZ, assisté de Madame Camille FLAMANT, greffier.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [G] [O] était salarié au sein de la société Les saveurs d’Antoine en qualité de responsable logistique.

Le 5 août 2022, il a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement. Lors de cet entretien, il a été assisté par Mme [J] [S] épouse [K], représentante du personnel, également salariée au sein de la même société.

Au cours de cet entretien, M. [O] a découvert que Mme [J] [S] épouse [K] avait témoigné auprès de leur employeur, en sa défaveur, sur une partie des faits lui étant reprochés.

A l’issue de l’entretien, Mme [S] épouse [K] a rédigé un compte rendu qui a été transmis à M. [O].

Le 23 août 2022, M. [O] a été licencié pour faute grave.

Par courrier recommandé avec avis de réception distribué le 29 août 2022, M. [O] a dénoncé la connivence de Mme [S] épouse [K] avec leur employeur et a mis en cause la sincérité du compte rendu de l’entretien préalable. Il a également informé cette dernière qu’il entendait mettre en cause sa responsabilité.

Selon jugement du 29 août 2024, le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt a déclaré le licenciement de M. [O] sans cause réelle et sérieuse et a lui alloué différentes indemnités.

Par acte de commissaire de justice du 12 mars 2024, M. [G] [O] a fait assigner Mme [J] [S] épouse [K] en responsabilité délictuelle devant le tribunal judiciaire de Bobigny.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 4 octobre 2024, M. [O] demande au tribunal de :
– condamner Mme [S] épouse [K] à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal,
– condamner Mme [S] épouse [K] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier d’une assistance dans le cadre de son entretien préalable, avec intérêts au taux légal,
– condamner Mme [S] épouse [K] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [S] épouse [K] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 14 octobre 2024, Mme [S] épouse [K] demande au tribunal de :
– débouter M. [O] de ses demandes,
– le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– le condamner aux dépens.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal renvoie aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens.

L’ordonnance de clôture est datée du 17 octobre 2024.

L’affaire a été examinée à l’audience publique du 21 novembre 2024 et mise en délibéré au 16 janvier 2025.

MOTIVATION

1. SUR LES DEMANDE INDEMNITAIRES

Selon l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Selon l’article R 1232-1 du code du travail, la lettre de convocation prévue à l’article L. 1232-2 indique l’objet de l’entretien entre le salarié et l’employeur. Elle rappelle que le salarié peut se faire assister pour cet entretien par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ou, en l’absence d’institutions représentatives dans l’entreprise, par un conseiller du salarié.

La circulaire n° 91-16 du 5 septembre 1991 du ministère du travail de l’emploi et de la formation professionnelle précise que le conseiller du salarié a une mission d’assistance et de conseil du salarié lors de l’entretien préalable au licenciement. Il peut donc intervenir, demander des explications à l’employeur, compléter celles du salarié et présenter des observations. Son rôle est strictement limité à cette seule fonction d’assistance et de conseil.

En l’espèce, il a été reproché à M. [O], en sa qualité de responsable logistique, de ne pas avoir informé son employeur des faits répréhensibles commis par un livreur et d’avoir simplement reçu ce dernier en entretien.

Préalablement à la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, Mme [S] épouse [K], manager des vente au sein de la société Les saveurs d’Antoine avait rédigé une attestation, datée du 11 août 2022, qu’elle avait remise à son employeur. Elle y déclarait : « Je déclare m’être entretenue le 23 juin avec M. [O] pour l’informer de faits graves concernant un de ses chauffeurs (…) Pour vol et recel de produits appartenant à l’entreprise.
En effet, ma commerciale m’avait informée dès le 17 juin que son client(…) L’avait informée que le chauffeur cité ci-dessus lui proposait régulièrement des produits provenant de l’entreprise et lui vendait contre règlement en espèces à des prix bien inférieurs à ceux que l’entreprise pouvait proposer (…).
M. [O] me répond avoir déjà eu l’information par ma commerciale (…) Et avoir reçu le chauffeur pour lui en parler. Je lui ai donc demandé quelle suite serait donnée, la réponse contre toute attente « Rien le chauffeur s’étant excusé et ayant prétexté des difficultés financières ». J’ai insisté trouvant la sanction inadaptée compte tenu des la gravité. M. [O] m’a menacée de révéler des faits concernant des commerciaux sans rien m’en dire plus, si nous devions aller plus loin dans la sanction ».

Alors que Mme [S] épouse [K] avait témoigné à l’encontre de M. [O] sur des faits reprochés à dans le cadre de la procédure de licenciement, que les parties s’étaient retrouvées avant l’entretien préalable pour le préparer, Mme [S] épouse [K] n’a pas informé son collègue des démarches entreprises auprès de leur employeur. Il en résulte que M. [O] n’a pris connaissance de ce témoignage qu’au cours de l’entretien préalable, comme en atteste le compte rendu de cette réunion.

En agissant de la sorte Mme [S] épouse [K] a manqué de loyauté à l’égard de M. [O].

Par ailleurs, en témoignant en défaveur de M. [O], Mme [S] épouse [K] ne pouvait pas assister et conseiller efficacement son collègue sans se dédire auprès de leur employeur. Elle a ainsi manqué à son devoir d’impartialité.

Outre qu’il n’est pas prouvé par M. [O] que le compte rendu de l’entretien serait lacunaire ou mensonger, et ce d’autant plus que Mme [S] épouse [K] y a inclus certaines remarques formulées par celui-ci, les éléments qui précèdent suffisent à établir la faute de cette dernière.

Le fait que la procédure de licenciement ait été jugé régulière par le conseil des prud’hommes, en ce que M. [O] avait été assisté au cours de l’entretien préalable, n’est pas de nature à exonérer Mme [S] épouse [K] de sa responsabilité. En effet, le respect des règles procédurales ne préjuge pas de la qualité de l’assistance qui a été dispensée. D’ailleurs, le conseil des prud’hommes a relevé qu’ « il est possible de s’interroger sur la pertinence de la démarche de la représentante du personnel qui, tout en assistant le demandeur lors de l’entretien préalable, rédige, à son insu une attestation dans laquelle elle juge que l’intéressé n’a pas traité convenablement la situation ».

En manquant de loyauté et d’impartialité Mme [S] épouse [K] a privé de substance l’assistance et le conseil qu’elle devait apporter à M. [O]. Ce dernier a donc été effectivement privé d’un droit substantiel, dont il en résulte nécessairement un préjudice moral. Ainsi, le préjudice de perte de chance de bénéficier d’une assistance s’analyse plus justement en un préjudice moral.

Sur ce point le tribunal précise que M. [O] se limite à solliciter l’indemnisation de la privation de son droit de bénéficier d’une assistance et qu’il ne formule aucune demande au titre de la perte de chance d’obtenir une décision différente de son employeur, comme par exemple la requalification de la faute grave en faute simple ou le prononcé d’une sanction alternative au licenciement.

Le préjudice moral caractérisé précédemment est renforcé par le sentiment de connivence entre Mme [S] épouse [K] et leur employeur, ainsi que le sentiment de perte de confiance à l’égard de sa représentante, ressentis par M. [O].

Au regard de ces éléments le préjudice de M. [O] est évalué à 5 000 euros.

En conséquence, Mme [S] épouse [K] sera condamnée à payer à M. [O] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Cette somme produira intérêts à compter du jugement en application de l’article 1231-7 du code civil.

M. [O] sera débouté du surplus de ses demandes indemnitaires.

2. SUR LES FRAIS DU PROCÈS ET L’EXÉCUTION PROVISOIRE

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En application de l’article 700 1° du code de procédure civile, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

Partie perdante, Mme [S] épouse [K] sera condamnée aux dépens.

Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa demande fondée sur le même texte.

Enfin, les articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, disposent que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que le juge en décide autrement s’il estime que cette exécution provisoire de droit est incompatible avec la nature de l’affaire. En l’occurrence, la nature de l’affaire n’implique pas de déroger au principe sans qu’il ne soit nécessaire de le rappeler dans le dispositif.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal judiciaire,

CONDAMNE Mme [J] [S] épouse [K] à payer à M. [G] [O] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

DÉBOUTE M. [G] [O] du surplus de ses demandes indemnitaires ;

CONDAMNE Mme [J] [S] épouse [K] aux dépens ;

CONDAMNE Mme [J] [S] épouse [K] à payer à M. [G] [O] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE Mme [J] [S] épouse [K] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent jugement ayant été signé par le président et le greffier.

Le Greffier Le Président
Camille FLAMANT Michaël MARTINEZ


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