L’Essentiel : M. [S] [E] a été engagé par la société KDI en tant que chauffeur poids lourds en juin 2007. En décembre 2013, son contrat a été transféré à la société Berto, mais en novembre 2015, après avoir refusé plusieurs affectations, il a été licencié. Contestant la validité de son licenciement, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes, qui a déclaré son licenciement sans cause réelle et sérieuse en janvier 2021. En appel, la cour a conclu que le contrat n’avait pas été valablement transféré, entraînant une rupture de fait avec KDI, et a condamné cette dernière à verser des indemnités.
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Engagement de M. [E] par la société KDIM. [S] [E] a été engagé par la société KDI en tant que chauffeur poids lourds à partir du 1er juin 2007, avec une ancienneté mentionnée au 1er mars 2007. Transfert de contrat à la société BertoLe 20 décembre 2013, KDI a informé M. [E] que son contrat de travail serait transféré à la société Berto à compter du 2 janvier 2014, dans le cadre d’une externalisation de l’activité transport. Un avenant a été signé le 1er janvier 2014 pour formaliser ce transfert. Refus de mutation et licenciementEn novembre 2015, Berto a proposé à M. [E] plusieurs affectations, mais celui-ci a refusé. Suite à cela, il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement et a été licencié le 25 janvier 2016, le refus de mutation étant considéré comme une violation de ses obligations contractuelles. Actions en justice de M. [E]M. [E] a contesté la validité de la clause de mobilité et son licenciement, saisissant le conseil de prud’hommes de Caen en décembre 2019. Le jugement du 18 janvier 2021 a déclaré son licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamnant Berto à lui verser diverses indemnités. Procédure contre la société KDIM. [E] a également poursuivi la société KDI, arguant qu’elle n’avait pas respecté la clause de garantie d’emploi. Après plusieurs rebondissements, le conseil de prud’hommes a débouté M. [E] de ses demandes en janvier 2022, décision qu’il a contestée en appel. Appel et réouverture des débatsL’affaire a été portée en appel, et la cour a décidé de rouvrir les débats en mars 2023, en raison de la similitude avec d’autres procédures impliquant des salariés de KDI et Berto. Conclusions de M. [E] en appelDans ses conclusions, M. [E] a demandé à la cour de débouter KDI de ses exceptions, de réformer le jugement, de déclarer son action non prescrite, et de reconnaître que son contrat n’avait pas été transféré à Berto, qualifiant la rupture de fait comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Réponse de la société KDIKDI a contesté les demandes de M. [E], arguant que celles-ci étaient irrecevables et que le contrat avait été régulièrement transféré à Berto. Elle a également demandé la confirmation du jugement de première instance. Motifs de la décision de la courLa cour a examiné la validité du transfert du contrat de travail et a conclu qu’il n’avait pas été valablement transféré à Berto, entraînant une rupture de fait du contrat avec KDI, considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Indemnités accordées à M. [E]La cour a condamné KDI à verser à M. [E] des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des indemnités de préavis et de licenciement, tout en déduisant les sommes déjà perçues par M. [E] dans le cadre de la procédure précédente contre Berto. Conclusion de la courLa cour a également ordonné à KDI de remettre à M. [E] les documents de fin de contrat et a condamné KDI aux dépens de la procédure, tout en déboutant ses demandes. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la nature et les conditions de transfert d’un contrat de travail selon l’article L1224-1 du Code du travail ?L’article L1224-1 du Code du travail stipule que : « En cas de transfert d’une entité économique autonome conservant son identité, les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. » Pour qu’un transfert de contrat de travail soit valide, il doit répondre à plusieurs conditions : 1. Existence d’une entité économique autonome : Cela signifie que l’activité transférée doit avoir une certaine autonomie de gestion et de fonctionnement. 2. Conservation de l’identité de l’entité : L’entité doit continuer à exercer son activité après le transfert. 3. Transfert des salariés : Les salariés affectés à l’entité doivent être transférés au nouvel employeur. Dans le cas de M. [E], la cour a conclu que le contrat de travail n’a pas été transféré à la société Berto Ouest, car les conditions de l’article L1224-1 n’étaient pas satisfaites. En effet, il a été établi que l’activité de transport n’était pas une entité autonome au sein de KDI, et que le transfert n’a pas concerné tous les chauffeurs ni tout le matériel nécessaire. Quelles sont les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse selon le Code du travail ?L’article L1235-3 du Code du travail précise que : « En cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. » Les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse incluent : 1. Indemnité de licenciement : Le salarié a droit à une indemnité calculée en fonction de son ancienneté et de la taille de l’entreprise. 2. Indemnité de préavis : Si le salarié n’a pas été dispensé de préavis, il a droit à une indemnité compensatrice de préavis. 3. Dommages et intérêts : Le salarié peut également demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison du licenciement. Dans le cas de M. [E], la cour a reconnu que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, ce qui a conduit à l’octroi d’une indemnité de licenciement, d’une indemnité de préavis, ainsi que de dommages et intérêts. Comment se prononce le Code de procédure civile sur les demandes d’indemnisation et les frais de justice ?L’article 700 du Code de procédure civile stipule que : « La partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » Cet article permet à la cour d’accorder une indemnité à la partie gagnante pour couvrir ses frais de justice. Dans le cas de M. [E], la cour a condamné la société KDI à lui verser une somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700, en raison des frais engagés pour sa défense dans le cadre de la procédure. Cela souligne l’importance de cet article pour garantir que les parties ne subissent pas de pertes financières en raison des frais de justice liés à un litige. Quelles sont les implications de la clause de mobilité dans un contrat de travail ?La clause de mobilité est une disposition contractuelle qui permet à l’employeur de modifier le lieu de travail du salarié. Selon le Code du travail, pour qu’une clause de mobilité soit valide, elle doit être : 1. Précise : La clause doit indiquer clairement les zones géographiques dans lesquelles le salarié peut être affecté. 2. Non abusive : L’employeur ne doit pas l’utiliser de manière à porter atteinte aux droits du salarié ou à sa santé. Dans le cas de M. [E], la cour a considéré que l’application de la clause de mobilité a été abusive, notamment en raison des conséquences sur sa santé. Cela a contribué à la décision de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse. |
N° Portalis DBVC-V-B7G-G54E
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 31 Janvier 2022 – RG n° 19/00611
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 16 JANVIER 2025
APPELANT :
Monsieur [S] [E]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Elise BRAND, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
S.A.S.U. KLOECKNER METALS FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l’audience publique du 03 octobre 2024, tenue par Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé en présence de Mme PONCET, Conseiller, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 16 janvier 2025 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, par prorogation du délibéré initialement fixé 12 décembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
Par lettre du 20 décembre 2013, la société KDI l’a informé qu’elle confiait à la société Berto l’activité transport de son site à compter du 2 janvier 2014 et que dans ce cadre son contrat de travail serait transféré au sein de la société Berto à compter du 2 janvier 2014 et se poursuivra dans tous ses effets avec cette dernière société.
Un avenant au contrat de travail du 1er mars 2007 a été signé entre M. [E] et la société Berto le 1er janvier 2014.
Par lettre recommandée du 12 novembre 2015, la société Berto, après avoir rappelé que ‘notre contrat commercial conclu avec la société KDI à [Localité 6], sur lequel il était affecté, arrive à terme au 31 janvier 2016 et ne sera plus renouvelé’, lui a proposé, en application de la clause de mobilité incluse dans son contrat de travail, d’une part deux affectations chez deux clients tous deux au [Localité 7] (72), et d’autre part une affectation chez un client à [Localité 5] (61).
A la suite de son refus, M. [E] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 janvier 2016 par letter du 15 décembre 2015 et a été licencié par lettre recommandée du 25 janvier 2016. La lettre visant le mise en jeu de la clause de mobilité, a considéré que le refus de mutation constitue une violation des obligations professionnelles et contractuelles.
Estimant que la clause de mobilité est nulle, et/ou mise en ‘uvre de manière abusive, et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, estimant également que la société n’a pas respecté la clause de garantie d’emploi, M. [E] a saisi le 2 décembre 2019 le conseil de prud’hommes de Caen contre la société Berto Ouest.
Par jugement rendu le 18 janvier 2021, le conseil de prud’hommes relevant les conséquences sur la santé du salarié de l’application de la clause de mobilité a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, a condamné la société Berto Ouest à payer à M. [E] une somme de 1737.13 € à titre d’indemnité de préavis et celle de 173.71 € au titre des congés payés afférents, celle de 14 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 1100 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Ce jugement n’a fait l’objet d’aucun recours.
Estimant que la société KDI n’avait pas respecté la clause de garantie d’emploi, qu’elle était encore son employeur, qu’il devait ainsi bénéficier du plan de sauvegarde de l’emploi qu’elle avait mis en ‘uvre, que la rupture de son contrat était sans cause réelle et sérieuse, M. [E] a saisi le 26 juillet 2016 le conseil de prud’hommes de Caen contre la société KDI.
Après radiation du 4 décembre 2017, l’affaire a été réinscrite le 2 décembre 2019 et par jugement du 31 janvier 2022, le conseil de Prud’hommes a débouté M. [E] de ses demandes et l’a condamné aux dépens et a débouté la société KDI de ses demandes.
Par déclaration au greffe du 24 février 2022, M. [E] a fait appel de ce jugement.
L’affaire a été appelée à l’audience du 9 mars 2023.
Par arrêt du 16 mars 2023, la cour, relevant qu’elle était saisie de procédures engagées par deux autres salariés (M. [W] et M. [N]) contre la société KDI et également contre la société Berto Ouest, que le litige de M. [E] porte sur le même accord d’externalisation et le transfert d’un même contrat et qu’il apparaissait ainsi d’une bonne administration de la justice même si la cour n’était pas saisie d’une procédure contre la société Berto Ouest, de traiter le litige l’opposant à la société KDF en même temps que ceux opposant les deux autres salariés à la société Berto et KDF, a ordonné la réouverture des débats et le renvoi à une audience de mise en état et la révocation de l’ordonnance de clôture.
Par conclusions n°5 remises au greffe le 17 septembre 2024 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, M. [E] demande à la cour de :
– débouter la société KDI de ses exceptions d’irrecevabilité ;
– réformer le jugement sauf en ce qu’il a débouté la société KDI de ses demandes ;
– dire son action non prescrite ;
– dire que son contrat de travail n’a pas été transféré de la société KDI vers la société Berto, à titre subsidiaire dire qu’il aurait dû être réintégré au sein des effectifs de la société KDI ;
– qualifier la fin des relations contractuelles avec la société KDI en rupture de fait et en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamner la société KDI à lui payer les sommes de 3759.44 € au titre de l’indemnité de licenciement, celle de 4926.02 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de 492.60 € au titre des congés payés y afférents et celle de 49 260 € à titre de dommages et intérêts en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– ordonner à la société KDI de lui remettre sous astreinte les documents de fin de contrat rectifiés ;
– débouter la société KDI de ses demandes ;
– condamner la société KDI à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par conclusions n°4 remises au greffe le 13 septembre 2024 et auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel, la société KDI (anciennement dénommée Kloeckner Metals France) demande à la cour de :
– juger que la cour n’est pas saisie des prétentions formulées par M. [E] ;
– confirmer le jugement sauf en ce qu’il a débouté la société de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
– statuant à nouveau
– juger que les demandes de M. [E] sont irrecevables comme étant contraire au principe de loyauté des débats ;
– juger que le contrat de travail a été régulièrement a été régulièrement transféré à la société Berto Ouest ;
– débouter M. [E] de ses demandes ;
– condamner M. [E] au paiement de la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
I- Sur l’absence de saisine de la cour par des prétentions
Au visa de l’article 954 du code de procédure civile, la société KDI estime qu’au vu de la terminologie employée par M. [E] dans le dispositif de ses conclusions n°2 communiquées le 25 octobre 2022, la cour n’est saisie d’aucune prétention et ne peut que confirmer le jugement.
L’article 954 dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. Il dispose également que les parties reprennent dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.
En l’occurrence, les dernières conclusions de M. [E] sont celles remises au greffe le 17 septembre 2024 et le dispositif de celles-ci ne fait l’objet d’aucune critique par la société KDI.
Au demeurant et en tout état de cause, leur dispositif contient des prétentions en ce qu’il est demandé à la condamnation à régler des sommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ces demandes étant la conséquence de l’absence de transfert du contrat du travail et d’une rupture de fait, peu important les termes de « qualifier » improprement employés.
II- Sur l’irrecevabilité des demandes
La société KDI estime que les demandes formées contre elle par M. [E] sont incohérentes et incompatibles avec celles formées contre la société Berto Ouest, faisant valoir qu’il ne peut à la fois estimer que son contrat de travail n’a pas été transféré à la société Berto et agir contre elle pour contester le bien-fondé du licenciement, et qu’en agissant contre la société Berto, il a nécessairement considéré que son contrat de travail avait bien été transféré. Elle souligne également que le jugement du 18 janvier 2021 en considérant que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse a reconnu que le contrat de travail avait bien été transféré au sein de la société Berto Ouest.
M. [E] estime que les demandes ne sont pas contradictoires puisqu’elles sont fondées sur des motifs différents (non-respect de l’article 1224-1 pour la société KDI et application illégitime d’une clause de mobilité pour la société Berto, la seule conséquence serait l’ancienneté du salarié qui pourrait être revue si le contrat était considéré comme non transféré) rappelant que la société KDI avait connaissance dès la première instance de la procédure diligentée contre la société Berto Ouest et se réfère à un courriel du 4 septembre 2020 échangé avec le conseil de la société Berto. Il résulte de ce courriel que ce dernier a été informé d’une procédure contre la société KDI, mais qu’il n’accepterait aucun renvoi.
Toutefois il ne peut se déduire de ce seul courriel que la société KDI connaissait les demandes formées contre la société Berto, les procédures ayant fait l’objet d’instances séparées devant le conseil de prud’hommes, et il ne résulte pas du dossier transmis par le greffe du conseil de prud’hommes ou du jugement du 18 janvier 2021 qu’une demande de jonction de ces instances aient été faites par l’une ou l’autre des parties.
La société KDI se fonde sur le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui. Outre que M. [E] a formé les mêmes demandes en première instance et en appel contre la société KDI et en première instance contre la société Berto, la société KDI ne fait en tout état de cause état d’aucun préjudice à son encontre.
Par ailleurs, en invoquant leur incohérence, elle critique en réalité leur bien fondé, ce qui relève de l’appréciation au fond de la cour, étant relevé que le non-respect d’un principe de loyauté, sans qu’il soit concrètement expliqué en l’espèce en quoi il consisterait, ne peut conduire à une irrecevabilité des demandes.
Son exception d’irrecevabilité sera rejetée.
III- Sur le transfert du contrat de travail
– sur le transfert du contrat de travail en application de l’article L1224-1 du code du travail
Les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise en cas de transfert d’une entité économique autonome conservant son identité, dont l’activité est poursuivie ou reprise.
La société KDI est une filiale du groupe Klökner et Co, et est spécialisée dans la distribution de produits métallurgiques de non ferreux et de fournitures pour l’industrie du bâtiment.
En 2013, elle a élaboré un projet de réorganisation « compétitivité 2013 », évoquant notamment l’externalisation de la fonction transport de certains sites en confiant à une société de transport la gestion du parc de camions et en organisant le transfert des chauffeurs associés. Par une note du 26 novembre 2013, un projet de transfert de l’activité transport à la société Berto était présenté au comité central d’entreprise ainsi qu’aux membres des comités d’établissement, mentionnant un accord entre les deux sociétés impliquant le transfert de l’ensemble des matériels et personnels dédiés à cette activité, soit au titre des personnels, 21 chauffeurs dont 4 relevant du site de [Localité 6]. Il était également indiqué qu’un contrat de location de véhicule avec conducteur serait conclu avec la société Berto pour une durée initiale de 7 ans.
Le contrat d’externalisation signé le 26 novembre 2013 entre le Groupe Berto et la société KDI et ses conditions particulières définit les modalités de transfert de l’activité de gestion des flux de marchandise avec transfert des matériels et personnels afférents aux fins de fourniture par le prestataire (Berto) de prestations en relation avec le transport et la gestion des flux de marchandises, de toute nature de toute provenance pour toutes destinations et notamment la location de véhicule industriel avec conducteur ainsi que la fourniture de services associés. Le contrat implique le transfert de 41 camions et de 21 chauffeurs et a une durée de 84 mois, renouvelable par tacite reconduction. Au titre du transfert du personnel, il est indiqué qu’à compter de la date de reprise et conformément aux dispositions de l’article L1224-1 du code du travail, le prestataire prendra à sa charge l’ensemble des obligations qui incombaient au client (société KDI) à l’égard des salariés transférés. Il est par ailleurs précisé que le prestataire assure la maîtrise et la responsabilité des opérations de conduite.
Les conditions particulières précisent que le Groupe Berto dans le cadre du présent contrat représente 7 filiales distinctes dont la société Berto Ouest.
M. [E] fait valoir :
* qu’il n’existe pas au sein de KDI d’entité spécifique destinée à cette prestation de transport de marchandises en ce que la société assure directement le transport des marchandises qu’elle produit et commercialise auprès de ses clients, mais qu’il n’existe aucune entité liée à cette prestation.
La société KDI indique que l’activité transport était une activité distincte et détachable ayant une finalité propre, que les moyens d’exploitation (flotte de camions) ont été transférés et que l’activité avait une autonomie de gestion et de fonctionnement avec des process particuliers, en particulier comptable puisque les salaires et charges sociales des chauffeurs était imputés sur un compte distinct des autres salariés.
Pour preuve d’une autonomie de gestion et de fonctionnement de l’activité transport, la société KDI produit un extrait de son logiciel Paie qui se limite à la fiche de trois salariés chauffeurs de l’établissement de [Localité 6] dont M. [E], ces fiches comportant le même numéro d’imputation et le même libellé « transports/Camions internes ».
Outre qu’il n’est pas justifié que l’ensemble des chauffeurs était identifié sous ce seul numéro, ni d’élément comparatif avec les autres salariés, ce seul élément est insuffisant pour caractériser que l’activité transport avait une autonomie de gestion et de fonctionnement avec des process particuliers.
* qu’aucune activité n’a été transférée puisqu’elle n’a externalisé qu’une partie de la prestation de transport.
En l’occurrence, le projet de réorganisation « compétitivité 2013 » expliquant l’organisation logistique envisagée indique que « KDI a engagé depuis plusieurs années une externalisation de l’activité transport, en recourant à des entreprises extérieures qui mettent à sa disposition des camions et des chauffeurs » et qu’il « est proposé de poursuivre cette action en recherchant, site par site, des solutions d’externalisation de cette activité intégrant la reprise des chauffeurs actuellement embauchés par KDI. L’impact de cette mesure serait la suppression d’environ 30 postes de chauffeurs d’ici la fin de l’année 2013 ». Et répondant à une question des élus sur ce projet « compétitivité 2013 », qui était « qui va décider sur quelle unité vont être transférés les chauffeurs » la société KDI indique que « les managers d’unité proposeront à la direction des solutions d’externalisation qu’elle aura la responsabilité de valider ». Le projet de transfert de l’activité transport à la société Berto (document remis aux membres du comité central d’entreprise) rappelé ci-avant mentionne bien le projet « d’externaliser la fonction transport de certains sites ».
Il résulte également des conclusions de la société Berto Ouest (dans le litige opposant cette dernière à M. [W]) et communiquées aux débats par M. [E] que celle-ci a fait l’acquisition en 2014 de matériels neufs soit un plateau porte fer et un tracteur, si bien que le matériel fourni n’était pas suffisant pour assurer la prestation de transport.
Ainsi, le transfert de l’activité de transport par l’effet du contrat d’externalisation du 28 novembre 2013 n’a pas concerné tous les sites de la société KDI, n’a pas concerné non plus tous les chauffeurs -le contrat ayant transféré 21 chauffeurs alors que le projet impliquait le transfert de 30 chauffeurs -, et n’a pas porté sur l’ensemble du matériel de transport nécessaire pour l’exercice de l’activité.
* que l’activité transférée n’était pas définitive, le contrat conclu entre la société Berto et la société KDI est un contrat de prestation de services de transport qui est à durée déterminée, qui comporte également une possibilité pour la société KDI de reprendre le matériel de transports, et même à reprendre l’ensemble du personnel.
Le contrat du 26 novembre 2013, outre qu’il est conclu pour une durée de 84 mois, est résiliable en cas de manquement ou en cas de cessation déclarée de paiement ou procédure collective et également par le client (société KDI) à tout moment avec un préavis de trois mois.
Le contrat prévoit par ailleurs qu’en cas de cessation du contrat ou de son non renouvellement, le client (société KDI) s’engage sur simple demande du prestataire (société Berto) et si les conditions de transfert de plein droit des contrats de travail de l’article 1224-1 du code du travail ne sont pas réunies, soit à réintégrer dans son entreprise les salariés transférés, soit à les faire reprendre par un tiers succédant au prestataire, soit à dédommager le prestataire du coût des licenciements économiques des salariés non reclassés.
Il prévoit enfin dans les mêmes hypothèses que le client s’engage sur simple demande du prestataire à reprendre les matériels cédés à la valeur du marché ou à les faire reprendre par le tiers désigné pour succéder au prestataire.
Mais même si ces clauses ne sont pas de nature à remettre en cause les conditions d’application de l’article 1224-1 qui s’apprécient à la date du transfert, il résulte de ce qui vient d’être précédemment exposé, que le contrat d’externalisation du 26 novembre 2013 n’a pas opéré le transfert d’une entité économique autonome, les conditions de l’article 1224-1 ne sont donc pas satisfaites.
– sur l’application volontaire de l’article L1224-1 du code du travail
Le contrat d’externalisation mentionne effectivement que les sociétés KDI et Berto appliquent au transfert des personnels l’article 1224-1 du code du travail. Toutefois, l’application volontaire suppose non seulement l’accord des deux employeurs mais aussi celui du salarié, étant relevé à ce titre que la seule poursuite du contrat est insuffisante.
La société KDI estime que M. [E] a accepté en signant un avenant à son contrat avec la société Berto.
L’avenant du 1er janvier 2014 signé entre M. [E] et la société Berto Ouest rappelle la reprise d’activité du service transports de la société KDI et que le contrat de travail qui le liait à celle-ci « se poursuit depuis le 1er janvier 2014 dans tous ses effets avec la société Berto en application de l’article L1224-1 du code du travail ». Mais dans la lettre adressée le 20 décembre 2013 au salarié par laquelle elle l’informe du transfert de son contrat auprès de la société Berto, la société KDI lui indique « nous vous précisons enfin que le transfert de votre contrat de travail ne constituant pas une modification de votre contrat de travail, il s’impose à vous en application de l’article 1224-1 du code du travail ».
Ainsi, au vu de cette lettre reçue quelques jours avant la signature de l’avenant, le salarié a pu légitimement penser que l’article L1224-1 du code du travail s’appliquait de plein droit, si bien qu’il ne peut être considéré que nonobstant les mentions contenues dans l’avenant, il ait donné son accord à une application volontaire de ce texte.
Dès lors, l’application volontaire de l’article L1224-1 du code du travail n’est pas justifiée.
En conséquence, les dispositions de l’article L1224-1 du code du travail n’étant pas applicables, le contrat de travail de M. [E] n’a pas été valablement transféré à la société Berto Ouest.
– Sur les conséquences de l’absence de transfert
M. [E] soutient que du fait de l’absence de transfert du contrat, celui-ci a été rompu de fait, sans lettre de licenciement, et que cette rupture s’analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société KDI estime que cette action serait prescrite car engagée plus de deux ans à compter du 20 décembre 2013, date à laquelle elle a informé le salarié du transfert de son contrat.
En l’état d’une absence de transfert du contrat de travail à la société Berto Ouest, M. [E] qui a effectivement travaillé pour le compte de la société Berto ne l’a fait que dans le cadre d’une mise à disposition informelle. C’est donc lors de la rupture du contrat par la société Berto Ouest soit le 25 janvier 2016 qu’une rupture de fait par la société KDI est intervenue puisque le salarié aurait dû alors être repris par la société KDI qui demeurait son employeur, ce que celle-ci n’a pas fait.
La rupture de fait étant intervenue le 25 janvier 2016, l’action engagée par le salarié le 26 juillet 2016 n’est donc pas prescrite.
Cette rupture n’ayant pas respecté les dispositions légales, elle a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’indemnité de préavis de deux mois réclamée par le salarié sur la base d’un salaire mensuel de 2463.01€ est contestée.
La société KDI soutient en effet d’une part que le salarié n’a pas effectué de préavis car il est passé dès le transfert de son contrat au service de la société Berto, que le salarié a perçu une indemnité de préavis par le jugement du 18 janvier 2021 et ne peut obtenir deux indemnités de préavis et que le montant du salaire n’est pas justifié puisqu’il réclamait une indemnité de préavis à la société Berto de 1737.13 €.
Mais il a été considéré que la rupture de fait du contrat était intervenue le 25 janvier 2016 et non au moment du transfert. Par ailleurs, les bulletins de salaire (KDI) produits aux débats justifient le salaire réclamé, la société KDI ne produisant aucun élément de nature à établir le salaire qu’il faudrait retenir, peu important à ce titre la demande formée en ce sens à l’encontre de la société Berto Ouest. Il convient en conséquence d’allouer au salarié une indemnité de préavis de 4926.02€ outre les congés payés afférents.
M. [E] a effectivement obtenu une indemnité de préavis de 1737.13 €, et les congés payés afférents, indemnité consécutive à une rupture dont les conséquences doivent en réalité être supportées par la société KDI. Or, le salarié ne peut obtenir deux fois réparation du même préjudice. Dès lors, la somme obtenue à ce titre par le jugement définitif du 18 janvier 2021 sera déduite de l’indemnité de préavis mise à la charge de la société KDI.
L’indemnité de licenciement réclamée par le salarié est contestée.
La société KDI fait valoir que le salarié ne justifie pas des modalités de calcul et qu’il a perçu une indemnité de licenciement par la société Berto Ouest calculée selon l’ancienneté qu’il avait au sein de la société KDI compte tenu de la reprise d’ancienneté lors du transfert du contrat et qu’il ne peut être indemnisé deux fois pour le même préjudice.
Le salarié indique dans ses écritures l’ancienneté prise en compte et le salaire moyen pris en compte en se fondant sur les bulletins de salaire produits, qui ne font l’objet d’aucune critique concrète.
Il convient en conséquence d’allouer au salarié une indemnité de licenciement de 3759.44 €.
M. [E] qui n’a pas été licencié pour faute grave par la société Berto Ouest a en principe perçu une indemnité de licenciement, ce qu’il ne conteste d’ailleurs pas même s’il n’indique pas le montant de cette indemnité. Or, l’indemnité de licenciement perçue est consécutive à une rupture dont les conséquences doivent en réalité être supportées par la société KDI et a été calculée en prenant en compte la même ancienneté. Dès lors, le salarié ne pouvant obtenir deux fois réparation du même préjudice, son montant devra être déduit de l’indemnité de licenciement mise à la charge de la société KDI. Il appartiendra à M. [E] de justifier auprès de cette dernière selon les modalités rappelées au dispositif de l’arrêt du montant de l’indemnité de licenciement obtenue.
En application des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre, au vu de son ancienneté et de la taille de l’entreprise à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires de six derniers mois, sur la base d’un salaire mensuel brut de 2463.01 € ;
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, le salarié justifiant avoir alterné des périodes de chômage et des emplois en intérim ou en contrat à durée déterminé, puis avoir été embauché selon un contrat à durée indéterminée à compter du 1er novembre 2020, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer, la réparation qui lui est due à la somme de 24 000 €;
La société KDI fait valoir que M. [E] a perçu une somme de 14 000 € par le jugement du 18 janvier 2021 qui a pris en compte la même ancienneté, et qui conduit à un cumul d’indemnisations. Le salarié réplique qu’il s’agit de deux ruptures consécutives, occasionnant un préjudice différent, la seule conséquence étant l’ancienneté à prendre en compte vis-à-vis de la société Berto, ce qui n’a pas d’incidence sur le préjudice subi du fait de la rupture irrégulière avec la société KDI.
L’indemnisation obtenue par M. [E] est consécutive à une rupture dont les conséquences doivent en réalité être supportées par la société KDI, et qui prend en compte une ancienneté équivalente. Dès lors, le salarié ne pouvant obtenir deux fois réparation du même préjudice, son montant devra être déduit des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mise à la charge de la société KDI.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront infirmées sauf en ce la société KDI a été déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
En cause d’appel, la société KDI qui perd le procès sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile. Elle versera en équité et sur ce même fondement une somme de 3000 € à M. [E].
La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu’il y ait lieu de l’assortir d’une astreinte en l’absence d’allégation de circonstances le justifiant.
LA COUR
Déboute la société KDI de sa demande tendant à voir dire la cour non saisie de prétentions ;
Rejette les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la société KDI ;
Rejette la fin de non recevoir fondée sur la prescription ;
Infirme le jugement rendu le 31 janvier 2022 par le conseil de prud’hommes de Caen sauf en ce qu’il a débouté la société KDI de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit que le contrat de travail de M. [E] n’a pas été transféré à la société Berto Ouest ;
Condamne en conséquence la société KDI à payer à M. [E] les sommes suivantes :
– 3 759.44 € à titre d’indemnité de licenciement
– 4926.02 € au titre du complément de l’indemnité de préavis outre les congés payés afférents pour 492.60 € ;
– 24 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit que seront déduites des condamnations à une indemnité de préavis et à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse les sommes obtenues à ce titre par M. [E] par le jugement rendu le 18 janvier 2021 par le conseil de prud’hommes de Caen.
Dit que sera déduite de la condamnation à une indemnité de licenciement le montant de l’indemnité de licenciement obtenue par M.[E] de la société Berto Ouest, et qu’il appartiendra à ce titre à M. [E] de communiquer à la société KDI dans le délai de 15 jours à compter de la signification du présent arrêt, le montant de cette indemnité ;
Ordonne à la société KDI de remettre à M. [E] les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation France Travail) et des bulletins de salaire complémentaires (à raison d’un bulletin par année) conformes au présent arrêt, ce dans le délai de deux mois à compter de sa signification, sans qu’il soit besoin d’assortir cette condamnation d’une astreinte ;
Condamne la société KDI à payer à M. [E] la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les sociétés KDI de sa demande aux mêmes fins ;
Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de l’avis de réception de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes ;
Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne la société KDI aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
M. ALAIN L. DELAHAYE
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