Sursis à expulsion : équilibre entre droits du propriétaire et situation familiale de l’occupante.

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Sursis à expulsion : équilibre entre droits du propriétaire et situation familiale de l’occupante.

L’Essentiel : Madame [K] [T] a demandé un sursis à expulsion de 12 mois après un jugement ordonnant son expulsion. Elle vit seule avec ses trois enfants et perçoit un salaire de 1.500 euros. Malgré ses efforts pour obtenir un relogement, la SA LOGIREP conteste sa demande, soulignant une dette locative de 8.000 euros. Le juge a accordé un sursis de 10 mois, jusqu’au 15 novembre 2025, sous condition de paiement régulier de l’indemnité d’occupation. En cas de non-respect, l’expulsion pourra reprendre, et Madame [K] [T] a été condamnée aux dépens. La décision est exécutoire provisoirement.

Contexte de la demande

Madame [K] [T] a déposé une requête le 20 août 2024 pour obtenir un sursis à expulsion de 12 mois, suite à un jugement du 21 décembre 2023 ordonnant son expulsion. Ce jugement a été signifié le 12 janvier 2024, suivi d’un commandement de quitter les lieux. Une tentative d’expulsion a été constatée le 24 juin 2024.

Arguments de Madame [K] [T]

Lors de l’audience du 27 novembre 2024, Madame [K] [T] a soutenu qu’elle vit seule avec ses trois enfants et qu’elle perçoit un salaire d’environ 1.500 euros en tant que fonctionnaire. Elle a également mentionné avoir sollicité l’aide d’une assistante sociale pour son relogement et qu’elle s’acquitte de l’indemnité d’occupation.

Position de la SA LOGIREP

Le conseil de la SA LOGIREP a contesté la demande de sursis, arguant que Madame [K] [T] n’a pas prouvé avoir cherché un relogement et que sa dette locative s’élève à environ 8.000 euros, avec un dossier de surendettement déposé.

Éléments examinés par le juge

Le juge a examiné la situation financière de Madame [K] [T], qui, selon un avis d’imposition, a perçu 22.764 euros en 2023 et reçoit également des prestations sociales. La SA LOGIREP a affirmé que la dette locative avait augmenté, mais le juge a noté que Madame [K] [T] s’acquitte partiellement de l’indemnité d’occupation.

Décision du juge

Le juge a décidé d’accorder un sursis de 10 mois à Madame [K] [T], jusqu’au 15 novembre 2025, pour lui permettre de trouver un logement social. Ce délai est conditionné au paiement régulier de l’indemnité d’occupation.

Conséquences de la décision

Si Madame [K] [T] ne respecte pas les conditions de paiement, elle perdra le bénéfice du délai accordé, et la SA LOGIREP pourra reprendre la procédure d’expulsion. Madame [K] [T] a également été condamnée aux dépens, malgré le succès de sa demande de sursis.

Exécution de la décision

La décision a été prononcée avec exécution provisoire, permettant ainsi à Madame [K] [T] de rester dans les lieux jusqu’à la date limite fixée, sous réserve de respecter les conditions établies par le juge.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions pour accorder un délai de sursis à expulsion selon le Code des procédures civiles d’exécution ?

Le juge de l’exécution peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, lorsque le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales.

Cette disposition est précisée dans l’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution :

« Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales. »

Il est important de noter que depuis la Loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque les occupants dont l’expulsion a été ordonnée sont entrés dans les locaux à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte.

Le juge doit également tenir compte de plusieurs éléments pour statuer sur une demande de délai :

– La bonne ou mauvaise volonté de l’occupant dans l’exécution de ses obligations.

– Les situations respectives du propriétaire et de l’occupant.

– Les diligences que l’occupant justifie avoir effectuées en vue de son relogement.

Quel est le montant maximal du délai de sursis accordé par le juge de l’exécution ?

Conformément à l’article L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution, la durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an.

Cet article stipule :

« La durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an. »

Le juge doit également prendre en compte la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, ainsi que les situations respectives du propriétaire et de l’occupant.

Il est donc essentiel que le juge respecte cette limite de 12 mois pour accorder un délai de sursis, tout en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire.

Quelles sont les conséquences du non-paiement de l’indemnité d’occupation pendant le délai de sursis ?

Selon la décision rendue, le non-paiement de l’indemnité d’occupation à son terme entraîne la perte du bénéfice du délai accordé.

Cela est précisé dans le jugement :

« À défaut de paiement à son terme de l’indemnité d’occupation courante telle que fixée par l’ordonnance rendue le 21 décembre 2023 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du Raincy, Madame [K] [T] perdra le bénéfice du délai accordé. »

En conséquence, la SA LOGIREP pourra reprendre la mesure d’expulsion après avoir adressé une mise en demeure à Madame [K] [T] de régulariser ses paiements dans un délai de 30 jours.

Cette disposition vise à garantir que l’occupant respecte ses obligations financières pendant la période de sursis, afin de maintenir un équilibre entre les droits du propriétaire et ceux de l’occupant.

Quelles sont les implications des dépens et des frais irrépétibles dans cette affaire ?

L’article 696 du code de procédure civile stipule que la partie perdante est condamnée aux dépens, sauf décision motivée du juge.

Cet article précise :

« La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. »

Dans cette affaire, bien que Madame [K] [T] ait obtenu un délai de sursis, elle supportera la charge des éventuels dépens, car l’instance a été introduite dans le seul objectif d’obtenir des délais pour quitter les lieux.

Concernant les frais irrépétibles, l’article 700 du code de procédure civile prévoit que le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour les frais exposés et non compris dans les dépens.

Cet article indique :

« Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. »

Dans ce cas, le juge a décidé qu’il n’y a lieu à condamnation en application de l’article 700, tenant compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY
JUGE DE L’EXECUTION

JUGEMENT CONTENTIEUX DU
15 Janvier 2025

MINUTE : 24/1260

RG : N° RG 24/08554 – N° Portalis DB3S-W-B7I-Z2EJ
Chambre 8/Section 2

Rendu par Monsieur UBERTI-SORIN Stephane, Juge chargé de l’exécution, statuant à Juge Unique.
Assisté de Madame HALIFA Zaia, Greffière,

DEMANDEUR

Madame [K] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]

comparante

ET

DEFENDEUR

S.A. LOGIREP
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Paul-gabriel CHAUMANET, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS

Monsieur UBERTI-SORIN, juge de l’exécution,
Assistée de Madame HALIFA, Greffière.

L’affaire a été plaidée le 27 Novembre 2024, et mise en délibéré au 15 Janvier 2025.

JUGEMENT

Prononcé le 15 Janvier 2025 par mise à disposition au greffe, par décision Contradictoire et en premier ressort.

EXPOSE DU LITIGE

Par requête du 20 août 2024, Madame [K] [T] a sollicité une mesure de sursis à expulsion de 12 mois poursuivie en exécution d’un jugement rendu le 21 décembre 2023 par le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité du Raincy, signifié le 12 janvier 2024, suivi d’un commandement de quitter les lieux.

Le 24 juin 2024, un procès-verbal de tentative d’expulsion a été dressé par commissaire de justice.

L’affaire a été retenue à l’audience du 27 novembre 2024 et la décision mise en délibéré au 15 janvier 2025, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées.

A l’audience, Madame [K] [T] a maintenu sa demande soutenant notamment que:
– elle occupe le logement seul avec ses trois enfants âgés de 6, 11 et 18 ans ;
– en qualité de fonctionnaire, son traitement mensuel s’élève à environ 1.500 euros ;
– elle s’est rapprochée d’une assistance sociale pour réaliser des démarches en vue d’un relogement ;
– elle s’acquitte de l’indemnité d’occupation mise à sa charge.

Dans ses conclusions déposées et soutenues à l’audience, le conseil de la SA LOGIREP s’est opposé à la demande de sursis notamment aux motifs que :
– la requérante ne rapporte pas la preuve d’avoir chercher à se reloger ;
– la dette locative s’élève à environ 8.000 euros ;
– un dossier de surendettement a été déposé.

Le juge de l’exécution a autorisé Madame [K] [T] a communiqué en cours de délibéré une note de son assistance sociale ainsi que les justificatifs de sa recherche de logement ce qui a été réalisé par message électronique le 5 décembre 2024.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il y a lieu de se référer, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, à la requête précitée et, le cas échéant, aux dernières écritures des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de délais pour quitter les lieux

Aux termes des dispositions de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution ne peut délivrer de titre exécutoire hors les cas prévus par la loi et est dépourvu des pouvoirs juridictionnels pour accorder des délais de grâce lorsqu’aucune procédure d’exécution forcée n’est en cours.

Aux termes du premier alinéa de l’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution, le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales. Depuis la Loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque les occupants dont l’expulsion a été ordonnée sont entrés dans les locaux à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte.

Conformément à l’article L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution, dans sa rédaction en vigueur à compter du 29 juillet 2023, la durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.

C’est ainsi que la loi prescrit au juge d’examiner trois éléments pour statuer sur une demande de délai pour quitter les lieux :
– la bonne ou mauvaise volonté de l’occupant dans l’exécution de ses obligations ;
– les situations respectives du propriétaire et de l’occupant ;
– les diligences que l’occupant justifie avoir effectuées en vue de son relogement.

Enfin, le juge de l’exécution ne peut, en vertu des textes précités, accorder qu’un délai maximal de 12 mois.

Selon l’avis d’imposition établi en 2024 au titre des revenus de 2023 que Madame [K] [T] a perçu des salaires pour 22.764 euros ; il ressort de cet avis que la requérante a à sa charge trois enfants. Par ailleurs, il ressort de l’attestation établie par la caisse d’allocations familiales le 24 novembre 2024 que Madame [K] [T] perçoit également 1.462,15 euros au titre des prestations sociales, soit un revenu mensuel moyen de 3.359,15 euros. Enfin, la requérante justifie, par la production de ses bulletins de paie des mois d’août, septembre et octobre 2024, d’un emploi en qualité d’agent titulaire d’entretien qualifié.

La SA LOGIREP s’oppose à la demande de sursis notamment parce que la dette locative s’élève à environ 8.000 euros.

A cet égard, il ressort de la décision rendue le 21 décembre 2023 par le juge des contentieux de la protection que l’arriéré locatif s’élevait à 7.335,98 euros arrêté au 2 novembre 2023. Selon le décompte produit par le bailleur, la dette locative s’élève au 17 octobre 2024 à 8.783,11 euros.

Il est donc établi que la requérante s’acquitte, au moins en partie, de l’indemnité d’occupation mise à sa charge, la dette n’ayant augmenté sur plus d’une année que de 1.447,13 euros.

S’il est indéniable que les propriétaires disposent d’un droit légitime sur leur bien immobilier, il convient cependant de trouver un équilibre entre les intérêts des parties en présence. Il appartient donc au juge de respecter un juste équilibre entre deux revendications contraires en veillant à ce que l’atteinte au droit du propriétaire soit proportionnée et justifiée par la sauvegarde des droits de l’occupant, dès lors que ces derniers apparaissent légitimes.

Par ailleurs, la SA LOGIREP n’allègue ni ne prouve que l’absence de paiement du loyer courant serait de nature à lui causer une préjudice mettant en péril son activité, ni un besoin urgent de reprendre le logement litigieux.

Certes, Madame [K] [T] justifie, dans le cadre du délibéré, d’une demande de logement social datée seulement du 2 décembre 2024 qui apparaît donc tardive.

Pour autant, compte du fait que Madame [K] [T] s’acquitte en grande partie du loyer courant, qu’elle exerce une activité professionnelle, qu’elle a la charge de trois enfants, et qu’une mesure d’expulsion aurait pour elle de graves conséquences, il conviendra de faire droit à sa demande de sursis à hauteur de 10 mois.

En conséquence, le délai du sursis sera fixé à 10 mois, soit jusqu’au 15 novembre 2025, pour permettre à Madame [K] [T] de mener à bien sa demande de logement social et ainsi éviter son expulsion.

Ce délai sera subordonné au paiement régulier de l’indemnité d’occupation telle que définie par l’ordonnance rendue le 21 décembre 2023 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du Raincy.

Sur les demandes accessoires

a) Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Madame [K] [T] supportera la charge des éventuels dépens et ce, malgré le succès de sa prétention, l’instance ayant été introduite dans le seul objectif d’obtenir des délais pour quitter les lieux.

b) Sur les frais irrépétibles

En application de l’article 700 du code de procédure civile, dans toutes les instances le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

L’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de l’exécution, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, en premier ressort et prononcé par mise à disposition au Greffe,

ACCORDE à Madame [K] [T], et à tout occupant de son chef, un délai de 10 mois, soit jusqu’au 15 novembre 2025 inclus, pour se maintenir dans les lieux situés [Adresse 1] ;

DIT que Madame [K] [T], ainsi que tout occupant de son chef, devra quitter les lieux le 15 novembre 2025 au plus tard, faute de quoi la procédure d’expulsion, suspendue pendant ce délai, pourra être reprise ;

DIT qu’à défaut de paiement à son terme de l’indemnité d’occupation courante telle que fixée par l’ordonnance rendue le 21 décembre 2023 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire du Raincy, Madame [K] [T] perdra le bénéfice du délai accordé et la SA LOGIREP pourra reprendre la mesure d’expulsion après lui avoir adressé une mise en demeure de régulariser ses paiement dans un délai de 30 jours ;

DIT n’y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Madame [K] [T] aux entiers dépens ;

RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l’exécution provisoire ;

Ainsi jugé et prononcé au Palais de Justice de Bobigny le 15 janvier 2025.

La Greffière, Le juge de l’exécution,

Zaïa HALIFA Stéphane UBERTI-SORIN


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