L’Essentiel : Monsieur [Y] [D], né le 8 décembre 1984 en Tunisie, a épousé Madame [I] [P] en 2017. Sa demande de nationalité française, soumise en avril 2022, a été refusée en juin 2023. En réponse, il a assigné le procureur de la République en novembre 2023. Malgré ses arguments, le procureur a rejeté sa demande, soulignant des irrégularités dans son acte de naissance et l’absence de preuve de la nationalité de son épouse. Le tribunal a confirmé ce rejet en septembre 2024, déclarant que Monsieur [D] n’était pas français et l’a condamné aux dépens.
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Présentation de Monsieur [Y] [D]Monsieur [Y] [D] est né le 8 décembre 1984 à [Localité 2] en Tunisie. Il a épousé Madame [I] [P] le 11 novembre 2017 à [Localité 2]. Leur mariage a été enregistré le 24 janvier 2018 au service central de l’état civil du ministère des affaires étrangères. Demande de nationalité françaiseLe 21 avril 2022, Monsieur [D] a soumis une déclaration de nationalité française, qui a été refusée par le ministre de l’Intérieur le 15 juin 2023. En réponse, il a assigné le procureur de la République par acte de commissaire de justice le 21 novembre 2023, et a reçu un récépissé le 12 janvier 2024. Arguments de Monsieur [D]Dans ses conclusions du 31 mai 2024, Monsieur [D] demande l’enregistrement de sa déclaration de nationalité française, affirmant qu’il justifie d’un état civil certain grâce à son acte de naissance. Il souligne également que son épouse a été inscrite au registre des Français établis hors de France et qu’il a produit des preuves de leur communauté de vie entre 2017 et 2023. Réponse du procureur de la RépubliqueLe procureur de la République a conclu le 29 août 2024 au rejet des demandes de Monsieur [D], arguant que son acte de naissance ne respecte pas la loi tunisienne, notamment en raison de l’absence de mentions essentielles. Il a également noté que la preuve de la nationalité de Madame [P] n’était pas établie et que les documents fournis ne démontraient pas une communauté de vie suffisante. Ordonnance de clôture et demande de révocationL’ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2024. Monsieur [D] a ensuite demandé la révocation de cette ordonnance pour produire de nouvelles pièces, mais le tribunal a statué qu’aucune cause grave n’avait été justifiée pour cette révocation. Analyse des preuves d’état civilLe tribunal a rappelé que la charge de la preuve incombe à Monsieur [D], qui doit fournir des pièces d’état civil fiables. Les actes de naissance qu’il a présentés ne respectent pas les exigences de la loi tunisienne, notamment en ce qui concerne les mentions obligatoires et la qualité du déclarant. Décision du tribunalLe tribunal a décidé de ne pas révoquer l’ordonnance de clôture, a constaté que les diligences avaient été respectées, et a débouté Monsieur [D] de ses demandes. Il a déclaré que Monsieur [D] n’était pas français et a ordonné la mention de cette décision dans les registres. Monsieur [D] a été condamné aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la procédure de révocation de l’ordonnance de clôture selon le code de procédure civile ?La révocation de l’ordonnance de clôture est régie par l’article 803 du code de procédure civile, qui stipule que : « L’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave après qu’elle a été rendue. » Dans le cas présent, le tribunal a constaté qu’il n’y avait pas de justification d’une cause grave, ce qui a conduit à la décision de ne pas procéder à la révocation de l’ordonnance de clôture. Il est donc essentiel pour une partie qui souhaite révoquer une ordonnance de clôture de démontrer l’existence d’une cause grave, sans quoi la demande sera rejetée. Quelles sont les obligations de preuve en matière de nationalité selon le code civil ?L’article 30 du code civil précise que : « La charge de la preuve, en matière de nationalité, incombe à celui dont la nationalité est en cause. » Dans cette affaire, Monsieur [Y] [D] n’étant pas titulaire d’un certificat de nationalité française, il doit apporter la preuve de sa qualité de français. De plus, l’article 47 du code civil stipule que : « Tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. » Ainsi, pour établir sa nationalité, Monsieur [D] doit produire des pièces d’état civil fiables et conformes aux exigences légales. Quelles sont les exigences relatives à l’acte de naissance selon la loi tunisienne ?L’article 6 de la loi tunisienne du 1er août 1957 relative à l’état civil dispose que : « Les actes énonceront l’année, le jour et l’heure où ils seront reçus, les prénom et nom de l’Officier de l’Etat Civil, les prénoms, noms, professions et domiciles de tous ceux qui y seront dénommés. » De plus, l’article 26 de cette même loi précise que : « L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant et les nom et prénom qui lui seront donnés, les prénoms, noms, dates et lieux de naissance, professions domiciles et nationalités des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. » Dans le cas de Monsieur [D], les actes de naissance produits ne respectent pas ces exigences, car ils manquent d’informations essentielles telles que l’heure de naissance, les âges, le domicile et les professions des parents. Quelles conséquences en cas de non-conformité des actes d’état civil ?L’article 47 du code civil, déjà cité, indique que les actes d’état civil doivent être fiables. En cas de non-conformité, comme c’est le cas ici avec les actes de naissance de Monsieur [D], ceux-ci ne peuvent pas être considérés comme probants. En effet, le tribunal a constaté que les actes de naissance présentaient des divergences, notamment sur la mention du sexe et le nom de l’épouse, ce qui remet en question leur validité. Ainsi, faute de justifier de son état civil par des documents conformes, Monsieur [D] a été débouté de ses demandes et son extranéité a été constatée. |
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N° 25/ DU 16 Janvier 2025
Enrôlement : N° RG 23/11802 – N° Portalis DBW3-W-B7H-4FP2
AFFAIRE : M. [Y] [D] (AARPI GIOVANNANGELI COLAS)
C/ M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE
DÉBATS : A l’audience Publique du 14 Novembre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Assesseur : BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte
En présence de PORELLI Emmanuelle, Vice-Procureure, Procureur de la République
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 16 Janvier 2025
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par ALLIONE Bernadette, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDEUR
Monsieur [Y] [D]
né le 08 Décembre 1984 à [Localité 2] (TUNISIE)
de nationalité Tunisienne, demeurant [Adresse 1]
représenté par Maître Valérie COLAS de l’AARPI GIOVANNANGELI COLAS, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substituée par Maître TOSCANO
C O N T R E
DEFENDEUR
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE PRES LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE
en son Parquet sis [Adresse 3]
dispensé du ministère d’avocat
Monsieur [Y] [D] est né le 8 décembre 1984 à [Localité 2] (Tunisie).
Le 11 novembre 2017 il a épousé à [Localité 2] madame [I] [P], née le 19 juin 1989 à [Localité 4]. Ce mariage a été transcrit sur les registres du service central de l’état civil du ministère des affaires étrangères le 24 janvier 2018.
Il a souscrit le 21 avril 2022 une déclaration de nationalité française sur le fondement de l’article 21-2 du code civil, dont l’enregistrement a été refusé par le ministre de l’Intérieur le 15 juin 2023.
Par acte de commissaire de justice du 21 novembre 2023 monsieur [D] a fait assigner le procureur de la République. Le récépissé prévu à l’article 1040 du code de procédure civile a été délivré le 12 janvier 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 31 mai 2024 monsieur [D] demande au tribunal d’ordonner l’enregistrement de sa déclaration de nationalité française et de dire qu’il est français.
Au soutien de ses demandes il fait valoir qu’il justifie d’un état civil certain par la production de son acte de naissance, que son épouse a été inscrite au registre des français établis hors de France de Tunis du 31 mars 2016 au 15 juin 2019 et de Montréal du 17 juin 2019 au 20 novembre 2020, que la communauté de vie est démontrée entre 2017 et 2023 à l’aide d’attestations, de photographies et d’avis d’imposition qu’il produit, et qu’il possède une connaissance suffisante de la langue française.
Le procureur de la République a conclu le 29 août 2024 au rejet des demandes et à la constatation de l’extranéité de monsieur [D] aux motifs que l’acte de naissance produit n’est pas conforme à la loi tunisienne du 1er août 1957 en ce qu’il ne mentionne pas l’heure de naissance de l’enfant, les date et lieu de naissance, profession et domicile du père, ni ceux du déclarant identifiée comme étant « l’hôpital de [Localité 2] » ce qui ne permet pas de vérifier que la naissance a été déclarée par une personne habilitée à le faire. Il ajoute que cet acte est incomplet dans la mesure où il n’est pas accompagné de l’expédition du jugement du tribunal de première instance de Tunis du 17 mai 1994 en exécution duquel il a été dressé. Le procureur de la République fait encore observer qu’un second exemplaire de l’acte de naissance est produit, portant des mentions marginales différentes du premier, ce qui est de nature à ôter toute force probante à chacune de ces pièces.
Il expose encore que la preuve de la nationalité de madame [P] n’est pas rapportée, celle-ci ne pouvant pas résulter de sa seule naissance en France, que les document produits sont insuffisants à établir une communauté de vie tant matérielle qu’affective entre le 11 novembre 2017 et le 21 avril 2022, les attestations et photographies n’étant relatives qu’à des moments festifs avant l’année 2020, et que les extraits de casiers judiciaires produits sont postérieurs à la déclaration de nationalité alors que l’article 8 du décret du 30 décembre 1993 impose de vérifier cette condition à la date de la souscription de cette déclaration.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2024.
Le demandeur a par la suite sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture afin de produire de nouvelles pièces.
Sur la révocation de l’ordonnance de clôture :
Aux termes de l’article 803 code de procédure civile l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave après qu’elle a été rendue.
En l’absence de justification d’une telle cause, il n’y a pas lieu de procéder à cette révocation.
Au fond :
Aux termes de l’article 30 du code civil la charge de la preuve, en matière de nationalité, incombe à celui dont la nationalité est en cause.
Monsieur [Y] [D] n’étant pas titulaire d’un certificat de nationalité française, il doit donc rapporter la preuve de sa qualité de français.
Le requérant doit en premier lieu produire des pièces d’état civil fiables au sens de l’article 47 du code civil selon lequel tout acte de l’état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
L’article 6 de la loi tunisienne du 1er août 1957 relative à l’état-civil dispose que « Les actes énonceront l’année, le jour et l’heure où ils seront reçus, les prénom et nom de l’Officier de l’Etat Civil, les prénoms, noms, professions et domiciles de tous ceux qui y seront dénommés.
Les dates et lieux de naissance:
a)des père et mère, dans les actes de naissance,
b)du décédé, dans les actes de décès – seront indiqués lorsqu’ils sont connus.
Dans le cas contraire, l’âge desdites personnes sera désigné par leur nombre d’années, comme le sera, dans tous les cas, l’âge des déclarants. En ce qui concerne les témoins, leur qualité de majeurs sera seule indiquée. »
L’article 26 de la même loi dispose que « L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant et les nom et prénom qui lui seront donnés, les prénoms, noms, dates et lieux de naissance, professions domiciles et nationalités des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant.
Les dépositaires des registres de l’Etat Civil ne devront pas, dans les copies conformes, reproduire les mentions « de père ou de mère inconnu » ou « non dénommé » ni aucune mention analogue.
Ces mentions ne devront pas, non plus, être reproduites sur les registres, dans les actes de l’Etat Civil ou dans les transcriptions. »
En outre, l’acte de naissance étant par définition un acte unique dont l’original est conservé dans un registre, nul ne peut se prévaloir de plusieurs copies différentes entre elles de cet acte, à moins de rectifications opérées suivant les procédures applicables dans le pays concerné et mentionnées en marge.
En l’espèce monsieur [D] produit aux débats en pièce 10 une copie de son acte de naissance délivrée le 19 février 2024 où sont manquantes les mentions relatives à l’heure de la naissance, aux âges, domicile et professions des parents. Il est indiqué que [Y] [D] est de sexe masculin, avec une mention en marge d’un jugement du tribunal de première instance de Tunis ordonnant la modification de la mention du sexe de féminin en masculin. Une seconde mention en marge mentionne qu’il a contracté mariage le 11 novembre 2017 avec « [K] [J] [B] ».
Il produit également en pièce 29 une autre copie de son acte de naissance délivrée le 18 juillet 2024 ne faisant pas mention des âges, domicile et professions de ses parents, ni de l’heure de la naissance. Cet acte indique que [Y] [D] est cette fois de sexe féminin, avec une mention en marge d’un jugement du tribunal de première instance de Tunis ordonnant la modification de la mention du sexe de féminin en masculin. La mention en marge relative au mariage indique que l’épouse est « [I] [C] [R] [O] [P] ».
Le lieu de naissance, tout comme le nom du déclarant dans chacun de ces actes est indiqué comme étant « l’hôpital de [Localité 2] », alors que l’article 24 de la loi tunisienne susvisée dispose que la naissance sera déclarée par le père ou à défaut du père, par les docteurs en médecine, sages-femmes, ou autres personnes ayant assisté à l’accouchement et, lorsque la mère aura accouché hors de son domicile, s’il est possible, par la personne chez qui elle aura accouché. Ces dispositions ne visent que des personnes physiques déterminées, ce qui exclut que la déclaration soit faite par un « hôpital » sans autre précision.
Aucun de ces deux actes n’a donc été établi conformément aux dispositions de la loi tunisienne en vigueur, notamment en raison de l’omission de mentions substantielles relatives à l’heure de la naissance, les âges, domicile et professions des parents et la qualité du déclarant. Ils présentent en outre des divergences entre eux sur la mention du sexe, et dans la mention en marge sur le nom de l’épouse de l’intéressé.
Ils ne sont donc pas probants au sens de l’article 47 du code civil.
Faute pour monsieur [Y] [D] de justifier de son état-civil, il sera débouté de ses demandes et son extranéité sera constatée.
Succombant à l’instance, il en supportera les dépens.
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort :
Dit n’y avoir lieu à révocation de l’ordonnance de clôture ;
Constate qu’il a été satisfait aux diligences de l’article 1040 du code de procédure civile ;
Déboute monsieur [Y] [D] de ses demandes ;
Dit que monsieur [Y] [D], né le 8 décembre 1984 à [Localité 2] (Tunisie), n’est pas français ;
Ordonne la mention prévue à l’article 28 du code civil ;
Condamne monsieur [Y] [D] aux dépens.
AINSI JUGÉ, PRONONCÉ ET MIS À DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE SEIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
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