Conflit autour de la validité d’un bail commercial et de l’occupation des lieux.

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Conflit autour de la validité d’un bail commercial et de l’occupation des lieux.

L’Essentiel : La SCI ACMO a conclu un bail dérogatoire avec EVE & COM, qui a pris fin le 14 décembre 2010. Malgré l’expiration du bail, la société a continué d’occuper les lieux, entraînant une assignation en référé pour expulsion. Lors de l’audience du 16 octobre 2024, la SCI ACMO a demandé la libération immédiate des locaux et une indemnité d’occupation. Cependant, le tribunal a jugé que le maintien de la société était justifié, condamnant la SCI ACMO aux dépens et lui ordonnant de verser 1.500 euros à EVE & COM. Aucune autre demande n’a été retenue.

Contexte de l’affaire

La SCI ACMO a conclu un bail dérogatoire avec la société EVE & COM pour un local situé à [Adresse 1] à [Localité 6], le 15 janvier 2009. Ce bail, d’une durée de 23 mois, a pris fin le 14 décembre 2010. Cependant, le preneur est resté en possession des lieux, ce qui a entraîné la création d’un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux, poursuivi par tacite reconduction.

Congé et maintien dans les lieux

Le 18 juillet 2023, la SCI ACMO a délivré un congé à la société EVE & COM, prenant effet le 31 mars 2024, sans indemnité d’éviction. Malgré cela, le preneur a continué d’occuper les lieux, ce qui a conduit la SCI ACMO à assigner la société en référé pour obtenir l’expulsion.

Demandes en référé

Lors de l’audience du 16 octobre 2024, la SCI ACMO a demandé au tribunal d’ordonner la libération immédiate des lieux, d’expulser la défenderesse sous astreinte, et de lui accorder une indemnité d’occupation de 742,18 euros par mois, ainsi qu’une somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. En réponse, la société EVE & COM a demandé à être déboutée de ces demandes et a réclamé une indemnité de 3.000 euros.

Analyse des motifs

Le tribunal a examiné la demande d’expulsion, notant que le maintien dans les locaux sans droit ni titre constitue un trouble manifestement illicite. Cependant, la défenderesse a soutenu que son occupation était justifiée par le caractère accessoire des lieux loués à son fonds de commerce. Le tribunal a reconnu que la contestation soulevée par la défenderesse était sérieuse, notamment en raison de l’absence d’exigence d’immatriculation pour bénéficier du statut des baux commerciaux.

Décision du tribunal

Le tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu à référé sur les demandes de la SCI ACMO, condamnant cette dernière aux dépens et lui ordonnant de verser 1.500 euros à la société EVE & COM au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le tribunal a également déclaré qu’il n’y avait pas lieu à référé sur toute autre demande.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature du bail dérogatoire et ses implications juridiques ?

Le bail dérogatoire, tel que défini à l’article 3.2 du décret du 30 septembre 1953, est un contrat de location qui déroge aux dispositions du statut des baux commerciaux.

Il permet aux parties de convenir d’une durée de location inférieure à trois ans, ce qui est le cas ici avec une durée de 23 mois.

Cependant, une fois ce bail dérogatoire arrivé à son terme, si le preneur continue d’occuper les lieux, cela peut entraîner la formation d’un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux,

comme le stipule l’article L145-1 du Code de commerce, qui précise que tout contrat de location d’un local commercial est soumis à ce statut si l’occupation se prolonge au-delà de la durée initiale.

Dans cette affaire, le preneur a continué à occuper les lieux après l’expiration du bail dérogatoire, ce qui a conduit à la reconnaissance d’un nouveau bail commercial.

Quelles sont les conditions de validité d’un congé donné par le bailleur ?

L’article L145-9 du Code de commerce stipule que le congé donné par le bailleur doit respecter un préavis de six mois avant l’expiration du bail.

Dans le cas présent, le bailleur a délivré un congé le 18 juillet 2023, prenant effet le 31 mars 2024, ce qui semble respecter cette exigence.

Cependant, l’article L145-28 du même code précise que le preneur peut contester le congé s’il estime avoir droit à une indemnité d’éviction,

ce qui est le cas ici, car la défenderesse soutient que son occupation est légitime en raison de l’accessoire de son fonds de commerce.

Il est donc essentiel d’examiner si le congé a été donné dans les formes et délais requis, ainsi que les droits du preneur à contester ce congé.

Quelles sont les conséquences d’un maintien dans les lieux sans droit ni titre ?

L’article 835 alinéa 1er du Code de procédure civile permet au président de prescrire des mesures conservatoires en référé, même en présence d’une contestation sérieuse.

Le maintien dans les lieux sans droit ni titre constitue un trouble manifestement illicite, justifiant une demande d’expulsion.

Cependant, la défenderesse a soulevé une contestation sérieuse quant à son droit à l’occupation, en arguant que le local est accessoire à son fonds de commerce.

L’article L145-28 du Code de commerce stipule que l’absence d’immatriculation d’un établissement secondaire ne prive pas le preneur de ses droits,

ce qui renforce la position de la défenderesse. Ainsi, le tribunal a jugé que le maintien dans les lieux ne constituait pas un trouble manifestement illicite.

Comment sont déterminés les dépens et les frais irrépétibles dans une procédure ?

L’article 491 du Code de procédure civile impose au juge de statuer sur les dépens, tandis que l’article 696 précise que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens.

Dans cette affaire, la SCI ACMO, ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée aux dépens.

L’article 700 du même code permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour couvrir les frais exposés,

en tenant compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.

Le tribunal a jugé qu’il serait inéquitable de laisser la défenderesse supporter les frais de sa défense,

et a donc condamné la demanderesse à lui verser 1.500 euros au titre de l’article 700.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

RÉFÉRÉS

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RENDUE LE 16 JANVIER 2025

N° RG 24/01236 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZQBI

N° de minute :

S.C.I. ACMO

c/

S.A.R.L. EVE & COM

DEMANDERESSE

S.C.I. ACMO
[Adresse 2]
[Localité 4]

Représentée par Me Alain PIREDDU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1014

DEFENDERESSE

S.A.R.L. EVE & COM
[Adresse 3]
[Localité 5]

Représentée par Me Christophe LIVET-LAFOURCADE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1102

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président : David MAYEL, Vice-président, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,

Greffier : Philippe GOUTON, Greffier

Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 16 octobre 2024, avons mis l’affaire en délibéré à ce jour :

Par acte sous seing privé du 15 janvier 2009, la SCI ACMO a donné à bail dérogatoire (article 3.2. du décret du 30 septembre 1953) à la société EVE & COM un local sis [Adresse 1] à [Localité 6].

Le bail a été consenti pour une durée de 23 mois de sorte qu’il est terminé le 14 décembre 2010 à 24h.

Le preneur est resté et a été laissé en possession des lieux de sorte qu’il est constant qu’il s’est opéré un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.

Le bail s’est par la suite poursuivi, par tacite reconduction.

Le 18 juillet 2023, le bailleur a fait délivrer un congé au preneur, prenant effet au 31 mars 2024, sans indemnité d’éviction.

Le preneur s’est maintenu dans les lieux.

C’est dans ces conditions que la SCI ACMO, par acte de commissaire de justice du 27 mai 2024, a assigné la société EVE & COM en référé aux fins de
lui ordonner « de libérer les lieux loués, et ce sans délai, dès la signification de l’ordonnance à intervenir »,à défaut de libération spontanée, ordonner l’expulsion de la défenderesse, ainsi que de tous occupants de son chef, et ce sous astreinte,la condamner au paiement provisionnel d’une indemnité d’occupation mensuelle de 742,18 euros TTC due à compter du 31 mars 2024 et jusqu’au départ effectif des lieux,la condamner au paiement d’une somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
À l’audience du 16 octobre 2024, le conseil de la demanderesse, plaidant oralement ses conclusions en réplique, a soutenu les demandes figurant dans l’acte introductif d’instance et le rejet des demandes adverses.

Le conseil de la société EVE & COM, soutenant oralement ses conclusions, a demandé à titre principal et subsidiaire, de voir débouter la SCI ACMO de ses demandes et sa condamnation reconventionnelle à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.

MOTIFS

Sur la demande d’expulsion

Aux termes de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le maintien dans des locaux, sans droit ni titre, constitue un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, la partie demanderesse soutient que l’occupation du preneur est dénuée de tout fondement dès lors que, ainsi qu’il l’a formulé dans son congé, faute d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de Nanterre de l’établissement sis [Adresse 1] à [Localité 6], la société défenderesse ne peut pas prétendre au renouvellement du bail et partant à une indemnité d’éviction.

La défenderesse soutient de son côté que l’absence d’établissement est anodine dès lors que ce local est accessoire à l’exploitation de son fonds de commerce, situé [Adresse 3] à [Localité 5] où elle a son siège sociale. Elle argue donc pouvoir bénéficier d’une indemnité d’éviction et bénéficier ainsi d’un droit au maintien dans les lieux, en application de l’article L145-28 du code de commerce.

La partie demanderesse réplique qu’une telle contestation ne saurait être sérieuse dès lors que « un bail commercial soumis au Statut ne peut être l’accessoire d’un bail… également soumis au Statut ».

Sur ce, contrairement à ce qu’indique le bailleur qui procède d’ailleurs par voie d’assertion, ce n’est pas le bail qui est réputé accessoire, mais le local. Il est en effet exact que l’immatriculation du fonds principal vaut également pour l’établissement secondaire lorsque celui-ci lui est accessoire.

Le preneur justifie, via un constat d’huissier, que les lieux loués, non isolés, non chauffés et sans fenêtres, sont composés de racks de stockage et de matériels stockés. Il ressort d’ailleurs du bail dérogatoire produit que c’est « à usage exclusif de stockage à l’exclusion de tout autre » que le local est destiné.

Le preneur justifie encore avoir son siège social à une autre adresse, au [Adresse 3] à [Localité 5]. Il justifie avoir, postérieurement à la présente assignation, saisi le juge du fond pour faire reconnaître le caractère accessoire des lieux loués.

La contestation soulevée apparaît donc sérieuse.

Il sera au surplus relevé que le demandeur insiste sur « l’existence non contestée d’un bail commercial soumis au Statut ». Il ne peut qu’être rappelée que « La condition tenant à l’immatriculation du preneur pour bénéficier du statut des baux commerciaux n’est pas exigée en cas de soumission volontaire des parties à ce statut, même si le preneur est commerçant » (28 mai 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 19-15.001).

Dans ces conditions, il n’est pas démontré que le maintien dans les lieux de la défenderesse constitue un trouble manifestement illicite qu’il conviendrait de faire cesser.

Il sera par conséquent dit n’y a voir lieu à référé sur cette prétention, ainsi que de toutes les autres formulées en demande, qui en découlent.

Sur les demandes accessoires

L’article 491 du code de procédure civile impose au juge de statuer sur les dépens. L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a en conséquence lieu de condamner la demanderesse, qui succombe, aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.

Il serait inéquitable de laisser à la défenderesse la charge des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour la défense de ses intérêts et il y aura lieu en conséquence de condamner la demanderesse à lui payer la somme de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS

Disons n’y avoir lieu à référé sur les demandes de la SCI ACMO,

Condamnons la commune de Puteaux aux dépens,

Condamnons la SCI ACMO à payer à la société EVE & COM la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Disons n’y avoir lieu à référé sur toute autre demande.

FAIT À NANTERRE, le 16 janvier 2025.

LE GREFFIER

Philippe GOUTON, Greffier

LE PRÉSIDENT

David MAYEL, Vice-président


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