Fixation du loyer d’un bail commercial : enjeux et méthodes d’évaluation

·

·

Fixation du loyer d’un bail commercial : enjeux et méthodes d’évaluation

L’Essentiel : Le 5 juillet 2013, M. [V] [O] a signé un bail commercial avec la société Jarlise pour un hôtel à [Localité 10], d’une durée de neuf ans et d’un loyer annuel de 78.000 euros. Le 10 décembre 2021, TGC Immo Pro, successeur de M. [O], a donné congé à Jarlise tout en proposant un renouvellement à 218.000 euros. En l’absence d’accord, TGC a demandé la fixation du loyer à 218.095 euros, entraînant une assignation devant le juge. Le tribunal a finalement fixé le loyer à 188.991 euros, en tenant compte des recettes d’hébergement et d’un taux d’occupation de 97 %.

Contexte du bail commercial

Le 5 juillet 2013, M. [V] [O] a conclu un bail avec la société Jarlise pour divers locaux d’un ensemble immobilier à [Localité 10], destiné à un commerce d’hôtel. Le bail a été établi pour une durée de neuf ans, avec un loyer annuel de 78.000 euros.

Congé et renouvellement du bail

Le 10 décembre 2021, la société TGC Immo Pro, successeur de M. [O], a donné congé à la société Jarlise pour le 5 juillet 2022, tout en proposant un renouvellement du bail pour neuf années supplémentaires, avec un loyer annuel augmenté à 218.000 euros.

Fixation du loyer du bail renouvelé

Le 23 juillet 2022, TGC Immo Pro a notifié à Jarlise une demande de fixation du loyer du bail renouvelé à 218.095 euros, en raison de l’absence d’accord entre les parties. Le 14 septembre 2022, TGC Immo Pro a assigné Jarlise devant le juge des loyers commerciaux.

Jugement du 9 février 2023

Le tribunal a constaté le renouvellement du bail au 6 juillet 2022 et a décidé que le loyer devait être fixé à la valeur locative. Il a ordonné une expertise pour déterminer ce montant et a fixé un loyer provisionnel basé sur le bail précédent, tout en réservant les demandes relatives aux frais et dépens.

Rapport d’expertise et audience

L’experte a remis son rapport le 30 octobre 2023, et l’affaire a été rappelée pour audience le 28 novembre 2024. TGC Immo Pro a demandé au juge de fixer le loyer à 221.720 euros, avec des montants subsidiaires proposés.

Arguments de TGC Immo Pro

TGC Immo Pro a soutenu que le loyer devait être déterminé selon la méthode hôtelière, en tenant compte de la forte demande d’hébergement social en Île-de-France. Elle a présenté des arguments basés sur des expertises pour justifier le montant du loyer proposé.

Arguments de la société Jarlise

La société Jarlise a contesté les demandes de TGC Immo Pro, proposant un loyer renouvelé de 137.187,65 euros, en se basant sur le chiffre d’affaires effectif et en critiquant les méthodes d’évaluation utilisées par l’experte.

Fixation de la valeur locative

Le tribunal a déterminé que le loyer devait être fixé à la valeur locative nette de 188.991 euros, en se basant sur les recettes d’hébergement et en tenant compte d’un taux d’occupation de 97 %.

Intérêts et dépens

Les intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer et le loyer provisionnel ont été fixés à compter de l’assignation, soit le 14 septembre 2022. Les dépens de l’instance ont été partagés entre les parties.

Décision finale

Le juge a fixé le loyer du bail renouvelé à 188.991 euros par an, a ordonné la capitalisation des intérêts, et a rejeté les autres demandes des parties. L’exécution provisoire de la décision a été déclarée de droit.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la méthode de fixation du loyer pour un bail commercial renouvelé selon l’article R. 145-10 du Code de commerce ?

L’article R. 145-10 du Code de commerce stipule que :

« Le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L. 145-33 et R. 145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée. »

Cette disposition permet de fixer le loyer en fonction des pratiques spécifiques à l’activité concernée, ici l’hôtellerie.

Dans le cas présent, les parties ont convenu que le loyer doit être calculé selon la méthode dite « hôtelière ». Cette méthode consiste à établir la valeur locative par référence à la recette globale praticable hors taxes, qui inclut la recette d’hébergement et les recettes annexes.

Il est donc essentiel de se référer aux données statistiques des établissements comparables pour déterminer un prix unitaire par chambre, ajusté selon la typologie des chambres et le taux d’occupation.

Cette approche permet de garantir que le loyer reflète la réalité économique du marché locatif pour les hôtels, en tenant compte des spécificités de l’établissement concerné.

Quels sont les critères à prendre en compte pour la détermination de la valeur locative d’un hôtel ?

La détermination de la valeur locative d’un hôtel repose sur plusieurs critères, comme le précise le jugement :

1. Recette d’hébergement : Elle est calculée en multipliant le nombre de chambres par un prix unitaire, qui doit être basé sur des données statistiques de marché pour des établissements similaires.

2. Taux d’occupation : Ce taux doit être choisi en fonction de l’emplacement géographique, du classement de l’hôtel et des éléments statistiques recueillis.

3. Recettes annexes : Ces recettes, telles que les petits-déjeuners ou la location de salles, doivent également être valorisées sur une base praticable.

4. Abattements : Il peut être nécessaire d’appliquer des abattements pour tenir compte des charges exorbitantes ou des spécificités de l’activité.

L’article R. 145-10 du Code de commerce permet d’exclure certains critères des articles R. 145-3 à R. 145-8, mais il est important de prendre en compte les usages de la branche d’activité pour établir un loyer juste et équitable.

Comment les travaux réalisés par le locataire influencent-ils la fixation du loyer ?

Les travaux réalisés par le locataire peuvent avoir un impact sur la fixation du loyer, notamment en vertu de l’article L. 311-3 du Code du tourisme, qui stipule que :

« Pendant la durée du bail en cours et celle du bail renouvelé qui lui fait suite et pour une durée de douze années à compter de l’expiration du délai d’exécution mentionné à l’article L. 311-2, le propriétaire ne peut prétendre à aucune majoration de loyer du fait de l’incorporation à l’immeuble des améliorations résultant de l’exécution des travaux mentionnés à l’article L. 311-1. »

Cela signifie que si le locataire réalise des travaux d’amélioration, le bailleur ne peut pas augmenter le loyer en raison de ces améliorations pendant une période déterminée.

Dans le cas présent, la société TGC Immo Pro a contesté les travaux réalisés pour l’accessibilité des personnes à mobilité réduite, mais n’a pas pu prouver que ces travaux affectaient le gros œuvre.

Ainsi, le locataire peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 311-3, ce qui justifie un abattement sur le loyer en raison des travaux effectués.

Quelles sont les implications des intérêts dus sur les arriérés de loyer ?

Les intérêts dus sur les arriérés de loyer sont régis par l’article 1343-2 du Code civil, qui dispose que :

« Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts. »

Dans le cadre de la fixation du loyer, le juge des loyers commerciaux a déterminé que les intérêts sur la différence entre le nouveau loyer et le loyer provisionnel courent à compter de l’assignation, soit le 14 septembre 2022.

Cela signifie que le bailleur peut réclamer des intérêts sur les arriérés de loyer à partir de cette date, ce qui peut avoir un impact significatif sur le montant total dû par le locataire.

Il est donc crucial pour les parties de bien comprendre les implications financières de ces intérêts, notamment en cas de litige sur le montant du loyer.

Comment les dépens sont-ils répartis entre les parties dans une procédure de fixation de loyer ?

La répartition des dépens est régie par l’article 696 du Code de procédure civile, qui stipule que :

« La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. »

Dans le cas présent, le juge a décidé que les dépens de l’instance, y compris les frais d’expertise, seraient partagés par moitié entre les parties.

Cette décision reflète le fait que chaque partie a un intérêt dans la fixation du loyer, et il est donc équitable que les coûts associés à la procédure soient également répartis.

Cela souligne l’importance de la coopération et de la bonne foi dans les négociations entre bailleurs et locataires, afin d’éviter des litiges coûteux.

Minute n°

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

LOYERS COMMERCIAUX

JUGEMENT DU 16 JANVIER 2025

N° RG 23/06436 – N° Portalis DB22-W-B7H-RWSJ
Code NAC : 30C

DEMANDERESSE

La société TGC IMMO PRO, société à responsabilité limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 812 347 979 dont le siège social est situé [Adresse 2] et agissant poursuites et diligence de son Gérant domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Charles-Edouard BRAULT du CABINET BRAULT & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de PARIS et par Maître Valérie YON de la SCP GAZAGNE & YON, avocat postulant au barreau de VERSAILLES.

DÉFENDERESSE

La société JARLISE, société par actions simplifiée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro 793 868 902 dont le siège social est situé [Adresse 1] et prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège,

représentée par Maître Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Baudouin GOGNY-GOUBERT de l’AARPI BAUDOUIN GOGNY-GOUBERT, avocat plaidant au barreau de PARIS.

DÉBATS

Monsieur LE FRIANT, Vice-Président, siégeant par délégation de Monsieur le Président du Tribunal Judiciaire de VERSAILLES, et statuant en matière de loyers commerciaux, conformément aux dispositions de l’article R. 145-23 du Code de Commerce, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier.

Après avoir entendu, lors de l’audience du 28 Novembre 2024, les avocats des parties en leurs plaidoiries, l’affaire a été mise en délibéré pour que le jugement soit rendu ce jour.

* * * * * *

EXPOSE DES FAITS

Aux termes d’un acte sous seing privé en date du 5 juillet 2013, M. [V] [O] a donné à bail à la société Jarlise divers locaux dépendant d’un ensemble immobilier composé de trois bâtiments situé [Adresse 1] à [Localité 10] (78), à destination de commerce d’hôtel avec petits déjeuners et location de salles, pour une durée de neuf années à compter du 6 juillet 2013, moyennant un loyer annuel en principal de 78.000 euros.

Par acte extrajudiciaire délivré le 10 décembre 2021, la société TGC Immo Pro, venant aux droits de M. [O], a donné congé à la société Jarlise pour le 5 juillet 2022 et lui a offert le renouvellement du bail pour une durée de neuf années à compter du 6 juillet 2022, moyennant un loyer annuel porté à la somme de 218.000 euros au principal.

Aux termes d’un mémoire préalable notifié à la société Jarlise par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le 23 juillet 2022, la société TGC Immo Pro a sollicité la fixation du montant du loyer du bail renouvelé à la valeur locative des locaux, estimée à la somme annuelle en principal de 218.095 euros.

Puis, à défaut d’accord des parties sur le montant du loyer du bail renouvelé, la société TGC Immo Pro a, par exploit introductif d’instance délivré le
14 septembre 2022, fait assigner la société Jarlise devant le juge des
loyers commerciaux de [Localité 11] aux mêmes fins.

Par jugement du 9 février 2023, la présente juridiction a :

– constaté le renouvellement au 6 juillet 2022 du bail commercial liant les parties et portant sur un ensemble immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 10] (78) ;

– dit que le montant du loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative, conformément aux dispositions de l’article R. 145-10 du code de commerce ;

– avant dire droit, sur la fixation judiciaire du montant du loyer du bail renouvelé à la valeur locative des locaux, ordonné une expertise et commis pour y procéder Madame [E] [B] ;

– fixé le loyer provisionnel dû par la société Jarlise, pour la durée de l’instance, au montant du loyer résultant du bail échu, indexé conformément aux stipulations contractuelles ;

– réservé les demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens ;

– sursis à statuer sur les autres demandes dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise.

L’experte a déposé son rapport le 30 octobre 2023 et l’affaire a été rappelée à l’audience du 28 novembre 2024.

Aux termes de son dernier mémoire notifié à la société Jarlise
par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le
16 septembre 2024, la société TGC Immo Pro demande au juge des
loyers commerciaux de :

Vu les dispositions des articles L. 145-33, L. 145-36 et R. 145-10 du code de commerce,

Statuant sur la fixation du loyer du bail renouvelé pour les locaux loués à la société Jarlise et dépendant de l’ensemble immobilier [Adresse 1] à [Localité 10] :

– Fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 6 juillet 2022 à la somme annuelle en principal de 221.720 € (deux cent vingt et un mille sept cent vingt euros), toutes autres clauses, charges et conditions demeurant inchangées sous réserve du réajustement du dépôt de garantie et des ajustements découlant de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 et de son décret d’application,

– Subsidiairement, fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 6 juillet 2022 à la somme annuelle en principal de 215.068 € (deux cent quinze mille soixante-huit euros), ou plus subsidiairement à la somme annuelle en principal de 190.489 € (cent quatre-vingt-dix mille quatre-cent-quatre-vingt-neuf euros), toutes autres clauses, charges et conditions demeurant inchangées sous réserve du réajustement du dépôt de garantie et des ajustements découlant de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 et de son décret d’application,

– Fixer les intérêts au taux légal dus sur tous arriérés de loyer, et ce à compter rétroactivement de chacune des échéances contractuelles, ou subsidiairement à compter de la saisine du Tribunal, et ordonner ensuite leur capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil,

– Débouter la Société JARLISE de l’ensemble de ses demandes, particulièrement infondées,

– Faire masse des dépens comprenant le coût de l’expertise judiciaire, et dire qu’ils seront partagés par moitié entre les parties.

Elle expose que l’hôtel, destiné à l’hébergement social, est situé au nord-est de [Localité 10], en bordure de la route nationale 10, près de l’intersection avec la route départementale 912, c’est-à-dire à l’angle de la [Adresse 9] et du Carrefour de la Fourche. La gare de [Localité 10], desservie par les lignes de transilien N et U, se situe à environ 700 mètres. Cet hôtel est l’un des cinq établissements les plus importants pour ce qui est de la taille à [Localité 8] et en région parisienne pour le Samu Social.

Elle soutient qu’en raison du caractère monovalent des locaux, le loyer du bail renouvelé doit être fixé en application des dispositions de l’article R. 145-10 du code de commerce, par référence à la méthode hôtelière actualisée.

Elle explique que l’hôtel a une capacité de 77 chambres, soit 154 personnes, dont trois chambres accessibles aux personnes à mobilité réduite depuis le début de l’année 2022. Pour la détermination de sa valeur locative, elle se réfère à une expertise amiable de M. [S] et à l’expertise judiciaire de Mme [B]. Elle souligne que l’experte a rappelé que l’hébergement social était en “ très forte tension en Île-de-France et ne suffisait pas à répondre à une croissance forte des besoins, de telle sorte qu’une occupation complète des hôtels à vocation sociale ainsi que la banalisation des séjours de longue durée sont constatées”. Elle estime que l’approche de Madame [B] ne répond aucunement à la méthode hôtelière actualisée à laquelle elle a pourtant pleinement participé, puisqu’elle retient le prix moyen pratiqué au regard du tarif du SAMU SOCIAL et non le prix praticable émanant de sources statistiques pour des établissements de catégorie comparable et ajusté selon la typologie des chambres. Il en découle une réelle déconnexion entre l’approche proposée par Monsieur [S] (40€ HT/chambre) et celle de Madame [B] (31€ HT/chambre). Elle estime nécessaire de retenir un prix moyen entre les deux approches expertales tenant compte des caractéristiques de l’exploitation de 35 € HT. Elle soutient le taux d’occupation retenu par l’experte de 98 % au regard de la très forte pression de la demande d’hébergement social se traduisant par une occupation totale sous la seule réserve des remises en état qui sont limitées par la longue durée des séjours des résidents. Elle souscrit au taux sur recette intermédiaire de 23 % retenu par l’experte. Elle indique l’article R. 145-10 exclut expressément l’application des critères des articles R. 145-3 à 145-8 du Code de commerce de sorte qu’il n’y a aucune raison de pratiquer un quelconque abattement de la valeur locative au titre du remboursement du coût de l’assurance bailleur et ce alors que le bail prévoit que le bailleur prend en charge les travaux de l’article 605 du code civil et les travaux de mise en conformité. Elle en déduit qu’il n’existe aucun fondement juridique permettant de pratiquer une correction de la valeur locative à hauteur de la refacturation de l’assurance du bailleur ni aucun motif d’équité alors même que le bail contient des clauses et conditions particulièrement favorables au locataire au regard de la pratique en matière hôtelière. Elle considère que le locataire ne peut, en matière hôtelière, demander un quelconque abattement sur le fondement de l’article R. 145-8 du Code de commerce, et il importe peu que le bail comporte ou non une clause d’accession. Elle ajoute que le bailleur a refusé les travaux le 3 février 2014 et que la locataire les a réalisés sans avis de la commission prévue à l’article
R. 311-1 du Code du tourisme de sorte qu’en l’absence de respect des dispositions d’ordre public des articles L. 311-1 et suivants du Code du tourisme, elle ne peut prétendre à aucun abattement. A titre subsidiaire, si un tel abattement devait être retenu, elle demande qu’il soit limité à 3 % pour que l’abattement n’excède pas le coût des travaux.

Aux termes de son dernier mémoire notifié à la société TGC Immo Pro
par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le
15 juillet 2024, la société Jarlise demande au juge des loyers commerciaux de :

Vu les dispositions des articles L.145-33, R.145-3 et R. 145-10 et suivants du code de commerce,

– Débouter la société TGC IMMO PRO de l’ensemble de ses demandes infondées ;

A titre principal :

– Fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 6 juillet 2022 à la somme annuelle en principal de 137.187,65 €.

A titre subsidiaire :

– Fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 6 juillet 2022 à la somme annuelle en principal de 148.420,06.

A titre infiniment subsidiaire :

– Fixer le montant du loyer du bail renouvelé au 6 juillet 2022 à la somme annuelle en principal de 168.109,03 €.

En tout état de cause :

– Condamner la société TGC IMMO PRO à verser à la société JARLISE la somme de 3.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

– Condamner la société TGC IMMO PRO aux entiers frais et dépens de l’instance.

Elle estime que compte-tenu de la nature sociale de l’hôtel, le chiffre d’affaires doit être déterminé sur la base du chiffre d’affaires effectif et non du chiffre d’affaires théorique. De ce fait, elle estime qu’il convient de retenir l’approche de Mme [B] qui se base sur le chiffre d’affaires effectif. Elle conteste néanmoins l’arrondi réalisé par l’experte et sollicite que le prix moyen par chambre et par jour soit retenu à 30,52 € HT. Elle rappelle que le taux d’occupation de 98 % sur 77 chambres représente 1,54 chambre inoccupée par jour alors que la réalité des rotations et des remises en état porte le taux d’inoccupation à une moyenne qui se situerait plutôt entre 2 et 3 chambres, ce qui est plus en relation avec le chiffre d’affaires moyen réalisé sur les trois dernières années. Elle estime qu’un taux d’occupation de 96 % et en tout état de cause de 97 % doit être retenu. Elle considère que le taux de prélèvement devrait se situer à 21 % et ne pas dépasser 22 % dès lors que les locaux se situent en centre-ville de [Localité 10] à proximité de la gare, de la mairie, de la poste et de nombreux commerces. Elle fait état d’une décision du 7 décembre 2017 du Tribunal de Grande Instance de Versailles l’ayant autorisé à faire procéder aux travaux de mise en conformité PMR ce qui justifie de retenir un abattement de 4 %. Elle soutient comme Mme [B] que le refacturation de l’assurance immeuble doit faire l’objet d’un abattement. Elle considère qu’un abattement de 10 % pour travaux généralement appliqué à la fixation des loyers des hôtels dit « sociaux » se justifie pleinement en l’espèce dès lors que les bailleurs successifs n’ont réglé les travaux qui s’imposaient que lorsqu’ils y ont été condamnés par la voie judiciaire ou après avoir été assignés.

MOTIFS

Sur la fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé

Par jugement du 9 février 2023, la présente juridiction a dit que le montant du loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative, conformément aux dispositions de l’article R. 145-10 du code de commerce.

En vertu de l’article R. 145-10 du code de commerce, le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut, par dérogation aux articles
L. 145-33 et R. 145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée.

En application de ce texte, les parties conviennent du principe que le loyer doit être calculé selon la méthode dite « hôtelière ».

Conformément aux indications de l’experte judiciaire, cette méthode consiste à fixer la valeur locative par référence à la recette globale praticable hors taxes.
Cette dernière se compose :
– de la recette d’hébergement déterminée en appliquant à la capacité de l’établissement en nombre de chambres un prix praticable hors taxes de source statistique, issues de données visant des établissements de catégorie comparable du même secteur géographique et ajusté selon la typologie des chambres. Elle est corrigée d’un taux d’occupation choisi en fonction du classement de l’hôtel, de l’emplacement géographique et des éléments statistiques recueillis pour des établissements de même catégorie ainsi que d’un abattement au titre des commissions versées aux online travel agencies.
Il est appliqué à la recette d’hébergement un taux déterminé selon la catégorie de l’hôtel, les normes habituellement admises pour des établissements comparables, les caractéristiques physiques de l’immeuble.
– des recettes annexes (petits-déjeuners, parking, salle de séminaire, spa…) valorisées également sur une base praticable, auxquelles sont appliqués des taux déterminés selon que ces recettes résultent essentiellement de l’outil immobilier ou du travail de l’exploitant.

Il est enfin pratiqué, le cas échéant, un abattement pour tenir compte des charges exorbitantes de droit commun.

– sur le nombre de chambres et le prix de la chambre

L’experte retient un nombre de 77 chambres dans l’hôtel ce dont les parties conviennent. Elle retient également sur la base des données récoltées pour des établissements comparables un prix unitaire de 31 € HT au regard du niveau d’équipement de l’établissement considéré (pièce d’eau pour chaque chambre, espace cuisine et laverie en commun) et ce alors que le prix moyen statistique par nuitée est de l’ordre de 18 à 21 €. Il en résulte que l’experte, contrairement aux indications de la demanderesse, a effectivement évalué un prix praticable au regard de la situation de l’établissement et le simple fait que ce prix soit proche du prix effectivement pratiqué ne saurait conduire à le disqualifier. Il n’y a donc pas lieu de retenir un prix moyen avec l’approche de l’expertise amiable dont il faut constater qu’elle retient un prix praticable par chambre de 40 € sans justifier son choix si ce n’est par une référence à un tarif journalier qui serait pratiqué dans l’établissement ce qui d’une part est contredit par les constatations de l’experte judiciaire et d’autre part, reviendrait précisément à se baser sur le tarif effectivement pratiqué ce que critique justement la demanderesse. Pour sa part, la défenderesse admet le principe de retenir la recette théorique praticable mais estime qu’il conviendrait dans son cas particulier de retenir son revenu effectif sans expliquer ce qui justifierait une telle dérogation à l’usage qu’elle reconnaît.

Il en résulte qu’il convient de retenir l’évaluation faite par l’experte et
ainsi de déterminer une recette d’hébergement maximale de 871.255 €
(31€ x 77 x 365 jours).

– sur le taux d’occupation

L’experte note que l’hébergement social en Île-de-France est sous très forte tension. Elle ajoute que la création de places nouvelles d’accueil d’urgence ne suffit pas à répondre à une croissance forte des besoins, s’agissant notamment des familles en difficulté. Elle constate encore une occupation complète des hôtels à vocation sociale et la banalisation des séjours de longue durée.

Elle considère que la très forte pression de la demande d’hébergement social se traduit par une occupation totale sous la seule réserve des besoins intermittents de remise en état. Elle estime que ces interventions techniques sont généralement limitées par les longues durées de séjour des résidents.

Elle conclut de ce fait qu’il convient de retenir un taux d’occupation de 98 %.

Comme le fait justement remarquer la locataire, l’analyse de l’experte ne prend pas en compte la vacance résultant des rotations des locataires hors opérations de remise en état. Il y a lieu de considérer effectivement qu’outre les remises en état, la réalité des rotations inhérente la gestion d’un départ puis d’une arrivée qui ne peut être immédiate peut impliquer une vacance plus proche de deux chambres par jour. Il convient donc de retenir un taux d’occupation de 97 % comme il ressort du rapport amiable de M. [S], réalisé à la demande de la bailleresse mais dont l’analyse sur ce point n’est pas contestée par la locataire.

Il en résulte une recette théorique de 845.117 € (871.255 € x 97% arrondi).

– sur le taux sur recettes

L’experte estime que les normes applicables en matière d’hôtels de cette catégorie varient de 21 % à 25 %. Elle considère que l’établissement se rattache à la catégorie des hôtels en situation secondaire (type zone industrielle et d’activité, éloignée du centre centre-ville) pratiquement sans services autres apportés (0 étoile, 1 et 2 étoiles) que le logement. Elle retient un taux de 23 % pour tenir compte notamment des qualités de l’outil immobilier dans sa catégorie et de sa situation qui lui permet de bénéficier d’une clientèle captive. Elle ajoute que la proximité du modeste centre-ville commerçant de [Localité 10] n’est pas de nature à écarter la qualification secondaire de l’implantation.

Sur ce point, il ressort de la description de la situation géographique de l’hôtel en page 6 du rapport que l’hôtel est implanté à [Localité 10], commune populaire du département des Yvelines traversée par la route Nationale 10, axe routier fréquenté qui prolonge l’autoroute A12 à partir de [Localité 7] en direction du sud-ouest. L’hôtel est implanté en bordure d’un important rond-point où se croisent la route Nationale 10 (route de [Localité 5] à cette hauteur) et les routes départementales D912 et D 23 (route de [Localité 6]). Il se trouve à proximité de l’[Adresse 4] qui concentre nombre de commerces de proximité. Il bénéficie d’une desserte par la SNCF à la gare de [Localité 10] (Transilien N/U) [Adresse 3] à 600 mètres.

Il en ressort que si l’établissement se trouve à proximité d’un certain nombre de commerces et d’infrastructures de transport, ces éléments présentent une incidence limitée sur l’exploitation compte-tenu du caractère captif de la clientèle et de l’absence de réelle concurrence s’exerçant sur l’hôtel compte-tenu de son activité.

La catégorisation retenue par l’experte apparaît justifiée et il y a donc lieu de retenir un taux de 23 % ce qui permet de retenir une valeur locative brute sur l’hébergement de 194.837 € (847.117 € x 23% arrondi).

– sur les abattements pratiqués sur la valeur locative

* sur l’assurance du bailleur

Si l’application de l’article R. 145-10 du Code de commerce exclut la prise en compte des critères de l’article R. 145-8 du même Code, il conduit néanmoins à prendre en considération les éventuelles charges exorbitantes du droit commun dès lors qu’elles excéderaient les usages observés dans la branche d’activité considérée ou qu’il serait constaté qu’il serait d’usage dans cette branche de déduire certains frais ou certaines dépenses mises à la charge du locataire.

En l’espèce, il en résulte ni du rapport réalisé par Mme [B] ni même des conclusions de la locataire d’éléments qui viendraient démontrer que la refacturation de l’assurance par le bailleur serait contraire aux usages pratiqués dans le secteur des hôtels sociaux ou à tout le moins, qu’il serait d’usage que ces refacturations fassent l’objet d’un abattement au titre du loyer.

En conséquence, il y a lieu d’écarter tout abattement à ce titre.

* sur les travaux d’aménagement de 3 chambres pour les personnes à mobilité réduite

L’article L. 311-1 du code du tourisme dispose que le propriétaire d’un immeuble dans lequel est exploité un hôtel ne peut s’opposer, nonobstant toute stipulation contraire, à l’exécution des travaux d’équipement et d’amélioration que le locataire, propriétaire du fonds de commerce, réalise à ses frais et sous sa responsabilité lorsque ces travaux concernent :

1° La distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité ;

2° L’installation du téléphone, d’appareils récepteurs de radiodiffusion et de télévision ;

3° L’équipement sanitaire ;

4° Le déversement à l’égout ;

5° L’installation du chauffage central ou de distribution d’air chaud ou
climatisé ;

6° L’installation d’ascenseurs, monte-charges et monte-plats ;

7° L’aménagement des cuisines et offices ;

8° La construction de piscines,

même si ces travaux doivent entraîner une modification dans la distribution des lieux.

Dans le cas où ceux-ci affectent le gros œuvre de l’immeuble, ils ne peuvent être entrepris, à défaut d’accord du propriétaire, qu’après avis favorable de commissions dont la composition et le fonctionnement seront fixés par décret pris sur avis du Conseil d’Etat et dans lesquelles seront représentés en nombre égal les hôteliers et les propriétaires d’immeubles.

L’article L. 311-2 ajoute que le locataire doit, avant de procéder aux travaux, notifier son intention à son propriétaire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Un plan d’exécution et un devis descriptif et estimatif des travaux projetés sont joints à cette notification. Dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article L. 311-1, le propriétaire dispose d’un délai de deux mois pour informer dans la même forme le locataire de son acceptation ou de son refus. Le défaut de réponse est réputé valoir accord.

L’article L. 311-3 précise que pendant la durée du bail en cours et celle du bail renouvelé qui lui fait suite et pour une durée de douze années à compter de l’expiration du délai d’exécution mentionné à l’article L. 311-2, le propriétaire ne peut prétendre à aucune majoration de loyer du fait de l’incorporation à l’immeuble des améliorations résultant de l’exécution des travaux mentionnés à l’article L. 311-1.

L’article L. 311-5 indique que les contestations relatives à l’application de la présente section sont jugées conformément aux articles L. 145-56 à L. 145-60 du code de commerce. Celles qui concernent l’exécution des travaux mentionnés à l’article L. 311-1 ne sont pas suspensives de cette exécution.

En l’espèce, il est constant que la société TGC Immo Pro a réalisé des travaux de mise en conformité pour trois chambres pour en permettre l’accès aux personnes à mobilité réduite, travaux dont une partie relèvent de la liste prévue à l’article L. 311-1 précité.

Il n’est pas non plus contesté par la bailleresse qu’elle a reçu notification de ces travaux et les parties conviennent que Monsieur [O], bailleur de l’époque, s’y serait opposé.

La bailleresse soutient que ces travaux auraient « nécessairement » porté atteinte au gros œuvre. Toutefois, elle ne présente aucune explication technique ni aucun justificatif pour établir que les travaux entrepris par la locataire aurait eu un impact sur des éléments de gros œuvre.

Partant, il n’est pas établi que la procédure au deuxième alinéa de l’article
L. 311-1 s’imposait au locataire et dès lors, il peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 311-3 au titre des travaux réalisés s’agissant des postes rentrant dans les prévisions de l’article L. 311-1 précité que l’experte a chiffré à
61.200 €

Dès lors que seuls les travaux rentrant dans les dispositions de l’article L. 311-1 précité peuvent être concernés par les dispositions de l’article L. 311-3, il n’apparaît pas justifié que l’abattement pratiqué conduise à une décote supérieure au coût des travaux concernés.

Il sera donc retenu un abattement de 3 % au titre du report d’accession des travaux hôteliers.

* sur les travaux nés de l’activité des hôtels dit « sociaux »

La locataire prétend qu’il serait d’usage dans les hôtels dit « sociaux » de pratiquer un abattement pour travaux.

Toutefois, elle ne rapporte aucun élément pour démontrer cet usage qui n’est pas relevé par l’expert judiciaire. Par ailleurs, aucune clause du bail ne prévoit que les travaux résultant de la vétusté seraient par exception mis à sa charge et le bailleur, aux termes de ses conclusions, interprète l’article 13 comme mettant à sa charge l’ensemble des réparations des articles 605 et 606 du code civil, de sorte qu’il assumerait les réparations d’entretien.

Il n’apparaît dès lors pas justifié de pratiquer un abattement au titre de travaux qui devront, pour l’essentiel, être assumés par le bailleur et il ne saurait être anticipé une éventuelle carence de celui-ci sur ce point.

Il en ressort que la valeur locative nette doit être fixée à la somme de
188.991 € (194 837 € x 97 % arrondi).

Sur la date de point de départ des intérêts

Le juge des loyers commerciaux est compétent pour statuer sur la date de point de départ des intérêts de droit, laquelle constitue une demande accessoire intimement liée à la contestation relative à la fixation du loyer.

Il est de principe qu’à défaut de convention contraire, les intérêts dus sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer provisionnel courent à compter de la délivrance de l’assignation introductive d’instance en fixation du prix lorsque le bailleur est à l’origine de la procédure et à compter de la notification du premier mémoire en défense lorsque c’est le preneur qui a saisi le juge.

En l’espèce, la bailleresse étant à l’origine de la procédure, les intérêts dus
sur la différence entre le nouveau loyer du bail renouvelé et le loyer
provisionnel courent à compter de l’assignation, c’est-à-dire à compter
du 14 septembre 2022.

En application de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts.

Sur les autres demandes

Sur les dépens

Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

Dans la mesure où chacune des parties a intérêt à la fixation du loyer en renouvellement, les dépens de l’instance, en ce compris les frais d’expertise, seront partagés entre elles par moitié.

Sur les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l’espèce, chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles qu’elle a exposés pour faire valoir ses droits.

Sur l’exécution provisoire

En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.

PAR CES MOTIFS

Le Juge des loyers commerciaux, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort :

Fixe, au 6 juillet 2022, le montant du loyer du bail renouvelé liant la société Jarlise et la société TGC Immo Pro et concernant un ensemble immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 10] (78) à la somme de 188.991 € hors taxes et hors charges par an en principal ;

Dit que les intérêts au taux légal dus sur le différentiel de loyer courent à compter du 14 septembre 2022 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil,

Rejette les autres demandes des parties,

Dit que chaque partie restera tenue des frais irrépétibles qu’elle a personnellement exposés pour la défense de ses droits ;

Partage par moitié entre les parties les dépens de l’instance en ce compris les frais d’expertise judiciaire ;

Rappelle que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Ainsi fait, jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le
16 JANVIER 2025, par Monsieur LE FRIANT, Juge des Loyers Commerciaux, assisté de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquels ont signé la minute du présent jugement.

LE GREFFIER LE JUGE DES LOYERS COMMERCIAUX
Carla LOPES DOS SANTOS Thibaut LE FRIANT


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon