Conflit locatif et contestation d’occupation des lieux

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Conflit locatif et contestation d’occupation des lieux

L’Essentiel : La SCI ACMO a conclu un bail dérogatoire avec EVE & COM, qui a pris fin le 14 décembre 2010. Malgré l’expiration, EVE & COM a continué d’occuper les lieux, entraînant une action en justice de la SCI pour expulsion. Le 18 juillet 2023, un congé a été délivré, mais l’occupation a persisté. En référé, la SCI a demandé la libération immédiate des lieux. Le tribunal a jugé que la contestation d’EVE & COM était sérieuse, refusant ainsi la demande d’expulsion et condamnant la SCI aux dépens, ainsi qu’à verser 1.500 euros à EVE & COM.

Contexte de l’affaire

La SCI ACMO a conclu un bail dérogatoire avec la société EVE & COM pour un local situé à [Adresse 1] à [Localité 6], le 15 janvier 2009. Ce bail, d’une durée de 23 mois, a pris fin le 14 décembre 2010. Malgré l’expiration du bail, le preneur a continué à occuper les lieux, ce qui a conduit à la formation d’un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.

Congé et maintien dans les lieux

Le 18 juillet 2023, la SCI ACMO a délivré un congé à EVE & COM, prenant effet le 31 mars 2024, sans indemnité d’éviction. Cependant, le preneur a continué à occuper le local, ce qui a incité la SCI ACMO à agir en justice pour obtenir l’expulsion de la société EVE & COM.

Procédure judiciaire

Le 27 mai 2024, la SCI ACMO a assigné EVE & COM en référé, demandant la libération immédiate des lieux, l’expulsion sous astreinte, ainsi qu’une indemnité d’occupation mensuelle. Lors de l’audience du 16 octobre 2024, les deux parties ont présenté leurs arguments, la demanderesse soutenant la légitimité de ses demandes et la défenderesse plaidant pour son maintien dans les lieux.

Arguments des parties

La SCI ACMO a affirmé que l’occupation par EVE & COM était illégale, en raison de l’absence d’immatriculation au registre du commerce. En revanche, EVE & COM a soutenu que le local était accessoire à son fonds de commerce et qu’elle avait droit à une indemnité d’éviction, invoquant l’article L145-28 du code de commerce.

Décision du tribunal

Le tribunal a jugé que la contestation soulevée par EVE & COM était sérieuse, et que le maintien dans les lieux ne constituait pas un trouble manifestement illicite. Par conséquent, il n’y avait pas lieu à référé sur les demandes de la SCI ACMO. De plus, la demanderesse a été condamnée aux dépens et à verser 1.500 euros à EVE & COM au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature du bail dérogatoire et quelles sont ses implications juridiques ?

Le bail dérogatoire, tel que défini à l’article 3.2 du décret du 30 septembre 1953, est un contrat de location qui déroge aux dispositions du statut des baux commerciaux.

Il permet à un bailleur de louer un local à un preneur pour une durée déterminée, généralement inférieure à trois ans, sans que ce dernier puisse revendiquer les droits liés à un bail commercial classique, notamment le droit au renouvellement ou à l’indemnité d’éviction.

Dans le cas présent, la SCI ACMO a consenti un bail dérogatoire pour une durée de 23 mois, ce qui signifie que le preneur, la société EVE & COM, ne pouvait pas prétendre aux protections offertes par le statut des baux commerciaux pendant cette période.

Cependant, une fois le bail dérogatoire expiré, si le preneur reste dans les lieux et que le bailleur ne s’oppose pas à cette occupation, un nouveau bail commercial peut être considéré comme tacitement reconduit, ce qui ouvre la voie à des droits supplémentaires pour le preneur, notamment en matière de renouvellement et d’indemnité d’éviction.

Quelles sont les conditions de validité d’un congé donné par le bailleur ?

L’article L145-9 du code de commerce stipule que le congé doit être donné par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Il doit également respecter un préavis de six mois pour les baux commerciaux, sauf en cas de motifs légitimes et sérieux. Dans le cas présent, le bailleur a délivré un congé prenant effet le 31 mars 2024, ce qui semble respecter les délais requis.

Cependant, la validité de ce congé peut être contestée si le preneur peut prouver qu’il a un droit au renouvellement du bail, notamment en raison de l’absence d’immatriculation au registre du commerce, qui ne constitue pas un obstacle si le preneur peut justifier que le local est accessoire à son fonds de commerce.

Ainsi, la contestation de la société EVE & COM sur la validité du congé pourrait être fondée sur l’argument que son occupation des lieux est justifiée par le caractère accessoire du local à son activité principale.

Quelles sont les conséquences d’un maintien dans les lieux sans droit ni titre ?

Selon l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président peut prescrire en référé des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le maintien dans des locaux sans droit ni titre est considéré comme un trouble manifestement illicite. Dans cette affaire, la SCI ACMO soutient que l’occupation de la société EVE & COM est dénuée de fondement, car le bail dérogatoire a expiré et le preneur n’a pas renouvelé son bail.

Cependant, la défenderesse argue que son occupation est justifiée par le caractère accessoire des lieux loués à son fonds de commerce. Si cette contestation est jugée sérieuse, le tribunal pourrait conclure qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’expulsion, car le maintien dans les lieux ne constitue pas un trouble manifestement illicite.

Comment le tribunal évalue-t-il les demandes d’indemnité d’occupation et les dépens ?

L’article 700 du code de procédure civile prévoit que le juge peut condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme pour couvrir les frais exposés et non compris dans les dépens.

Dans cette affaire, la SCI ACMO a demandé une indemnité d’occupation mensuelle de 742,18 euros TTC à compter du 31 mars 2024. Toutefois, le tribunal a jugé que la contestation sur le droit au maintien dans les lieux était sérieuse, ce qui a conduit à rejeter la demande d’expulsion et, par conséquent, la demande d’indemnité d’occupation.

Concernant les dépens, l’article 491 du code de procédure civile impose au juge de statuer sur ceux-ci, et l’article 696 précise que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Dans ce cas, la SCI ACMO, ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée à payer les dépens.

Quelles sont les implications de l’absence d’immatriculation au registre du commerce ?

L’article L145-28 du code de commerce stipule que l’absence d’immatriculation au registre du commerce n’empêche pas le preneur de revendiquer des droits liés à un bail commercial, à condition que le bail soit soumis au statut des baux commerciaux.

Dans cette affaire, la société EVE & COM soutient que son local est accessoire à son fonds de commerce, ce qui pourrait lui permettre de bénéficier des protections offertes par le statut des baux commerciaux, même en l’absence d’immatriculation.

Le tribunal a rappelé que la condition d’immatriculation n’est pas exigée en cas de soumission volontaire des parties à ce statut. Ainsi, si la société EVE & COM peut prouver que son occupation des lieux est justifiée, cela pourrait avoir des conséquences sur la validité du congé et sur les droits du bailleur.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

RÉFÉRÉS

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RENDUE LE 16 JANVIER 2025

N° RG 24/01236 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZQBI

N° de minute :

S.C.I. ACMO

c/

S.A.R.L. EVE & COM

DEMANDERESSE

S.C.I. ACMO
[Adresse 2]
[Localité 4]

Représentée par Me Alain PIREDDU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1014

DEFENDERESSE

S.A.R.L. EVE & COM
[Adresse 3]
[Localité 5]

Représentée par Me Christophe LIVET-LAFOURCADE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1102

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président : David MAYEL, Vice-président, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,

Greffier : Philippe GOUTON, Greffier

Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 16 octobre 2024, avons mis l’affaire en délibéré à ce jour :

Par acte sous seing privé du 15 janvier 2009, la SCI ACMO a donné à bail dérogatoire (article 3.2. du décret du 30 septembre 1953) à la société EVE & COM un local sis [Adresse 1] à [Localité 6].

Le bail a été consenti pour une durée de 23 mois de sorte qu’il est terminé le 14 décembre 2010 à 24h.

Le preneur est resté et a été laissé en possession des lieux de sorte qu’il est constant qu’il s’est opéré un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux.

Le bail s’est par la suite poursuivi, par tacite reconduction.

Le 18 juillet 2023, le bailleur a fait délivrer un congé au preneur, prenant effet au 31 mars 2024, sans indemnité d’éviction.

Le preneur s’est maintenu dans les lieux.

C’est dans ces conditions que la SCI ACMO, par acte de commissaire de justice du 27 mai 2024, a assigné la société EVE & COM en référé aux fins de
lui ordonner « de libérer les lieux loués, et ce sans délai, dès la signification de l’ordonnance à intervenir »,à défaut de libération spontanée, ordonner l’expulsion de la défenderesse, ainsi que de tous occupants de son chef, et ce sous astreinte,la condamner au paiement provisionnel d’une indemnité d’occupation mensuelle de 742,18 euros TTC due à compter du 31 mars 2024 et jusqu’au départ effectif des lieux,la condamner au paiement d’une somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
À l’audience du 16 octobre 2024, le conseil de la demanderesse, plaidant oralement ses conclusions en réplique, a soutenu les demandes figurant dans l’acte introductif d’instance et le rejet des demandes adverses.

Le conseil de la société EVE & COM, soutenant oralement ses conclusions, a demandé à titre principal et subsidiaire, de voir débouter la SCI ACMO de ses demandes et sa condamnation reconventionnelle à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation introductive d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.

MOTIFS

Sur la demande d’expulsion

Aux termes de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le maintien dans des locaux, sans droit ni titre, constitue un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, la partie demanderesse soutient que l’occupation du preneur est dénuée de tout fondement dès lors que, ainsi qu’il l’a formulé dans son congé, faute d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de Nanterre de l’établissement sis [Adresse 1] à [Localité 6], la société défenderesse ne peut pas prétendre au renouvellement du bail et partant à une indemnité d’éviction.

La défenderesse soutient de son côté que l’absence d’établissement est anodine dès lors que ce local est accessoire à l’exploitation de son fonds de commerce, situé [Adresse 3] à [Localité 5] où elle a son siège sociale. Elle argue donc pouvoir bénéficier d’une indemnité d’éviction et bénéficier ainsi d’un droit au maintien dans les lieux, en application de l’article L145-28 du code de commerce.

La partie demanderesse réplique qu’une telle contestation ne saurait être sérieuse dès lors que « un bail commercial soumis au Statut ne peut être l’accessoire d’un bail… également soumis au Statut ».

Sur ce, contrairement à ce qu’indique le bailleur qui procède d’ailleurs par voie d’assertion, ce n’est pas le bail qui est réputé accessoire, mais le local. Il est en effet exact que l’immatriculation du fonds principal vaut également pour l’établissement secondaire lorsque celui-ci lui est accessoire.

Le preneur justifie, via un constat d’huissier, que les lieux loués, non isolés, non chauffés et sans fenêtres, sont composés de racks de stockage et de matériels stockés. Il ressort d’ailleurs du bail dérogatoire produit que c’est « à usage exclusif de stockage à l’exclusion de tout autre » que le local est destiné.

Le preneur justifie encore avoir son siège social à une autre adresse, au [Adresse 3] à [Localité 5]. Il justifie avoir, postérieurement à la présente assignation, saisi le juge du fond pour faire reconnaître le caractère accessoire des lieux loués.

La contestation soulevée apparaît donc sérieuse.

Il sera au surplus relevé que le demandeur insiste sur « l’existence non contestée d’un bail commercial soumis au Statut ». Il ne peut qu’être rappelée que « La condition tenant à l’immatriculation du preneur pour bénéficier du statut des baux commerciaux n’est pas exigée en cas de soumission volontaire des parties à ce statut, même si le preneur est commerçant » (28 mai 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 19-15.001).

Dans ces conditions, il n’est pas démontré que le maintien dans les lieux de la défenderesse constitue un trouble manifestement illicite qu’il conviendrait de faire cesser.

Il sera par conséquent dit n’y a voir lieu à référé sur cette prétention, ainsi que de toutes les autres formulées en demande, qui en découlent.

Sur les demandes accessoires

L’article 491 du code de procédure civile impose au juge de statuer sur les dépens. L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a en conséquence lieu de condamner la demanderesse, qui succombe, aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.

Il serait inéquitable de laisser à la défenderesse la charge des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour la défense de ses intérêts et il y aura lieu en conséquence de condamner la demanderesse à lui payer la somme de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS

Disons n’y avoir lieu à référé sur les demandes de la SCI ACMO,

Condamnons la commune de Puteaux aux dépens,

Condamnons la SCI ACMO à payer à la société EVE & COM la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Disons n’y avoir lieu à référé sur toute autre demande.

FAIT À NANTERRE, le 16 janvier 2025.

LE GREFFIER

Philippe GOUTON, Greffier

LE PRÉSIDENT

David MAYEL, Vice-président


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