Fixation des loyers commerciaux : enjeux de déplafonnement et d’expertise

·

·

Fixation des loyers commerciaux : enjeux de déplafonnement et d’expertise

L’Essentiel : La SA BENTLEY a conclu des contrats de sous-location avec la SAS DISTRIBUTION CASINO France, renouvelés à plusieurs reprises. En décembre 2024, la SARL BENTLEY a notifié des congés avec des propositions de loyers déplafonnés, entraînant une assignation devant le juge des loyers commerciaux. La SAS DISTRIBUTION CASINO conteste ces demandes, tandis que la SAS ASUPER2 soutient le maintien des loyers. Le juge a ordonné une expertise pour déterminer la valeur locative des baux, en tenant compte des caractéristiques des locaux et des modifications d’usage, afin de trancher sur les demandes de déplafonnement.

Exposé du litige

La SA BENTLEY a conclu plusieurs contrats de sous-location avec la SAS DISTRIBUTION CASINO France, portant sur différents lots d’un ensemble immobilier. Ces baux ont été renouvelés à plusieurs reprises, avec des montants de loyer initialement fixés. En décembre 2024, la SARL BENTLEY a signifié des congés avec offre de renouvellement, proposant des loyers déplafonnés pour les baux concernés.

Exposé des faits et de la procédure

Les baux, signés le 2 juillet 2001, portaient sur des locaux commerciaux et ont été renouvelés en 2007 et 2013. En décembre 2024, la SARL BENTLEY a notifié des congés avec des propositions de loyers déplafonnés, entraînant une assignation de la SAS DISTRIBUTION CASINO France devant le juge des loyers commerciaux. La SAS ASUPER2 est intervenue dans les procédures suite à la cession du fonds de commerce.

Prétentions et moyens des parties

La SARL BENTLEY demande la fixation des loyers à des montants déplafonnés, soutenant que le déplafonnement est acquis en raison de la durée des baux et des modifications d’usage. La SAS DISTRIBUTION CASINO France conteste ces demandes, réclamant le maintien des loyers en cours et l’application d’un lissage. La SAS ASUPER2 soutient également la demande de maintien des loyers et conteste les motifs de déplafonnement.

Motivation

Le juge a ordonné la jonction des procédures en raison de leur lien. Il a également décidé qu’une expertise était nécessaire pour déterminer la valeur locative des baux renouvelés, en tenant compte des caractéristiques des locaux et des modifications d’usage. Les éléments de déplafonnement et la nature des locaux ont été examinés, avec des divergences entre les parties sur des points de fait nécessitant une expertise.

Sur la jonction des procédures

Le juge a jugé pertinent de joindre les quatre instances en raison de leur lien, afin d’assurer une bonne administration de la justice.

Sur la fixation du montant du loyer du bail commercial

Le montant des loyers doit correspondre à la valeur locative, déterminée selon divers critères. Le juge a décidé d’ordonner une expertise pour éclaircir les divergences sur la valeur locative et les motifs de déplafonnement.

Sur l’existence de motifs de déplafonnement

Le juge a constaté que le déplafonnement était acquis pour certains baux en raison de leur durée. Cependant, pour d’autres, des éléments de fait nécessitent une expertise pour évaluer les modifications d’usage.

Sur la nature des locaux

Le juge a examiné la nature des locaux concernés, notamment le lot 113, et a décidé qu’une expertise était nécessaire pour déterminer les critères d’application des textes régissant les baux commerciaux.

Sur la détermination de la valeur locative

Le juge a noté que la SARL BENTLEY n’a pas fourni d’éléments probatoires suffisants pour soutenir ses évaluations, ce qui justifie la nécessité d’une expertise pour établir la valeur locative.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Les dépens ont été réservés en attente de la suite de la procédure. L’exécution provisoire a été rappelée comme étant de droit.

Conclusion

Le juge a ordonné une expertise pour évaluer la valeur locative des baux renouvelés et a fixé des conditions pour la procédure d’expertise, tout en réservant l’examen des demandes relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de déplafonnement des loyers commerciaux selon le Code de commerce ?

Le déplafonnement des loyers commerciaux est régi par les articles L145-33 et L145-34 du Code de commerce.

L’article L145-33 stipule que :

« Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative et, à défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage. »

En ce qui concerne l’article L145-34, il précise que :

« Le plafonnement prévu à l’article L145-34 n’a pas vocation à s’appliquer lorsque du fait de sa tacite prolongation le bail a eu une durée effective supérieure à douze ans. De même, le plafonnement ne s’applique pas lorsqu’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L145-33 est établie. »

Ainsi, pour qu’un loyer soit déplafonné, il faut soit que le bail ait été tacitement prolongé au-delà de douze ans, soit qu’il y ait eu une modification notable des éléments déterminant la valeur locative.

Comment se déroule la procédure d’expertise pour la fixation des loyers commerciaux ?

La procédure d’expertise pour la fixation des loyers commerciaux est encadrée par l’article R145-30 du Code de commerce.

Cet article stipule que :

« Lorsque le juge s’estime insuffisamment éclairé sur des points qui peuvent être élucidés par une visite des lieux ou s’il lui apparaît que les prétentions des parties divergent sur de tels points, il se rend sur les lieux aux jour et heure décidés par lui le cas échéant en présence d’un consultant. »

Il peut également désigner un expert dont la mission porte sur les éléments de fait permettant l’appréciation des critères définis aux articles R145-3 à R145-7, L145-34, R145-9, R145-10 ou R145-11.

L’expert doit se rendre sur les lieux, entendre les parties, et évaluer la valeur locative des locaux concernés.

Il doit également établir un pré-rapport et un rapport définitif, fournissant des éléments d’appréciation au juge des loyers commerciaux.

Quels sont les critères pour déterminer la valeur locative d’un bail commercial ?

La valeur locative d’un bail commercial est déterminée selon plusieurs critères énoncés dans l’article L145-33 du Code de commerce.

Cet article précise que la valeur locative doit être déterminée d’après :

– Les caractéristiques du local considéré,
– La destination des lieux,
– Les obligations respectives des parties,
– Les facteurs locaux de commercialité,
– Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Ces éléments doivent être pris en compte pour établir un loyer qui reflète la réalité du marché et les spécificités du local.

Quelles sont les implications de la jonction des procédures dans le cadre de litiges relatifs aux baux commerciaux ?

La jonction des procédures est régie par l’article 367 du Code de procédure civile, qui permet au juge d’ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui.

Cet article stipule que :

« Le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble. »

Dans le cas présent, la jonction des instances a été ordonnée car les quatre baux concernés relèvent d’un unique ensemble commercial, ce qui est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.

Cela permet d’éviter des décisions contradictoires et de traiter l’ensemble des litiges de manière cohérente.

Quelles sont les conséquences de l’exécution provisoire dans les décisions de première instance ?

L’exécution provisoire est régie par l’article 514 du Code de procédure civile, qui précise que :

« Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. »

Cela signifie que, sauf disposition contraire, les décisions rendues en première instance peuvent être exécutées immédiatement, même si elles sont susceptibles d’appel.

Dans le cadre des baux commerciaux, cela permet aux parties de commencer à appliquer les décisions relatives aux loyers sans attendre l’issue d’un éventuel appel, ce qui est crucial pour la continuité des activités commerciales.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX

LOYERS COMMERCIAUX

30C
N° RG 24/03016 – N° Portalis DBX6-W-B7I-ZAP4
Minute n° 25/00004

EXPERTISE

Grosse délivrée
le :
à

JUGEMENT RENDU LE QUINZE JANVIER DEUX MIL VINGT CINQ

Par devant Nous, Myriam SAUNIER, Vice-Présidente, Juge déléguée aux Loyers Commerciaux, en exécution des articles L 145-56 et R 145-23 du code de commerce, assistée de Dorine LEE-AH-NAYE, Greffier.

Le Juge des Loyers Commerciaux,

A l’audience publique tenue le 04 Décembre 2024 les parties présentes ou régulièrement représentées ont été entendues et l’affaire a été mise en délibéré au 15 Janvier 2025, et le jugement prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile

ENTRE :

S.A.R.L. BENTLEY, dont le siège social est sis [Adresse 7] – [Localité 10]

représentée par Maître Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE – GIL, avocats au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, plaidant et Maître Antoine MARS de la SARL MARS & TABONE ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, postulant

ET :

S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE, dont le siège social est sis [Adresse 4] – [Localité 8]

représentée par Maître Antoine PINEAU-BRAUDEL, avocat au barreau de PARIS, plaidant et Maître Dominique LAPLAGNE de l’AARPI LAPLAGNE & BROUILLOU-LAPORTE, avocats au barreau de BORDEAUX, postulant

PARTIE INTERVENANTES

S.A.S. ASUPER 2, dont le siège social est sis [Adresse 3] – [Localité 9]

agissant en qualité d’intervenant volontaire

représentée par Maître Magali SERROR FIENBERG, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant et Maître Luc LHUISSIER de l’AARPI RIVIERE – DE KERLAND, avocats au barreau de BORDEAUX, postulant

Qualification du jugement : contradictoire et succeptible d’appel dans les conditions de l’article 272 du code de procédure civile

EXPOSE DU LITIGE

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par contrat de sous-location du 02 juillet 2001, la SA BENTLEY, locataire principal, a consenti à la SAS DISTRIBUTION CASINO France un contrat de sous-location pour la durée restant à courir du bail principal, soit jusqu’au 12 mars 2007, portant sur les lots 102 (local à usage de commerce, activités ou service d’une superficie de 2.207m², aire de passage, parking et accès), 103 (local à usage de commerce de 74m² et aire de manutention de 42m²) et 104 (local à usage de commerce, activités ou services de 53m²) dépendants d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété situé [Adresse 12] à [Localité 13], moyennant un loyer annuel initial de 1.500.000 francs hors taxes et hors charges pour l’exploitation du fonds de commerce de supermarché.
Le bail a été renouvelé le 12 mars 2007 suite à la demande de renouvellement du bail commercial formée par le preneur le 07 mars 2007 acceptée le 31 mai 2007.

Par contrat du 02 juillet 2001, la SA BENTLEY a donné à bail commercial à la SAS DISTRIBUTION CASINO France, pour une durée de neuf ans à compter du 02 juillet 2001, les lots 120 (superficie de 133m² pour l’installation des équipements nécessaires au fonctionnement de la station-service établie sur le lot 113) et 121 (local à usage de réserves de 1.168 m²) dépendants d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété situé [Adresse 12] à [Localité 13], moyennant un loyer annuel initial de 200.000 francs hors taxes et hors charges pour l’exploitation du fonds de commerce de supermarché.
Le bail a été renouvelé le 1er juillet 2013 suite à la délivrance le 31 mai 2013 d’une demande de renouvellement par la société DISTRIBUTION CASINO France.

Par contrat du 02 juillet 2001, la SA BENTLEY a donné à bail commercial à la SAS DISTRIBUTION CASINO France, pour une durée de neuf ans à compter du 02 juillet 2001, le lot 113 (lot à usage de station-service et de lavage) dépendant d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété situé [Adresse 12] à [Localité 13], moyennant un loyer annuel initial de 200.000 francs hors taxes et hors charges pour l’exploitation du fonds de commerce de supermarché.
Le bail a été renouvelé le 1er juillet 2013 suite à la délivrance le 28 juin 2013 d’une demande de renouvellement par la société DISTRIBUTION CASINO France.

Par contrat du 02 juillet 2001, la SA BENTLEY a donné à bail commercial à la SAS DISTRIBUTION CASINO France, pour une durée de neuf ans à compter du 02 juillet 2001, la parcelle CP [Cadastre 11] (à usage d’aire de stationnement) dépendant d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété situé [Adresse 12] à [Localité 13], moyennant un loyer annuel initial de 100.000 francs hors taxes et hors charges pour l’exploitation du fonds de commerce de supermarché.
Le bail a été renouvelé le 1er juillet 2013 suite à la délivrance le 28 juin 2013 d’une demande de renouvellement par la société DISTRIBUTION CASINO France.

Le 30 décembre 2024, la SARL BENTLEY bailleur a fait signifier au preneur, la SAS DISTRIBUTION CASINO France quatre congés avec offre de renouvellement des quatre baux à compter du 1er juillet 2023, contenant une proposition de payer un loyer renouvelé déplafonné annuel de :
– 534.036 euros hors taxes et hors charges, concernant le bail portant sur les lots 102 et 103,
– 66.386 euros hors taxes et hors charges, concernant le bail portant sur les lots 120 et 121,
– 66.386 euros hors taxes et hors charges, concernant le bail portant sur le lot 113,
– 24.617 euros hors taxes et hors charges, concernant le bail portant sur la parcelle CP [Cadastre 11].

Après notification par lettre recommandée avec accusé de réception de quatre mémoires préalables reçus le 23 octobre 2023, la SARL BENTLEY a, par quatre actes délivrés le 05 mars 2024, fait assigner la SAS DISTRIBUTION CASINO France devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux en vue de la fixation du prix des baux renouvelés à compter du 1er juillet 2023. Les quatre procédures ont été enregistrées sous les numéros RG 24/3016, 24/3627, 24/3630 et 24/3632.

Le 28 juin 2024, la SAS ASUPER2 est intervenue volontairement aux quatre instances, représentée par AUCHAN RETAIL France, agissant comme venant aux droits de la société DISTRIBUTION CASINO France, suite à la cession du fonds de commerce le 30 mai 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A l’audience, la SARL BENTLEY, soutenant ses mémoires déposés au greffe le 26 novembre 2024, sollicite du juge des loyers commerciaux de :

accueillir l’intervention volontaire de la société ASUPER2à titre principal, fixer, à compter du 1er juillet 2023, le loyer annuel du bail renouvelé à la valeur locative correspondant :pour les lots 102 et 103 à la somme annuelle de 534.036 euros hors taxes et hors charges,pour les lots 120 et 121 à la somme annuelle de 66.386 euros hors taxes et hors charges,pour le lot 113 à la somme annuelle de de 66.386 euros hors taxes et hors charges,pour la parcelle CP[Cadastre 11] à la somme annuelle de de 33.192 euros hors taxes et hors charges,
à titre subsidiaire :ordonner une mesure d’expertise avec pour objet la détermination de la valeur locative du bail renouvelé,fixer le montant du loyer provisionnel dû à la somme de :534.036 euros hors taxes et subsidiairement 433.550 euros hors taxes au titre des lots 102 et 103,66.386 euros hors taxes par an au titre des lots 120 et 121,66.386 euros hors taxes par an au titre du lot 113,33.192 euros hors taxes par an au titre de la parcelle CP [Cadastre 11]en toutes hypothèses,débouter les sociétés ASUPER2 et DISTRIBUTION CASINO France de leurs demandes,condamner in solidum la société DISTRIBUTION CASINO France et la société ASUPER2 au paiement des dépens de l’instance, et à à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
La société BENTLEY soutient, en application des articles L145-33, L145-34, R145-6 et R145-7 du code de commerce que le déplafonnement est acquis en ce que s’agissant :
du bail portant sur les lots 102 et 103, il s’est tacitement prolongé pour une période de plus de 12 ans avant la délivrance du congédu bail portant sur les lots 120 et 121, un changement de destination est intervenue concernant le lot 121 qui était destiné à usage de réserve et est désormais intégré à la surface de vente formée principalement par les lots 102 et 103,du bail portant sur le lot 113, il porte sur un local monovalent, soumis aux dispositions de l’article R145-10 du code de commerce échappant aux règles du plafonnement,du bail portant sur la parcelle CP[Cadastre 11], il porte sur un terrain qui justifie l’application de l’article R145-9 du code de commerce, échappant aux règles du plafonnement.
Elle prétend que la valeur locative doit être fixée au regard de la superficie des locaux, de leur emplacement dans un quartier résidentiel desservi par des lignes de transport en commun, à proximité d’autres commerces rendant la zone attractive.
Elle conteste la proposition de calcul de la superficie telle que proposée par l’expert du preneur.
A titre subsidiaire, elle sollicite, sur le fondement de l’article R145-30 du code de commerce l’organisation d’une expertise.
Elle conteste l’application des dispositions de l’article L145-34 du code de commerce relatives au lissage tel que sollicité par le preneur.

A l’audience, la SAS DISTRIBUTION CASINO France, soutenant ses mémoires notifiés par lettre recommandée le 02 septembre 2024 et déposés au greffe le 03 septembre 2024, demande au juge des loyers commerciaux de:

à titre principal :débouter la société BENTLEY de ses demandes,fixer le loyer des baux renouvelés au 1er juillet 2023 pour une durée de neuf ans au montant des loyers en cours, subsidiairement à la valeur locative qui ne saurait être supérieure au montant du loyer plafonné, toutes les autres clauses, charges et conditions des baux expirés demeurant inchangés, à l’exclusion des clauses réputées non écrites en application de l’article L145-15 du code de commerce,à titre subsidiaire :ordonner une expertise judiciaire afin de déterminer l’existence de critères de déplafonnement et la valeur locative, aux frais avancés de la société BENTLEY,fixer le loyer provisionnel au montant du loyer en cours au 1er juillet 2023,en tout état de cause :dire que la variation du loyer résultant de la fixation du loyer de renouvellement ne pourra conduire à des augmentations supérieures pour une année à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente,condamner la société BENTLEY au paiement des dépens et à lui payer une indemnité de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SAS DISTRIBUTION CASINO France soutient que la société BENTLEY ne démontre pas l’existence de motifs de déplafonnement des loyers, et qu’elle ne justifie pas les éléments factuels au soutien de la fixation de la valeur locative alléguée pour chacun des lots. Elle conteste l’application de la qualification de local monovalent au lot 113 en l’absence de preuve des caractéristiques légales et l’application de la qualification de terrain nu à la parcelle CP[Cadastre 11].

Subsidiairement, elle s’associe à la demande d’expertise formulée par application de l’article R145-30 du code de commerce.

Elle réclame enfin l’application du dispositif de lissage tel que prévu à l’article L145-34 du code de commerce.

A l’audience, la SAS ASUPER 2, soutenant ses mémoires déposés au greffe le 04 novembre 2024, sollicite du juge des loyers commerciaux :

à titre principal de :débouter la société BENTLEY de l’ensemble de ses demandes,fixer le loyer des baux renouvelés au 1er juillet 2023 pour une durée de neuf années, à la valeur locative, soit 37.400 euros hors taxes hors charges pour le bail relatif aux lots 120/121, 302.600 euros hors taxes et hors charges pour le bail relatif aux lots 102/103, 15.000 euros hors taxes et hors charges pour le bail relatif au lot 113, et au montant du loyer en cours pour le bail relatif à la parcelle CP[Cadastre 11], valeur qui ne saurait être supérieure au montant du loyer plafonné, toutes les autres clauses, charges et conditions des baux expirés demeurant inchangés, à l’exclusion des clauses réputées non écrites en application de l’article L145-15 du code de commerce,à titre subsidiaire :ordonner une expertise pour rechercher la modification des facteurs locaux de commercialité et la valeur locative au 1er juillet 2017,fixer le loyer provisionnel pour la durée de l’instance à 37.400 euros hors taxes et hors charges au titre du bail portant sur les lots 120 et 121, 302.600 euros hors taxes et hors charges au titre du bail portant sur les lots 102 et 103, 15.000 euros hors taxes et hors charges pour le bail relatif au lot 113, au montant du loyer en cours pour le bail relatif à la parcelle CP[Cadastre 11], ou subsidiairement au montant du loyer en cours au 1er juillet 2023, en toute hypothèse :dire que la variation du loyer résultant de la fixation du loyer de renouvellement ne pourra conduire à des augmentations supérieures pour une année à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente,condamner la société BENTLEY au paiement des dépens et à lui payer une indemnité de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La société ASUPER2 fait valoir que la société BENTLEY ne justifie ni de l’existence d’une cause de déplafonnement ni d’une variation à la hausse de la valeur locative.
Elle conteste l’application de la qualification de local monovalent au lot 113 en l’absence de preuve des caractéristiques légales et de la qualification de terrain nu à la parcelle.
Subsidiairement, elle s’associe à la demande d’expertise formulée par application de l’article R145-30 du code de commerce.

Elle réclame enfin l’application du dispositif de lissage tel que prévu à l’article L145-34 du code de commerce.

MOTIVATION

Sur la jonction des procédures

En vertu de l’article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d’office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.

En l’espèce les quatre instances portant sur quatre baux relatifs à un unique ensemble commercial, il apparaît de l’intérêt d’une bonne administration de la justice de les juger ensemble.

Par consequent, il convient d’ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 24/3016, 24/3627, 24/3630 et 24/3632 et de dire qu’elles se poursuivront sous le numéro RG 24/3016.

Sur la fixation du montant du loyer du bail commercial

En application de l’article L145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative et, à défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

En vertu de l’article R145-30 du code de commerce, lorsque le juge s’estime insuffisamment éclairé sur des points qui peuvent être élucidés par une visite des lieux ou s’il lui apparaît que les prétentions des parties divergent sur de tels points, il se rend sur les lieux aux jour et heure décidé par lui le cas échéant en présence d’un consultant. /Toutefois, s’il estime que des constatations purement matérielles sont insuffisantes, il peut commettre toute personne de son choix pour y procéder. /Si les divergences portent sur des points de fait qui ne peuvent être tranchés sans recourir à une expertise, le juge désigne un expert dont la mission porte sur les éléments de fait permettant l’appréciation des critères définis, selon le cas, aux articles R145-3 à R145-7, L145-34, R145-9, R145-10 ou R145-11, et sur les questions complémentaires qui lui sont soumises par le juge. / Toutefois, si le juge estime devoir limiter la mission de l’expert à la recherche de l’incidence de certains éléments seulement, il indique ceux sur lesquels elle porte.

Sur l’existence de motifs de déplafonnement
Au titre de l’application des dispositions de l’article L145-34 du code de commerce
Le plafonnement prévu à l’article L145-34 du code de commerce n’a pas vocation à s’appliquer lorsque du fait de sa tacite prolongation le bail a eu une durée effective supérieure à douze ans. De même, le plafonnement ne s’applique pas lorsqu’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L145-33 du code de commerce est établie.

En l’espèce, s’agissant du bail portant sur les lots 102 et 103, renouvelé le 12 mars 2007, a vu son terme contractuel arriver à échéance le 11 mars 2016, et s’est poursuivi jusqu’à la délivrance d’un congé avec offre de renouvellement pour le 1er juillet 2023, soit durant une période supérieure à 12 années. Le déplafonnement est donc acquis de plein droit.

S’agissant du bail portant sur les lots 120 et 121, son échéance contractuelle est survenue le 30 juin 2022. Il résulte de la lecture du bail que le lot 121 était affecté à un usage de réserve. Il n’est pas contesté par les défendeurs que ce local a été intégré au cours du bail expiré dans la surface de vente des lots précédents, ce qui parait corroboré par ailleurs de l’expertise amiable qu’ils produisent dont il résulte que la surface de vente est de 2.835m², alors que la surface initiale au titre de cumul des lots 102 et 103 était de 2.281m². En revanche, le caractère notable de cette modification n’est à ce stade des débats pas démontrée.
Compte tenu de cette divergence entre les parties sur des éléments de fait, il apparaît nécessaire d’ordonner une expertise judiciaire qui donnera des éléments d’appréciation au juge des loyers commerciaux.

Au titre de la nature des locaux
Par application de l’article L145-36 du code de commerce, les éléments permettant de déterminer le prix des baux des terrains, des locaux construits en vue d’une seule utilisation sont fixés par décret en Conseil d’Etat.

Sur le lot 113
L’article R145-10 du code de commerce prévoit que le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut, par dérogation aux articles L. 145-33 et R. 145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée.

En l’espèce, le lot 113 porte sur un terrain à usage de station-service et de lavage, laquelle comporte à ce titre des installations spécifiques pouvant objectivement nécessiter des travaux importants de remise en état et de dépollution en cas de changement d’activité, ce que contestent les sociétés défenderesses.
Compte tenu de la divergence des parties sur cet élément de fait, il convient de dire que l’expertise judiciaire envisagée sera également amenée à se prononcer sur les critères d’application de ce texte.

Sur la parcelle CP[Cadastre 11]
L’article R145-9 du code de commerce prévoit que le prix du bail des terrains est fixé en considération de ceux des éléments qui leur sont particuliers, eu égard à la nature et aux modalités de l’exploitation effectivement autorisée.
Sauf soumission volontaire des parties au statut des baux commerciaux, les terrains loués nus, c’est-à-dire sans construction, ne peuvent bénéficier du statut des baux commerciaux. Le statut ne sera applicable que pour les terrains nus loués sur lesquels des constructions ont été réalisées par le preneur, lesquelles doivent présenter les caractéristiques d’un local affecté à un usage commercial. A ce titre, une simple aire de stationnement ne constitue pas a priori une construction.

En l’espèce, s’agissant du bail portant sur la parcelle CP[Cadastre 11], il convient de constater que les parties ont contractuellement prévu sa soumission au statut des baux commerciaux. Ce bail porte sur un terrain exploité au titre d’une aire de stationnement, et a été conclu le même jour que les baux relatifs au local commercial et à la station-service et de lavage. Les sociétés défenderesses exposent qu’il comporte des constructions constituées par un marquage au sol, des petits murets, des rangements de chariots, des lampadaires, et des bornes et barrière d’accès.
La divergence des parties sur ces éléments de fait pour déterminer si la soumission volontaire des parties au statut des baux commerciaux porte, pour la détermination du prix du bail renouvelé, sur l’application des dispositions de l’article R145-9 du code de commerce ou sur l’application des dispositions des articles L145-33 et L145-34 du code de commerce avec l’application de la règle de plafonnement en l’absence d’un motif de déplafonnement de droit, commande d’interroger l’expert sur les caractéristiques de cette parcelle.

Sur la détermination de la valeur locative
Conformément aux éléments développés précédemment, un seul motif de déplafonnement de droit peut à ce stade être retenu au titre des parcelles [Cadastre 1] et [Cadastre 2] pour lesquelles le prix du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative.
Il sera toutefois constaté que la société BENTLEY ne produit au soutien de sa demande aucun élément probatoire tendant à soutenir l’évaluation proposée, ce qui doit conduire, à envisager une expertise, le juge des loyers commerciaux étant tenu de rechercher la valeur locative.

Durant le cours de l’expertise, il convient de fixer le loyer provisionnel au montant des loyers en cours, en l’absence de tout élément probatoire permettant de retenir les évaluations chiffrées proposées par le bailleur.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

– dépens

En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, la procédure n’étant pas parvenue à son terme, les dépens seront réservés dans l’attente de la suite de la procédure.

– Frais irrépétibles

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. […]. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.

Les dépens étant réservés, il convient également de réserver l’examen de la demande formée au titre des frais irrépétibles.

– Exécution provisoire

Conformément à l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

En l’espèce, il convient donc de rappeler que l’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le juge des loyers commerciaux,

Ordonne la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 24/3016, 24/3627, 24/3630 et 24/3632 et dit qu’elles se poursuivront sous le numéro RG 24/3016 ;

Avant dire droit, sur la demande de fixation du prix des baux renouvelés le 1er juillet 2023 entre la SARL BENTLEY et la SAS DISTRIBUTION CASINO France puis la SAS ASUPER2 venant aux droits de la société DCF dans le cadre de la cession du fonds de commerce le 30 mai 2024 portant sur les lots 102, 103, 120, 121, 113 et la parcelle CP [Cadastre 11] dépendants d’un ensemble immobilier soumis au statut de la copropriété situé [Adresse 12] à [Localité 13], ordonne une mesure d’expertise confiée à monsieur [R] [J], demeurant cabinet [J] [Adresse 6] [Localité 5] , pour y procéder, avec mission de:

1 – se rendre sur les lieux et les décrire, entendre toutes parties et sachant dont la technicité s’avérerait utile à la solution du litige, se faire remettre tous documents nécessaires par les parties ou par des tiers conformément à l’article 243 du code de procédure civile, recueillir des informations écrites ou orales de toutes personnes selon les modalités de l’article 242 du code de procédure civile,

2 – donner tous éléments de nature à évaluer la valeur locative des locaux objets des lots 102 et 103, faisant l’objet d’un déplafonnement de droit, à la date du renouvellement en conformité avec les dispositions de l’article L 145-33 du code de commerce, et évaluer ladite valeur, en donnant, en toute hypothèse, le montant du loyer fixé selon les modalités contractuelles par application de l’article L 145-34,

3 – donner tous éléments de nature à vérifier, sur la période du bail expiré portant sur les lots 120 et 121 du 1er juillet 2013 au 30 juin 2022, l’existence du critère de déplafonnement invoqué par le bailleur , à savoir: le changement de la destination des lieux

et évaluer la valeur locative en conformité avec les dispositions de l’article L 145-33 du code de commerce, en donnant, en toute hypothèse, le montant du loyer fixé selon les modalités contractuelles par application de l’article L 145-34,

4 – donner tous éléments de nature à apprécier l’application des critères de l’article R145-10 du code de commerce concernant le lot 113, et évaluer la valeur locative en conformité avec les dispositions de ce texte, en donnant, en toute hypothèse, le montant du loyer fixé selon les modalités contractuelles par application de l’article L 145-34,

5 – donner tous éléments de nature à apprécier l’application des critères de l’article R145-9 du code de commerce concernant la parcelle CP[Cadastre 11] et évaluer la valeur locative en conformité avec les dispositions de ce texte, en donnant, en toute hypothèse, le montant du loyer fixé selon les modalités contractuelles par application de l’article L 145-34,

6 – de manière générale, donner tout avis utile à la solution du litige,

Dit que l’expert devra établir un pré-rapport en communiquant ses premières conclusions écrites aux parties, en les invitant à présenter leurs observations, dans le délai de trois mois de l’avis de consignation ;

Dit que l’expert devra déposer son rapport définitif en double exemplaire dans le délai de six mois à compter de l’avis de consignation ;

Fixe à la somme de 3.000 euros la provision que le demandeur, la SARL BENTLEY, devra consigner par virement sur le compte de la régie du tribunal judiciaire de Bordeaux (cf code BIC joint) mentionnant le numéro PORTALIS (figurant en haut à gauche sur la première page de la présente décision) dans le délai de deux mois, faute de quoi l’expertise pourra être déclarée caduque, et ce à moins que cette partie ne soit dispensée du versement d’une consignation par application de la loi sur l’aide juridictionnelle, auquel cas les frais seront avancés par le Trésor ;

Dit que le juge des loyers commerciaux suivra les opérations d’expertise et statuera sur les incidents procédant, le cas échéant, sur simple requête, au remplacement de l’expert empêché ;

Dit que le preneur durant l’instance sera tenu au paiement du loyer contractuel en cours à la date du renouvellement ;

Rappelle, en application du troisième alinéa de l’article R 145-31 du code de commerce, qu’en cas de conciliation intervenue au cours d’une mesure d’instruction, l’expert commis constate que sa mission est devenue sans objet et en fait rapport au juge, mention en étant faite au dossier de l’affaire et celle-ci étant retirée du rôle, les parties pouvant demander au juge de donner force exécutoire à l’acte exprimant leur accord ;

Réserve l’examen des demandes au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne le sursis à statuer sur le surplus des chefs de demande jusqu’au dépôt du rapport d’expertise ;

Dit que dès le dépôt du rapport définitif, le greffe avisera les parties ou les avocats si elles sont représentées, de la date à laquelle l’affaire sera reprise et de celle à laquelle les mémoires faits après l’exécution de la mesure d’instruction devront être échangés, en application de l’article R 145-31 du code de commerce ;

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit ;

La présente décision a été signée par Myriam SAUNIER, Vice-Présidente, et par Dorine LEE-AH-NAYE, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon