Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Versailles
Thématique : Licenciement pour manquements déontologiques dans le secteur social
→ RésuméContexte de l’AffaireL’association [8] est une entité à but non lucratif, enregistrée sous le numéro Sirene 353 305 238, qui se consacre à l’accueil et à l’accompagnement des personnes fragilisées et des demandeurs d’asile. Elle emploie plus de 11 salariés, dont Mme [X], engagée en tant qu’éducatrice depuis le 7 décembre 2016. Son contrat a été transformé en contrat à durée indéterminée le 1er septembre 2017. Licenciement de Mme [X]Le 13 mars 2018, l’association a convoqué Mme [X] à un entretien préalable à un licenciement, qui a eu lieu le 19 mars 2018. Le 28 mars 2018, elle a été licenciée pour faute grave, en raison de plusieurs comportements jugés inappropriés, notamment des demandes d’argent à des personnes hébergées et l’introduction d’un tiers dans les locaux de l’association sans autorisation. Procédure JudiciaireMme [X] a contesté son licenciement en saisissant le conseil de prud’hommes de Versailles le 6 mars 2019, demandant que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse. Le jugement du 15 mars 2022 a confirmé la faute grave et a débouté Mme [X] de ses demandes d’indemnités. Appel de Mme [X]Mme [X] a interjeté appel le 11 avril 2022, demandant l’infirmation du jugement de première instance et la reconnaissance de son licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse. Elle a également sollicité diverses indemnités, y compris pour licenciement abusif et rappel de salaires. Arguments de l’AssociationL’association [8] a soutenu que le licenciement de Mme [X] était justifié par des manquements graves à ses obligations professionnelles, notamment des transactions interdites avec des personnes hébergées et l’introduction de personnes extérieures dans les locaux. Elle a demandé la confirmation du jugement de première instance. Décision de la CourLa cour a examiné les éléments de preuve et a conclu que les fautes commises par Mme [X] étaient avérées, mais n’étaient pas suffisamment graves pour justifier un licenciement pour faute grave. Le licenciement a été requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse, entraînant le droit à des indemnités pour Mme [X]. Indemnités AccordéesLa cour a condamné l’association à verser à Mme [X] plusieurs indemnités, y compris 505,90 € pour l’indemnité de licenciement, 1498,46 € pour l’indemnité compensatrice de préavis, et 812,54 € pour rappel de salaire, ainsi que des congés payés afférents. L’association a également été condamnée à payer 3500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-3
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 JANVIER 2025
N° RG 22/01163
N° Portalis DBV3-V-B7G-VECW
AFFAIRE :
[V] [X]
C/
Association [8]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Mars 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section : AD
N° RG : 19/00155
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Yoann SIBILLE
Me Aline CHAPELLE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
APPELANTE
Madame [V] [X]
née le 20 Février 1990 à [Localité 10] (FRANCE)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Yoann SIBILLE de la SELARL SIBILLE AVOCAT, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 664
****************
INTIMÉE
Association [8]
N° SIRET : 353 305 238
Prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Aline CHAPELLE de la SELEURL A2C AVOCAT, avocat au barreau de PARIS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Novembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence SINQUIN, Présidente,
Mme Florence SCHARRE, Conseillère,
Madame Aurélie GAILLOTTE, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Angeline SZEWCZIKOWSKI,
Greffier placé lors du prononcé : Madame Solène ESPINAT,
FAITS ET PROCÉDURE
L’association [8] est une association déclarée soumise à la loi du 1er juillet 1901, enregistrée au répertoire Sirene sous le n° 353 305 238.
L’association [8] a pour objet social l’accueil, l’hébergement, l’accompagnement médico-social et la réinsertion professionnelle des personnes fragilisées et des demandeurs d’asile.
Elle emploie plus de 11 salariés.
Par contrat de travail à durée déterminée, Mme [V] [X] a été engagée par l’association des [6], aux droits de laquelle vient l’association [8], en qualité d’éducatrice, à compter du 7 décembre 2016 et au titre du remplacement d’un salarié.
Par avenant au contrat de travail en date du 31 août 2017, la relation de travail a été transformée en contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er septembre 2017.
Au dernier état de la relation de travail, Mme [X] exerçait les fonctions d’éducatrice, statut non-cadre, coefficient 360, groupe 2, 1er échelon, au sein du centre d’hébergement d’urgence de [7], rattaché à la [5] et situé à [Localité 9].
Mme [X] percevait un salaire brut de 1 498,46 euros par mois.
Les relations contractuelles étaient régies par les dispositions de la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 13 mars 2018, l’association [8] a convoqué Mme [X] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui s’est tenu le 19 mars 2018.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 28 mars 2018, l’association [8] a notifié à Mme [X] son licenciement pour faute grave, en ces termes :
« En octobre 2017, vous avez demandé à Mme [M], hébergée sur le CHU de [7] dont vous suivez le dossier, s’il lui était possible de vous prêter 30euros au motif que votre carte bancaire était bloquée. Mme [M] a répondu favorablement à votre demande, mise en confiance par votre statut d’éducatrice en charge de son accompagnement.
Quelques jours plus tard, alors que le fils de Mme [M] venait de casser son téléphone portable, vous lui avez proposé de lui faire parvenir un autre téléphone. Mme [M] a accepté votre proposition et vous a alors indiqué qu’il n’était plus nécessaire que vous lui remboursiez les 30euros que vous lui aviez empruntés.
A votre demande, afin de vous permettre de débloquer cet autre téléphone, Mme [M] vous a ensuite remis sa puce électronique.
Or, le 28 février 2018, Mme [M] m’a fait part de votre comportement et m’a indiqué que vous ne lui aviez toujours pas remis ce téléphone, ni restitué sa puce. Depuis le mois de novembre 2017, Mme [M] paye donc chaque mois un forfait mensuel de 22,95 euros au titre d’une puce téléphonique dont elle n’a plus l’usage.
Vous ne lui avez également pas restitué les 30euros que vous lui avez empruntés.
Le 24 février 2018, nous avons appris que vous aviez à nouveau proposé un téléphone portable à une personne hébergée par notre association dans le cadre du plan grand froid, Mme [D]. A cette occasion, vous lui avez communiqué votre numéro de téléphone portable personnel.
Nous ne pouvons accepter qu’une salariée agisse ainsi à l’encontre des personnes hébergées par notre association, lesquelles se trouvent dans une situation de particulière vulnérabilité. Votre comportement, qui peut être assimilé à du vol concernant Mme [M], est contraire aux pratiques mises en place afin d’assurer un accompagnement de qualité des personnes que nous accueillons.
Votre posture professionnelle doit permettre aux personnes de se sentier en sécurité et d’établir une relation de confiance. Amener vos difficultés personnelles aux personnes et leur demander de vous aider à les résoudre met à mal la relation éducative et amène un sentiment d’insécurité.
Cette attitude ne correspond pas à la déontologie professionnelle liée à votre fonction et à vos missions.
Votre comportement est également contraire aux dispositions de l’article III.8 au règlement intérieur de notre association, selon lesquelles » Aucun salarié ne doit conserver des dépôts d’argent ou d’objets de valeur appartenant à des personnes recueillies, en dehors des procédures obligatoirement écrites prévues par la Direction. (‘) Il est interdit d’engager toute transaction de quelque nature que ce soit avec les personnes accueillies (échanges de cigarettes, paiement de boissons, prêt d’argent, d’objets ‘) ou d’effectuer personnellement pour eux tout achat sans autorisation de la Direction ».
Communiquer son numéro de portable personnel à une personne hébergée par notre association ne correspond enfin pas à la posture attendue d’un professionnel de l’accompagnement social et ne vous permet pas de garder une bonne distance, afin d’envisager une relation éducative adaptée, non exclusive.
Une nouvelle fois, il n’est pas possible de mélanger votre posture professionnelle et votre vie personnelle.
Par ailleurs, le 3 mars 2018, alors que vous travaillez sur la plage horaire de nuit (21 heures-9heures), vous avez pris votre poste de travail accompagnée d’un homme extérieur à notre association, sans en avoir averti vos responsables.
Vous avez introduit cette personne au sein de nos locaux, dès 21 heures et celle-ci s’y trouvait encore le lendemain à 8h50.
Ici encore, un tel comportement est inacceptable et est contraire à la confiance que nous entendons placer en nos salariés. L’Introduction de personnes extérieures nuit au respect de l’intimité et à la sécurité des personnes accueillies, qui font partie de vos principales missions.
Votre attitude va également à l’encontre des dispositions de l’article III.2 du règlement intérieur de notre association, selon lesquelles » Il est interdit d’introduire ou de faire introduire dans l’établissement des personnes étrangères à celui-ci, sans autorisation préalable de la Direction, sans raison de service, sous réserve des droits des représentants du personnel et des sections syndicales. »
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’association est impossible. (‘) »
Par requête introductive reçue au greffe le 6 mars 2019, Mme [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles d’une demande tendant à ce son licenciement pour faute grave soit jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement rendu en formation de départage le 15 mars 2022, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Versailles a :
– dit que le licenciement de Mme [V] [X] est fondé sur une faute grave ;
– débouté en conséquence Mme [V] [X] de ses demandes au titre de l’indemnité de licenciement, du préavis et des dommages intérêts pour licenciement abusif ;
– débouté Mme [V] [X] de sa demande de rappel de salaires ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné Mme [V] [X] aux dépens.
Par déclaration d’appel reçue au greffe le 11 avril 2022, Mme [X] a interjeté appel de ce jugement.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 2 octobre 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 8 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens et prétentions conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [X], appelante, demande à la cour de :
– infirmer le jugement de première instance, en ce qu’il a :
* dit le licenciement fondé sur une faute grave ;
* débouté Mme [X] de ses demandes au titre de l’indemnité de licenciement, de préavis, et des dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
* débouté Mme [X] de sa demande de rappel de salaires ;
* débouté Mme [X] de ses demandes plus amples ;
* dit n’y avoir lieu à condamnation à l’article 700 du code de procédure civile.
Et, statuant à nouveau :
1) dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence :
– condamner l’association [8] à verser la somme de 5 154,24 euros au titre de l’indemnité de licenciement ;
– condamner l’association [8] à verser la somme de 1 718 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que la somme de 171,80 euros au titre des congés afférents ;
– condamner l’association [8] à verser la somme de 10 308,48 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice financier et moral subi du fait de ce licenciement abusif.
2) condamner l’association [8] à verser la somme de 2 850,70 euros à titre de rappel de salaires, et 285,07 euros de congés payés afférents.
3) condamner l’association [8] à verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le RPVA le 20 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, l’association [8], intimée, demande à la cour de :
– recevoir l’association [8] en ses écritures et l’y déclarer bien fondée ;
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Versailles, en formation de départage du 15 mars 2022 ;
En conséquence,
– dire et juger que le licenciement pour faute grave de Mme [X] est fondé et justifié ;
– débouter Mme [X] de l’ensemble de ses demandes.
En outre,
– condamner Mme [X] à verser à l’association [8] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Mme [X] aux éventuels entiers de la présente instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Versailles du 15 mars 2022 sauf en ce qu’il a débouté Mme [X] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
REQUALIFIE le licenciement pour faute grave de Madame [X] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE l’Association [8] apparaît à payer à Mme [X] les sommes suivantes:
‘ 505,90 € à titre d’indemnité de licenciement ;
‘ 1498,46 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
‘ 149,84 € au titre des congés payés afférents au préavis ;
‘ 812,54 € à titre de rappel de salaire ;
‘ 81,25 € au titre des congés payés afférents aux rappels de salaire ;
DÉBOUTE les parties pour le surplus de leurs demandes ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l’Association [8] à payer à Mme [X] la somme de 3500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l’Association [8] aux entiers dépens.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Laurence SINQUIN, Présidente et par Madame Solène ESPINAT, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente
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