Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Nîmes
Thématique : Responsabilité professionnelle et perte de chance dans le cadre d’une représentation juridique.
→ RésuméConstitution des prêts immobiliersLa [6] a accordé aux époux [B] deux prêts immobiliers, le premier de 100 000 euros en octobre 2005 et le second de 160 000 euros en février 2007. En raison de la défaillance des emprunteurs, la banque a engagé une action en recouvrement après une mise en demeure infructueuse, entraînant une déchéance du terme en septembre 2011. Procédures judiciaires et défaillance de l’avocatLe tribunal a débouté la banque en juillet 2016, faute de décomptes détaillés des créances. L’avocat de la banque, Me [L], a été chargé d’interjeter appel, mais a informé son client en février 2019 qu’il n’avait pas respecté le délai de trois mois pour conclure, en raison de discussions avec les époux [B] et d’un piratage informatique. Une ordonnance de caducité a été rendue en octobre 2018. Demande d’indemnisationConsidérant la faute de son avocat, la [7] a assigné la SCP [8] [L] en juin 2023 pour obtenir réparation de ses préjudices, estimant sa perte de chance à 170 000 euros. Elle a demandé au tribunal de condamner la SCP à lui verser cette somme avec intérêts, ainsi qu’à payer 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Arguments de la SCP [8] [L]La SCP a contesté la demande, affirmant que la créance était prescrite et que la [7] ne justifiait pas de préjudice. Elle a soutenu avoir informé son client des risques de prescription et que l’absence de conclusions dans les délais était due à des difficultés techniques. Elle a également souligné que la [7] avait créé son propre préjudice en ne trouvant pas de solution amiable. Responsabilité de l’avocatLe tribunal a examiné les manquements de l’avocat, notamment le non-respect des délais de prescription et de notification des conclusions d’appel. Il a conclu que l’avocat avait commis des fautes qui avaient conduit à la perte de chance pour la [7] de voir son action aboutir. Évaluation du préjudiceLe tribunal a reconnu que la perte de chance était sérieuse et réelle, évaluant l’indemnisation à 80 % de la somme demandée, soit 136 000 euros, assortie d’intérêts légaux à partir de la date de l’assignation. Dépens et exécution provisoireLa SCP a été condamnée aux dépens de l’instance et à verser 2 500 euros à la [7] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement a été déclaré exécutoire à titre provisoire. |
Copie ❑ exécutoire
❑ certifiée conforme
délivrée à
la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI
la SCP LOBIER & ASSOCIES
TRIBUNAL JUDICIAIRE Par mise à disposition au greffe
DE NIMES
Le 20 Janvier 2025
1ère Chambre Civile
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N° RG 23/03171 – N° Portalis DBX2-W-B7H-KAVI
JUGEMENT
Le Tribunal judiciaire de NIMES, 1ère Chambre Civile, a, dans l’affaire opposant :
Société [7],
inscrite au RCS de [Localité 10] sous le n°[N° SIREN/SIRET 3], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié es qualité audit siège, domiciliée : chez [M], dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocats au barreau de NIMES, avocat plaidant.
à :
Société [8] [L] [8],
inscrite au RCS de [Localité 5] sous le n°[N° SIREN/SIRET 1], dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, avocats au barreau de NIMES, avocats postulant et par Me LASRY Gilles, avocat au barreau de Montpellier, avocat plaidant,
Rendu publiquement, le jugement contradictoire suivant, statuant en premier ressort après que la cause a été débattue en audience publique le 18 Novembre 2024 devant Nina MILESI, Vice-Présidente, Antoine GIUNTINI, Vice-président, et Margaret BOUTHIER-PERRIER, magistrat à titre tempopraire, assistés de Aurélie VIALLE, greffier, et qu’il en a été délibéré entre les magistrats.
EXPOSÉ DU LITIGE
La [6] à laquelle la [7] vient aux droits a consenti aux époux [B] deux prêts immobiliers l’un par offre préalable du 28 octobre 2005 acceptée le 9 novembre 2005 pour un montant de 100 000 euros, le second par offre du 5 février 2007 acceptée le 18 février 2007 pour un montant de 160 000 euros.
En raison de la défaillance des emprunteurs une mise en demeure restée infructueuse a emporté déchéance du terme le 21 septembre 2011 et a contraint la banque à engager une action en recouvrement de créance devant le TGI de Carcassonne. Une ordonnance sur requête rendue par le juge de l‘exécution en date du 14 octobre 2015 a autorisé l’inscription d’une hypothèque provisoire et une assignation a été délivrée aux débiteurs le 15 février 2016.
Le tribunal saisi a par jugement en date du 6 juillet 2016 débouté la banque aux motifs que les décomptes détaillés des créances n’étaient pas produits, ni les conventions d’ouverture de compte. La [7] a donné pour instruction à son avocat Me [L]d’interjeter appel de la décision et de procéder au renouvellement de l’hypothèque provisoire.
Par lettre en date du 21 février 2019 ce dernier informait son client de ce qu’il n’avait pas conclu dans le délai de trois mois imparti par l‘article 908 du code de procédure civile et ce en raison des discussions en cours avec les époux [B] et qu’il avait été victime d’un piratage informatique. Une ordonnance de caducité a été rendue le 25 octobre 2018 par le conseiller de la Mise en état de la chambre saisie de la procédure d’appel.
Considérant que son avocat avait commis une faute, la [7] a fait délivrer le 7 juin 2023 une assignation à comparaître devant le tribunal judiciaire de Nîmes à la SCP [8] [L][8] aux fins de voir indemniser ses préjudices.
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Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 juin 2024 la [7] au visa de l‘article 1231-1 du code civil demande au tribunal de :
Juger que la Société Civile Professionnelle [8] [L] [8] a commis une faute source de responsabilité contractuelle pour avoir été défaillante dans le cadre de la procédure d’appel confiée devant la Cour d’Appel de MONTPELLIER a l’encontre d’un jugement du Tribunal de Grande instance de CARCASSONNE du 06 juillet 2016 ayant entraîné la caducité de la déclaration d’appel et le caractère irrévocable de ce jugement sans possibilité d’en déclarer à nouveau appel.
Juger que le préjudice en résultant pour la [7] s’élève a une perte de chance pour la somme de 170.000 € avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation jusqu’à parfait paiement.
En conséquence,
Condamner la Société Civile Professionnelle [8] [L] [8] à porter et payer à la [7] la somme de 170.000 € avec interêts au taux légal à compter du 07 Juin 2023 de la délivrance de l’assignation jusqu’à parfait paiement.
Débouter Ia Société Civile Professionnelle [8] [L] [8] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la Société Civile Professionnelle [8] [L] [8] à porter et à payer à la [7] la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens.
Elle fait valoir que l‘avocat qui représente son client dans le cadre d’une procédure, commet une faute en cas d’inexécution imparfaite de son mandat qui l’oblige à accomplir tous les actes utiles à la conservation et à la préservation des droits de son mandant. Elle soutient que tel est le cas en l‘espèce, son avocat n’ayant pas notifié les conclusions d’appel dans les délais.
Elle conteste, avoir donné pour instruction à son client de faire un appel conservatoire, voulant obtenir la réformation de la décision.
Sur son préjudice elle le qualifie de perte de chance car elle n’a pas eu la possibilité de faire réformer la décision devant la cour d’appel. Elle l’estime à 170 000 euros et rappelle qu’en garantie elle détenait une hypothèque judiciaire provisoire à concurrence de 160 000 euros.
En réponse aux moyens soulevés par la défenderesse, sur la prescription elle fait valoir qu’elle a missionné Me [L] le 14 mars 2012, que réception de sa lettre par le cabinet d’avocat lui a été transmise le 27 avril 2012. De sorte que l‘avocat pouvait agir bien avant le délai de prescription acquit le 21 septembre 2013. Elle ajoute que le juge ne pouvait soulever la prescription d’office et que le jugement aurait été infirmé au vu des décomptes fournis. Elle indique que l’hypothèque de premier rang, invoquée par le défendeur, comme réduisant la perte de chance d’être indemnisé, n’a pas été renouvelée car la créance qu’elle garantissait, a été payée, dès lors l’hypothèque provisoire venait en premier rang. Elle estime qu’elle a perdu une chance de voir réformer la décision et de recouvrer les sommes dues.
Elle soutient que l‘absence de perte de chance tirée de la prescription biennale de l‘action en paiement ne peut être retenue car elle procède de la faute exclusive de l‘avocat.
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Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 juin 2024, la SCP [L][8] demande au tribunal de :
JUGER qu’à la date du mandat de la SCP [8] [L] [8] la créance bancaire était prescrite.
JUGER que la [7] ne justifier d’aucun préjudice de perte de chance.
JUGER que la [7] ne justifie pas d’un préjudice en relation directe de causalité avec l’intervention de SCP [8] [L] [8].
LA DEBOUTER de ses demandes.
LA CONDAMNER à payer à la SCP [8] [L] [8] la somme de 3900 € par application de l’article 700 du CPC .
LA CONDAMNER aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions elle fait valoir que ce dossier s’inscrit dans le cadre d’une serie de procédures concernant les époux [B] soit en leur nom propre soit en qualité de caution de la société [9].
Elle indique qu’elle a informé son client dès le 4 mars 2015 sur le risque de prescription. Elle ajoute que la banque lui a demandé de faire appel mais qu’à la suite de difficultés techniques elle n’a pu conclure dans le délai de trois mois. La défenderesse indique avoir prévenu son client de la prescription et lui avoir conseillé de trouver une solution amiable. Elle souligne être toujours restée en contact avec la [7] et invoque une lettre du 21 aout 2018 de la banque qui fait état d’un appel conservatoire. Enfin elle justifie l’absence de conclusions dans les délais en raison d’une panne informatique.
Elle conteste la perte de chance en raison de la prescription de l‘action en paiement intentée plus de deux ans après la déchéance du terme prononcée le 21 septembre 2011. Elle considère qu’il n’y a pas de perte de chance car la banque a refusé le réglement amiable, alors que les époux [B] s’engageaient à verser 900 euros mensuel, de sorte que la [7] a crée son propre préjudice. Elle conclut enfin sur les difficultés d’exécution de la décision et de la perte de chance de recouvrer sa créance à cause du faible du patrimoine des débiteurs. Elle soutient qu’il n’y a pas de lien causal entre la faute et le préjudice.
Il convient de se référer aux dernières conclusions signifiées pour un plus ample exposé des moyens des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture a été fixée à la date du 4 novembre 2024 par ordonnance du juge de la mise en état du 10 juillet 2024 et l’affaire fixée à plaider à l’audience collégiale du 18 novembre 2024.
Les parties ont été informées par le président à l’audience du 18 novembre 2024 que le jugement serait rendu le 20 janvier 2025 par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,
CONDAMNE la SCP [8] [L][8] à payer la somme de 136 000 euros à la [7] au titre de sa demande indemnitaire,
DIT que cette somme sera assortie du taux d’interêt légal à compter du 7 juin 2023,
CONDAMNE la SCP [8] [L][8] à payer la somme de 2500 euros à la [7] sur le fondement de l‘article 700 du code de procédure civile, et la déboute de ses demandes à ce titre,
CONDAMNE la SCP [8] [L][8] aux entiers dépens de l’instance et la déboute de ses demandes à ce titre,
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire à titre provisoire, et rejette toute demande contraire,
Le présent jugement a été signé par Nina MILESI, Vice Présidente, et par Aurélie VIALLE, greffière présente lors de sa mise à disposition.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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