Inégalité de traitement des marins face aux règles de preuve du temps de travail

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Inégalité de traitement des marins face aux règles de preuve du temps de travail

L’Essentiel : M. [E], marin-cuisinier pour Sea Investments, a contesté la conformité de l’article L. 5544-1 du code des transports, qui exclut les marins du régime d’allègement de la preuve des heures de travail. Il a saisi le tribunal prud’homal en 2020 pour réclamer des heures supplémentaires. La Cour de cassation a examiné sa question prioritaire de constitutionnalité, concluant que la disposition contestée ne présentait pas un caractère sérieux. Les marins, en raison de leurs conditions de travail spécifiques, ne sont pas comparables à d’autres salariés, et peuvent prouver leurs heures via des méthodes adaptées. La question n’a donc pas été renvoyée au Conseil constitutionnel.

Engagement de M. [E]

M. [E] a été recruté en tant que marin-cuisinier par la société Sea Investments par le biais d’un contrat à durée déterminée, couvrant la période du 5 mai au 30 septembre 2019, pour effectuer ses tâches à bord d’un navire.

Demande en justice

Le 10 juin 2020, M. [E] a saisi le tribunal prud’homal pour réclamer le paiement de diverses sommes, incluant un rappel de salaire pour des heures supplémentaires effectuées.

Question prioritaire de constitutionnalité

Dans le cadre de son pourvoi contre un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence daté du 15 mars 2024, le salarié a formulé une question prioritaire de constitutionnalité. Il s’interrogeait sur la conformité de l’article L. 5544-1 du code des transports, qui exclut les marins du régime d’allègement de la preuve des heures de travail, au principe d’égalité garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que par la Constitution.

Examen de la question

L’article L. 5544-1 du code des transports stipule que plusieurs articles du code du travail ne s’appliquent pas aux marins, sauf mention contraire. Cette disposition est pertinente pour le litige concernant la durée du travail des marins.

Conformité à la Constitution

La disposition contestée n’a pas été précédemment déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Toutefois, la question soulevée n’est pas nouvelle, car elle ne concerne pas l’interprétation d’une disposition constitutionnelle inédite.

Caractère sérieux de la question

La question posée ne présente pas un caractère sérieux. Le principe d’égalité permet au législateur de traiter différemment des situations distinctes, tant que cette différence est justifiée par l’objet de la loi.

Conditions particulières des marins

Les marins, en raison des conditions spécifiques de leur travail et des risques encourus, ne se trouvent pas dans la même situation que d’autres salariés. L’exclusion des dispositions de droit commun relatives à la preuve de la durée du travail ne les empêche pas de prouver leurs heures de travail, grâce à des méthodes spécifiques comme la tenue d’un registre à bord.

Conclusion de la Cour

En conséquence, la Cour a décidé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Cette décision a été prononcée par la Cour de cassation, chambre sociale, lors de l’audience publique du 22 janvier 2025.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article L. 5544-1 du code des transports concernant les marins ?

L’article L. 5544-1 du code des transports stipule que, sauf mention contraire, plusieurs articles du code du travail ne sont pas applicables aux marins.

Cela inclut des dispositions relatives à la durée du travail et à la preuve des heures de travail.

En effet, cet article précise que les articles L. 3111-2, L. 3121-1 à L. 3121-39, L. 3121-43, L. 3121-48 à L. 3121-52, L. 3121-63, L. 3121-67 à L. 3121-69, L. 3122-1 à L. 3122-24, L. 3131-1 à L. 3131-3, L. 3162-1 à L. 3162-3, L. 3163-1 à L. 3163-3, L. 3164-1, L. 3171-1, L. 3171-3, L. 3171-4 et L. 4612-16 du code du travail ne s’appliquent pas aux marins.

Cette exclusion a des implications directes sur la manière dont les heures de travail sont prouvées et rémunérées pour les marins, qui doivent se conformer à des règles spécifiques.

En quoi la question prioritaire de constitutionnalité soulève-t-elle des enjeux d’égalité ?

La question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [E] interroge la conformité de l’article L. 5544-1 du code des transports avec le principe d’égalité, tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 1er de la Constitution de 1958.

Le principe d’égalité stipule que tous les citoyens doivent être traités de manière égale devant la loi.

Cependant, le Conseil constitutionnel a précisé que le législateur peut établir des différences de traitement entre des situations différentes, tant que ces différences sont justifiées par un intérêt général et en rapport direct avec l’objet de la loi.

Dans le cas des marins, les conditions particulières de leur travail et les risques associés justifient une réglementation distincte.

Ainsi, l’exclusion des dispositions de droit commun relatives à la preuve de la durée du travail ne constitue pas une atteinte excessive au principe d’égalité.

Quelles sont les implications pratiques de l’exclusion des dispositions du code du travail pour les marins ?

L’exclusion des dispositions du code du travail pour les marins, comme le stipule l’article L. 5544-1, a des implications pratiques significatives.

Les marins ne peuvent pas bénéficier du régime d’allègement de la preuve des heures de travail prévu par l’article L. 3171-4 du code du travail.

Cependant, cela ne les empêche pas d’obtenir le paiement des heures de travail effectuées.

La preuve de ces heures est assurée par des règles spécifiques, notamment la tenue d’un registre des heures quotidiennes de travail ou de repos à bord du navire.

Cette méthode de preuve est adaptée aux particularités de la profession maritime et permet de garantir que les marins soient rémunérés pour le travail accompli, malgré l’absence d’application des règles générales du code du travail.

Ainsi, bien que les marins soient soumis à un régime différent, cela ne les prive pas de leurs droits fondamentaux en matière de rémunération.

SOC.

COUR DE CASSATION

ZB

______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________

Audience publique du 22 janvier 2025

NON-LIEU A RENVOI

M. SOMMER, président

Arrêt n° 152 FS-B

Pourvoi n° P 24-17.726

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2025

Par mémoire spécial présenté le 14 novembre 2024, M. [L] [E], domicilié [Adresse 2], a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion du pourvoi n° P 24-17.726 qu’il a formé contre l’arrêt rendu le 15 mars 2024 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans une instance l’opposant à la société Sea Investments, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1].

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [E], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Sea Investments, et l’avis de Mme Wurtz, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, M. Flores, Mme Le Quellec, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Laplume, Rodrigues, Segond, conseillers référendaires, Mme Wurtz, premier avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. M. [E] a été engagé en qualité de marin-cuisinier par la société Sea Investments suivant contrat à durée déterminée du 5 mai au 30 septembre 2019 afin d’exercer sa prestation de travail à bord d’un navire.

2. Le 10 juin 2020, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes en paiement de diverses sommes, notamment, à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

3. A l’occasion du pourvoi qu’il a formé contre l’arrêt rendu le 15 mars 2024 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le salarié a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L’article L. 5544-1 du code des transports, en ce qu’il exclut, s’agissant des marins, le régime d’allègement de la preuve des heures de travail institué par l’article L. 3171-4 du code du travail, porte-t-il une atteinte excessive au principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

4. L’article L. 5544-1 du code des transports dispose que sauf mention contraire, les articles L. 3111-2, L. 3121-1 à L. 3121-39, L. 3121-43, L. 3121-48 à L. 3121-52, L. 3121-63, L. 3121-67 à L. 3121-69, L. 3122-1 à L. 3122-24 et L. 3131-1 à L. 3131-3, L. 3162-1 à L. 3162-3, L. 3163-1 à L. 3163-3, L. 3164-1, L. 3171-1, L. 3171-3, L. 3171-4 et L. 4612-16 du code du travail ne sont pas applicables aux marins.

5. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la durée du temps de travail pour les marins.

6. Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

7. Cependant, d’une part, la question posée, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle.

8. D’autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

9. Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni ne déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

10. Eu égard aux conditions particulières dans lesquelles il exerce ses fonctions et aux risques auxquels il est exposé, le marin n’est pas dans la même situation qu’un autre salarié et l’exclusion par la loi de l’application des dispositions de droit commun relatives à la preuve de la durée du travail ne lui interdisant pas d’obtenir le paiement des heures de travail accomplies, dont la preuve est assurée selon les dispositions spécifiques applicables aux gens de mer, notamment par la tenue à bord d’un registre des heures quotidiennes de travail ou de repos, la différence de traitement qui en résulte se trouve en rapport direct avec la loi qui l’établit.

11. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N’Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt-cinq.


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