L’Essentiel : Le litige concerne le partage des successions des époux [A], décédés en 2019. En 1995, ils avaient donné la nue propriété d’un bien à [P] [A], suivie d’une donation partage en 1997. En 2021, [P] et [R] [A] ont assigné [J] [A] pour statuer sur ce partage. Le tribunal a reconnu sa compétence, considérant que la dernière résidence des défunts était en France, malgré leur déclaration au Portugal. La loi française a été appliquée, et les demandes d’expertise pour évaluer les biens ont été rejetées. L’affaire est renvoyée à l’audience de mise en état du 19 février 2025.
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Exposé du litigePar acte du 20 décembre 1995, [L] [A] et [K] [M], époux communs en biens, ont donné à [P] [A] la nue propriété d’une propriété située à [Localité 12] (51). Le 23 avril 1997, ils ont réalisé une donation partage, intégrant celle de 1995, et ont attribué à [J] [A] la nue propriété de droits indivis sur un appartement à [Localité 9] et à [R] [A] la nue propriété d’un autre appartement dans la même localité. [L] [A] est décédé le [Date décès 1] 2019, suivi par son épouse [K] [M] le [Date décès 2] 2019. Les époux ont eu trois enfants : [P], [R], et [J] [A]. Le 18 août 2021, [P] et [R] [A] ont assigné [J] [A] pour statuer sur le partage des successions. Procédures judiciairesL’affaire a été renvoyée au juge de la mise en état. Le 9 mars 2022, le juge a invité les parties à discuter de la compétence internationale du tribunal de Paris. Le 30 juin 2023, [P] et [R] [A] ont formulé des demandes pour homologuer un partage amiable, ouvrir les opérations de partage des successions, et fixer diverses créances. Le 25 novembre 2024, ils ont demandé au juge de déclarer les juridictions françaises compétentes et d’ordonner des expertises. En réponse, le 27 février 2024, [J] [A] a sollicité le rejet des demandes et a demandé des condamnations à son encontre. Compétence des juridictions françaisesSelon l’article 4 du règlement UE n° 650/2012, les juridictions de l’État membre où le défunt avait sa résidence habituelle sont compétentes. Bien que la dernière résidence des défunts ait été déclarée au Portugal, ils avaient vécu en France toute leur vie et ne s’étaient installés au Portugal que deux mois avant leur décès. Par conséquent, leur dernière résidence est considérée comme étant en France, rendant les juridictions françaises compétentes pour statuer sur les demandes. Application de la loiLa loi applicable au litige est la loi française, conformément à l’article 21 du règlement UE n° 650/2012. Même si [P] [A] avait son domicile à l’étranger lors de l’enrichissement allégué, la loi française reste applicable en raison de la résidence de [J] [A] en France. Expertises demandées[P] et [R] [A] ont demandé des expertises pour évaluer la valeur des biens donnés et les créances sur les successions. Cependant, le tribunal a jugé que l’évaluation des biens au jour du partage est indispensable et que la demande d’expertise immobilière doit être rejetée. De plus, il n’est pas nécessaire d’ordonner une expertise pour distinguer les travaux d’entretien des grosses réparations, ni pour compiler le coût des services de conciergerie. Décision du tribunalLe tribunal a constaté que la dernière résidence des défunts était en France et a déclaré les juridictions françaises compétentes. La loi française a été déclarée applicable. Les demandes d’expertise de [P] et [R] [A] ont été rejetées, tout comme la demande de [J] [A] pour une condamnation à des frais. Les frais irrépétibles et les dépens ont été réservés, et les parties ont été invitées à solliciter le partage du régime matrimonial des époux [A]. L’affaire a été renvoyée à l’audience de mise en état du 19 février 2025. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la compétence des juridictions françaises pour statuer sur les demandes relatives à la succession ?Les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur les demandes relatives à la succession en vertu de l’article 4 du règlement UE n° 650/2012, qui stipule que : « Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. » Dans le cas présent, bien que la dernière résidence habituelle des défunts ait été déclarée au Portugal, il est établi qu’ils ont vécu toute leur vie en France. Ils ne se sont installés dans une maison de retraite au Portugal que deux mois avant leur décès. Cette brièveté de leur présence au Portugal ne suffit pas à établir un changement de résidence. Ainsi, il est considéré que leur dernière résidence est en France, ce qui confère aux juridictions françaises la compétence pour statuer sur les demandes relatives à leur succession. Quelle est la loi applicable au litige concernant la succession ?La loi applicable au litige concernant la succession est déterminée par l’article 21 du règlement UE n° 650/2012, qui dispose que : « La loi successorale applicable est la loi de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. » Dans cette affaire, bien que [P] [A] puisse avoir résidé à l’étranger, la loi applicable à sa demande reste la loi française. Cela est confirmé par l’article 10.3 du règlement UE n° 864/2007, qui stipule que : « La loi applicable à une obligation non contractuelle est celle du pays dans lequel le fait générateur de l’obligation a eu lieu. » Étant donné que le bénéficiaire de l’enrichissement allégué, [J] [A], demeure en France, la loi française s’applique à l’ensemble du litige. Quelles expertises peuvent être ordonnées dans le cadre de ce litige ?Les expertises demandées par [P] et [R] [A] doivent être examinées à la lumière des articles 924-2 et 860 du code civil, qui imposent une évaluation au jour du partage. Ces articles stipulent que : « La valeur des biens doit être évaluée au jour du partage. » Il est donc insuffisant de se limiter à une évaluation des biens aux jours des décès et de la donation. Il est préférable que les opérations d’évaluation se fassent au plus près du jour du partage, laissant au notaire la charge d’évaluer les biens donnés aux jours de la donation, des décès et de l’exécution de sa mission, conformément à l’article 1365 du code de procédure civile. En ce qui concerne les travaux d’entretien réalisés par le nu propriétaire, l’article 605 du code civil précise que : « Le nu propriétaire, à l’expiration de l’usufruit, peut réclamer à l’usufruitier le remboursement des travaux d’entretien réalisés par lui. » Il n’est donc pas nécessaire d’ordonner une expertise pour distinguer les travaux d’entretien des grosses réparations, car cette tâche ne nécessite pas de savoir technique. De même, le coût des services de conciergerie peut être compilé sans expertise, rendant ainsi la demande d’expertise afférente à ces services non fondée. En conséquence, les demandes d’expertise doivent être rejetées. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copies exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :
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2ème chambre
N° RG 21/10475
N° Portalis 352J-W-B7F-CU57P
N° MINUTE :
Assignation du :
18 Août 2021
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 22 Janvier 2025
DEMANDEURS
Monsieur [P] [O] [A]
[Adresse 8]
[Adresse 8] ([Localité 5] – EMIRATS ARABES UNIES)
Monsieur [R] [L] [A]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentés par Maître Emna FARAH – DE MATOS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #K0107
DEFENDEUR
Monsieur [J] [N] [A]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Maître Hervé CABELI de l’AARPI ANTES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #R0250
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MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
M. Jérôme HAYEM, Vice-Président
assisté de Madame Adélie LERESTIF, Greffière.
DEBATS
A l’audience du 27 novembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 22 Janvier 2025.
ORDONNANCE
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire et en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Par acte du 20 décembre 1995 [L] [A] et [K] [M], époux communs en biens, ont donné à [P] [A] la nue propriété d’une propriété sise à [Localité 12] (51).
Par acte du 23 avril 1997 qualifié de donation partage, ils ont incorporé à la donation celle consentie à [P] [A] le 20 décembre 1995 et donné à [J] [A] la nue propriété de droits indivis sur un appartement sis [Adresse 11] à [Localité 9] à hauteur de 141/340 et à [R] [A] la nue propriété d’un appartement sis [Adresse 10] à [Localité 9].
[L] [A] est décédé le [Date décès 1] 2019.
Son épouse, [K] [M], est décédée le [Date décès 2] 2019.
Les époux [A] [M] ont eu pour enfants [P], [R] et [J] [A].
Par acte du 18 août 2021, [P] et [R] [A] ont assigné [J] [A] devant le tribunal de céans aux fins de statuer sur le partage des successions des défunts.
L’affaire a été renvoyée au juge de la mise en état.
Par bulletin du 9 mars 2022, le juge de la mise en état a invité les parties à discuter de la compétence internationale du tribunal judiciaire de Paris pour statuer sur les demandes compte tenu du lieu de la dernière résidence des défunts.
Selon conclusions notifiées par voie électronique le 30 juin 2023 par [P] et [R] [A], le tribunal est saisi de demandes tendant à:
homologuer un partage amiable du 22 juillet 2019,subsidiairement:ouvrir les opérations de partage des successions des défunts,fixer une créance de [P] [A] sur la succession de la défunte de 616.667 eurosfixer une créance de [P] [A] sur la succession du défunt de 616.667 euros,
fixer une créance de [P] [A] sur [J] [A] de 200.000 euros,ordonner le rapport des biens objets de la donation du 23 avril 1997.
Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 25 novembre 2024, [P] et [R] [A] demandent au juge de la mise en état de:
déclarer les juridictions françaises compétentes pour statuer sur les demandes,ordonner l’application de la loi française au litige,ordonner une expertise afin d’évaluer la valeur des biens donnés le 23 avril 1997 au jour de la donation et à la date du décès de [K] [M],ordonner une expertise afin d’évaluer les créances détenues par [P] [A] sur les successions des défunts et [J] [A] en établissant:la liste des travaux et aménagements réglés par [P] [A] concernant la propriété de [Localité 12] en distinguant ceux à la charge de l’usufruitier des autres,la liste des services de conciergerie réglés par [P] [A] entre le 20 décembre 1995 et le décès de [K] [M] et leur coût total,répartissant ce coût total entre les successions des défunts et [J] [A] à proportion des temps respectifs d’occupation de la propriété de [Localité 12] par les défunts et [J] [A],condamner [J] [A] à leur verser une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 27 février 2024, [J] [A]:
sollicite le rejet des demandes,subsidiairement, la mise de la rémunération des experts à la charge de [P] et [R] [A],la condamnation de [P] et [R] [A] à lui verser une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’incident a été plaidé le 27 novembre 2024.
A l’issue des débats, les parties ont été informées que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 22 janvier 2025.
Vu les conclusions d’incident de [P] et [R] [A] notifiées par voie électronique le 25 novembre 2024;
Vu les conclusions d’incident de [J] [A] notifiées par voie électronique le 27 février 2024;
1°) Sur la compétence des juridictions françaises
L’article 4 du règlement UE n° 650/2012 dispose que sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.
Selon déclaration devant notaire du 4 juin 2019 la dernière résidence habituelle des défunts était fixée au Portugal.
Cependant, il est constant qu’ils ont vécu toute leur vie en France et qu’ils ne se sont installés dans une maison de retraite au Portugal que deux mois avant leur décès.
Dans ces conditions, la brièveté de leur présence au Portugal ne les a pas fait changer de résidence.
Il doit donc être considéré que leur dernière résidence est en France.
Par suite, les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur les demandes relatives à leur succession.
La demande en fixation d’une créance de [P] [A] sur [J] [A] est fondée sur le principe de l’enrichissement sans cause. Elle ne relève donc pas du règlement UE n° 650/1012 susmentionné. [P] [A] ayant son domicile à [Localité 5], il y a lieu d’étendre à l’ordre international les règles internes de compétence territoriale et notamment l’article 42 du code de procédure civile qui donne compétence à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du défendeur.
[J] [A], défendeur, ayant son domicile en France, les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur la demande en fixation de créance formée à son encontre.
Les juridictions françaises sont donc compétentes pour connaître les demandes dont le tribunal est saisi.
2°) Sur la loi applicable
Afin de statuer sur le présent incident, il y a de déterminer la loi applicable au fond du présent litige.
En application de l’article 21 du règlement UE n° 650/2012, la loi successorale applicable est la loi française.
A supposer que [P] [A] demeura à l’étranger lors de l’enrichissement sans cause allégué, la loi applicable à sa demande demeurerait la loi française en application de l’article 10.3 du règlement UE n° 864/2007, le bénéficiaire de l’enrichissement prétendu, [J] [A], demeurant en France.
Il convient donc de faire application de la loi française à l’ensemble du litige.
3°) Les expertises
[P] et [R] [A] font valoir:
qu’il est nécessaire d’estimer la valeur des biens donnés au jour de la donation et au jour du décès de la défunte, la qualification de libéralité partage de la donation de 1997 étant litigieuse,que [P] [A] a pris en charge des travaux sur la propriété de [Localité 12] excédant ses obligations de nu propriétaire, qu’il est donc créancier à ce titre des successions des défunts,qu’il doit être ordonné une expertise afin de déterminer les travaux lui ouvrant droit à un recours,qu’il a mis à la disposition de l’ensemble de la famille divers services de conciergerie attachés à la propriété de [Localité 12],qu’il doit être ordonné une expertise pour déterminer le coût total de ces services et la contribution de chacun à proportion de son occupation de la propriété.
Sur ce, il doit être recouru à une expertise lorsque l’examen des faits nécessite un certain savoir technique distinct d’un savoir juridique.
Premièrement, il résulte des articles 924–2 et 860 du code civil, qui impose une évaluation au jour du partage, que la seule évaluation des biens donnés aux jours des décès et de la donation est insuffisante.
Une évaluation au jour du partage étant indispensable, il est préférable que les opérations d’évaluation se fassent au plus près de ce jour et donc de laisser au notaire commis, comme le permet l’article 1365 du code de procédure civile, la charge d’évaluer les biens donnés aux jours de la donation, des décès et de l’exécution de sa mission.
La demande d’expertise immobilière doit donc être rejetée.
Deuxièmement, il résulte de l’article 605 du code civil que le nu propriétaire, à l’expiration de l’usufruit, peut réclamer à l’usufruitier le remboursement des travaux d’entretien réalisés par lui.
Le départ entre les travaux d’entretien et les grosses réparations est de nature juridique et s’évince de la nature des travaux eux-mêmes. Il ne doit donc pas être ordonné une expertise pour les distinguer, cette tâche ne nécessitant aucun savoir technique.
Il n’est nul besoin d’un savoir technique pour compiler le coût de divers services qualifiés de conciergerie ou pour calculer le prorata d’occupation d’un bien par ses différents indivisaires.
La demande d’expertise afférente aux services dit de conciergerie doit donc être rejetée.
Nous, juge de la mise en état, statuant publiquement:
CONSTATONS que la dernière résidence de [L] [A] et [K] [M] était en France;
DÉCLARONS les juridictions françaises compétentes pour statuer les demandes dont le tribunal est saisi;
DÉCLARONS la loi française applicable à ces demandes;
DÉBOUTONS [P] et [R] [A] de leures demandes tendant à:
ordonner une expertise afin d’évaluer la valeur des biens donnés le 23 avril 1997 au jour de la donation et à la date du décès de [K] [M],ordonner une expertise afin d’évaluer les créances détenues par [P] [A] sur les successions des défunts et [J] [A] en établissant:la liste des travaux et aménagements réglés par [P] [A] concernant la propriété de [Localité 12] en distinguant ceux à la charge de l’usufruitier des autres,la liste des services de conciergerie réglés par [P] [A] entre le 20 décembre 1995 et le décès de [K] [M] et leur coût total,répartissant ce coût total entre les successions des défunts et [J] [A] à proportion des temps respectifs d’occupation de la propriété de [Localité 12] par les défunts et [J] [A],condamner [J] [A] à leur verser une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
DÉBOUTONS [J] [A] de sa demande tendant à:
la condamnation de [P] et [R] [A] à lui verser une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
RÉSERVONS les frais irrépétibles et les dépens;
INVITONS les parties à solliciter le partage du régime matrimoniale des époux [A];
RENVOYONS l’affaire à l’audience de mise en état du 19 février 2025 pour dépôt par le défendeur de ses conclusions au fond au plus tard le 17 février 2025 et à défaut clôture;
Faite et rendue à Paris le 22 Janvier 2025
La Greffière Le Juge de la mise en état
Adélie LERESTIF Jérôme HAYEM
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