Recours non conforme à la procédure d’inscription au barreau

·

·

Recours non conforme à la procédure d’inscription au barreau

L’Essentiel : Mme [P] [T] a demandé à la cour d’annuler la décision du conseil de l’ordre des avocats de Lille du 6 mai 2024, arguant que son recours était recevable selon l’article 16 du décret du 27 novembre 1991. Elle estime remplir les conditions d’éligibilité pour accéder à la profession d’avocat, fort de ses 18 années d’expérience en droit. Cependant, le conseil de l’ordre conteste la recevabilité, affirmant que le recours a été mal adressé. La cour a finalement déclaré le recours irrecevable, condamnant Mme [T] à verser 500 euros pour les frais de procédure.

Demande de Mme [P] [T]

Mme [P] [T] a sollicité la cour pour que son recours soit déclaré recevable, afin d’annuler la décision du conseil de l’ordre des avocats de Lille du 6 mai 2024. Elle souhaite également que sa demande d’accès à la profession d’avocat soit réévaluée, lui permettant de se présenter à l’oral de déontologie.

Arguments de recevabilité

Elle soutient que son recours est conforme aux dispositions de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991 et a été effectué dans le délai d’un mois, comme précisé dans la notification de la décision contestée.

Conditions d’éligibilité

Mme [T] estime remplir les conditions d’éligibilité pour accéder à la profession d’avocat selon l’article 98 du décret, en raison de son expérience en tant qu’inspectrice du travail et de ses activités juridiques au sein de l’administration. Elle met en avant ses 18 années de pratique du droit, incluant des fonctions de responsabilité dans le domaine du travail et de l’emploi.

Préjudices subis

Elle évoque un préjudice moral lié à la privation de l’accès à la profession d’avocat, ayant préparé ce projet depuis plusieurs mois, ainsi qu’un préjudice financier, ayant versé 600 euros pour son admission.

Réponse du conseil de l’ordre

Le conseil de l’ordre des avocats de Lille conteste la recevabilité du recours, arguant que Mme [T] a adressé son recours au procureur général au lieu du greffe, ce qui ne respecte pas les dispositions légales. Il demande également la confirmation de sa décision et la condamnation de Mme [T] à verser 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Position du procureur général

Le procureur général a requis l’irrecevabilité du recours, soulignant qu’il n’a pas été adressé dans le délai légal au greffe de la cour d’appel. Il a également soutenu que les conditions requises pour l’accès à la profession d’avocat n’étaient pas remplies.

Décision de la cour

La cour a déclaré le recours de Mme [P] [T] irrecevable, précisant qu’il n’avait pas été formé conformément aux exigences légales. Elle a également condamné Mme [T] à verser 500 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure, ainsi qu’aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

La recevabilité du recours de Mme [P] [T]

Le recours de Mme [P] [T] est déclaré irrecevable par la cour, car il n’a pas été formé conformément aux dispositions de l’article 102 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991.

Cet article stipule que l’intéressé doit aviser sans délai, par tout moyen conférant date certaine à sa réception, le procureur général et le bâtonnier de son recours.

En l’espèce, Mme [P] [T] a adressé son recours au procureur général et non au greffe de la cour d’appel, ce qui constitue une violation des exigences légales.

De plus, l’article 16 du même décret précise que le recours devant la cour d’appel doit être formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au directeur de greffe, dans un délai d’un mois.

Mme [P] [T] n’ayant pas respecté ces modalités, son recours est donc jugé irrecevable.

Les conditions d’éligibilité pour accéder à la profession d’avocat

Mme [P] [T] invoque l’article 98 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, qui stipule que certaines catégories de fonctionnaires peuvent être dispensées de formation pour accéder à la profession d’avocat.

Cet article précise que les fonctionnaires ou anciens fonctionnaires de catégorie A ayant exercé des activités juridiques pendant au moins huit ans dans une administration, un service public ou une organisation internationale peuvent être éligibles.

Mme [P] [T] fait valoir qu’elle a exercé des fonctions d’inspectrice du travail et a acquis une expérience significative dans le domaine du droit social et du travail.

Cependant, le conseil de l’ordre conteste que ses activités soient directement et essentiellement juridiques, ce qui est une condition nécessaire pour satisfaire aux exigences de l’article 98.

La cour doit donc apprécier si les activités de Mme [P] [T] répondent aux critères établis par cet article pour déterminer son éligibilité.

Les conséquences de l’irrecevabilité du recours

La cour a déclaré le recours de Mme [P] [T] irrecevable, ce qui entraîne des conséquences sur les demandes qu’elle a formulées.

En vertu de l’article 700 du code de procédure civile, la cour a condamné Mme [P] [T] à verser la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure.

Cet article prévoit que la partie perdante peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens.

La cour a jugé qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de l’ordre des avocats du barreau de Lille ces frais, d’où la décision de condamner Mme [P] [T].

Ainsi, l’irrecevabilité de son recours a des implications financières pour elle, en plus de la perte de son droit d’accès à la profession d’avocat.

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

AUDIENCE SOLENNELLE

ARRÊT DU 20/01/2025

****

N° de MINUTE :

N° RG 24/04431 – N° Portalis DBVT-V-B7I-VYVO

Décision rendue le 06 mai 2024 par le conseil de l’ordre des avocats de Lille

APPELANTE

Madame [P] [T]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

Régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception.

Comparante en personne.

INTIMÉ

Conseil de l’ordre des avocats au barreau de Lille

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception.

Représenté par Me Patricia Jeannin, avocat au barreau de Lille.

APPELÉ DANS LA CAUSE

M. le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Lille

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Régulièrement avisé par lettre recommandée avec accusé de réception.

Représenté par Me Patricia Jeannin, avocat au barreau de Lille.

En présence de :

Monsieur le procureur général, représenté à l’audience par Madame Dorothée Coudevylle, substitut général

En présence de [R] [S], assistance de justice au parquet général

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Michèle Lefeuvre, première présidente de chambre

Nadia Cordier, conseillère

Céline Miller, conseillère

Carole Van Goetsenhoven, conseillère

Aude Bubbe, conseillère

désignées par ordonnance du premier président en date du 2 décembre 2024

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

DÉBATS à l’audience publique et solennelle du 09 décembre 2024, après rapport oral de l’affaire par Michèle Lefeuvre

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 20 janvier 2025 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Michèle Lefeuvre, présidente, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

Par requête en date du 10 décembre 2023, Mme [P] [T] a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats de Lille d’une demande d’inscription au barreau de Lille par voie dérogatoire au titre de l’article 98 du décret du 27 novembre 1991 en exposant souhaiter se diriger vers le métier d’avocate spécialisée en droit du travail après avoir passé plus de 28 ans dans le corps de l’inspection du travail.

A l’issue de son audition intervenue le 12 avril 2024, la commission d’admission a émis un avis transmis au conseil de l’ordre qui, lors de sa réunion du 6 mai 2024, a rejeté à l’unanimité la demande de Mme [T] en considérant qu’elle ne remplissait pas les conditions imposées par les dispositions du décret du 27 novembre 1991 et de l’article 11 de la loi du 31 décembre 1971.

L’extrait du procès-verbal du conseil rejetant la demande de Mme [T] d’admission à la profession d’avocat sur le fondement de l’article 98-4 du décret du 27 novembre 1991 lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception retourné signé le 23 mai 2024.

Par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 18 juin 2024 et réceptionnée par le greffe du parquet le 20 juin 2024, Mme [P] [T] a formé un recours contre cette décision auprès du procureur général de la cour d’appel de Douai.

L’affaire a été appelée et retenue à l’audience du 9 décembre 2024 à laquelle les parties ont été régulièrement convoquées par lettre avec avis de réception.

A la demande de Mme [T], comparaissant en personne, l’audience s’est tenue publiquement.

Me Jeannin, représentant l’ordre des avocats du barreau de Lille, a soulevé in limine litis l’irrecevabilité du recours qui, suivant l’article 16 du décret, doit être formé par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au directeur de greffe.

Par conclusions soutenues oralement à l’audience, Mme [P] [T] demande à la cour de:

– dire recevable son recours,

– annuler la décision du conseil de l’ordre des avocats de Lille du 6 mai 2024 et de réévaluer sa demande d’accès à la profession d’avocat en l’autorisant à se présenter à l’oral de déontologie,

Elle fait valoir que son recours est recevable puisque conforme aux dispositions de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991 et réalisé dans le délai d’un mois, conformément aux modalités précisées dans la lettre de notification de la décision déférée mentionnant que le recours doit être formé auprès du procureur général.

Au fond, elle considère remplir les conditions d’éligibilité pour accéder à la profession d’avocat suivant l’article 98 du décret, dispensant de formation notamment les fonctionnaires ou anciens fonctionnaires de catégorie A ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale, puisque:

– admise au concours d’inspectrice du travail, elle a intégré l’institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, ce qui est reconnu comme une équivalence à une maîtrise de droit pour l’exercice de la profession d’avocat par l’article 1 de l’arrêté du 25 novembre 1998 ,

– elle a exercé les fonctions d’inspectrice du travail de septembre 2001 à décembre 2006, soit 5 ans et 3 mois, ce qui lui a permis d’acquérir une expertise approfondie du droit social et du travail et d’avoir une légitimité renforcée dans la défense des salariés et des entreprises, dans la prévention et la résolution des conflits ainsi que de responsable du service régional de contrôle administratif et financier de la formation professionnelle de février 2009 à mai 2014, soit 5 ans et 3 mois puis de responsable du pôle emploi, entreprises et économie, pendant 4 ans et 3 mois, ses missions d’encadrement n’étant qu’une part de son activité et peut ainsi justifier de 18 années de pratique du droit.

Elle ajoute que la décision du conseil de l’ordre la privant de l’accès de la profession d’avocat par reconversion professionnelle lui a causé un préjudice moral puisqu’elle se prépare à ce projet depuis des mois en recherchant une collaboration future, ainsi qu’un préjudice financier puisqu’elle a versé la somme de 600 euros pour son admission.

Par conclusions en réponse également soutenues oralement, le conseil de l’ordre des avocats de Lille sollicite de la cour de voir:

– à titre principal déclarer irrecevable le recours formé par Mme [P] [T],

– à titre subsidiaire, confirmer sa décision et débouter Mme [T] de ses demandes, fins et conclusions,

– en tout état de cause, condamner Mme [T] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

In limine litis, le conseil de l’ordre relève que Mme [T] a adressé son recours par courrier au procureur général et non au greffe sans respecter les dispositions de l’article 102 du décret selon lequel elle doit aviser le procureur général et le bâtonnier de son recours sans délai et par tout moyen conférant date certaine de sa réception, ce qui n’a pas été fait puisqu’un certificat de non- recours lui a été adressé le 3 juillet 2024.

A titre subsidiaire, le conseil de l’ordre fait valoir qu’il appartient au barreau de rechercher si les conditions exigées par l’article 98 du décret sont remplies, qu’une maîtrise de droit est nécessaire mais laisse à la cour l’appréciation des équivalences admises, que Mme [T] ne justifie d’une activité juridique pour une période inférieure aux 8 années requises, les activités réellement exercées devant être directement et essentiellement juridiques et pas simplement d’ordre administratif.

Le procureur général a requis oralement l’irrecevabilité du recours qui n’a pas été adressé dans le mois au greffe de la cour d’appel mais au procureur général et ne satisfait pas aux dispositions légales et, en cas de recevabilité du recours, la confirmation de la décision du conseil de l’ordre, les conditions requises n’étant pas remplies.

Mme [P] [T], ayant la parole en dernier, a déclaré avoir conscience des exigences du métier d’avocat et penser sincèrement que son expérience professionnelle lui permettrait d’être une bonne avocate.

SUR CE

Suivant l’article 102 alinéa 5 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, l’article 16 du décret est applicable aux recours formés à l’encontre des décisions du conseil de l’ordre relatives à l’inscription au tableau, l’intéressé devant aviser sans délai, par tout moyen conférant date certaine à sa réception, le procureur général et le bâtonnier.

L’article 16 du décret auquel renvoie l’article 102 précise que le recours devant la cour d’appel est formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au directeur de greffe et que le délai de recours est d’un mois.

Contrairement à cette disposition, le recours formé par Mme [P] [T] a été adressé à M. le Procureur général ‘ Monsieur le procureur général, je me permets de vous écrire afin de contester la décision du refus d’accès par voie dérogatoire à la profession d’avocat’ et non au greffe de la cour d’appel qui, non informé, a délivré un certificat de non recours au conseil de l’ordre.

Alors que la lettre de notification de la décision du conseil de l’ordre précise les modalités du recours suivant les articles 16, 102 et108 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 qui y sont cités, Mme [T] ne peut se prévaloir d’une irrégularité de cette notification pour entraîner la régularité de la saisine de la cour.

Il s’ensuit que son recours non formé devant le greffe de la cour d’appel dans le mois de sa notification est irrecevable.

Il paraît inéquitable de laisser à la charge de l’ordre des avocats du barreau de Lille les frais irrépétibles de la procédure. Il lui sera en conséquence accordé la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Déclare irrecevable le recours formé par Mme [P] [T] à l’encontre de la décision du conseil de l’ordre du 6 mai 2024,

Condamne Mme [P] [T] à verser à l’ordre des avocats du barreau de Lille la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [P] [T] aux dépens.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

La présidente

Michèle Lefeuvre


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon