L’Essentiel : M. [M], ancien directeur de production chez Famar (devenue Benta), a été licencié pour inaptitude en mars 2020 après un arrêt de travail débuté en septembre 2019. Contestant son licenciement pour harcèlement moral, il a saisi le conseil de prud’hommes, qui a rejeté ses demandes en septembre 2021. En appel, M. [M] a réclamé des dommages et intérêts, mais la cour a conclu qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes de harcèlement et a confirmé que son licenciement était justifié par son inaptitude. Les dépens ont été laissés à sa charge, et il a été condamné à verser des frais à Benta.
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Contexte de l’affaireLa société Famar, devenue Benta, est spécialisée dans la production de produits pharmaceutiques et appliquait la convention collective nationale de l’industrie pharmaceutique. Au moment de la rupture, elle employait au moins 11 salariés. M. [M] a été embauché en 2012 en tant que directeur de projets, promu par la suite à divers postes de responsabilité, dont celui de directeur de production. Redressement judiciaire et arrêt de travailLe tribunal de commerce de Paris a placé la société Famar en redressement judiciaire en juin 2019. M. [M] a été en arrêt de travail à partir de septembre 2019. Lors d’une visite de reprise en février 2020, le médecin du travail a déclaré M. [M] inapte à son poste, entraînant une convocation à un entretien préalable au licenciement. Licenciement et contestationM. [M] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement en mars 2020. En juin 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes pour dénoncer des faits de harcèlement moral et contester son licenciement. Le conseil a débouté M. [M] de ses demandes en septembre 2021, décision qu’il a ensuite contestée en appel. Appel et demandes de M. [M]Dans ses conclusions, M. [M] a demandé des dommages et intérêts pour diverses violations de ses droits, y compris des sommes pour licenciement nul et exécution déloyale du contrat de travail. Il a également demandé des indemnités compensatrices de préavis et des congés payés. Réponse des défendeursLes sociétés Benta et autres ont demandé la confirmation du jugement de première instance et ont proposé de réduire les demandes de M. [M] au montant minimum prévu par la loi. Elles ont également demandé à être mises hors de cause en tant qu’administrateurs judiciaires. Analyse du harcèlement moralLa cour a examiné les allégations de harcèlement moral en se basant sur les éléments fournis par M. [M] et a conclu qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour établir l’existence de tels faits. Les difficultés rencontrées par la société étaient connues de M. [M], qui n’a pas démontré avoir été mis à l’écart ou avoir subi des reproches injustifiés. Obligation de sécurité de l’employeurConcernant l’obligation de sécurité, la cour a noté que M. [M] n’a pas prouvé que les alertes qu’il avait émises avaient eu des conséquences sur sa santé ou sa situation professionnelle. Les manquements allégués de l’employeur n’ont pas été jugés suffisants pour établir un préjudice. Rupture du contrat de travailM. [M] a soutenu que son licenciement était nul en raison de son statut de lanceur d’alerte et des faits de harcèlement moral. Cependant, la cour a confirmé que le licenciement était fondé sur son inaptitude, qui n’était pas contestée, et a rejeté ses arguments. Dépens et condamnationLa cour a décidé de laisser les dépens à la charge de M. [M] et de le condamner à verser une somme à la société Benta au titre des frais de justice. La décision de première instance a été confirmée dans son intégralité. |
Q/R juridiques soulevées :
1. Sur la mise hors de cause de l’AGS, des mandataires judiciaires et des commissaires à l’exécution du planLa cour a constaté que la société était revenue in bonis, ce qui signifie qu’elle n’était plus en situation de redressement judiciaire. Par conséquent, il n’y a plus lieu à garantie du paiement des créances salariales par l’AGS (Association pour la Gestion du régime de garantie des créances des Salariés). L’AGS CGEA de [Localité 17] et l’AGS CGEA d’Ile de France, ainsi que les sociétés Alliance MJ et MJA, en tant que mandataires judiciaires, ont donc été mises hors de cause. De plus, les sociétés [F] & Rousselet et AJ UP, en leur qualité d’administrateurs judiciaires et de commissaires à l’exécution du plan, ont également été mises hors de cause. Cette décision est conforme aux dispositions du Code du travail qui stipulent que les créances salariales doivent être garanties par l’AGS tant que l’entreprise est en difficulté financière. 2. Sur le harcèlement moralL’article L.1152-1 du Code du travail stipule qu’aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour effet de dégrader ses conditions de travail, portant atteinte à ses droits et à sa dignité. En vertu de l’article L.1154-1, lorsque le salarié présente des éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement. Dans cette affaire, M. [M] a allégué des dysfonctionnements sur le site de [Localité 20] et a fait plusieurs alertes. Cependant, la cour a noté que l’employeur a pris des mesures pour enquêter sur ces allégations, et que les éléments fournis par M. [M] ne suffisaient pas à établir l’existence d’un harcèlement moral. La cour a donc confirmé le jugement du conseil de prud’hommes qui a débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations en matière de harcèlement moral. 3. Sur l’obligation de sécuritéL’article L.4121-1 du Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures incluent des actions de prévention des risques professionnels et des actions d’information et de formation. L’article L.4121-2 précise que l’employeur doit mettre en œuvre ces mesures en tenant compte des principes généraux de prévention, tels que l’évaluation des risques et l’adaptation du travail à l’homme. M. [M] a soutenu que l’employeur n’avait pas réagi à ses alertes concernant le manque d’investissements et l’état des locaux. Cependant, la cour a constaté qu’il n’avait pas démontré que ces conditions avaient eu un impact direct sur sa santé ou sa situation personnelle. Ainsi, la cour a débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité. 4. Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travailL’article L.1222-1 du Code du travail stipule que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Cette obligation est réciproque entre l’employeur et le salarié. M. [M] a affirmé que l’employeur avait agi de manière déloyale, mais la cour a relevé que ses alertes ne portaient pas sur des dysfonctionnements majeurs, mais plutôt sur des problèmes liés à la situation économique de l’entreprise. La cour a donc conclu qu’il n’y avait pas de preuve d’une exécution déloyale du contrat de travail, et a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes qui a débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts. 5. Sur la ruptureM. [M] a contesté la validité de son licenciement, arguant qu’il était un lanceur d’alerte et qu’il avait dénoncé des faits de harcèlement moral. L’article L.1132-3-3 du Code du travail protège les salariés contre les mesures discriminatoires pour avoir signalé des faits constitutifs d’un délit. Cependant, le licenciement de M. [M] était fondé sur son inaptitude et l’impossibilité de le reclasser, ce qui n’est pas contesté. De plus, l’article L.1152-2 protège les salariés contre les sanctions pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral. Cependant, la cour n’a pas retenu l’existence de tels faits dans cette affaire. Ainsi, la cour a confirmé le jugement qui a débouté M. [M] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul. 6. Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civileLes dépens de première instance et d’appel ont été laissés à la charge de M. [M]. Conformément à l’article 700 du Code de procédure civile, la cour a jugé équitable de condamner M. [M] à payer à la société Benta [Localité 18] la somme de 2 000 euros pour couvrir les frais de l’instance d’appel. Cette décision est conforme aux principes de la procédure civile, qui prévoient que la partie perdante peut être condamnée à rembourser les frais engagés par la partie gagnante. |
N° RG 21/07114 – N° Portalis DBVX-V-B7F-N3HZ
[M]
C/
S.A.S.U. BENTA [Localité 18]
SELARL ALLIANCE MJ
SELAFA MJA
S.C.P. [F] & ROUSSELET
S.E.L.A.R.L. AJ UP
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 17]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 02 Septembre 2021
RG : 20/01342
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 10 JANVIER 2025
APPELANT :
[W] [M]
né le 14 Novembre 1975 à [Localité 19]
[Adresse 7]
[Localité 10]
représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me Adrien LEYMARIE, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
Société BENTA [Localité 18] anciennement dénommée FAMAR [Localité 18]
[Adresse 4]
[Localité 12]
représentée par Me Elise LAPLANCHE de la SELARL YDES, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Véronique MASSOT-PELLET de la SELARL YDES, avocat au barreau de LYON,
SELARL ALLIANCE MJ représentée par Maître [A] [V] agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société FAMAR [Localité 18]
[Adresse 5]
[Localité 11]
non représentée
SELAFA MJA représentée par Maître [E] [T] agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société FAMAR [Localité 18]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 15]
non représentée
S.C.P. [F] & ROUSSELET représentée par Maître [O] [F] agissant en qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SASU BENTA [Localité 18] anciennement dénommée FAMAR [Localité 18]
[Adresse 6]
[Localité 14] / FRANCE
représentée par Me Elise LAPLANCHE de la SELARL YDES, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Véronique MASSOT-PELLET de la SELARL YDES, avocat au barreau de LYON,
S.E.L.A.R.L. AJ UP représentée par Maître [N] [G] agissant en qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SASU BENTA [Localité 18] anciennement dénommée « FAMAR [Localité 18]
[Adresse 2]
[Localité 9] / FRANCE
représentée par Me Elise LAPLANCHE de la SELARL YDES, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Véronique MASSOT-PELLET de la SELARL YDES, avocat au barreau de LYON,
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 17]
[Adresse 8]
[Localité 16]
représentée par Me Cécile ZOTTA de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA d’ILE DE FRANCE OUEST
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 13]
représentée par Me Cécile ZOTTA de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Novembre 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Béatrice REGNIER, Présidente
Catherine CHANEZ, Conseillère
Régis DEVAUX, Conseiller
Assistés pendant les débats de Mihaela BOGHIU, Greffière.
ARRÊT : REPUTE CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 10 Janvier 2025, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente, et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La société Famar [Localité 18], devenue Benta [Localité 18], est spécialisée dans la production de produits pharmaceutiques et fait application de la convention collective nationale de l’industrie pharmaceutique (IDCC 176).
Elle employait au moins 11 salariés au moment de la rupture.
La société Famar [Localité 18] a embauché M. [W] [M] à compter du 2 avril 2012 en qualité de directeur de projets, statut cadre.
M. [M] a été promu responsable transferts et développements puis, par avenant du 7 février 2017, directeur de production, statut cadre autonome. il était membre du comité de direction et travaillait sous forfait en jours.
Par jugement du 24 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris a placé la société Famar Lyon en redressement judiciaire, les sociétés Alliance MJ et MJA étant désignées en qualité de mandataires judiciaires et les sociétés [F] & Rousselet et AJ UP en qualité d’administrateurs judiciaires.
A compter du 5 septembre 2019, M. [M] a été placé en arrêt de travail.
Lors de la visite de reprise du 4 février 2020, le médecin du travail a déclaré M. [M] inapte en ces termes : « contre-indication à la reprise au poste de directeur de production dans l’entreprise. Inapte au poste. L’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
Par courrier du 4 février 2020, la société Famar [Localité 18] a convoqué M. [M] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 2 mars 2020.
Par courrier du 4 mars 2020, M. [M] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 20 juillet 2020, le tribunal de commerce de Paris a pris acte de l’accord d’achat des titres de la société Famar Lyon par le groupe Benta et a arrêté un plan de redressement par voie de continuation. Il a désigné les sociétés [F] & Rousselet et AJ UP en qualité de commissaires à l’exécution du plan.
Par requête reçue au greffe le 5 juin 2020, M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de voir reconnaître l’existence de faits de harcèlement moral et de violation par l’employeur de plusieurs de ses obligations, de voir prononcer la nullité de son licenciement et condamner son employeur au paiement de diverses sommes à caractère indemnitaire et salarial.
Par jugement du 2 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Lyon a débouté les parties de leurs demandes et condamné M. [M] aux dépens.
Par déclaration du 22 septembre 2021, M. [M] a interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 19 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a clôturé le plan de redressement et constaté la fin de la mission des commissaires.
Les sociétés Alliance MJ et MJA n’ont pas constitué avocat. Les conclusions leur ont été régulièrement notifiées, mais ils ont refusé de prendre possession des plis.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 22 décembre 2021, M. [M] demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et de :
A titre principal, condamner la société Benta [Localité 18] à lui verser les sommes suivantes :
30 000 euros de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité ;
20 000 euros de dommages et intérêts pour manquement de la société à ses obligations en matière de harcèlement moral ;
Subsidiairement, 30 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
94 200 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
A titre principal, 94 200 euros, à titre subsidiaire, 62 800 euros, de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause, condamner la société Benta [Localité 18] à lui verser les sommes suivantes :
31 400 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 3 140 euros de congés payés afférents ;
2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société Benta [Localité 18] aux dépens de première instance et d’appel.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 17 septembre 2024, les sociétés Benta [Localité 18], anciennement dénommée Famar [Localité 18], [F] & Rousselet et AJ Up demandent à la cour de :
A titre principal, confirmer le jugement entrepris et débouter M. [M] de l’intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire, ramener la demande de dommages et intérêts de M. [M] au montant minimum du barème Macron à savoir 3 mois de salaire, déduction faite de l’indemnité conventionnelle de licenciement perçue au-delà de l’indemnité légale de licenciement, soit la somme de 6 001 euros ;
En tout état de cause, mettre hors de cause la société [F] et Rousselet et la société AJ UP, en leur qualité d’administrateurs judiciaires et en leur qualité de commissaires à l’exécution du plan ;
Condamner M. [M] à payer à la société Benta [Localité 18] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [M] aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 15 mars 2022, l’AGS CGEA de [Localité 17], intimée, et l’AGS CGEA Ile de France Ouest, intervenante volontaire, demandent à la cour de
Les mettre hors de cause ;
Subsidiairement, faire application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail quant à la demande de dommages et intérêts au titre du licenciement ;
En tout état de cause, les mettre hors dépens.
La clôture de la mise en état a été ordonnée le 24 septembre 2024.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.
1-Sur la mise hors de cause de l’AGS, des mandataires judiciaires et des commissaires à l’exécution du plan
Il est constant que la société est revenue in bonis, si bien qu’il n’y a plus lieu à garantie du paiement des créances salariales par l’AGS.
Tant l’AGS CGEA de [Localité 17] que l’AGS CGEA d’Ile de France, intervenante volontaire par voie de conclusions, seront donc mises hors de cause.
Du fait de la clôture du plan de redressement, les sociétés [F] et Rousselet et AJ UP doivent, tant en leur qualité d’administrateurs judiciaires qu’en leur qualité de commissaires à l’exécution du plan, également être mises hors de cause.
Il en est de même des sociétés Alliance MJ et MJA, es qualité de mandataires judiciaires.
2-Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L.1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’article L.1152-4 du code du travail impose en outre à l’employeur de prendre les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Il est constant qu’en 2017, la société Famar [Localité 18] a élaboré un projet industriel, intitulé « SGL 21 », visant à diminuer la taille du site de [Localité 20], dans lequel travaillait M. [M] en qualité de directeur de production, à en moderniser les outils de production et à concentrer son activité sur les formes sèches et les crèmes, la fabrication des sirops et des céphalosporines étant arrêtée, le tout représentant un investissement de 20 à 25 millions d’euros. C’est dans cette perspective que le fonds d’investissement américain KKR a racheté le groupe Famar en 2018, via sa filiale Pillarstone.
Cependant, suite à une importante diminution des commandes de 3 grands laboratoires pharmaceutiques au cours du dernier trimestre 2017, le chiffre d’affaires de la société Famar [Localité 18] a chuté de moitié en 2018 et le projet SGL 21 a été mis de côté.
La société Famar [Localité 18] a finalement été placée en redressement judiciaire et vendue au groupe Benta.
M. [M] soutient qu’à compter de 2018, il ne se trouvait plus en capacité d’exercer ses fonctions en raison de graves dysfonctionnements sur le site de [Localité 20] qui ne lui permettaient plus de s’assurer que les produits étaient fabriqués et stockés en conformité et qu’il a fait plusieurs alertes qui lui ont valu une mise à l’écart progressive. Des informations importantes ne lui auraient pas été transmises ; des reproches lui auraient été faits plus ou moins directement sur ses résultats alors que ceux-ci n’étaient que la conséquence directe de l’absence de moyens, ses propositions seraient restées lettre morte sur la partie ressources humaines et il aurait été exclu de certaines réunions du CODIR.
Ces agissements auraient altéré son état de santé au point de nécessiter un arrêt de travail et de provoquer son licenciement pour inaptitude.
Il justifie en effet avoir adressé à son employeur plusieurs courriers et courriels entre mars 2018 et avril 2019 dans lesquels il se disait préoccupé par la situation financière de la société, par l’absence d’investissements, par la dégradation des locaux et par le turn-over important du personnel placé sous son autorité.
La cour relève cependant avec l’employeur que l’entreprise connaissait d’importantes difficultés financières à cette époque, puisqu’elle a été placée en redressement judiciaire le 24 juin 2018. En tant que membre du CODIR, M. [M] ne pouvait ignorer la situation, qu’il décrit d’ailleurs dans ses conclusions, et ses fonctions de directeur de la production auraient dû l’amener à élaborer des propositions concrètes afin d’adapter le fonctionnement à ces contraintes. La lecture des différents échanges qu’il a pu avoir notamment avec M. [U], directeur du site de [Localité 20], montre qu’il se positionnait plutôt en critique de l’existant, sans représenter une quelconque force de proposition.
En tout état de cause, ainsi que l’a justement relevé le conseil de prud’hommes, il ne ressort pas des pièces produites par le salarié qu’il aurait été mis à l’écart d’une quelconque façon ou exclu de certaines réunions, et celui-ci ne précise pas de quelles informations il aurait été privé. Il ne démontre pas davantage avoir essuyé des reproches relatifs à ses résultats.
De même, à supposer que la preuve en soit rapportée, l’absence de suite apportée à ses propositions de créations de poste ne sauraient démontrer une quelconque volonté de le tenir à l’écart.
Enfin, si M. [M] justifie avoir dénoncé à son employeur une situation de harcèlement moral, par courrier du 17 octobre 2019, celui-ci lui a répondu le 4 décembre en lui demandant des précisions sur les faits et agissements susceptibles d’être ainsi qualifiées, les termes employés par le salarié étant en effet relativement flous. Ce n’est que le 30 janvier suivant que M. [M] a apporté une réponse, laquelle a entraîné dès le 5 février l’ouverture d’une enquête par la CSSCT. Celle-ci, après avoir mené plusieurs entretiens avec des salariés dont la liste avait été établie par elle et préalablement communiquée à l’intéressé, a conclu à l’absence de faits de harcèlement moral, tout en précisant que l’état dégradé du site, du fait d’un sous-investissement chronique, pouvait être générateur de stress.
M. [M] fait valoir que seuls les membres du CODIR ont été entendus par la commission, mais il est constant que le médecin du travail, qui devait être entendu, venait de quitter ses fonctions et le salarié ne justifie pas avoir sollicité d’autres auditions.
La cour constate en conséquence que l’employeur ne peut se voir reprocher d’avoir tardé à saisir la CSSCT en vue de la mise en ‘uvre d’une enquête, sachant qu’en tout état de cause, l’appelant échoue à présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations en matière de harcèlement moral.
3-Sur l’obligation de sécurité
En application de l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L.4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’article L.4121-2 du code du travail dispose que l’employeur met en ‘uvre les mesures prévues à l’article L.4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L.1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Dans ce cadre juridique, il appartient au juge de vérifier la matérialité des événements invoqués par le salarié, puis des mesures prises par l’employeur tant en amont, sur le plan préventif, en suivant le guide donné par l’article L.4121-2 du code du travail, qu’en aval pour traiter et prendre en charge la situation de risque telle que dénoncée ou avérée.
M. [M] fait valoir les diverses alertes qu’il a adressées à son employeur depuis 2018 et l’absence de réaction de celui-ci. Ses alertes portaient toutefois sur le manque d’investissements et sur l’état des locaux, le manque de matériel, le turn-over du personnel, soit essentiellement sur la qualité de la production et sur les conditions de travail de certains des personnels placés sous son autorité. Le salarié n’allègue pas la moindre répercussion de cet état de fait, à le supposer avéré, sur sa situation personnelle et ne démontre pas avoir été mis en danger et ainsi avoir subi un quelconque préjudice.
Il sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts, ainsi qu’en a jugé le conseil de prud’hommes.
4-Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
En application de l’article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail s’exécute de bonne foi. Cette obligation est réciproque.
Aux termes de sa fiche de poste, M. [M] était chargé d’organiser et de planifier les activités de production et de maintenance, de gérer les ressources humaines de son service, de contribuer à la rentabilité de la production, de conduire les installations communes du site, d’assurer la qualité des produits et la maîtrise des coûts de fonctionnement, de contribuer à l’amélioration de l’outil de production et à la politique de sécurité en veillant au respect des normes d’hygiène et de sécurité dans son service et de proposer des améliorations.
Il ne démontre pas avoir subi un préjudice lié à une exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur dans la mesure où ses diverses alertes ne portaient pas sur des dysfonctionnements majeurs du site de [Localité 20], mais plutôt sur un sous-investissement lié à la situation économique difficile que rencontrait alors la société et sur une gestion parfois défaillante des ressources humaines, alors que celle-ci était de sa responsabilité sur son secteur de compétences. La cour relève d’ailleurs, avec l’employeur, que l’injonction de l’ANSM ne s’est pas accompagnée d’un arrêt des lignes de production, et qu’elle ne portait pas sur les points dénoncés par M. [M], à l’exception de l’injonction d’assurer dans les deux mois la maîtrise du système de traitement de production et de distribution de l’eau purifiée.
Par ailleurs, même si la pharmacienne responsable et directrice de la qualité, Mme [S], a elle-même décidé d’alerter le directeur du site le 18 février 2019, elle a pris soin de rappeler que le système qualité avait fait l’objet d’une amélioration continue depuis son arrivée et elle entendait surtout attirer son attention sur l’augmentation d’événements alarmants depuis septembre 2018, dont elle considérait qu’ils étaient sous contrôle, mais qu’ils rendaient plus difficile le travail des équipes. Elle faisait d’ailleurs valoir le non-respect des procédures par le personnel, ce qui donne à penser que les dysfonctionnements rencontrés ne provenaient pas nécessairement toujours du manque d’investissement et renvoie aux reproches faits par le directeur, M. [U], à M. [M] dans son entretien individuel d’évaluation du 22 février 2018 sur son manque de présence sur le terrain, et au courriel du directeur des ressources humaines du site, le 21 juin 2019, à celui-ci, l’interpellant sur l’absence du management de proximité alors qu’une ligne de production était défaillante.
Enfin, il apparaît que certaines des alertes portaient sur des points relevant de sa compétence, sur lesquels il aurait donc dû lui-même apporter, ou du moins proposer des solutions, comme le manque de matériel affecté aux automaticiens, le turn-over des superviseurs ou l’état des installations.
En tout état de cause, la cour n’a retenu aucun manquement de l’employeur au titre du harcèlement moral ni aucun préjudice au titre d’éventuels manquements à l’obligation de sécurité.
C’est donc à bon droit que le conseil de prud’hommes a débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
5-Sur la rupture
M. [M] se prévaut de la nullité de son licenciement en raison d’une part de son statut de lanceur d’alerte, et d’autre part, des faits de harcèlement moral qu’il aurait dénoncés.
Subsidiairement, il soutient que son licenciement serait sans cause réelle et sérieuse car les manquements de l’employeur seraient à l’origine de son inaptitude.
5-1-Sur le statut de lanceur d’alerte
L’article L.1132-3-3 du code du travail, en sa version applicable à l’espèce, disposait :
«Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L 3221-3 , de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
En cas de litige relatif à l’application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
L’article L.1132-4 du même code ajoute que « toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul. »
En l’espèce, le licenciement est fondé sur l’inaptitude du salarié et l’impossibilité de le reclasser, lesquels ne sont pas contestés. Celui-ci ne peut donc se prévaloir de ses alertes pour alléguer que le licenciement serait nul comme constituant une mesure de rétorsion à son égard.
5-2-Sur la dénonciation de faits de harcèlement moral
L’article L.1152-2 du code du travail, en sa version applicable à l’espèce, disposait : « Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. »
En l’espèce, la cour n’a pas retenu l’existence de faits de harcèlement moral commis au détriment du salarié. Par ailleurs, le licenciement est fondé sur l’inaptitude du salarié et l’impossibilité de le reclasser, lesquels ne sont pas contestés. Celui-ci ne peut donc se prévaloir des courriers qu’il a adressé à son employeur pour dénoncer les faits de harcèlement moral dont il aurait fait l’objet pour alléguer que le licenciement serait nul.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement nul.
5-3-Sur l’origine de l’inaptitude
Si l’inaptitude du salarié, cause alléguée du licenciement, trouve son origine dans un fait fautif ou un manquement de l’employeur qui l’a directement provoquée, la véritable cause du licenciement réside donc non dans l’inaptitude, mais dans la faute ou le manquement de l’employeur qui l’a provoquée. Le licenciement est dans ce cas soit nul soit sans cause réelle et sérieuse.
Tel est notamment le cas lorsque l’inaptitude a été causée par le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
En l’espèce, la cour n’a pas retenu que l’employeur aurait violé ses obligations contractuelles. C’est donc à bon droit que le conseil de prud’hommes a débouté le salarié de ses demandes fondées sur l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
6-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d’appel seront laissés à la charge de M. [M].
L’équité commande de le condamner à payer à la société la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance d’appel.
LA COUR,
Met hors de cause l’AGS CGEA de [Localité 17] et l’AGS CGEA d’Ile de France, les sociétés Alliance MJ et MJA en leur qualité de mandataires judiciaires et les sociétés [F] & Rousselet et AJ UP, en leur qualité d’administrateurs judiciaires et en leur qualité de commissaires à l’exécution du plan ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Laisse les dépens d’appel à la charge de M. [W] [M] ;
Condamne M. [W] [M] à payer à la société Benta [Localité 18] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel .
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
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